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Réconciliation et vérité. Pérou en marche, par Vittorio Bellavite - il manifesto.



il manifesto, Lima, mercredi 26 octobre.


Après avoir lu les conclusions de l’Informe final, une question se pose spontanément : comment a-t-il pu arriver que dans un pays encore aussi dévasté et avec un déficit évident de démocratie, soit sorti d’une source institutionnelle une dénonciation aussi lucide, documentée et propositionnelle ? Les vingt années du conflit armé entre police et forces armées d’un côté et Sentier Lumineux de l’autre qui a fait 24 mille morts, plus réalistement 70 mille, ont été analysés impartialement par la Comision por la veridad y la reconciliation. Il résulte des conclusions de l’Informe final une dénonciation lucide des responsabilités et des crimes de tous les acteurs en présence. J’en parle avec Luis Mujica, un des responsables des recherches de la commission. Il me dit que dans le passage traumatique de Fujimori à Toledo, il y a eu une période d’interrègne, celle du Président provisoire Valentino Paniagua, dans laquelle la société civile a réussi à s’imposer et à obtenir la Comision, effectivement indépendante, avec des personnalités de haut niveau moral. Les conclusions de la Comision n’ont pas été expurgées par les partis, certains leur ont tourné le dos, d’autres ont soutenu que l’état ne pouvait pas faire autrement, qu’il n’avait pas compris la situation. Maintenant, dit Luis, deux ans après la présentation de l’Informe (28 août 2003) l’opinion publique est de plus en plus consciente mais les moyens de communication ne s’y intéressent pas (sauf Canal Ocho qu’on regarde avec décodeur, et les quotidiens El Commercio et Repubblica qui ne sont pas hostiles).


Ici Lima, là bas la Sierra

Le Pérou est un pays très divisé, séparé, avec des communications rares. Lima est un autre continent par rapport à la Sierra, il faut créer une citoyenneté véritable au-delà de la grande rhétorique patriotarde à signification concrète très maigre. L’état doit s’impliquer dans les réparations aux victimes. Le pouvoir judiciaire est relativement autonome mais très lent et avec peu d’outils juridiques. Parallèlement à la rédaction de l’Informe, en 2003, à l’initiative d’organisations de la société civile, en particulier du milieu chrétien de base, s’est constitué le Movimento Para que no se repita (www.paraquenoserepita.org.pe ). Cent organisations environ en font partie, il a travaillé à l’organisation d’une marche de Piura dans le Nord jusqu’à la frontière de la Bolivie, de mai à fin août (www.caminataporlapaz.org.pe). Quatre mois de marche, rencontres, contacts.


Les droits humains

Je rencontre Ernesto de la Jara, directeur de l’Istituto de defensa legal (www.idl.org.pe ), constitué en 1983, en première ligne pour la défense des droits humains dans les années les plus dures, avec la Coordenadora nacional de derechos humanos (www.dhperu.org ). Le Pérou, me dit-il, a reçu la visite d’une commission de l’ONU contre la torture, il est au deuxième rang mondial après la Turquie. Le gouvernement n’attaque pas la Comision, mais par contre l’affrontement est violent avec les partis, avec l’Apra de Garcia (président dans la période sombre, 85-90), et surtout avec des militaires et ex-militaires, et certains médias. Il reste beaucoup à faire : il faut rédiger un Registre national des victimes (elles sont très nombreuses : veuves, orphelins, blessés, femmes violées, réfugiés de la Sierra à Lima, des anciens militaires aussi...), il faut demander un engagement éthique et politique pour la défense de l’Informe aux candidats à la présidence aux élections du printemps prochain. Ernesto me dit qu’ils attendent plus de l’Europe : un plus grand engagement du Parlement européen, et avec l’Italie la poursuite de la reconversion d’une partie de la dette extérieure avec obligation d’investir les sommes correspondantes dans la réalisation des propositions de la Comision. Le parlement péruvien a affecté, fin juillet, six millions de soles (un million et demi d’euros) pour les réparations aux victimes (mais il en faut 500). On discute maintenant du budget 2006.


