La dernière Revue crade, commencée le 7 janvier et mise en ligne le 29 du même mois, s’était arrêtée avant l’élection du président de la Chambre des Députés. [1]
1er février 2015 - l’élection du nouveau président de la Chambre des Députés
Il faut savoir, tout d’abord, que cette élection du président de la Chambre des Députés aurait dû être une formalité, puisque traditionnellement, ce poste revient à un membre du parti qui compte le plus d’élus, en l’occurrence le PT au pouvoir. Mais le député Eduardo Cunha, du PMDB (parti de la base alliée du gouvernement), en avait décidé autrement et menait une campagne féroce pour son élection.
Cette campagne lui a servi, et la majorité des membres du PMDB, appuyée par l’opposition, a voté pour lui. Cette élection, le gouvernement à peine installé au pouvoir, a considérablement fragilisé celui-ci, en mettant la majorité du PMDB contre lui et, de fait dans l’opposition. Cette élection a fait passer le gouvernement de la coalition à la cohabitation, situation jusque là inédite au Brésil [2]. C’est dire la situation difficile de la présidente Dilma Rousseff.
Eduardo Cunha, florilège
Le nouveau président de la Chambre possède la pire des réputations. Luis Nassif, journaliste et blogueur, le définit comme tel [3] :
La Chambre a élu le pire exemple des vices parlementaires pour sa présidence. Le moralisme exacerbé médias a fait preuve d’un culot éhonté en occultant la biographie de Cunha à ses lecteurs. Cunha n’est pas n’importe qui, ce n’est pas un simple vaurien devenu député, qui pullulent dans le « bas clergé » (c’est ainsi qu’est appelée la classe des parlementaires qui ne suivent que leur propre intérêt – financier NdT). Il est LE député suspect, sans limite.
Alberto Dines, de l’Observatório da Imprensa (Observatoire de la Presse) fait mieux encore [4] :
(...) Führer typique, déterminé, idole des médiocres, allié favori des pusillanimes. Dans les échantillons de dirigeants fournis par la Révolution française, il se place entre Georges Danton, le démagogue audacieux et Joseph Fouché, le conspirateur-manipulateur, survivant éternel, sacerdote en mesure de se prétendre athée pour gagner plus de pouvoir (...) Eduardo Cunha est actuellement le politicien le plus puissant du pays. Beaucoup plus efficace que le parti qui a élu et réélu les deux derniers présidents, plus malin et plus intelligent que le président d’honneur de son parti et vice-président de la République – en une seule carte jouée il a converti Michel Temer en volume mort (référence au volume mort des réservoirs d’eau, autre casse-tête actuel NdT) et la présidente réélue, la « dure des durs » Dilma Rousseff, en potiche. (...) Lorsqu’il opérait au niveau de l’État (à Rio de Janeiro NdT), il se fourrait dans de constantes entourloupes, en est venu à être la cible d’une tentative de meurtre et a été accusé de faire des affaires avec un célèbre trafiquant de drogue carioca, du genre de ceux qui ne plaisantent pas ; il fut aussi celui qui découvrit une erreur dans les documents présentés par l’animateur Silvio Santos pour les élections, le sortant ainsi de la course à la présidentielle. (...) Il préside la Chambre, mais n’arrive pas à cacher sa forte vocation pour un pouvoir fort et autoritaire et un goût pour l’exercice du pouvoir absolu. Il est déjà passé par trois partis - PRN, PPB-PP et PMDB, le dernier étant le plus « progressiste ». C’est en fait un spécimen légitimes de l’ère post-idéologique, conservateur populiste qui peut même se proclamer parlementariste pour arriver plus vite au pouvoir le pouvoir.
Son adhésion aux idéaux évangéliques et son obsession à les appliquer à tout prix fait de lui rend une figure calviniste. En tant que gestionnaire, cependant, il préfère la logique du capitalisme.
