Avant propos
Dès Juin 2014, le Dr Salim Harba, chercheur syrien et expert en géostratégie, nous annonçait les manœuvres des États prétendument « Amis de le Syrie » visant à livrer la Syrie à Al-Qaïda, quel que soit le nom qu’elle se donne :
« Pour rester bref, je pense que les États-Unis sont en train de poursuivre plusieurs buts à la fois. Ils pensent piéger l’Iran d’une façon ou d’une autre, et abandonnent le terrain syrien à ceux qu’ils font passer pour des « opposants modérés » ; lesquels prétendus opposants ne sont que le deuxième assortiment d’Al-Qaïda.
D’ailleurs, les États-Unis sont en train de travailler à « vider » le terrain dans l’intérêt de Daech et du leur. Je m’explique en rappelant un fait marquant survenu lorsque Al-Zawahiri [successeur de Ben Laden et chef d’Al-Qaïda] a dépêché six de ses délégués pour sommer Abou Bakr Al-Baghdadi [dirigeant de Daech] et Abou Mohammad Al-Joulani [dirigeant de Jabhat Al-Nosra] de quitter la Syrie pour s’occuper des malheureux frères irakiens. Nous savons tous qu’Al-Baghdadi s’est ravisé et a répondu à l’appel d’Al-Zawahiri en quittant la Syrie pour se replier sur l’Irak sans, pour autant, cesser d’assurer le transport d’armes et de combattants vers la Syrie jusqu’à cet instant précis ; les véhicules blindés US en provenance d’Irak sont d’ores et déjà parfaitement visibles autour de Hassaka, de Deir ez-Zor , et d’Al-Qamichli ; tandis qu’Al-Joulani a refusé de lui prêter allégeance.
Nous pouvons en déduire qu’il nous faudra attendre quelques jours pour commencer à entendre parler de divisions au sein d’Al-Nosra ; une partie acceptant de rejoindre Daech, et donc Al-Qaïda ; l’autre partie s’y refusant pour rester du côté d’Al-Joulani qui s’alliera avec le « Front islamiste » [dernier né des groupes terroristes à l’usage exclusif de la Syrie]. Ce sera alors l’occasion que saisiront les États-Unis pour nous présenter Al-Joulani et Cie, comme la « nouvelle opposition modérée syrienne », puisqu’ils pourront dire qu’elle est composée d’éléments ayant refusé de prêter allégeance à Al-Qaïda ! » [1].
C’était là une lecture attribuée, par certains, à « ceux qui voient des complots partout », bien que les événements qui se sont succédés sur le terrain lui aient donné raison.
Voici des extraits d’une relecture de ce sujet par M. Nasser Kandil le 27 mai courant, en sachant que ce même jour, Al-Joulani [l’émir d’Al-Nosra] accordait à Al-Jazeera un long entretien. En bref, cet individu se présente en chef clément et miséricordieux dont l’unique souci est de ramener les Syriens musulmans, notamment s’ils sont alaouites, vers les véritables sentiers de son dieu, en passant sur le corps de l’État syrien et de son Président ; les chrétiens pouvant toujours s’acquitter de la jiziya [sorte d’impôt de capitation réservé aux gens du Livre] ; son organisation n’ayant commis aucune violence injustifiée !
Curieusement, ses arguments sont les mêmes que ceux avancés par la grande majorité des médias officiels français et par MM. Hollande et Fabius, qui insistent sur le terrorisme de Daech [EIIL, ISIS, EI] en se gardant de mettre Al-Nosra dans le même panier [2][3]. Pourtant ces deux organisations terroristes sont visées au même titre par la résolution contraignante N°2170 du Conseil de sécurité, adoptée à l’unanimité en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies. [NdT].
DE RAMADI À PALMYRE
À mon avis, ce qui s’est passé à Palmyre est la réplique de ce qui est arrivé à Ramadi, la capitale de la province irakienne Al-Anbar, et renvoie à la propagande hollywoodienne orchestrée par l’Administration US autour de Daech présenté comme une force invincible.