Federico Arnillas est le directeur de l’Asociacion nacional de Centros (Anc), l’influente fédération de toutes les ONG péruviennes. Il me confirme la lenteur dans la réalisation des interventions de réparation, la rareté des ressources ; maintenant on a créé une Commission gouvernementale avec la participation de la société civile pour exécuter la loi de juillet mais il manque encore le règlement indispensable pour qu’elle puisse fonctionner. Federico est plus optimiste. Il me dit qu’en cinq ans (depuis la chute de Fujimori, en novembre 2000, jusqu’aujourd’hui) on a fait beaucoup de chemin. Il est par contre préoccupé par les prochaines échéances politiques. Que fera, dans la dernière année de Présidence Toledo, le nouveau gouvernement de Pedro Pablo Kuczynski, installé fin août ? Qui sera élu président au printemps ? Toledo n’est pas ré-éligible d’après la constitution. Et que peut-on faire en Europe ? Il me répète les indications de Ernesto de la Jara relatives au Fond italo-péruvien créé avec des fonds « remis » (dans le sens d’une remise de dette, NDT) par le gouvernement italien après la campagne pour l’effacement de la dette, sur la base de la loi 209 de l’an 2000). Il s’agit de 116 millions de dollars pour la période 2001-2006 ; dans leur gestion, ils essaient d’impliquer les ONG italiennes les plus présentes au Pérou (Mlal, Terra nuova et Asperm). Je me souviens qu’Union Européenne et Pérou sont en train de renégocier l’accord pour la période 2007-2013. Il faut obtenir qu’y soient prévus des interventions importantes en direction de l’exécution des recommandations de la commission.


Para que no se repita

Rosa Villarà n dirige tout le mouvement Para que no se repita dans un petit immeuble où on vit la préoccupation et la passion d’un grand défi. Avant tout, elle me dit que les morts sont certainement beaucoup plus que 70 000, chiffre indiqué par la Comision (beaucoup d’archives militaires leur sont restées fermées). Elle me parle de la marche, qui a impliqué 250 000 personnes et environ 140 collectivités locales, parcourant 2 200 kilomètres en 118 jours. Partout on a tressé des quipu (c’est un système de cordes en laine et de noeuds utilisé par les incas pour compter ; maintenant c’est devenu un symbole pour le souvenir des victimes de la violence et pour exprimer des sentiments d’engagement pour la paix et la réconciliation). Elle me dit avec une grande détermination que le processus difficile de croissance citoyenne et de récupération de la mémoire a commencé avec la conclusion de la Commission. Elle considère que c’est un parcours très long ; elle espère vraiment que la décentralisation politique et administrative des institutions, en cours maintenant au Pérou, facilitera les rapports avec les autorités locales et qu’on pourra compter d’avantage sur l’école et sur les services sanitaires qui sont, en soi, plus sensibles aux thèmes de la défense des droits humains et des problèmes des victimes du conflit. Enfin, Rosa attend beaucoup de la Defensoria del Pueblo (quelque chose de similaire au défenseur civique), une institution créée en 1992 par Fujimori avec des objectifs démagogiques mais qui s’est transformée maintenant, et qui est explicitement reliée aux sujets de la société civile.


Un réseau de soutien

Rosa Villarà n souhaite que s’organise en Europe un réseau de liaison et d’appui à ceux qui sont engagés au Pérou dans la réalisation des Recommandations de l’Informe, elle cite l’engagement de l’Osservatorio italiano sur la région andine (www.selvas.org ). Et conclut en m’invitant à ne pas oublier de faire une visite au Campo di Marte, le grand parc au centre de Lima. C’est là que, le 28 août, pour le deuxième anniversaire de la remise des conclusions de l’Informe, Salomon Lerner a inauguré un monument à la mémoire des victimes. Un grand cercle de trente mètres de diamètre que parcourt un labyrinthe dessiné sur le terrain. A côté, sur des petits cailloux blancs sont inscrits les noms des 23.969 victimes assertées par la Comision et le lieu de leur mort. Au centre, un grand bloc de granit rose avec une pierre ovale enchâssée vers le haut, qui symbolise les yeux. De là coule en continu un filet d’eau, témoignage des larmes de souffrance pour les victimes. Le mémorial sera terminé pour Noël et deviendra pour toujours un souvenir des victimes, destiné à être connu dans le monde entier, comme l’Esma à Buenos Aires et Villa Grimaldi à Santiago.

Vittorio Bellavite


- Source : il manifesto www.ilmanifesto.it

- Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio


- Photo : Caminata por la Paz y la Solidaridad
www.caminataporlapaz.org.pe/



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