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Primaire « populaire » : la startup politique qui vous veut du bien ?

« Primaire populaire » est le nom d’une organisation politique créée il y a quelques mois pour obtenir « l’union de la gauche », c’est-à-dire un candidat commun entre l’écologie libérale de Jadot, les multiples tendances du PS post-Hollande et la France insoumise voire l’extrême gauche. Fondée en février 2021, la structure compte désormais près d’une vingtaine de salariés à temps plein, dont la mission est de faire un lobbying auprès des candidats et des médias pour faire de l’organisation d’une grande primaire LA solution pour une victoire de ce que leur porte-parole Samuel Grzybowski appelle « le bloc des justices » (en opposant au « bloc nationaliste » et au « bloc néolibéral »). Sur leur site internet, il est possible de parrainer des candidats à cette primaire (sans leur accord) afin de les soumettre à un vote, du 27 au 30 janvier prochain, qui déterminera un gagnant. Derrière cette organisation a priori gentillette se cache selon nous la plus grosse arnaque politique que nous ayons connu depuis la candidature « ni droite ni gauche » et « hors parti » d’Emmanuel Macron en 2016. La positive attitude néolibérale en étendard

redaction@frustrationmagazine.fr

Les premiers signaux d’alerte portent sur la forme : à l’automne dernier, j’ai débattu sur le plateau de Mediapart avec Samuel Grzybowski, et j’ai été consterné par le ton général de « positive attitude néolibérale » qui se dégageait de la moindre phrase qu’il nous sortait pour défendre son organisation : « l’espoir », « le changement », « l’envie », « tous ensemble » :

Ces mots creux ont pour point commun d’être utilisés par les politiques comme par les DRH. Ce sont des mots qui ne font référence à rien de précis, ils sont sans objet. « Vivre ensemble », avec qui ? « Le changement », vers quoi ? « L’espoir », pour qui ? Le principe est de ne rien préciser pour tout laisser ouvert, même le pire.

Samuel Grzybowski est un trentenaire, fils de journaliste, et il enseigne à Sciences po. Son parcours « d’entrepreneur social » l’a amené à faire de jolis selfies avec des membres bien connus de la classe politique pas réputés pour leur progressisme, qu’il a posté fièrement sur son profil Instagram :

De gauche à droite : avec Manuel Valls, ex-premier ministre en chien, promoteur de la loi travail entre autres saloperies puis avec Jean-Paul Delevoye, homme politique de droite concepteur de la réforme des retraites de 2019. Pour finir, avec Benjamin Griveaux. L’homme est surtout connu pour avoir eu vu son propre pénis naviguer sur le web, mais c’est d’abord un macroniste de la première heure. Quand on a des amis pareils, est-ce qu’on peut faire des leçons d’union de la gauche ?

Mathilde Imer, également co-fondatrice de « la primaire populaire », est diplômée de Sciences Po Paris. Son parcours est tellement radical qu’il l’a amenée à travailler pour l’organisation de la Convention Citoyenne pour le Climat, lancée en 2019 (puis écrasée) par Macron. La secrétaire générale du mouvement, Coline Serra, était quant à elle tout bonnement membre de la campagne législative de Mounir Mahjoubi, député LREM puis secrétaire d’Etat du gouvernement de Macron et donc membre du « bloc néolibéral » que la primaire prétend combattre.

Quand on a permis à un type de devenir député LREM puis secrétaire d’Etat de Macron, est-ce qu’on peut faire la leçon à toute la gauche 5 ans plus tard ?

D’une façon générale, le profil des organisateurs est celui de trentenaires diplômés, aisés et urbains : on compte sur la trentaine de militants présentés sur leur site 9 diplômés de Sciences Po, 6 d’écoles de commerce et 5 ingénieurs, nous signale le blogueur Eliot Thibault.

Ce n’est pas neutre que nous ayons encore des bourgeois ou sous-bourgeois qui se sentent une telle autorité à nous dire ce qui est bon pour nous, c’est dans leur idéologie. D’où leur amour de la technique de la primaire ; ce n’est pas une méthode neutre : c’est un système censitaire, pour les gens les plus politisés et les plus déterminés – sociologiquement les plus aisés et diplômés, c’est un fait confirmé par la composition sociale des participants aux primaires précédentes. Une composition sociale si différente de la population globale qui effectue des choix si différents du commun des mortels qu’ils aboutissent à des catastrophes électorales : c’est le cas de Benoît Hamon, star de la primaire socialiste de 2017, candidat méga cool, méga “radical” qui a fini en petit candidat discrédité dès le premier tour.

