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Raoul Ruiz - In memoriam

Magicien des apparences et orchestrateur joyeux des simulacres, Raoul Ruiz qui nous quitte aujourd’hui a su opérer dans son oeuvre l’une des plus étonnante alchimie en détournant et recyclant toutes les cultures populaires et savantes.

Raoul Ruiz était un conteur des mille et une nuits à la fois cinéaste, homme de théâtre mais aussi écrivain. Dans cette oeuvre immense qui fut la sienne, celle qu’il réalisa comme écrivain s’inscrit non seulement dans des expériences narratives qui furent celles qu’il développa dans son cinéma, mais nous introduit là aussi dans ce temps du conte, de l’enfance et du rêve éveillé dans lequel ce poète, avec son inestimable génie créateur, a su nous nous entraîner dans le labyrinthe de ses visions.

Je l’avais rencontré à Berlin lors d’un festival qui lui était consacré, ayant réussi à convaincre quelques amis étudiants de partir en voiture pour découvrir cette oeuvre dont j’avais vu par hasard Les Trois couronnes du matelot dans une salle du Quartier Latin. Ces films que je découvrais étaient non seulement une aventure imaginaire, mais aussi une pensée en images qui séduisait l’étudiante en philo que j’étais alors. Nous nous sommes revus à Paris quelques semaines plus tard et je lui proposai d’éditer un livre sur son cinéma qui sera l’un des premiers des éditions Dis Voir.(www.disvoir.com/fr/fo/a/36.html ). Au cours des années, d’autres furent publiés. Dorénavant, ce sera ses textes car le projet de Dis Voir que je mettais en place était d’éditer des écrits d’artistes en art visuel. Il s’est prêté au jeu et le premier livre fut A la poursuite de l’île au trésor (www.disvoir.com/fr/fo/a/177.html) à partir des textes qu’il avait écrit avant et après la réalisation de son film L’île au trésor. « Derrière chaque livre pour enfant, derrière chaque best-seller se cache un texte sacré » disait-il. C’est ainsi qu’il avait décortiqué le livre de Stevenson.

L’année suivante ce fut Le livre des Disparitions et des Tractations (www.disvoir.com/fr/fo/a/121.html). C’était une période où ses projets de film étaient refusés en France et ces livres étaient aussi une manière de l’accompagner dans son oeuvre. Cette année-là , il était à Boston où il enseignait le cinéma dans une université et préparait à l’ICA une installation multimedia L’Expulsion des Maures, une autre lecture de l’histoire espagnole en écho au 500 e anniversaire de la découverte de l’Amérique qui se préparait alors. Plutôt qu’un catalogue d’exposition qu’on lui demandait, il m’avait proposé de publier cette histoire qui allait devenir un livre d’artiste.

Une véritable épopée s’engagea pour réaliser à temps ce livre dans lequel nous avions imaginé d’imprimer des pages à l’envers à lire dans un papier miroir, d’insérer un texte caché que l’on découvrirait en associant les lettrines, mais aussi des pages à imprimer en blanc sur blanc pour évoquer l’encre sympathique - ce qui avait obligé l’imprimeur à laver les encriers. Sans compter que ses textes - comme ce sera l’habitude - mélangeaient le Français, l’Anglais et aussi l’Espagnol. Warren Niesluchowski le traducteur américain était venu me rejoindre à Paris où nous travaillions sans répit l’un après l’autre, lui la nuit, moi le jour. Finalement je prenais l’avion avec deux cartons de livres pour arriver quelques heures avant le vernissage de l’exposition.

Nous étions tous très heureux de ce livre et, pendant que le public visitait à l’étage cette magnifique installation L’Expulsion des Maures "qui viendra plus tard au Jeu de Paume à Paris puis à l’IVAM de Valence " nous étions dans les sous-sols du musée où Raoul chantait des vieilles chansons espagnoles, avec à la guitare (et au chant) Bruno Alcala qui m’avait accompagné à Boston et Warren Niesluchowski qui nous servait des verres.

