Il a tout juste 15 ans et risque jusqu’à dix ans de prison et 75 000 euros d’amende pour une broutille. Vendredi 1er avril, alors que les élèves du lycée Voltaire, situé dans le 11e arrondissement de Paris, organisent le blocage de leur lycée pour protester contre la loi El Khomri, sous l’œil bienveillant de leurs enseignants, un groupe de lycéens chahutent à proximité. L’un d’eux met le feu à une feuille et la jette dans une poubelle. « Mais j’ai tout de suite refermé le clapet de la poubelle, et la petite flamme s’est éteinte immédiatement. Il n’y a eu aucun flambage, ça fumait juste un peu après », témoigne Maguy Day, professeur d’anglais dans l’établissement, qui décrit une ambiance « Pieds Nickelés, pas du tout agressive ». « Quinze minutes après, les policiers sont arrivés et ont demandé qui était impliqué dans le feu, et Ryan, très naïvement, a dit qu’il faisait partie du groupe », poursuit l’enseignante. « Ils l’ont embarqué comme un délinquant. On a été plusieurs enseignants à les suivre au commissariat, mais les policiers nous ont dit de rester à l’extérieur. Ils nous ont soutenu qu’ils avaient prévenu la mère de Ryan alors que c’était faux », dénonce Maguy Day. La mère du lycéen estime que la police a mis plus d’une heure pour la prévenir à partir du moment où Ryan était placé en garde à vue.
D’autres cas similaires en France
Placé en garde à vue pendant dix heures, soumis à des relevés d’empreintes et à des prélèvements ADN, Ryan a été déféré seul, sans avocat, ni conseil, devant le procureur de la République, qui l’a assigné à comparaître le lendemain devant le juge des enfants. « Il est resté toute la nuit privé de liberté, retenu au dépôt du palais de justice, sans pouvoir contacter ses parents. Ce n’est que dans la matinée du 2 avril que Ryan a pu rencontrer son avocate, puis sa mère, dans la salle d’audience où le juge a retenu le chef d’accusation inique proposé par le procureur », s’indignent les personnels de la cité scolaire Voltaire dans un communiqué. Ryan est actuellement mis en examen pour rien moins que « dégradation volontaire de bien matériel par incendie pouvant potentiellement engendrer un danger pour autrui », passible de dix ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende.
« La poubelle n’est même pas endommagée, il n’y a rien dans ce dossier ! » insiste maître Élodie Tuaillon-Hibon, l’avocate de Ryan. « Les faits reprochés n’ont pas arrêté de changer, il y avait six ou sept lycéens autour de lui, et un seul est poursuivi pour un feu qui n’a jamais existé, résume-t-elle. Cette histoire va très loin, mais ce n’est pas du tout un cas isolé. Il y a clairement des consignes du gouvernement et du ministère de la Justice au parquet pour appliquer une répression tous azimuts », citant aussi d’autres cas similaires en France. « On constate une énorme aggravation de la répression judiciaire contre les jeunes qui manifestent, par rapport à des mouvements antérieurs », affirme l’avocate, pour qui « tout cela s’inscrit dans une ligne directrice, avec la condamnation des Goodyear et les poursuites contre les salariés d’Air France ».
« Ryan n’a jamais eu aucun souci, que ce soit dans sa scolarité ou en dehors. Je suis asiatique et mon mari est tunisien : on a toujours dit à notre fils que, comme il n’est pas blanc, il devait se faire tout petit. Parce que, même s’il est français, la police ne le voit pas comme tel. Ils étaient plusieurs dans le groupe, et c’est lui qu’ils ont pris. On a toujours eu peur qu’il arrive quelque chose, et c’est arrivé », se désole la mère de Ryan, qui insiste sur le fait que son fils n’avait « pas l’intention de faire de mal à qui que ce soit » lorsqu’il chahutait avec son groupe d’amis.
Banalisation des violences policières
Mais face à cette parodie de justice, la solidarité avec Ryan gagne du terrain. Un comité de soutien est en train de se mettre en place à l’initiative des enseignants et des parents d’élèves de la FCPE, et une cagnotte en ligne pour aider la famille de Ryan à payer les frais de justice est accessible via le site Internet www.leetchi.com/c/solidarite-ryan. « La sévérité de l’accusation et les conditions de la mise en examen de Ryan sont, on peut le penser, une intimidation policière. Une volonté d’en faire un exemple pour tenter de faire taire le mouvement lycéen », a dénoncé le groupe communiste-Front de gauche au Conseil de Paris, qui juge ce cas symptomatique de la gestion répressive du mouvement social.
« Au même moment, une vingtaine de lycées parisiens ont été ainsi placés sous contrôle policier, pour faire pression sur les élèves mobilisés, à la demande de la préfecture de police. Ainsi, face à la mobilisation des jeunes, la réponse des autorités consiste à placer des policiers devant les portes des établissements scolaires », précise le groupe d’élus dans un communiqué.
Au-delà du cas de Ryan, dont la date du procès n’a pas encore été fixée, les enseignants du lycée Voltaire déplorent la banalisation des violences policières contre les lycéens. « On ne compte plus les élèves qui se remettent encore des coups – gifles, coups de matraque – qu’ils ont reçus en manifestation de la part des policiers. L’un d’entre eux a même une côte brisée, mais les parents ne veulent pas porter plainte. Ils pensent que ça ne sert à rien », regrette Marianne Cabaret-Rossi, professeur d’histoire et professeur principale de Ryan.
Loan Nguyen