Le 29 avril dernier, les grands médias se sont réjouis de l’interdiction de plusieurs pesticides par la Commission européenne. Avaaz annonçait « avoir gagné » aux signataires de ses pétitions et aux participants à ses manifestations pour la protection des abeilles et l’interdiction des pesticides (1). Depuis janvier, l’ONG avait multiplié les actions, lettres aux dirigeants nationaux, cortèges dans les capitales… Elle devait dire que ces actions avaient été utiles.
De la fin des abeilles à la faim des humains
Les abeilles disparaissent en effet à un rythme effrayant depuis presque 10 ans. Avec elles, sans doute les autres pollinisateurs naturels (bourdons, papillons…) dont les populations ne sont pas suivies comme le sont celles des ruchers.
Avec cette disparition, ce n’est pas seulement la production de miel ou de cire qui est mise en péril mais une grande partie de la production alimentaire. D’après une étude publiée dans Ecological Economics en 2009, le service rendu par les pollinisateurs dans leur ensemble pèserait 150 Milliards d’Euros pour le monde. Les principales cultures, celles qui dépendent de la pollinisation, sont aussi celles qui rapportent le plus. Les 150 milliards se décomposent comme suit : les fruits pour 50 milliards, les légumes 50 milliards et les oléagineux 39 milliards. (2)
La disparition des abeilles pourrait être compensée en partie (un essaim d’abeilles pollinise un million de fleurs en une journée) par la pollinisation à la main de ces différentes cultures. Celle-ci s’opère déjà en Chine sur les pommiers du Sichuan où les abeilles ont déjà disparu (3). Le processus existe aussi depuis longtemps dans la culture de la vanille (4). Si cette possibilité humaine ouvre de belles perspectives d’emplois, serons-nous prêts à payer pommes et poires au prix de la vanille ?
La disparition des insectes pollinisateurs aura aussi un impact sur la biodiversité. Les abeilles et les autres ne participent pas seulement à la reproduction des plantes de cultures. Avec elles, disparaitront également de nombreuses plantes et fruits sauvages ; nourritures des animaux de nos forêts et filtres des eaux de nos nappes phréatiques.
Ces conséquences pour l’homme et la nature sont réelles. Tellement réelles qu’elles sont entrées récemment dans les négociations russo-américaines. Les Russes demandant aux Etat-Unis de cesser leur soutien à leur industrie chimique : Monsanto, Syngenta, DowChemicals et DuPont (5). Cela non plus, les grands médias n’en parlent pas.
De la chimie à la fin des colonies
Les causes du phénomène appelé « syndrôme d’effondrement des colonies » ont été débattues et testées pendant quelques années mais la communauté scientifique est arrivée à un consensus. Si les causes sont multiples, elles comprennent à coup sûr l’emploi des néonicotinoïdes. Il s’agit d’un nouveau type de pesticides compris dans un grand nombre de produits phytosanitaires : Gaucho, Confidor, Poncho, Cruiser… commercialisés par Bayer ou Syngenta.
Le seul doute qui subsiste tient à leur combinaison mortelle soit à un virus soit à un parasite naturel et ancien des abeilles. Touchés par les nouveaux pesticides même en quantités considérées comme non-dangereuses, les insectes n’ont plus les moyens de lutter contre leurs ennemis naturels.
Un (petit) pas en avant…
L’interdiction de ces insecticides est donc une bonne nouvelle pour les apiculteurs, leurs associations de défense et la population en général. « Un pas en avant » comme l’indique Greenpeace (6). Pourtant les partis verts initiateurs de la demande au Parlement se montraient plutôt mitigés quant à la décision prise. Ils critiquaient sa durée, son délai et son périmètre (7).
En effet, il s’agit d’une suspension de deux ans plutôt que d’une interdiction pure et simple. Or, les produits en question restent nocifs dans les sols ainsi que dans les plantations qui s’y succèdent pendant plusieurs années. La courte durée de la suspension risque de n’avoir aucun effet sur le déclin des colonies. Pire encore, elle laissera aux entreprises chimiques la possibilité d’introduire et de justifier un recours car la suspension n’aura pas eu d’impact sur les abeilles.
Cette suspension ne prend cours que le 1er décembre et les agriculteurs pourront encore semer du colza traité en automne 2013. Industriels et producteurs ont encore quelques mois pour écouler leur stock.
La suspension ne concerne encore que trois insecticides et leur emploi pour certaines cultures et certaines méthodes : en enrobage de semences pour le colza, le maïs, le tournesol et le coton, très peu cultivé en Europe, en traitement des sols et en pulvérisation pour une cinquantaine d’autres.
Bien plus frappant encore, la suspension d’utilisation n’empêche pas la production des trois insecticides en question en France, en Allemagne et ailleurs au sein de l’Union. Ces poisons dont le danger est à présent connu, prouvé et reconnu, seront alors commercialisés à l’extérieur où les politiques ont encore moins de pouvoir et les industriels encore davantage : en Afrique, en Amérique latine ou en Ukraine…La suspension oublie donc volontairement le monde mondialisé dans lequel nous vivons.
Une diminution des productions alimentaires à l’extérieur de l’UE entrainera une augmentation des prix des denrées à l’échelle mondiale, y compris à l’intérieur de l’Union...
Que faire alors ?
Signer des pétitions, s’indigner et descendre dans la rue peut encore encourager une décision politique. Les impositions, les interdictions ou les subventions sont effectivement de puissants instruments (bâtons durs et carottes savoureuses) aux mains de nos représentants pour (ré)orienter plus que l’économie, la Société dans son ensemble. Nous avons vu pourtant que derrière l’effet d’annonce se cache une réalité toute en nuances.
A coté des pétitions et des manifestations, le vote pourrait davantage changer les choses. Les partis prêts à faire passer l’intérêt général avant les multinationales ne sont pas nombreux. Il doit en rester un ou deux. Issus d’autres milieux et encore nourrit d’idéaux ceux-ci pourraient utiliser les leviers dont ils disposent avec plus de force et moins de concessions.
Au vote que l’on n’exerce que périodiquement, s’ajoutent d’autres pouvoirs individuels pour rendre leur force aux politiques. En tant que citoyens belges, français ou européens, ils s’exercent au quotidien. En matière de protection des abeilles, notons d’abord la consommation de produits de la ruche. Elle soutient les apiculteurs et les encourage à continuer leurs efforts. Avec des ventes croissantes, ils pourront peut-être engager du personnel supplémentaire et peser davantage sur les Parlementaires. Notons encore la consommation bio. Elle encourage les agriculteurs à opter pour des techniques de culture saines (et plus demandeuses en main d’œuvre). Par là, elle diminue aussi le chiffre d’affaires et le poids du secteur chimique. Ce faisant, cette consommation bio peut rendre ses pouvoirs au politique.
L’association AllWeWish rassemble et précise toutes les solutions pour la protection des abeilles avec de nombreuses autres pour un monde et des vies meilleurs, sur son site web : allwewish.org(8).