La promesse d’empêcher toute tentative de régulation des médias (régulation souhaitée par le PT) n’a rien de la dévotion à la liberté de presse. Tout projet qui corrigerait les distorsions dans le système des médias, mais infime, passerait obligatoirement par l’annulation des concessions de radio et de télévision attribuées aux parlementaires et l’interdiction des services religieux sur les chaînes de télévision ouvertes - largement utilisées par des groupes religieux, notamment évangéliques. (...)
Météore fascinant à observer, préoccupant à la tête du pouvoir.
La Petrobras et l’opération Lava-jato
Diogène d’Arc, sur son blog (en français) [5], a écrit un article documenté sur la Petrobras, l’affaire Lava-jato et ses conséquences désastreuses pour l’économie et la politique actuelles, déjà fragilisées par la récession mondiale et la politique interne. Il omet toutefois d’indiquer le changement fondamental dans la prospection pétrolière que fut le remplacement du système des concessions par celui du partage, ainsi que la mise à l’écart des sociétés américaines.
Le modèle de concession entra en vigueur le 6 Août 1997 jusqu’au 22 Décembre 2010, lorsque l’ancien président Lula signa la loi 12.351, qui établit le modèle de partage. Dans le modèle de concession, une vente aux enchères de la zone est faite. La société dont l’offre financière à l’État est la plus importante gagne la concession. Dans ce modèle, 100% du pétrole produit appartient à l’entreprise gagnante. Elle n’a que les impôts à payer. Dans le modèle de concession, le contrôle est entre les mains des entreprises, ce qui favorise une exploitation prédatrice, ainsi que d’autres risques. Le système de concession ne génère pas d’emploi dans la chaîne dans son ensemble, car il permet l’exploitation du pétrole à n’importe quel prix ; il n’utilise pas le retour économique du champ pétrolifère à des fins de recherches. C’est une des raisons des attaques contre la Petrobras (et contre le système de partage), qui génèrent moins de profit. Un autre risque concerne l’environnement. C’est ce qui arriva dans un puits de la société américaine Chevron sur le champ pétrolifère Frade dans le bassin de Campos (RJ), en Novembre 2011. Chevron voulait produire plus vite et n’a pas suivi les normes de sécurité. Le résultat en a été un déversement important de pétrole en mer. Le risque environnemental est plus grand dans le modèle de concession car le mécanisme que l’État contrôle est très réduit. Le maximum que l’État puisse faire, c’est d’infliger des amendes. Dans le cas du Champ Frade. L’État brésilien a appliqué une amende et Chevron a recommencé à produire.
Le système de partage, actuellement en vigueur, a commencé à être adopté dans le second gouvernement Lula. Dans le modèle de partage, l’entreprise qui offre le plus de pétrole à l’État brésilien gagne l’appel d’offre. C’est ce qui s’est passé pour le champ pétrolifère de Libra. L’entreprise gagnante a offert 41% du pétrole à l’état. De chaque baril de pétrole produit, 41% sont destinés au peuple brésilien. En plus des taxes sur l’ensemble du volume exploité. Dans le modèle de partage, contrairement à la concession, le seul opérateur de la zone est la Petrobras. Ce qui permet à l’état brésilien de contrôler la production. Dans le système de partage, les autres entreprises interviennent comme associés investisseurs. Mais c’est la Petrobras qui va travailler sur le terrain, qui loue les équipements et les navires, et surtout qui contrôle la production. C’est le plus important. Cela permet au pays d’explorer selon ses propres besoins plutôt que de vider les ressources rapidement, comme c’est le cas dans le modèle de concession.
Pour en revenir à l’opération Lava-jato (opération « Lavojet » – système de lavage automatique des voitures), qui pourrait s’appeler opération « kärcher », étant donné le lessivage (plutôt sélectif) qu’elle mène, elle est éminemment soutenue et portée à son comble par l’opposition, qui sort plutôt indemne dans l’affaire. Dans la fameuse « Liste de Janot », du nom du procureur de la République, et qui contient les noms des parlementaires impliqués dans l’opération, les suspects appartiennent majoritairement à la coalition gouvernementale : le PT au pouvoir, le PMBB (dont Eduardo Cunha) et le PP. Le nom du candidat à l’élection présidentielle, Aécio Neves, qui était sur la liste, a fait l’objet d’un archivage demandé par le procureur. Aécio Neves (qui a pourtant beaucoup de casseroles à ses basques, en particulier dans son État d’origine, le Minas Gerais) est donc sauf. Si cet archivage est le résultat d’une négociation pour pacifier la situation, c’est raté, la guerre menée par les médias et l’opposition n’ayant pas arrêté un instant.
