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Si les jeux sont faits, si rien ne va plus...

... Portrait-robot du président élu en mai 2012.

An 2005 : le peuple de France, seul contre ceux qui l’informent, le guident, le conseillent, lui expliquent, a voté« non » et rejeté ainsi le Traité Constitutionnel Européen (TCE). Serge July, qui fut maoïste avant de pervertir le journal de Jean-Paul Sartre, en pondit un édito rageur à la limite de l’insulte des lecteurs/électeurs. L’effet boomerang blessa Libération et il fallut en appeler à un Rothschild pour arrêter l’hémorragie.

Car, la rue, monsieur, la rue…

Parfois la rue ridiculise les sondeurs, les analystes, les politologues, les économistes, les spécialistes, les pédagogues, les éditorialistes, le JT de 20 H, la droite musclée et même la gauche molle. Tous lui expliquent ce que sera son vote, tous l’invitent à en accepter la fatalité, tous travaillent à rendre leur pronostic incontournable.

Ceux qui savent ont tendance à louer ceux qu’ils servent et à mépriser ceux à qui ils expliquent.
Ils disent : « Un capitaine d’industrie », « Un grand patron », « Un grand directeur de journal », « Un grand journaliste », mais « Un petit juge », « Un petit instituteur » ? Il est vrai que l’instituteur n’a pas toujours eu la stature nécessaire pour bien leur apprendre à écrire et à penser.

Les leaders de ceux d’en bas ont la tête sous l’eau.

Les sondages ne les épargnent pas. Ils leur maintiennent la tête sous l’eau, dans la baignoire. Il suffit de les relâcher vers la fin. Aphones, flageolants, décrédibilisés par leur faiblesse, en manque d’oxygène, les leaders n’arrivent plus à grimper dans les graphiques.

Il n’est pas interdit de rigoler en voyant les rescapés zigzaguer, ni de leur taper sur la nuque avec des questions brutales : « Comment se fait-il, puisque votre programme est formidable pour les gueux, que ceux-ci ne votent pas pour vous, mais pour Hollande, Sarkozy, Le Pen ? ». Bien embêtés pour répondre, ceux dont les citoyens ne savent toujours pas (à moins de 100 jours des élections) écrire le nom (« Mélanchon » !), ignorent le prénom (Poutou, c’est Philippe) voire le prénom et le nom (Nathalie Arthaud, avec un « h » et un « d » à la fin).

Les belles dames qui ont accès aux médias pour leur lutte en faveur de l’égalité hommes/femmes digèrent sans broncher que l’une d’elles apparaisse si peu dans les médias. Ah, mais c’est parce qu’elle fait peu de voix. Pardi, si on ne sait pas qui elle est. Demandez à Jean-Luc Mélenchon (sans « a ») pourquoi il commence enfin à gravir la côte et à remplir des salles immenses à chaque meeting. Demandez aux Le Pen : « Qui vous a fabriqués ? Les militants au porte à porte ? ».

Les leaders d’en haut sont juchés sur des tabourets prêtés par les sondages.

Ils pérorent avec une exquise retenue à destination des analystes, politologues, économistes, spécialistes (professeurs à Sciences Po ou à HEC), pédagogues, éditorialistes, présentatrices et présentateurs des JT, virtuoses dans la lecture du prompteur... On les contredit juste ce qu’il faut. Sur les sujets qu’il faut. On les respecte. Eux-mêmes, s’ils contredisent quelqu’un, ce sont les concurrents sélectionnés, propres sur eux, bien policés, leurs alter ego de l’autre bord. Ceux du sérail.

Le peuple ne le sait pas, mais le grand penseur Noam Chomsky a expliqué l’astuce : « La façon la plus intelligente de maintenir la passivité des gens, c’est de limiter strictement l’éventail des opinions acceptables, mais en permettant un débat vif à l’intérieur de cet éventail et même d’encourager des opinions plus critiques et dissidentes. Cela donne aux gens l’impression d’être libres de leurs pensées, alors qu’en fait, à tout instant, les présuppositions du système sont renforcées par les limites posées au débat ».

Ils ne parlent pas à leurs adversaires d’en bas.

