RSS SyndicationTwitterFacebook
Rechercher

Titanic, quinze ans après : la 3D le renfloue

Récit | La version 3D que sort James Cameron, conjuguée à la crise économique actuelle, nous fait revoir Titanic d’un oeil neuf. Et donne une nouvelle profondeur au rêve fou du réalisateur.
Le 06/04/2012 à 10h42
Frédéric Strauss - Télérama n° 3247

Si tout va bien, le paquebot partira dans quelques jours de Southampton et fera escale, dans la nuit du 14 au 15 avril, en plein océan. Là où le Titanic heurta un iceberg, il y a cent ans, là où il coula, une messe sera célébrée sur le Balmoral avec tous les passagers chanceux de la « croisière du mémorial », pour tous les passagers malchanceux qui n’allèrent pas plus loin. On dansera aussi, sur le Balmoral. En costumes d’époque, ont annoncé certains voyageurs. Cela a provoqué des remous du côté de Southampton, où vivent de nombreux descendants des victimes du Titanic. Qui se sont dit outrés. C’est vrai que cette croisière du mémorial fait un drôle d’effet, entre sensations fortes post-Concordia, service aux morts et carnaval. Une sorte de grand délire de luxe. Pour qui n’a pu se l’offrir, car tout ça vaut évidemment de l’or, un ticket de cinéma pour le Titanic de James Cameron peut faire l’affaire : c’était aussi un grand délire de luxe. Autrement plus cohérent.

A le redécouvrir, ce choc cinématographique de 1997 semble d’abord un peu amorti, même en 3D. Le travail a pourtant été soigné et cette version garde une belle luminosité malgré le filtre obligatoire des lunettes charbonneuses. Mais ajouter du relief à Titanic n’en fait pas un film de 2012. C’est même désormais doublement un film sur l’ancien monde, celui d’il y a cent ans et celui d’il y a quinze ans. Le premier propulsé par le progrès technique, le second par la progression des nouvelles technologies.

La technique insubmersible de 1912 était fragile. Les images produites par ordinateur, utilisées par Cameron il y a quinze ans, le sont aussi. Elles révolutionnent les effets spéciaux de l’époque, mais elles sont coûteuses et pas encore d’une précision à toute épreuve. C’est d’un bon vieux décor de paquebot, construit en dur au Mexique, que le cinéaste tirera l’essentiel de l’illusion. De façon classique. En faisant exploser son budget, en remuant ciel et terre, en donnant des cheveux blancs à ses producteurs. Là aussi, il perpétue la tradition : celle des fastes du cinéma.

Rétrospectivement, l’effet de miroir est étonnant. Avec son film, Cameron prétend tout changer, tout bousculer, mais il s’inscrit en fait dans la légende hollywoodienne. Le Titanic, prétendument symbole du changement, embarque dans sa coque toute une société inchangée, à l’ordonnance immuable : première, seconde et troisième classes. En 1912 comme en 1997, l’ancien et le renouveau se mêlent, le bateau est le maître d’un univers qu’on croit métamorphosé, le film se veut le navire amiral d’une nouvelle ère du cinéma américain, plus conquérant que jamais. Dans les deux cas, la confiance règne, le monde semble aller de l’avant. Et puis, soudain, surgit un iceberg.

Cette catastrophe, c’est le clou du film. Une apocalypse assez joyeuse puisqu’elle entraîne le public jusqu’au « sommet » de l’immense paquebot dont Cameron, tout-puissant, fait un fantastique jouet, un manège renversant dont la proue touche le ciel, avant de plonger droit dans les abysses. Cette attraction éblouit, déplace des foules. Si on a peur, c’est qu’on aime jouer à se faire peur... Quand il sort, le film ne provoque d’ailleurs aucune inquiétude sérieuse, il ne semble absolument pas inviter à réfléchir à la fin d’un monde. Cameron ne parle pas de son film comme d’une métaphore du désastre vers lequel fonce notre société. C’est même le contraire : avec ce Titanic, on accoste sur une terre d’abondance. Aux centaines de millions de dollars que le film a coûté, viennent s’ajouter les centaines de millions de dollars qu’il rapporte. L’argent coule à flots, on ira bien au-delà du milliard de recettes mondiales. On annonce même une suite pour réunir le couple Jack (Leonardo DiCaprio) et Rose (Kate Winslet). Comment ça, une suite ? Jack a coulé à pic lors du naufrage. Oui, mais dans Titanic 2, on aurait découvert qu’il avait dérivé avant d’être repêché par des marins malins. Sauvé et bientôt guéri d’une fâcheuse amnésie, Jack aurait cherché Rose partout ; et l’aurait retrouvée sous la mitraille de 14-18. Formidable ! Une nouvelle apocalypse joyeuse ! Quand l’optimisme vous tient...