On l’a dit, la fin du système de concession dans l’exploration du pétrole, qui a rendu la Petrobras le principal opérateur, a mis les sociétés américaines en dehors du jeu.
Où Joe Biden passe, la démocratie trépasse
Frederick William Engdahl, dans son article « Dilma Dilma Rousseff, présidente du Brésil, pays membre des Brics, est la prochaine cible de Washington » (Adital) [6], écrit en novembre dernier, pointe la « coïncidence » de la visite du vice-président américain Joe Biden au Brésil en mai 2013, et la déflagration des manifestations anti-gouvernementales un mois plus tard :
(...) Avec l’approfondissement des relations entre le gouvernement Dilma Rousseff et la Chine, ainsi qu’avec la Russie et les autres partenaires des Brics en mai 2013, le vice-président américain, Joe Biden, est venu au Brésil avec son programme axé sur le développement gaz et de pétrole. Il a rencontré la présidente Dilma Dilma Rousseff, qui avait succédé à son mentor Lula en 2011. Biden a également rencontré des principales sociétés d’énergie au Brésil, y compris la Petrobras.
Bien que peu de choses ait été dit publiquement, Dilma Rousseff a refusé d’annuler la loi sur le pétrole en 2009 pour l’adapter aux intérêts de Biden et de Washington. Quelques jours après la visite de Biden ont été divulguées les révélations de Snowden sur la NSA, et sur l’espionnage dont faisaient l’objet Dilma Rousseff et les cadres supérieurs de la Petrobras. La présidente, furieuse, et en Septembre, a dénoncé l’administration Obama devant l’Assemblée générale de l’ONU pour violation du droit international. En signe de protestation, elle a annulé une visite prévue à Washington. Après cela, les relations Etats-Unis-Brésil ont subi un grave refroidissement.
Avant la visite de Biden en mai 2013, Dilma Rousseff avait un taux de 70 pour cent de popularité. Moins de deux semaines après la visite de Biden au Brésil, des manifestations à l’échelle nationale convoqués par un groupe bien organisé appelé Movimento Passe Livre, en protestation à une augmentation nominale de 10 pour cent des tarifs de bus, ont conduit le pays pratiquement à l’arrêt et est devenu très violent. Les protestations portaient la marque d’une typique « révolution de couleur » ou de déstabilisation via Twitter, qui semble suivre Biden partout où il se présente. En quelques semaines, la popularité de Dilma Rousseff est tombé à 30 pour cent.
Washington a envoyé un signal clair : Dilma Rousseff devait changer de cap ou faire face à de graves problèmes. Maintenant qu’elle a été réélu et a vaincu les oligarques bien financés de la droite et de l’opposition, il est clair que Washington fera usage d’un regain d’énergie pour essayer de se débarrasser d’un autre chef de file des Brics, dans une tentative de plus en plus désespérée de maintenir le statu quo. Il semble que le monde ne se met plus au garde à vous comme il le faisait au cours des dernières décennies lorsque Washington donnait ses ordres. L’année 2015 sera une aventure non seulement pour le Brésil, mais pour le monde entier ».
La question de l’impeachment
Comme on le sait, une partie de l’opposition souhaite mettre dehors la présidente Dilma Rousseff par le biais d’une destitution, un impeachment, comme le fut Fernando Lugo au Paraguay en 2012, par une manœuvre juridico-politique orchestrée par le Congrès national, avec des relents très anti-constitutionnels.