Voyez, François Hollande. Il débat à la télévision avec ses compétiteurs pour les primaires « socialistes » : Martine Aubry, Manuel Valls, Arnaud Montebourg, Jean-Michel Baylet, Ségolène Royal. Il croise ensuite le fer (émission « Des paroles et des actes ») avec Alain Juppé. Tout sourire, il serre la main de Nicolas Sarkozy au dîner du CRIF. Mais il refuse tout débat avec Jean-Luc Mélenchon, il évite Eva Joly et il ignore Philippe Poutou et Nathalie Arthaud. Ces quatre-là viendront peu ou prou, en tout cas ils n’iront pas chez Sarkozy. Inutile d’écouter leurs voix, il suffira de les compter. A discuter avec la gauche, il risque de démontrer qu’il est socialiste comme DSK (ex-président socialiste élu par les sondages) est chaste.

En février 2012, le comptage du CSA révélait que l’UMP et le PS se partageaient 75% du temps de parole à la radio et 70 % à la télévision, médias de masse qui pèsent sur l’opinion.
Pour y dire quoi ?

En fait, « ils font du bruit avec la bouche ».

Les experts en communication leur ont conseillé de parler, mais de ne pas trop en dire. Hollande était au zénith des sondages avant même d’avoir fait connaître son programme. Pour des élections de ce genre, n’oublie pas, coco, que c’est le paraître qui séduit, pas l’être et surtout pas le vouloir. Alors, coco, tu maigris, tu changes de lunettes, tu mets des talonnettes, tu remontes la salle du meeting depuis le fond, cerné par des caméras, surmonté de perches des micros, protégé par des Sylvester Stalone à Ray-ban et oreillettes. Tu fais avec les bras le V de la victoire, tête haute, regard dans les étoiles, tu serres des mains au passage. Les pancartes montent, portant ton nom, des ballons s’envolent, des drapeaux s’agitent. Et jaillit un cri lancé par les compagnons mandatés pour ça (la claque) : « François (ou Nicolas) président ». Et la foule de reprendre le slogan à l’envi. Les voix se mêlent à la musique qui monte en puissance, c’est Nabucco, de Verdi. Le délire ! Les coeurs chavirent. Ton public t’acclame et la télévision le montrera aux millions d’indécis (la majorité du corps électoral). Ceux-là penseront : « Ils ne peuvent pas tous se tromper. C’est du sérieux, ce candidat ». Après, ce que tu raconteras importe peu. De toute façon, tu ne le feras pas. A cause de la crise. Des règlements européens. Du traité de Lisbonne. Tout ça.

Et maintenant, un air de pipeau.

Il te suffit de te tenir droit derrière le pupitre, d’ânonner des banalités vitaminées par des gestes nombreux et spectaculaires, de balayer les sujets sans entrer dans les détails. Tu es pour la justice, la liberté, la paix, la sécurité, l’emploi, l’augmentation des salaires (les plus bas), une hausse des allocations familiales, le plafonnement des rémunérations (dans la fonction publique), la préservation de notre système de santé (unique au monde) et la retraite par répartition (qu’il faut sauver), l’égalité hommes/femmes.

Tu es pour rendre à l’éducation nationale les moyens (pas forcément financiers) de sa mission (une commission sera immédiatement convoquée…). Tu procèderas à des réformes (courageuses) pour que la France aille de l’avant. Tu relocaliseras nos entreprises et tu imposeras des droits de douanes pour les produits chinois. Tu réduiras les dépenses de l’Etat, tu resserreras le gouvernement (moins de ministres et de collaborateurs). Avant la fin de ton quinquennat, le nombre de morts sur la route aura diminué de moitié ainsi que les meurtres de joggeuses. La pédophilie sera éradiquée, la carte Vitale sécurisée avec empreinte ADN. Notre dette sera apurée, l’eau de la Seine sera devenue propre et tu te baigneras dedans. Tu taxeras les transactions financières, tu expulseras un bon paquet de clandestins, tu t’opposeras à l’achat du Fouquet’s par Mohamed Al-Fayed, propriétaire du Ritz. Le Stade de France ne sera pas vendu au prince Tamim bin Hamad al-Thani, propriétaire du PSG et les truffières de Corrèze resteront françaises.

Le Monde, dont Hubert Beuve-Méry fit un « journal de référence » et qui s’est aujourd’hui vendu à un trio composé d’un homme d’affaires, d’un banquier et d’un propriétaire de peep-shows, Le Monde consacrera un long compte-rendu à ta prestation.