Entre-temps, les films s’étaient à nouveau enchaînés : Trois vies et une seule mort et Généalogies d’un crime. C’est au cours de cette période qu’il avait décidé de réunir les textes qui avaient fait l’objet de ses cours durant ses années d’enseignement aux USA et en Europe. Cette fois aussi, ses textes étaient écrits en plusieurs langues. Valéria Sarmiento (sa femme) nous avait aidé à décrypter les passages en espagnol chilien de ce qui allait devenir Poétique du Cinéma 1 (www.disvoir.com/fr/fo/a/49.html ), une nouvelle poétique pour le cinéma qu’il mettait en oeuvre dans ses films. Une théorie qu’il développera 11 ans plus tard avec Poétique du Cinéma 2 (www.disvoir.com/fr/fo/a/157.html ). Des essais théoriques qui sont aussi un formidable exemple de la manière avec laquelle Raoul Ruiz nous entraîne encore une fois dans une aventure :

« Une dernière remarque" nous prévient-il dans la postface de Poétique du cinéma 1, "la plupart de mes références, je les ai trouvées dans ma bibliothèque personnelle, ce qui m’a permis de les vérifier. Mais je lis de travers, je voyage d’un livre à l’autre et ceci n’est pas sans risque. Il est fort possible qu’ici et là , certaines interprétations ou comparaisons soient abusives ou tout simplement gratuites. Mais ce livre est un voyage et les voyageurs doivent accepter qu’emprunter des sentiers qui ne mènent nulle part fait aussi partie du voyage."

Des voyages et des rêves à jamais dans notre mémoire.

Danièle Rivière

(A LA POURSUITE DE L’ILE AU TRESOR - Extraits )

« Je suis portugais. Cela fait très longtemps que je ne parle plus ma langue maternelle et j’en suis fier, même si je n’ai jamais réussi à parler convenablement une autre langue. C’est dire que je me sens deux fois portugais. A vrai dire, j’aurais pu m’exprimer en français mais, depuis mon séjour en Espagne, je crois avoir perdu la parole et me voici résigné à faire traduire mes souvenirs, écrits en « lengua franca », par ma compagne, barcelonaise (dite la « française »), pendant la fermeture forcée du « Pélican ». Et c’est peut-être grâce à la saison des pluies, que je n’avais pas subie depuis des siècles, que certains détails de l’histoire, submergée par les péripéties les plus frappantes (si j’ose dire), surgissent comme les corps des noyés d’autrefois. Je dis bien « autrefois ». Ce mot me vient à l’esprit en ce moment précis. J’entends la voix de la « française » qui m’appelle. Assise devant une table éclairée « a giorno » par une lampe à pétrole, là , au fond de la piste, je la vois, son crayon à la main, devant un cahier d’arithmétique, prête à transcrire en français mes souvenirs polyglottes. J’écoute le tonnerre ; mes enfants crient dans la cour ; je ferme les yeux et je sens venir la pluie. Alors je m’installe dans le hamac et j’invoque les images d’autrefois. Et, soudain, c’est le mot « autrefois » qui l’emporte. Oui. Je dis à voix haute « autrefois » et les images du passé et du présent s’évanouissent pendant que la voix toute puissante du visiteur résonne dans ma tête.

J’entends à nouveau dire « autrefois ». Oui. Je m’écoute dire :

 En los nidos de antano no hay pajaros hagano.

Un coup-de-poing sur la table du bar et la voix du visiteur :

 Autrefois c’est maintenant, monsieur…

 Coutinho…

En anglais, oui ils parlaient l’anglais, mon père et le visiteur. Ils parlaient la langue interdite par ma mère. Il faisait nuit noire. Au fond du bar, mon père et le visiteur discutaient devant un verre d’eau-de-vie. Je crois bien que c’était la première fois que je voyais mon père ivre. La première et la dernière.

 Viens ici, dit-il. Voici mon fils.

 Je vois, dit le visiteur. Tu as bien dormi petit ?

 Il s’endort partout sauf dans son lit.

 Très bien. Voici un aventurier, me dit le visiteur,… ».

éditeur : Dis Voir

www.disvoir.com/

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