Il faut savoir, cependant, que beaucoup de politiciens brésiliens, y compris des membres de l’opposition, ne sont pas favorables à l’impeachment. Il n’est pas certain que ce soit pour des raisons démocratiques, ou parce qu’un impeachment serait inconstitutionnel, mais plutôt parce qu’il desservirait leurs intérêt. Et surtout, parce qu’ils ne souhaitent pas s’aliéner la population qui, si elle désapprouve majoritairement l’action du gouvernement (y compris à gauche), ne semble pas vouloir entendre parler (pour l’instant) d’impeachment.
D’ailleurs, comme le fait judicieusement remarquer Eduardo Guimarães sur son blog da Cidadania, s’il y avait eu une volonté de la part de la majorité de la population de mettre dehors la présidente par un impeachment, un sondage aurait certainement été fait en ce sens [7] :
« (...) On peut dire qu’il n’y a pratiquement pas eu de semaine depuis la réélection de la Présidente de la République sans que l’on parle ou que l’on lise dans les médias un commentaire sur sa destitution. Avec la divulgation du sondage qui a montré l’énorme chute de sa popularité en janvier (23% contre 42% en décembre), les golpistes ont commencé à considérer cela comme un feu vert de la population pour un impeachment. (...) Est-ce qu’une enquête n’a jamais sondé l’opinion populaire sur ce sujet ? Bien que les instituts de recherche n’aient pas enregistré cette question, qu’est-ce qui empêcherait les sondeurs sur le terrain à la poser sans l’inscrire sur le formulaire officiel ?
Il est connu que seuls les sondages dûment enregistrés peuvent être divulgués, mais si les instituts de recherche détectaient de manière informelle un appui explicite de la société pour une destitution de Dilma, un autre sondage serait fait alors en incluant ce thème dans le formulaire officiel. Et comme il est difficile de croire que personne n’ait étudié cette question très discutée, on peut en déduire que même ceux qui ont fini par considérer le gouvernement Dilma comme mauvais ou très mauvais (44%, selon Datafolha) n’y trouvent pas une raison pour que son mandat lui soit retiré (...) »
L’un des principaux acteurs de la vie politique actuelle, on l’a vu, est Eduardo Cunha. Le nouveau président de la Chambre des Députés est résolument contre l’impeachment de la présidente (pour l’instant). En effet, Cunha considère que son parti, le PMDB, ayant quitté la coalition gouvernementale, peut devenir suffisamment fort pour présenter un candidat aux présidentielles de 2018, c’est-à-dire lui-même. Mais en cas de destitution de Dilma, c’est son vice-président, Michel Temer, qui prendrait sa place. Or, Temer, comme Cunha, est membre du PMDB, et deviendrait naturellement candidat à sa propre succession en 2018. Un autre risque de la présidence de Temer serait qu’avec l’opposition féroce du PSDB et du PT, reparti de l’autre bord, son mandat risquerait d’être chaotique et le PMDB pourrait griller ses cartouches pour 2018. Cunha ne veut rien de tout cela : il souhaite se renforcer jusqu’à 2018 (et il en a les moyens) pour devenir le candidat du PMDB pour 2018.
Malgré toutes ces réticences des politiques, l’ancien président Fernando Henrique Cardoso, au cours du mois de janvier, a néanmoins commandé (et payé très cher) par le biais de sa Fondation, au constitutionnaliste lié à la droite la plus extrême Ives Grandra, un rapport sur la viabilité d’un impeachment de la présidente. D’une manière générale, les juristes brésiliens n’y ont pas accordé beaucoup d’importance, tant il a paru peu fondé. L’un des rares à se pencher sur ce rapport a été Dalmo Dallari qui depuis Paris, dans un entretien avec le Jornal GGN, en a fait des confettis [8] :
« (...) Ce rapport du Dr Ives Gandra est absolument inconsistant. Il cite beaucoup d’articles et de lois, mais pas un seul qui démontre la responsabilité de la présidente Dilma. Ce qu’il fait est une application de ce que l’on appelle la doctrine de la connaissance du fait, ou domaine du fait, ce qui est absolument absurde, ce n’est pas acceptable juridiquement. Il n’a pas fait la moindre démonstration, ni par des moyens directs ni par des moyens indirects, que la présidente ait eu connaissance d’irrégularité à la Petrobras ; donc je ne vois pas la moindre cohérence dans cette tentative de créer une base juridique pour l’impeachment. D’ailleurs, je pourrais ajouter une donnée intéressante. Si la base était simplement celle-ci, si l’obligation d’assurer l’intégrité administrative était suffisante pour la révocation d’un mandat, alors, par la même logique, devraient être révoqués les mandats de tous les sénateurs.