Sans revenir sur les détails de sa naissance, souvenez-vous des déclarations d’Obama nous disant que la guerre contre Daech sera longue [10, 20, 30 ans…] et des plus difficiles ; suivies par l’annonce de la formation de la coalition d’une soixantaine de pays dont des États de l’Union européenne, de l’OTAN et des pays du Golfe rassemblés par John Kerry, puis des déclarations du Général M. Dempsey nous expliquant que les frappes aériennes de cette Coalition Internationale contre Daech resteraient inefficaces sans intervention terrestre.
Souvenez-vous aussi de l’épisode de la ville d’Aïn al-Arab [Kobané], laquelle, de l’aveu même de John Kerry, ne faisait pas partie de la stratégie US [4] et où sans la volonté farouche de ses habitants de vaincre Daech, les USA n’auraient pas engagé leurs forces aériennes.
Nous sommes donc face à un plan qui consiste à glorifier Daech en exagérant sa puissance. Mais ce plan s’est heurté à sa défaite à Tikrit, devant l’Armée irakienne et les Forces de mobilisation populaire [Al-Hachd al-Cha’abi]. Ce qui ne correspondait pas aux projets des USA. Et pire encore, ce qui a démontré que Daech n’est pas la force invincible qu’on nous a décrite.
La mission pour laquelle Daech a été créé n’étant pas encore terminée, les stratèges US devaient retravailler leur scénario pour le regonfler et faire oublier Tikrit. D’où l’accent remis sur les divisions sectaires par les donneurs de leçons tels Obama et Ashton Carter [secrétaire à la Défense des États-Unis] condamnant le gouvernement central irakien, jugé incapable de tenir ses troupes. D’où l’exploitation de l’aide militaire fournie par l’Iran et ses conseillers militaires pour creuser le fossé sunnites-chiites alors que l’Armée irakienne n’a toujours pas reçu les avions militaires, les missiles antichar et leurs munitions, dûment payés depuis neuf mois. D’où la promesse d’armer directement les sunnites, comme les kurdes, en contournant le gouvernement central, à condition que les Forces de mobilisation populaire [essentiellement chiites, NdT] n’entrent pas dans Ramadi [majorité de sunnites, NdT], auquel cas les USA ne les appuieraient pas avec leur aviation et ne livreraient pas les avions promis à l’armée irakienne.
Le gouvernement central irakien s’est incliné sous la pression des USA et de certains parlementaires d’Al-Anbar convaincus par leurs promesses illusoires, se contentant d’exiger la liste des armes qui leur seraient fournies. Finalement, quand Daech a lancé son attaque sur Ramadi, l’aviation militaire US n’était pas au rendez-vous, la ville est tombée, Daech s’est renforcée, et Tikrit a été oubliée !
Un scénario de faiblesse et d’illusions identique à celui entretenu pour l’armée israélienne présentée comme invincible. Sauf que la détermination de la Résistance libanaise a fait que l’invasion du Liban en 2006 n’a pas réussi à faire oublier la défaite israélienne de l’an 2000 face au Hezbollah, soutenu par l’Iran et feu le Président syrien Hafez al-Assad. D’où la haine tenace contre l’Axe de la Résistance et la rage destructrice à laquelle nous assistons.
Mais revenons à la Syrie. Le gouvernement syrien a accepté de fermer les yeux sur les frappes aériennes US sur son territoire tout en déclarant officiellement qu’elles étaient illégales et menées sans autorisation ni concertation avec l’État syrien, comme l’exige le droit international ; d’une part, pour éviter de gêner son allié russe qui lui a conseillé de ne pas s’y opposer ; d’autre part, parce que la Coalition internationale menée par les USA s’étant drapée du faux prétexte de combat du terrorisme, ses citoyens auraient mal compris qu’elle se lance dans une guerre supplémentaire alors qu’ils subissent une agression universelle depuis des années.
Les USA se sont donc réservés 200 kilomètres de l’espace aérien syrien, leur aviation couvrant les allers-retours de leur créature dans la zone. La question est de savoir dans quel but ?