La primaire ou l’art de la politique entre soi

C’est donc « entre gens bien » que l’on va aller trancher – en amont de l’élection présidentielle, il ne faudrait pas laisser ce soin à la masse inculte – les sujets qui fâchent. La question de la candidature donc, celle du fond étant écartée par les leaders de la primaire qui ne s’emmerdent pas avec l’âge de la retraite par exemple : Hidalgo veut « sanctuariser » l’âge de départ à la retraite à 62 ans, Taubira a dit hier matin sur France Inter « oui bien sûr il faut réformer », sans dire ce qu’elle comptait faire hormis « consulter les partenaires sociaux », tandis que Mélenchon veut clairement revenir à la retraite à 60 ans. Anasse Kazib et Philippe Poutou sont plus ambitieux en la matière, mais ils ne figurent plus parmi les candidats possibles au prochain scrutin (alors que Pierre Larrouturou si, allez comprendre).

Si la démarche de la « primaire populaire » était honnête, ses organisateurs feraient d’abord voter les gens sur cette question éminemment centrale de la « gauche » que l’on souhaite : le système de retraite. Entre une gauche qui accepte le dogme de la retraite toujours plus tardive pour « maintenir l’équilibre des comptes publiques » comme le glissait, bonne élève, Léa Salamé à Taubira ce matin, ou bien une gauche qui veut répartir les gains de richesses produits et détournés par les possédants en temps de travail réduit, il n’y a rien de commun. Mais ce n’est pas l’objectif de la « primaire populaire ». Un “socle commun” est proposé sur le site de la primaire, mais puisqu’il n’a pas été fait avec les équipes des différents candidats, on ne voit vraiment pas en quoi cette base programmatique aurait une quelconque valeur contraignante pour la ou le gagnant.

La « primaire populaire » n’a donc évidemment rien de populaire, ni par sa composition ni par sa façon d’agir comme une start-up politique. L’usage du mot « populaire » est symptomatique des détournements que la bourgeoisie nous inflige depuis plusieurs années, à l’image du livre-manifeste de Macron en 2016, intitulé dans le plus grand des calmes Révolution, pour un type dont l’action politique est de nous ramener au XIXe siècle sur le plan social. La « primaire populaire » est avant tout la marque que s’est approprié un petit groupe d’activistes professionnels qui multiplient les coups de com’ et de pression pour s’imposer dans le paysage politique.

Quand la bourgeoisie s’achète une machine à droitiser la gauche

Ils bénéficient pour cela de donateurs, qui leur permet de bénéficier d’un budget conséquent (18 équivalents temps plein donc, dont 8 salariés, 7 auto-entrepreneurs et 3 stagiaires). Dans la section “transparence” du site de la primaire il est possible de consulter la liste des gros donateurs, ou l’on trouve par exemple l’actrice Juliette Binoche.

La bourgeoisie de gauche a donc la possibilité de s’acheter un appareil de lobbying politique lui permettant d’orienter « la gauche » comme elle le souhaite : pas celui de la gauche radicale. C’est moins pénible que de créer un parti politique, et moins risqué. Dans le cas de la « primaire populaire », l’avantage est en plus de pouvoir passer pour les gens de bonne volonté dans l’affaire : ceux qui veulent “unir”, et qu’importe que derrière cette belle union se cache en filigrane le projet de continuer à fracturer la société en reconduisant l’éternelle gauche socialiste de droite. Car c’est bien cela l’effet actuel des appels à l’union : faire passer la gauche radicale pour sectaire et donner toujours de l’audience à des candidats socialistes qui, sans tout ce ramdam, n’auraient aucune audience.

Derrière les appels vibrants à l’Union se cache toujours la volonté de lisser l’ensemble et de réhabiliter les ex-ministres et soutiens de François Hollande, comme si l’énorme échec et trahison qu’a constitués cette présidence n’avait pas discrédité pour de bon ses participants. Mais non, il n’est pas question d’en parler car nous avons un « projet », de « l’espoir », « l’envie de changement tous ensemble pour un avenir meilleur ». Mais ne vivons pas dans le même monde que les militants de la primaire populaire qui s’enthousiasment lorsqu’ils rassemblent autour de la même belle idée d’union de la gauche un SDF et un patron, comme on peut l’entendre dans cette vidéo déjà culte.