Pourquoi ?
Parce que la Constitution, dans son article 52, donne comme attribution au Sénat de ’poursuivre et juger le président et le vice-président de la République dans les crimes de responsabilité’.Donc, si il [Gandra] estime que, même sans preuve d’une connaissance directe, il y a obligation d’agir, alors cette obligation existe aussi pour les sénateurs. En conséquence, Gandra devrait proposer la révocation de tous les mandats des sénateurs pour crime de responsabilité, ce qui est manifestement absurde. Il y a un jeu clairement politique en essayant de créer un fondement juridique apparent alors qu’en fait, il n’existe pas. C’est une pure tentative de créer une apparence de légalité quand il n’y a qu’un objectif politique, et rien de plus.
Les récentes déclarations des témoins (dans l’opération Lava-jato - contre réduction de peine) indiquent que les malversations remontent à 1997 et auraient atteint un sommet en 2000. Si cela était prouvé, cela pourrait retomber d’une manière ou d’une autre sur l’ex-président Fernando Henrique Cardoso.
Il est curieux de voir qu’un article vient d’être publié dans le journal français Le Monde sur la société française Alstom, l’un des acteurs du métro brésilien, et qui, selon le journal, pratiquait déjà en 1998 des actes de corruption au Brésil. En 1998, le président était Fernando Henrique Cardoso. Donc (par la même logique), il devrait perdre des droits politiques. Il devrait être considéré comme complice. Il a gardé le silence, il a permis qu’une société étrangère pratique la corruption au Brésil. Cela montre aussi l’absurdité de cette tentative de créer une image de responsabilité juridique quand en réalité il n’existe aucun fondement à cette responsabilité.
Vous accompagnez le procès de la Petrobras depuis Paris ? Quel bilan faites-vous de ses derniers développements ?
Je le suis de près. J’ai constaté une donnée très intéressante, dans un article de Janio de Freitas, qui va complètement à l’encontre des affirmations du rapport d’Ives Gandra quand il dit que la présidente a détruit la Petrobras. Une compilation de données faite aujourd’hui montre qu’en 2014, la Petrobras a obtenu un résultat exceptionnel. Elle s’est beaucoup développée. Il n’y a pas eu cette destruction qui est explicitement mentionnée dans le rapport d’Ives Gandra. C’est un autre élément pour montrer que cet argument manque de consistance. Cela ne révèle qu’une tentative de politiciens qui n’acceptent pas d’avoir perdu les élections et qui n’arrivent pas à revenir au pouvoir. Dans le cas d’Ives Gandra, il a tout simplement été payé pour faire un rapport dans ce sens. Toute sa carrière a été tournée vers une position d’extrême droite, ultraconservatrice, qui enlève toute crédibilité juridique à son rapport (...)
Les manifestations du 13 et du 15 mars 2015
En février, quelques jours après l’élection d’Eduardo Cunha à la présidence de la Chambre, la droite a lancé un appel à une grande manifestation contre le gouvernement Dilma pour le dimanche 15 mars, dans un mot d’ordre à peine caché pour l’impeachment de la présidente. Cette manifestation, qui a rassemblé des centaines de milliers de personnes dans tout le Brésil, dont 210.000 à São Paulo (et non 1 million, comme l’avait annoncé la Police Militaire – montrant ainsi clairement son camp) a été marquée par des slogans très agressifs, pour l’impeachment, le coup d’état militaire et contre tout ce qui ressemble, de près ou de loin, à la gauche, y compris le théoricien de la pédagogie Paulo Freire. L’Unesco, d’ailleurs, à réagi immédiatement en publiant un message officiel défendant le célèbre pédagogue.