L’eau doit être tiède dans l’abreuvoir des veaux.

Tu ne cacheras pas que tout cela ne sera pas fait tout de suite : tu n’es pas un démagogue populiste. Il y aura des efforts à consentir pour sauver les emplois, les retraites, la Sécurité sociale, notre compétitivité, etc.

L’avionneur Dassault, patron vigilant du Figaro (quotidien qui explique sans relâche que l’Etat n’a aucune compétence pour faire rouler des trains ou distribuer le courrier : à chacun son métier) sera aimable avec toi.

Jusque là , tu parles comme un homme de gauche qui imite un homme de droite ou vice versa. C’est bon coco, ça ratisse large. On devrait établir le rapport à 50/50 avec ça.

Une élection pareille se gagne à , pff ! 100 000, 200 000 voix.
Tout est permis pour les grignoter. Tu n’oublies pas le mot cruel de De Gaulle sur les Français.

Si tu es Sarkozy, tu mets le paquet sur l’insécurité et l’invasion du pays par les sans-papiers. Ne pas oublier de dire que tu veux résoud’ l’problèm’ en Afrique, parce que c’est la misère qui pousse les noirs chez nous. Alors, un, on les expulse, deux, on leur apprend à cultiver des haricots dans le Sahel.

Si tu es Hollande, promets une réforme de la police pour modifier ses rapports avec la population (les braves gens ont peur des flics, plus que des voleurs) et (soyons fous !) la nationalisation des autoroutes avec suppression progressive des péages (les Français sont fatigués de ce « racket »). Après, si tout va bien, le Conseil Constitutionnel ou l’Europe t’interdiront d’étatiser quoi que ce soit au nom de la concurrence nécessaire. Et comme tu es un démocrate et un européen convaincu…

Tu t’indignes, je filme.

Avec ces thèmes-là , qui que tu sois, tu tiens facilement un discours de deux heures. Mets-y le ton, surtout. Ne pas dire : « je veux que chaque SDF ait un toit », mais : « C’est une honte pour notre pays, de voir des pauvres gens dormir sous des cartons en plein hiver. C’est inadmissible ET JE NE L’ADMETTRAI PAS ! JE NE L’ADMETTRAI PAS !!! » (geste saccadé du bras). Ovation (normalement). Sarabande des oriflammes. Les caméras de ton parti font des gros plans sur des visages extatiques (jeunes, plutôt blancs. Non, pas elle, elle est grosse, pas lui il a l’air benêt).

Qu’à aucun moment les téléspectateurs ne pensent au comteTomasi de Lampedusa et à son Guépard : « Si nous voulons que tout continue, il faut d’abord que tout change ! ». Que tout change dans les discours et les apparences pour que tout continue.
Ils doivent croire que la lourde charge de président n’est pour toi qu’un levier pour transformer la société.

Que jamais ils ne devinent ta décision secrète de ne pas toucher au coeur du système car ton désir est d’abord, surtout ou uniquement d’entrer dans l’Histoire, d’accéder au trône de monarque avec cent et mille domestiques, des nuées de chevau-légers, des courtisans et courtisanes, les logements privés dans l’immense palais de l’Elysée, les résidences secondaires du Pavillon de la Lanterne à Versailles et du Fort de Brégançon, des honneurs, des escortes et l’immense pouvoir d’acheter les hommes à coups de maroquins ministériels, présidences de commissions, députations, nominations à des postes dans des organismes si variés et si nombreux que nul n’a su en dresser la liste exhaustive et qui vont d’Ambassadeur pour les pôles arctique et antarctique jusqu’à Chargé d’information en Corée du Nord, en passant par Conseiller de qui on voudra ou président d’un comité Théodule, pourvu que la sinécure ouvre droit à un salaire confortable, un bureau, une secrétaire, une voiture et une carte bleue.

Tu feras de la rue un club privé.