On ne saura pas si le SDF et le patron veulent la même réforme des retraites, mais nous sommes bien chagrin avec notre lutte des classes, pas très positive attitude. Après tout on s’appelle Frustration et pas “Vivre Ensemble Magazine”, alors de quoi on parle.

Des bisounours bien violents

Derrière cette façade toute choupi, la démarche de la « primaire populaire » assume un cynisme dans l’action, sur le mode « la fin justifie les moyens ». Dans un « point d’étape » filmé en selfie en mode cash, Samuel Grzybowski parle ainsi avec un amour certain de ses adhérents : « on a la plus grosse data » dit-il pour expliquer la légitimité de son petit groupe à peser dans le game politique à gauche. Les gens sont donc de la data, de la data qui leur appartient désormais, et qui, maintenant que tous les candidats se sont présentés sans eux, y compris leur protégée, Christiane Taubira, leur permet de faire du chantage pour continuer de « peser », utilisant leurs adhérents comme monnaie d’échange. Le pire, c’est que lesdits « adhérents » ne le sont pas : les inscrits à leur site web sont souvent simplement des gens qui ont signé une pétition pour demander l’union de la gauche, pas nécessairement pour donner carte blanche à un petit groupe d’activistes.

Et que souhaitent-ils faire maintenant ? Pourrir les candidats qui ne jouent pas le jeu. Sont ciblés Jadot et Mélenchon, qui ont refusé d’entrer dans cette mascarade, et contre lesquels Grzybowski assume clairement de bloquer les parrainages d’élus et d’effectuer des campagnes de dénigrement sur les réseaux sociaux. En voilà un sacré démocrate, prêt à utiliser l’outil le moins démocratique possible, les 500 parrainages d’élus nécessaires à une candidature aux présidentielles, et qui permet aux partis politiquement morts comme le PS ou le PCF d’utiliser leur force locale pour bloquer les autres. Et la “bienveillance” dans tout ça ?

Derrière un objectif d’apparence « noble », une petite entreprise politique s’est donc propulsée pour être désormais en capacité de peser, pour insuffler de la bourgeoisie et des éléments de langage macronistes dans « la gauche » et, ce faisant, participer à l’énième entreprise de relégitimation des ministres de Hollande et du personnel politique de la gauche bourgeoise, qui ne savaient plus quoi inventer pour parvenir à exister encore après toutes leurs trahisons.

Ce n’est pas la première fois qu’un petit groupe parvient à se propulser par la seule force de la com’, des « data » et de la complaisance du monde médiatique. Macron comme Zemmour sont passés maîtres dans l’art de construire des candidatures sur du vide, sans parti politique. Ce ne sont pas non plus les seules organisations politiques qui se revendiquent du « peuple » alors qu’elles sont tenues intégralement par des jeunes bourgeois ou sous-bourgeois. Il s’agit d’un mouvement de fond de monopolisation de la vie politique par la bourgeoisie, qui explique à la fois la déconnexion croissante et lamentable de nos « représentants » vis-à-vis de nous et le dégoût grandissant que nous ressentons à l’égard de ces militants bien nés et donneurs de leçon.

La « primaire populaire » confirme et accentue ce que la politique française est devenue : un terrain de jeu pour activistes professionnels, véritables entrepreneurs de la parole creuse et de la stratégie politique, à l’image de Macron leur figure tutélaire, consciente ou non. Pour eux, quelle que soit l’issue de cette « belle aventure », il s’agira avant tout d’une chouette expérience qui viendra étoffer leur Linkedin et leur réservera une place au chaud, dans un ministère de Macron ou d’ailleurs. Collaboratrice de député, directeur de cabinet de ministre, directrice d’une fondation écoresponsable : leur avenir est tout tracé. Mais pour nous autres, la « primaire de gauche » aura été une immense perte de temps, une chanson bourgeoise entêtante qui aura envahi une fois de plus nos ondes et achevé de détruire le peu de consistance qu’il restait encore à la notion de « gauche », de « justice sociale » et de « démocratie participative »...

Alors, qui veut aller voter et participer à leur jeu pipé d’avance afin de devenir de la « data » fraîche prête à alimenter la campagne du prochain candidat faussement de gauche, réellement bourgeois ? Qui a plutôt envie de réfléchir avec nous à ce que serait une organisation politique de masse, susceptible de renverser l’ordre bourgeois pour instaurer une société sans classe ?

Nicolas Framont et la rédaction

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