Les vingt premières pages de l’avis émettent des critiques sur la méthode employée par le gouvernement. Il étrille aussi une étude d’impact qui, malgré son millier de pages, « est insuffisante », alors même qu’une deuxième copie avait été demandée à l’exécutif tant étaient indigentes « les projections financières de la mise en œuvre de la réforme, indispensables pour apprécier la nécessité et la pertinence des mesures ». Ces projections restent au final « lacunaires », l’étude d’impact étant toujours « en deçà de ce qu’elle devrait être » pour pouvoir « éclairer » les députés et les sénateurs. Bref, le gouvernement doit revoir sa copie « avant le dépôt de la loi au parlement », soit... vendredi dernier.
Si la juridiction administrative salue « la procédure approfondie de concertation », « novatrice » et « fructueuse », elle tacle la saisine tardive de certains intéressés et craint un « examen en urgence » d’un texte « d’une grande ampleur ». Tout aussi grave, avec des délais contraints, la possibilité de prendre en compte les avis des uns et des autres est « extrêmement réduite ». En trois semaines, le Conseil d’État lui-même estime qu’il n’a pu mener sa mission « avec la sérénité et les délais de réflexion nécessaires pour garantir au mieux la sécurité juridique de l’examen ».
Que dire du recours à vingt-neuf ordonnances sur une quarantaine de questions ? C’est un risque pour le Conseil d’État, la réforme perdra en « visibilité d’ensemble » pour l’appréciation des conséquences qu’elle induit et comment juger correctement de sa constitutionnalité et de sa conventionnalité ?
Et puis, un système universel de retraite, vraiment ? Certes, estime l’avis, la réforme met en place « un système universel » par points, mais à l’intérieur de ce « système » cohabitent cinq régimes – « créés ou maintenus » –, à l’intérieur desquels existent des règles dérogatoires, avec quelques caisses distinctes. Cela ne pose pas de difficultés « au plan juridique » mais « les régimes d’assurance-vieillesse voient leur consistance réduite à leur plus simple expression, celle du rattachement juridique que constitue l’affiliation des assurés ».
Un niveau de normes pour les avocats « adéquat »
Concernant le rattachement des avocats à la branche retraite du régime général, le Conseil d’État – qui fait référence aux travailleurs indépendants sans distinction, le mot « avocat » ne trouvant que deux occurrences dans le rapport – estime que « le niveau de normes retenu pour définir l’affiliation de chaque catégorie d’assurés est adéquat » (p. 16). Le projet de loi est validé pour les avocats.
L’étude d’impact de Matignon, qui d’emblée tente de déminer les revendications des avocats (p. 454 s.), qui se battent depuis plusieurs semaines contre la hausse annoncée de leurs cotisations avec une baisse de leurs pensions. Le système universel, écrit le gouvernement, « conduit en apparence à devoir fortement augmenter les cotisations dues par les avocats. Cette hausse, qui ne concerne pas tous les avocats, doit néanmoins être relativisée » en raison d’une baisse de la contribution sociale généralisée (CSG) et des cotisations hors assurance-vieillesse, d’une augmentation des taux du régime complémentaire d’ici 2029 déjà prévues par la caisse des avocats (la CNBF), et puis, rappelle l’étude, le projet de loi prévoit que des tiers pourront prendre en charge une partie des cotisations des travailleurs indépendants. « La profession pourra ainsi concevoir un dispositif de solidarité permettant aux avocats aux revenus les plus élevés de contribuer à la couverture d’assurance de leurs confrères aux revenus plus faibles. »
Résultat, « au terme d’une période de convergence s’étalant jusqu’en 2040, l’application des taux de cotisation du système universel de retraites (et de la réforme de l’assiette sociale) se traduirait par une hausse des cotisations pour les avocats dont les revenus se situent entre 50 % et 190 % du PASS [plafond annuel de la sécurité sociale, ndlr], soit un peu moins de la moitié de la profession. Au maximum, la hausse de cotisation serait égale à 30 % des cotisations d’assurance-vieillesse calculées selon le barème 2040 de la CNBF et concernerait les avocats dont le revenu est égal au PASS ». Le gouvernement table sur la réforme de l’assiette sociale pour démontrer que l’avocat, selon les cas, paiera au final moins que ce qu’il devrait acquitter sans réforme.
Parmi les simulations présentées dans le document, certaines ont fait sourire les avocats. Ainsi peut-on y lire : « pour chaque carrière, le revenu est supposé augmenter chaque année comme le salaire moyen par tête, c’est-à-dire de 3,05 % ». Un avocat s’esclaffe : « Là, je me dis que j’ai dû rater quelque chose dans ce métier ». Autre exemple : « En bas de la page 454, explique un membre du CNB, il est indiqué que la hausse des cotisations affectera les revenus situés en dessous de 190 % du PASS (c’est-à-dire 78 000[ESPACE€]), soit “un peu moins de la moitié de la profession”. Or le revenu médian de la profession est de 43 000 €, c’est-à-dire que 50 % des avocats gagnent moins. Il est donc inexact de dire qu’une mesure qui affecte les revenus inférieurs à 78 000 € ne concerne que la moitié de la profession ! Manifestement, la Chancellerie confond le revenu médian (43 000 €) avec le revenu moyen (77 000 €)... »
Le Conseil national des barreaux a voté, samedi 25 janvier, à l’unanimité, la poursuite du mouvement et a appelé tous les avocats à se joindre à la manifestation nationale prévue lundi 3 février, jour de l’ouverture de l’examen des deux projets de loi par l’Assemblée nationale. Les instances de la profession seront reçues une deuxième fois par Matignon le 2 février.