Aujourd’hui, sur une mer qui secoue encore beaucoup après nous avoir fait croiser un méchant iceberg baptisé « crise financière de l’automne 2008 », le spectacle du désastre s’apprécie différemment. Les passagers du Titanic nous parlent davantage. C’est leur monde lesté de vieilles inégalités qui frappe, qu’on n’avait pas voulu voir la première fois. Et ça s’explique fort bien, selon le sociologue Roland Pfefferkorn : « A l’époque où sort Titanic, le discours des politiques et celui des médias veulent nous convaincre que nous ne sommes plus dans une société de classes, que ces clivages appartiennent au passé. En fait, les clivages sont toujours présents et vont devenir de plus en plus forts. Mais les politiques et les médias font diversion, nous empêchent alors de voir une réalité qui, aujourd’hui, s’est imposée. (1) » Le passé du film s’est rapproché de nous. Pour Thierry Pech, directeur de la rédaction du magazine Alternatives économiques, il pourrait même préfigurer notre avenir : « Si les différences entre les classes continuent à se creuser, on pourrait voir la recomposition d’une société dominée par le dynamisme d’héritage, ce qui était une des caractéristiques de ce monde au sortir du xixe siècle que montre Titanic. Un monde où la richesse n’est plus créée par les entrepreneurs, mais se transmet entre possédants. »

James Cameron, qui aime à rappeler qu’il fut camionneur dans son Canada natal avant de faire du cinéma en Amérique, prend dans son film le parti des entrepreneurs, devenus riches parce qu’ils ont créé, inventé quelque chose. Il s’appuie pour cela sur le personnage historique de Molly Brown, dite « Molly l’insubmersible » car elle réchappa au naufrage, épouse d’un Irlandais qui avait fait fortune aux Etats-Unis en développant une nouvelle technique d’extraction du minerai. Molly (interprétée par Kathy Bates) voyage en première classe, où les riches de toujours n’ont que du dédain pour elle. Cameron se moque de ce mépris. Comme il rit du fiancé millionnaire que Rose finit par envoyer au diable, pour rester avec Jack, qui n’a pas un sou en poche mais qui est le roi du monde quand il contemple l’océan depuis la proue du Titanic. Voilà la vraie profession de foi de Cameron : son faramineux paquebot, il ne l’a pas voulu pour devenir le plus riche des nouveaux riches de Holly ­wood, mais pour atteindre une vision. Tout le film est un gigantesque effort tendu vers ce pouvoir de voir qu’il veut révolutionner. Et c’est réussi : son rêve, devenu réalité, est partagé par le monde entier... Mais là encore, un iceberg se profile à l’horizon. La technologie numérique, qui a tant aidé le cinéaste, menace d’envoyer son pouvoir par le fond : avec l’essor d’Internet, les images se mettent à circuler partout, copiées, manipulées, regardées n’importe où, n’importe comment. C’est la grande vulgarisation de la vision ! Cameron réagit avec Avatar, en 2009 : grâce à la 3D, il refait de la salle de cinéma le lieu d’une expérience visuelle inédite, et du cinéma, le langage de l’oeil absolu. « I see you » (« Je te vois ») : avec ces mots plusieurs fois échangés par les héros d’Avatar, Cameron célèbre le miracle de l’amour autant que celui, retrouvé, de la vision. Et il bat le record d’entrées qu’il avait lui-même établi avec Titanic...

On pourrait croire qu’en offrant à son film un relookage en 3D ce cinéaste soucieux de la souveraineté de son art cède à une mode commerciale. Mais non, il poursuit son rêve, toujours aussi radical. Cameron voit, aujourd’hui, tout notre avenir de spectateurs en 3D. Dans les salles, mais à la télévision, aussi, qui diffusera, selon lui, tous les films en relief dans un avenir pas si lointain. D’où la nécessité de faire passer à ce format l’intégralité du patrimoine cinématographique. Dont Titanic est un des fleurons.

Tout ça en s’attaquant à ses nouveaux projets, Avatar 2 et 3, qui sortiront en 2014 et 2015 et devraient se dérouler essentiellement sous l’eau. C’est là , désormais, que Cameron passe une grande partie de sa vie. Il plonge en apnée, avec des bouteilles, en mini sous-marin... Il vient de descendre au plus profond de la fosse des Mariannes, dans l’océan Pacifique. A moins 11 000 mètres. Un record... Revenu à la surface, il a envoyé un tweet : « Toucher le fond n’a jamais été aussi bon. » Le spectacle des profondeurs, c’est son grand trip. Il a toujours détesté les croisières.

(1) Roland Pfefferkorn est l’auteur d’Inégalités et rapports sociaux. Rapports de classes, rapports de sexe, éd. La Dispute.

A voir

Titanic 2012 de James Cameron, en salles le 4 avril.

URL de cet article 16345
   
We Feed The World (documentaire)
DIVERS
Synopsis Un film pour éveiller les consciences sur les absurdités et les gachis de la production, la distribution et la consommation des produits alimentaires. Chaque jour à Vienne, la quantité de pain inutilisée, et vouée à la destrction, pourrait nourrir la seconde plus grande ville d’Autriche, Graz... Environ 350 000 hectares de terres agricoles, essentiellement en Amérique latine, sont employés à la culture du soja destiné à la nourriture du cheptel des pays européens alors que près (…)
Agrandir | voir bibliographie

 

« Il y a une idée sur laquelle chacun semble d’accord. « Vaincre Daesh », comme l’a exprimé le secrétaire d’Etat Tillerson. Laissez-moi poser juste une question : Pourquoi ? Il est temps pour Trump d’être Trump : extrêmement cynique et imprévisible. Il lui faut vaincre Daesh en Irak. Mais pourquoi en Syrie ? En Syrie, il devrait laisser Daesh être le cauchemar d’Assad, de l’Iran, de la Russie et du Hezbollah. Exactement comme nous avons encouragé les moudjahidines à saigner la Russie en Afghanistan. »

Thomas Friedman, « In Defense of ISIS », New York Times, 14 avril 2017.

© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.