« Un soutien aux ouvriers de ROTOS.93 : - [Le patron vous jette] comme on jette une machine usagée, ça me choque profondément !
Un ouvrier lui répond : - Vous nous comparez à une machine… Mais on aimerait être comparé à une machine ! Ils n’ont pas jeté leurs machines, ils vont chercher à les vendre. On n’est même pas comparé à une machine, parce qu’apparemment ils y tiennent ! ».
Les vagues de licenciements se poursuivent, et les « recettes » patronales continuent à prouver leur « inventivité »... C’est ce qu’ont pu malheureusement constater les vingt-quatre ouvriers de l’imprimerie ROTOS.93, au Blanc-Mesnil (Seine-Saint-Denis). Depuis des mois, voire même des années, c’est la recette pour « couler une boîte à coup sûr » qui leur était préparée, comme ils l’expliquent dans leur gazette des cent jours de lutte : un « patron véreux », un gérant fantôme, une organisation rodée de mise en faillite, et voilà une entreprise qui se retrouve en procédure de liquidation. Du jour au lendemain, les vingt-quatre salariés et leurs familles se retrouvent face au chômage, et face à la nécessité de lutter contre cette escroquerie organisée.
Depuis des années déjà , l’entreprise d’imprimerie était laissée à l’abandon par son propriétaire Jean-Claude Meurou, qui avait décidé de déléguer les affaires courantes à deux gérants salariés... qui déléguèrent bien vite leurs tâches aux ouvriers eux-mêmes, qui s’occupaient alors de l’organisation quotidienne du travail et de l’entretien des machines. Malgré les transformations rapides de la profession, qui se tourne de plus en plus vers le numérique, aucun investissement n’est fait dans les sept dernières années. On fait passer la gestion de l’entreprise par de petites notes de services, on s’abstient de rechercher de nouveaux clients, et on laisse les ouvriers faire le reste, quoi de plus simple ?!
Dès lors, quand en mai dernier, un avocat inconnu - après tout, pourquoi le patron se déplacerait-il pour une chose si insignifiante que la mise au chômage de ses employés ? - vient informer les salariés que le travail s’arrête pour de bon, ceux-ci tombent des nues. D’où provient donc cette « dette » de l’entreprise, alors qu’aucun investissement n’a été fait, et que la boîte a encore de nombreux clients ? Embrouilles financières, impôts payés en retard, investissements plus que suspects à l’étranger, rien n’est encore élucidé, mais une chose est sûre : tout était bien prévu. Le jour même de l’arrêt de travail, les ouvriers se rendent compte que les stocks de matériaux et de produits nécessaires à l’imprimerie sont tous exactement vides, comme s’ils avaient été comptabilisés par les gérants pour manquer précisément ce jour-ci. Impossible de redémarrer le travail le lendemain, qu’il y ait des clients ou non. Certains clients semblent d’ailleurs bien peu étonnés de ce soudain arrêt de travail, et paraissent bien vite prêts à imprimer dans une entreprise alentour. Seul le journal de Lutte Ouvrière, qui imprime là -bas depuis des années, s’est engagé à poursuivre la collaboration si les employés parviennent à relancer l’activité.
Pour cela, selon les salariés, il faudrait 1,9 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel. Le client historique, une société éditant des journaux hippiques, s’était engagée avant l’été à revenir dans les conditions d’avant la fermeture (c’est à dire avec un volume d’affaires proche de 2,4 millions d’euros), ce qui aurait permis de relancer l’entreprise. Malgré cela, de réunion en réunion à la préfecture, ce client s’est retiré progressivement du projet, jusqu’à arriver à la proposition actuelle d’un million d’euro à peine. Insuffisant, les ouvriers le savent bien, pour payer les salariés nécessaires à la bonne marche de l’entreprise, même dans le cas d’une reprise à minima avec seulement treize travailleurs.
Placés pendant tout l’été en attente de ce client, qui semble bien peu déterminé à jouer franc-jeu, les ouvriers n’ont cependant pas lâché prise. Depuis cent jours, ils occupent l’usine. Ils le savent, ils peuvent faire tourner l’entreprise seuls. Mais plus encore, il paraît de plus en plus évident aujourd’hui qu’après avoir exploité les travailleurs pendant des années, le patron n’a fait ces derniers temps qu’organiser la liquidation d’une boîte dont il ne voulait plus.
Indépendance des travailleurs face aux « pouvoirs publics »
Pendant ces cent jours de lutte et d’occupation de l’usine, les ROTOS.93 ont réussi à obtenir les soutiens de différentes organisations politiques (PS, Europe Écologie, PG, PCF, LO et NPA). Même le gouvernement, à travers le ministre du Redressement Productif, Arnaud Montebourg, leur a envoyé une lettre de soutien. Mais on sait ce que vaut le « soutien » du PS aux salariés contre la fermeture d’usines… les salariés de PSA Aulnay, qui se trouvent à quelques kilomètres seulement des ROTOS.93, peuvent en dire quelque chose !