Quelques jours après cet appel pour le 15 mars, les mouvements sociaux, CUT (principal syndicat) en tête, ont appelé en réponse à manifester le vendredi 13 mars (le 13 est le numéro du PT). La présidence, immédiatement, a désapprouvé cette manifestation, craignant des incidents, ou qu’elle soit moins suivie que celle du 15 mars.C’est effectivement ce qui s’est passé. À São Paulo, la manifestation a rassemblé 41.000 personnes.
Valter Pomar, dans son article « Opposition type ’Caracas’ contre gouvernement ’gants de velours’ » sur le site Brasil 247, analyse la mobilisation, aussi bien à droite qu’à gauche et résume bien l’état d’esprit régnant à gauche, tant par rapport aux manifestations que sur les limites des gouvernements du PT, certainement aussi responsables de la situation actuelle [9] :
(...) Bien sûr, la droite mettra plus de gens dans la rue le 15 mars : les médias traditionnels (y compris la télévision et la radio, de concessions publiques) ont appelé ouvertement à la manifestation du 15 Mars, avec l’intention de mettre plus de 100 000 personnes à São Paulo et au moins un million au Brésil.
En outre, la droite présente moins de contradictions que la gauche. Ce qui explique l’harmonie de ses ordres du jour.
Enfin, au moins à ce stade, leurs directions sont bien meilleures que la nôtre.
Face à tout cela, on ne peut qu’être d’accord : si les partis de gauche, le gouvernement et les mouvements sociaux avaient un État Major, peut-être qu’une autre mobilisation serait possible.
Mais si nous avions un état-major général, nous ne serions peut-être pas dans la situation actuelle, incapables de faire face de manière adéquate à une droite qui a appris à combiner lutte culturelle, lutte institutionnelle et lutte sociale en suivant une ligne selon laquelle « c’est lutte qui fait la loi » (et l’impeachment).
Comme nous n’avons pas d’état-major, et comme une partie de nos « directions » semble se situer entre l’apathie et la catatonie, la seule attitude décente (c’est vraiment le mot : décent) est d’être avec ceux qui sont d’humeur à combattre ici et maintenant, à commencer dans les manifestations de ce 13 mars.(...)
Il y a plusieurs façons d’expliquer cet épuisement : a) les limites du réformisme dans les pays dépendant du capitalisme ; b) les limites de progressisme dans un seul pays ; c) les limites de ceux qui cherchent à réformer sans changer les structures économiques et sociales fondamentales ; d) les limites de ceux qui tentent d’améliorer la vie du peuple sans faire des réformes structurelles.
Quelle que soit la voie adoptée pour expliquer ce qui se passe, il est clair que :
a) la crise internationale 2007-2008 a accéléré l’épuisement de cette stratégie. Un fait contre lequel le Forum de São Paulo [10 ] avait dès le début lancé une mis en garde ;
b) Le Brésil est devenu le « maillon faible de la chaîne », à l’étonnement des secteurs de la gauche brésilienne qui - du haut de leur superbe - critiquaient la gauche au Venezuela et en Argentine, comme si les situations conflictuelles dans ces pays étaient de la responsabilité principale et unique des forces progressistes.
Le Brésil est le « maillon faible de la chaîne » pour plusieurs raisons :
a) il a amélioré la vie de la classe ouvrière sans augmenter en conséquence son niveau de politisation et d’organisation (différemment de l’Argentine et du Venezuela) ;
b) il a gardé intact l’oligopole des médias (différemment de l’Argentine et du Venezuela) ;
c) depuis 2002, nous avons élu un président du PT et un Congrès où les forces progressistes sont minoritaires (différemment du Venezuela et, dans une moindre mesure, de l’Argentine) ;
e) la majorité de la gauche brésilienne est adepte d’une stratégie de conciliation (différemment de l’Argentine et du Venezuela). Une stratégie de conciliation à la fois envers le grand capital (y compris financier : pour cette raison, la politique économique de Joaquim Levy) et envers le centre-droit (voir le cadre ministériel de ce début du deuxième mandat Dilma et, en conséquence, l’attitude de subordination que certains montrent de plus en plus envers le PMDB) ;
f) la plus grande parti de la gauche brésilienne a adopté une stratégie principalement ou exclusivement institutionnelle (différemment du Venezuela et de l’Argentine, où l’hégémonie du progressisme n’est pas socialiste). L’institutionnalisme explique en grande partie la posture en retrait de plusieurs secteurs du PT, contre les manifestations du 13 mars, qu’ils désapprouvaient, et qui contraste avec la position de subordination des ministres face à celles du 15 Mars.
