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Pourquoi le mouvement BDS fait peur à Israël (New York Times)

JERUSALEM - Si les efforts du Secrétaire d’Etat John Kerry pour ranimer les pourparlers entre Israël et l’Autorité Palestinienne échouaient, du fait de la poursuite des constructions illégales de colonies, le gouvernement israélien devrait probablement affronter un boycott international redynamisé, ainsi que s’en inquiétait M. Kerry en août dernier.

Ces jours-ci, Israël semble autant terrifié par le développement exponentiel du mouvement palestinien Boycott, Désinvestissement et Sanctions (B.D.S.), que par l’emprise ascendante de l’Iran sur la région. En juin dernier, le premier Ministre Benyamin Netanyahu a effectivement décrété BDS “menace stratégique”. Lui attribuant le nom de « mouvement de délégitimation », il a donné pleins pouvoirs à son ministre des Affaires Stratégiques pour le combattre. Si, en fait, BDS ne représente pas une menace existentielle pour Israël, il pose en tout cas un sérieux défi au système d’oppression israélien exercé contre le peuple palestinien, système qui est la cause première de l’isolement grandissant d’Israël sur la scène internationale.

La perception, par le gouvernement israélien, de BDS comme une menace stratégique, traduit en fait une grande inquiétude face à l’extension du mouvement à une grande échelle. Cela reflète aussi l’échec de la campagne marketing « Brand Israel » du Ministère des Affaires Etrangères, qui a voulu réduire BDS à un problème d’image, et utilisa la culture comme outil de propagande, en missionnant à travers le monde des figures israéliennes bien connues, afin d’y présenter le plus « beau profil » d’Israël.

Lancé en 2005 par l’union la plus large des fédérations syndicales et des organisations de la société palestinienne, BDS appelle à la fin de l’occupation israélienne de 1967, à la « reconnaissance des droits fondamentaux à l’égalité totale des citoyens arabes-palestiniens d’Israël », et au droit au retour des réfugiés palestiniens chez eux et sur leurs terres, desquelles ils ont été déplacés de force et dépossédés en 1948.

Pourquoi Israël, puissance nucléaire et économique, devrait se sentir si vulnérable devant un mouvement non-violent militant pour les droits humains ?

Israël est profondément inquiet du nombre grandissant de Juifs américains qui s’opposent à haute voix à sa politique – particulièrement ceux d’entre eux qui rejoignent et dirigent même les campagnes BDS. Et perçoit aussi comme une menace grave le nombre croissant de voix discordantes parmi les personnalités juives, qui rejettent sa tendance à parler en leurs noms, mettant en cause son postulat de « pays de tous les Juifs », ou soulignant la contradiction entre la définition ethno-religieuse que se donne Israël, et sa prétention démocratique. Ce qu’écrivait déjà, prophétiquement, en 1967, I.F. Stone, évoquant une « sorte de schizophrénie morale » parmi les Juifs, du fait de l’idéal israélien « racial et exclusiviste », revêt aujourd’hui un caractère inadmissible.

Israël est aussi menacé par l’efficacité des stratégies non-violentes adoptées par le mouvement BDS, y compris dans sa composante israélienne, et par l’impact négatif de celles-ci sur l’image de ce pays dans l’opinion publique internationale. Comme l’a dit un responsable militaire israélien, à propos du combat final contre la résistance populaire palestinienne à l’occupation : « On n’est pas très doués dans le Gandhi ».

Le vote historique, par l’American Studies Association, acquis à une large majorité en décembre, et adoptant le principe du boycott académique d’Israël, venant dans la foulée d’une décision similaire de l’Association for Asian-American Studies, parmi d’autres, autant que les votes sur le désinvestissement intervenus dans les conseils étudiants de plusieurs universités, tout cela démontre que désormais BDS n’est plus un tabou aux Etats-Unis.

L’impact économique du mouvement BDS devient lui-même évident. La récente décision du fond de pension néerlandais PGGM (qui pèse 200 milliards), de se désengager des cinq plus grosses banques israéliennes du fait de leur implication dans les territoires palestiniens occupés, a suscité des ondes de choc dans l’establishment israélien.

Pour minimiser la menace « existentielle » posée par BDS, Israël et ses groupes de pression agitent régulièrement le chiffon infâmant de l’antisémitisme, en dépit de la position conséquente et sans équivoque du mouvement contre toutes formes de racisme, y compris l’antisémitisme. Cette allégation infondée a pour prétention de réduire au silence ceux qui critiquent Israël, et d’assimiler toute critique analogue à du racisme anti-juif.

Arguer que le boycott d’Israël est intrinsèquement antisémite est non seulement faux, mais suggère aussi qu’Israël et « les Juifs » sont une seule et unique réalité. C’est aussi absurde et bigot que de juger que le boycott d’un Etat auto-proclamé « islamique » comme l’Arabie Saoudite, boycott du fait de ses horribles records en matière de droits humains, procéderait nécessairement de l’islamophobie.

L’appel du mouvement BDS à une pleine égalité politique et juridique pour les Palestiniens citoyens d’Israël est également particulièrement gênant pour Israël, car il interroge abruptement le caractère exclusiviste de l’ « Etat Juif ». Israël considère chaque incrimination de son système - que même le Département d’Etat a qualifié « de discrimination institutionnelle, légale et sociale » envers ses citoyens palestiniens -, comme une « menace existentielle », en partie à cause de l’image d’apartheid que revêt cette incrimination.

Significativement, une récente tentative d’Israéliens laïcs de faire reconnaître par l’Etat leur identité civique nationale « israélienne » a été clairement rejetée par la Cour Suprême, sur la base que cela posait une menace sérieuse au principe fondateur d’Israël : un Etat Juif pour un peuple juif.

Israël demeure le seul pays au monde qui ne reconnaisse pas sa propre nationalité, en vertu du fait qu’en théorie cela signifierait des droits égaux pour tous ses citoyens, et saperait son identité « ethnocratique ». Le discours selon lequel BDS, un mouvement non-violent ancré dans les principes universels des droits humains, appelle à « détruire » Israël doit être compris dans ce contexte.

Est-ce que la justice et l’égalité des droits détruiront Israël ? L’égalité a-t-elle détruit les Etats du Sud ? Ou l’Afrique du Sud ? Certes l’ordre de discrimination raciale qui régnait sur toutes ces contrées fut détruit, mais pas les peuples ou les pays.

De la même manière, seul l’ordre injuste d’Israël est menacé par le Boycott, le Désinvestissement et les Sanctions.

Omar Barghouti

http://www.nytimes.com/2014/02/01/opinion/sunday/why-the-boycott-movement-scares-israel.html?_r=0

Omar Barghouti, palestinien, expert en communication et chorégraphe est membre fondateur de la Campagne palestinienne pour le boycott académique et culturel d’Israël (associée au mouvement Boycott, désinvestissement et sanctions). Il vit et travaille à Ramallah. Il est à l’origine de la thèse selon laquelle s’opère une séparation raciale en Israel entre arabes et juifs sur le modèle de l’apartheid en Afrique du Sud (wikipedia mais corrigé : IL EST PALESTINIEN)

(traduit par hdm)

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