Pour y répondre, il suffit de se rappeler qu’Obama, lui-même, a reconnu que compter sur l’opposition syrienne pour renverser le Président Bachar al-Assad était pure « fantasy » [5]. En réalité, les USA ont très tôt compris que le pari sur la Coalition Nationale Syrienne [la CNS tenue sur les fonds baptismaux par le gouvernement Sarkozy et confirmée par le gouvernement Hollande, NdT] des prétendus opposants modérés était illusoire. Et Joe Biden [vice-président des États-Unis] ment lorsqu’il se contente de dire que la Turquie, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, sont les seuls responsables du développement de l’infâme Daech en Syrie [6], alors qu’il sait parfaitement que les USA ont passé un accord avec Al-Qaïda : « Venez combattre à notre place en Syrie et vous serez payés en retour ».
Et le prix demandé par Al-Qaïda pour mener la guerre par procuration, des USA et de ses alliés, est justement que l’entité Al-Nosra soit associée à la direction de la « Syrie à venir » et qu’Al-Qaïda s’installe dans les montagnes du Qalamoun. Telle est la promesse faite à Al-Zawahiri pour qu’Al-Qaïda dirige ses combattants du monde entier vers la Syrie.
SEULE AL-NOSRA PEUT VAINCRE DAECH
Vous me dites qu’il arrive qu’Al-Qaïda et Al-Nosra s’entretuent. Il n’empêche qu’Al-Nosra est la branche syrienne d’Al-Qaïda tel que l’a publiquement déclaré son chef, Al-Zawahiri, et que Daech en est la branche dissidente dirigée par les Services du renseignement US, par l’intermédiaire des Services du renseignement turc, pour engendrer le couple cancer malin/cancer bénin. Autrement dit, les deux organisations sont des filiales d’Al-Qaïda, Daech étant le groupe de terroristes ensauvagés que seule Al-Nosra peut vaincre.
J’en veux pour preuve les deux nouvelles consécutives retenues par CNN le jour de l’invasion de Palmyre : « Daech, après avoir envahi la ville de Ramadi en Irak, entre dans l’historique Palmyre en Syrie, mais Al-Nosra déloge Daech de trois localités du Qalamoun ! ».
Ceci sans oublier les gesticulations concernant l’échec de la Coalition internationale menée par Obama dans sa guerre contre l’invincible Daech, les indignations publiques de certains de nos politiciens libanais refusant qu’Al-Nosra soit qualifiée d’organisation terroriste, les déclarations de Moché Yaalon [ministre israélien de la Défense] disant qu’Al-Nosra ne menace pas Israël…
De toute façon, quelle que soit l’appellation on retombe toujours sur Al-Qaïda. Dernièrement, dix représentants de la fameuse CNS se sont coalisés avec Al-Nosra, qui compte dix-mille combattants, pour former dix factions regroupées sous la bannière « Jaïch al-Fath » [Armée de la conquête]. Un nouveau nom pour Al-Nosra, autrement dit, un nouveau nom pour Al-Qaïda.
POURQUOI LE QALAMOUN ?
Pourquoi les montagnes du Qalamoun ? Parce que, depuis toujours, celui qui tient cette région tient tout le moyen Orient. Parce qu’entre les montagnes du Qalamoun et le mont Hermon il y a une ouverture de 40 Kilomètres qui fait que celui qui occupe cet espace tient la Syrie et le Liban.
Ce n’est pas la première fois qu’Al-Qaïda cherche à l’occuper. À la veille du nouvel an 2000, 250 éléments d’Al-Qaïda avaient attaqué tous les postes militaires de l’Armée libanaise à Al-Donniyé, massacrant et tuant à tour de bras. Heureusement pour nous que le Président de l’époque, M. Émile Lahoud, n’avait pas laissé l’Armée entre les mains de Michel Sleiman qui ne voulait pas se battre. Il a dirigé les opérations en personne et je profite de cette occasion pour lui rendre hommage.
Les documents saisis suite à cette bataille avaient révélé que le tracé convoité par Al-Qaïda allait d’Al-Donniyé vers Arsal, Flita, Palmyre, puis Al-Anbar chez Abou Moussab al-Zarqaoui [nommé par Ben Laden émir d’Al-Qaïda en Irak à partir d’Octobre 2004, après la chute de Saddam Hussein, NdT]. Aujourd’hui, c’est ce même tracé qui justifie qu’Al-Qaïda sorte de Tora Bora pour déboucher sur la Méditerranée. Les Européens sont gênés ? Sans doute. Mais ils sont en train de passer un accord avec Al-Qaïda qui leur dit : « En 30 ans, nous n’avons jamais menacé Israël. Donnez-nous Al-Qalamoun, nous vous promettons de ne jamais menacer votre sécurité, de nous contenter de vendre le pétrole et le gaz, de vous faire gagner de l’argent… Sinon… ».