Et le gouvernement PS n’est pas le seul à se gargariser d’un « soutien » aux ROTOS.93. En effet, sur la quatrième de couverture de la gazette consacrée aux soutiens politiques, on est bien étonné de trouver côte à côte Arlette Laguiller, Philippe Poutou et... Christian Lambert, le flic que Sarkozy a nommé à la tête de la préfecture de la Seine-Saint-Denis pour réprimer la jeunesse et les classes populaires du 93 ! On comprend que les travailleurs dans leurs luttes puissent exiger l’intervention de responsables politiques pour faire pression sur les patrons pour trouver des solutions à leurs problèmes. Mais il ne faut pas confondre ce type de « soutien » circonstanciel, dicté par des conditions particulières et souvent seulement verbal, de la part de représentants de l’État capitaliste avec un réel « objectif commun » entre ceux-ci et les travailleurs. Les hauts fonctionnaires de l’État bourgeois sont là pour gérer les affaires courantes des capitalistes, pour protéger leurs intérêts contre ceux des opprimés et exploités.
En ces temps de crise et de luttes ouvrières qui s’annoncent de plus en plus fréquentes et de plus en plus dures, les patrons auront grand besoin des services de leurs institutions et leurs « forces de l’ordre ». C’est pour cela que les travailleurs doivent garder une totale indépendance vis-à -vis des représentants politiques des patrons et de leur État. En ce sens, quand Marie-George Buffet, députée PCF de la Seine-Saint-Denis, se félicite de l’« investissement du préfet », elle ne fait que créer de la confusion et renforcer les illusions chez les travailleurs vis-à -vis des institutions de la bourgeoisie et ses représentants politiques.
Une lutte qui pose la question de la nationalisation sous gestion ouvrière
Lors d’une réunion à la préfecture le 25 juillet, l’ancien patron, Jean-Claude Meurou, a finalement cédé le fond commercial et les machines aux ouvriers pour un euro symbolique. Cependant, il reste propriétaire du terrain et des bâtiments. L’accord de bail passé avec les ouvriers stipule d’ailleurs qu’il leur « concède » six mois de loyer gratuits, après quoi ils devront commencer à payer le loyer… ou quitter les lieux !
Il est évident que le fait d’avoir arraché les machines à l’ancien patron est un grand avantage pour les travailleurs dans la perspective de maintenir l’activité. Mais il faudrait aller au-delà et exiger l’expropriation totale de ce patron qui a coulé la boîte et conduit les ouvriers et leurs familles dans cette situation tragique. Il faut exiger l’expropriation du terrain et des locaux ! Il est inadmissible que les ouvriers donnent un centime de plus à celui qui les a exploités durant toutes ces années.
Pour autant, il n’est pas non plus souhaitable que les ROTOS.93 se rendent dépendant d’un nouveau patron, en l’occurrence celui du journal hippique, qui a déjà prouvé pendant l’été sa capacité à jouer habilement avec les espérances de ouvriers, sans jamais s’engager véritablement. Au « mieux », on peut imaginer qu’il soit en train de faire du chantage à ces travailleurs pour éventuellement réinvestir dans l’entreprise dans les conditions les plus favorables à son profit personnel. Au pire, on peut craindre qu’il ne fasse que gagner du temps, en accord avec l’ancien patron, pour démoraliser les ouvriers et aider à fermer l’entreprise sans plus d’incidents. Pour Meurou comme pour le nouveau patron, la protection du fameux « secret commercial » constitue le verrou juridique de leur pouvoir en temps que capitalistes. Il maintient en effet la connaissance et la gestion des comptes dans les mains du seul patronat, empêchant les ouvriers d’exercer une quelconque forme de contrôle sur leur propre entreprise et donc leur propre avenir. C’est ce verrou qui a permis d’organiser en cachette la liquidation de l’entreprise, et qui encore aujourd’hui maintient les travailleurs en position de main d’oeuvre exploitable à merci.
C’est pour cela que la revendication de la nationalisation sous contrôle et gestion des ouvriers devient fondamentale pour sauver les vingt-quatre postes de travail. En effet, l’État pourrait garantir l’investissement nécessaire et l’entretien des machines ainsi que les commandes : il est évident que les administrations locales ont des besoins en impressions de brochures, de journaux municipaux, etc. En outre, une victoire de ce type pourrait être un point d’appui pour développer l’enthousiasme et la combativité des ouvrières et ouvriers de PSA Aulnay qui, tout près des ROTOS.93, se battent contre la fermeture de leur site dans un département déjà durement touché par le chômage !
Marah Macna, Philippe Alcoy
12∕09/2012
Source : http://www.ccr4.org/ROTOS-93-Deja-cent-jours-de-lutte-et-d-occupati