Résultat des courses : au Brésil, nous avons un gouvernement qui prend des gants pour faire face à une opposition de droite adoptant des tactiques de plus en plus similaires à celles de la droite vénézuélienne.
Le troisième point concerne la raison pour laquelle la tactique vénézuélienne prédomine dans l’opposition de droite.
La situation brésilienne est marquée par deux impasses stratégiques :
a) d’une part, il y a une impasse économique de base, qui ne pourra être résolue que par l’adoption de deux voies distinctes : soit revenir à un développementalisme conservateur par le biais néolibéral, ou en avançant vers un développementalisme démocratico-populaire ;
b) d’autre part, il existe une impasse politique de base : les institutions ne conviennent ni à l’opposition de droite, ni à la gauche au pouvoir. Pour la droite d’opposition, il est insupportable que les règles actuelles du jeu aient permis (ou n’aient pas empêché) le PT de gagner quatre fois la présidence. La gauche, quant à elle, est très dérangée par le fait que, lors des quatre dernières élections, elle n’ait jamais obtenu la majorité au Congrès, bien au contraire.
La gauche tente de résoudre l’impasse politique par l’intermédiaire de la participation populaire, d’une réforme politique démocratisante et d’une Assemblée constituante.
La droite tente de résoudre l’impasse par la répression de la participation populaire, par une réforme politique conservatrice, la judiciarisation de la politique et en combinant des formes de lutte contre le PT et la présidence.
Cette combinaison comprend : essayer de vaincre la gauche aux élections, pratiquer le sabotage par l’opposition et les PIG (Partido da Imprense Golpista – Parti de la Presse Golpiste NdT), stimuler le sabotage par l’opposition de droite, et pousser le gouvernement à mettre en œuvre le programme défait aux élections (ce qui est déjà assez le cas NdT) et mobiliser les masses.
C’est une erreur de caractériser la mobilisation des masses de droite comme « républicaine », « légitime » et « pacifique ». La mobilisation de la droite vise non seulement à exprimer son mécontentement, ne cherche pas seulement à défendre l’impeachment. La mobilisation de la droite cherche à criminaliser le PT et la gauche dans son ensemble : dans les mots d’un « général de pyjamas » qui devrait être en prison, il s’agit de nous exclure de la vie publique.
La menace contre João Pedro Stedile (dont un « avis de recherche – mort ou vif, a circulé dans les réseaux sociaux NdT), l’attaque contre le siège du PT à Jundiaí (SP) et les deux mannequins (simulant des militants du PT) pendus à un viaduc doivent servir d’avertissement : il pourrait ne pas y avoir beaucoup de distance entre « exclure de la vie publique » et « exclure de la vie ».
Comme cela a déjà été dit par un dirigeant de droite, il s’agit « d’en finir avec cette racaille ».
C’est dans ce contexte que doit être interprétée la vague de violence militaro-policière contre les jeunes pauvres et noirs de la périphérie des grandes villes : consciemment ou inconsciemment, c’est un « échauffement », une sorte « d’entraînement à la guerre ».
En d’autres termes, la droite montre quelle est sa version de la fameuse phrase « la lutte fait la loi ». (...)
Le Brésil, une affaire à suivre...
Sem mais,
C’est tout pour aujourd’hui.
Revue crade des printemps et des automnes du 21 mars 2015, compilée et traduite par Lucien, pour Si le Brésil m’était traduit...