Ce qui explique que l’essentiel des forces d’Al-Nosra se soit concentré dans la région du Qalamoun et que la priorité des priorités est de les empêcher d’arriver à leur fin. Partout ailleurs, ses éléments s’appuient soit sur des éléments locaux, soit sur la Turquie. Ainsi, à Jisr Al-Choghour, il n’y avait que 1000 éléments environ, mais c’est l’armée turque qui a mené l’opération avant de remettre la ville à Al-Nosra.
LE NOUVEAU SCÉNARIO
Mais à ce stade, nous arrivons à la deuxième partie du film hollywoodien dont le rôle principal sera tenu par Laurent Fabius pour défendre, devant le Conseil Affaires étrangères de l’UE, un nouveau scénario qui se résume comme suit :
- Al-Nosra et le Hamas sont deux organisations représentatives de leurs deux peuples, acculées au terrorisme devant la souffrance et le désespoir des leurs. Les Européens et la Communauté internationale doivent leur donner une chance…
- S’agissant d’Al-Nosra, nos services de renseignements sont entrés en contact avec ses représentants. Ce sont des opposants patriotes. Nous pouvons les restructurer, les sortir de leur condition de terroristes, les faire participer à la Conférence de Genève, les associer à la solution politique en Syrie contre leur engagement à ne plus recourir au terrorisme et à ne pas dépasser les limites de leur territoire. Ils nous l’ont promis…
- Quant au Hamas, nous devons revenir au dialogue, discuter de la reconstruction et de la gestion de Gaza…
Bref, le blanchiment du Hamas, aux dépens de la question palestinienne, entrainera celui d’Al-Nosra. Et une fois Al-Nosra blanchie, on lui sellera un cheval blanc. On la propulsera sur le devant de la scène politique et militaire. On l’aidera à déloger Daech région après région. Puis les USA ordonneront à la Turquie de fermer le robinet et enverront leur aviation exterminer l’infâme Daech qui aura rempli sa mission. Et le monde entier sera ébloui !
Mais comme je l’ai déjà dit, le pragmatisme US veut que d’ici le 30 juin, date de la signature de l’accord sur le nucléaire iranien, leurs alliés ont toujours carte blanche pour tenter, sans aucune restriction morale, tous les scénarios susceptibles de dessiner leurs nouvelles cartes de la région. Leurs alliés gagnent, ils en profiteront. Leurs alliés perdent, ils préparent déjà leurs arrières en faisant dire à M. Bogdanov : « Nos collègues américains ont compris qu’il n’y avait actuellement aucune alternative à Bachar al-Assad et au gouvernement syrien actuel ».
Que cet accord soit signé, reporté ou annulé, la Syrie n’est toujours pas seule, et l’Axe de la Résistance est plus déterminé que jamais. En Irak, l’armée, le peuple et les forces de mobilisation populaire se chargent d’écraser Daech à Ramadi. Au Qalamoun, l’Armée syrienne, le Hezbollah et les Forces de défense populaire, se chargent d’écraser Al-Nosra.
Ce que nous ne devons pas oublier, quelle que soit notre tristesse devant les tragédies humaines qui frappent notre région, c’est que ce sont nos armées qui sont visées autant que nos villes et notre géographie. Ordonner un retrait à Palmyre ou ailleurs, ne signifie pas que nous avons perdu la guerre et que leurs plans de partition ont réussi…
Nasser Kandil
27/05/2015
Source : Al-Fadaiya. M. Kandil est interrogé par Mme Alissar Moala
https://www.youtube.com/watch?v=OgiUnx0nyso&feature=youtu.be
Transcription et traduction par Mouna Alno-Nakhal
Monsieur Nasser Kandil est libanais, ancien député, Directeur de TopNews-nasser-kandil, et Rédacteur en chef du quotidien libanais Al-Binaa.