Il est d’usage que les bénéficiaires de la manne soient dispersés dans chacun des 100 départements (Hexagone et outre-mer) afin que partout des obligés courbent l’échine et chantent les louanges du Chef de l’Etat qui, dès lors, et en dépit des trahisons de ses promesses, pourra tranquillement visiter ses provinces sans autre escorte que cinq compagnies de CRS, 100 policiers en civil, 30 agents des RG, un hélicoptère géo-stationnaire et les casernes de gendarmerie de 3 départements qui tiendront à distance de ses yeux et de ses oreilles les braillards syndicalistes, les jeunes sans boulot, les étudiants sans un sou, les parturientes sans maternité, les professeurs aux classes surchargées, les chômeurs en fin de droits, les infirmières débordées, les postiers sous-payés, les paysans ruinés, les ouvriers victimes de licenciements boursiers, les caissières précarisées à temps partiel ou aux heures sup non payées et obligés de la fermer.

Seuls l’approcheront, cernés par des en-civils, les militants amenés par autobus de toute la région.

Ces privilégiés, déguisés en peuple pour la télé, seront préalablement décervelés par un des missiles du marchand d’armes Lagardère : Elle, Paris-Match, le journal du Dimanche, Europe 1, etc. A tout hasard, Vincent Bolloré (l’homme du yacht Paloma) aura fait intervenir Direct Soir, son quotidien gratuit et quelques chaînes de télé qu’il contrôle. Ne parlons pas de Bouygues avec TF1 et autres.

Tu ne tueras point, ou tu tueras. C’est comme tu le sens.

Donc, la camarilla des beaux esprits et des faiseurs d’opinion t’aura donné les clés de l’Elysée. Tu auras tout, et jusqu’à ce privilège grisant qui fut celui de César, baissant le pouce, et qui se décline aujourd’hui en pouvoir régalien d’aller faire tuer de jeunes Français dans des pays lointains pleins de poussière. A l’approche de la soixantaine, tu éprouveras cette excitation sexuelle paradoxalement provoquée par des paroles apparemment sans rapport, comme : « J’ai décidé de renforcer nos troupes en Afghanistan » ou : « En 2013, tous nos garçons seront rentrés à la maison » (traduction littérale de l’américain). Et, suprême jouissance, tu auras le droit d’aller te recueillir sur les cercueils, l’air compassé, grave, protégé par un cérémonial militaire qui fige les familles endeuillées et leur ôte l’idée de te sauter à la gorge.

Bien, le MEDEF est aux commandes.

Tu seras l’homme que la France des votants aura élu en mai 2012 parce que la finance, les sondeurs, la presse, l’auront voulu. Qu’importe si le sigle de ton parti le dit « populaire » ou « socialiste ». Les moqueurs, qui parlent d’UMPS savent que tu ne provoqueras aucune fuite clandestine de lingots d’or vers la Suisse.

Tu seras élu et que se poursuive le ronron, que continue à couler le robinet d’eau tiède, que ce pays soit tisane, qu’il prive ses enfants de ce qu’eurent leurs parents.

A moins que la rue…

La rue, monsieur, la rue... Parfois elle contredit les sondeurs, les analystes, les politologues, les économistes, les spécialistes (professeurs à Harvard, à l’ENA, à Sciences Po, à HEC, au Massachusetts Institute, à Cambridge, à Oxford…), les éditorialistes, les journalistes des JT de 13 H, de 20 H, de minuit, les virtuoses du prompteur, les animateurs de débats politiques (« Répondez rapidement, s’il vous plaît, on n’a plus le temps »).

Parfois, la rue n’en fait qu’à sa tête et n’écoute plus personne. Pas même Johnny Halliday et Yannick Noah, Jean-Marie Bigard et Pierre Arditi, Doc Gyneco et Gérard Darmon, ni Bernard Guetta, Alain Duhamel, BHL, Alain Minc, Elkabbach, Mireille Mathieu, les évadés fiscaux,

les gloires en possible redressement fiscal, les pages saumon du Figaro, la droite égoïste, le centre mou social-démocrate. Pas davantage elle n’écoute ceux qui ont le coeur à gauche et le portefeuille à droite, ceux qui n’ont même pas de portefeuille parce que quelqu’un paie pour eux, toujours, partout. Il suffit de claquer les doigts.

Parfois la rue s’informe aussi sur Internet, loin des Saint-Jean Bouche d’or des médias ancestraux, des carriéristes de la politique, des bonimenteurs des JT, des m’as-tu vu des variétés, des apatrides (célèbres) en délicatesse (discrète) avec le fisc.

Parfois, la rue donne sa chance à la France et lui restitue sa grandeur.

Vladimir Marciac

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