C’est le point aveugle du débat économique. Une donnée clé, et d’autant mieux cachée par les grands médias : de toutes les richesses produites en France, les salariés récoltent aujourd’hui, d’après l’INSEE, 9,3 %de moins qu’en 1983 - autant qui va en plus aux actionnaires. Soit plus de 100 milliards d’euros par an…
« La part des profits est inhabituellement élevée à présent (et la part des salaires inhabituellement basse). En fait, l’amplitude de cette évolution et l’éventail des pays concernés n’a pas de précédent dans les 45 dernières années. »
D’où sont tirées ces lignes ?
On croirait une communication de la CGT ?
Ou un discours d’Olivier Besancenot ?
Au contraire : ce passage est extrait d’un article de la Bank for International Settlements. La Banque des Règlements Internationaux. Une institution qui réunit chaque mois, à Bâle, en Suisse, les banquiers centraux pour « coordonner les politiques monétaires » et « édicter des règles prudentielles ». Dans leur Working Papers N°231, daté de juillet 2007 et titré Global upward trend in the profit share (« Hausse tendancielle mondiale de la part des profits »), eux insistent pourtant sur les « hauts niveaux de la part du profit inhabituellement répandus aujourd’hui », sur cette « marge d’une importance sans précédent », sur cette « preuve à la fois graphique et économétrique d’un fait particulier concernant le partage des revenus dans les pays industrialisés : une poussée à la hausse de la part des profits au milieu des années 80, ou son pendant : une poussée à la baisse de la part des salaires » et ainsi de suite sur vingt-trois pages.
Ce sont donc les financiers eux-mêmes qui dressent ce constat, avec étonnement : jamais les bénéfices n’ont été aussi hauts, jamais les salaires n’ont été aussi bas, un déséquilibre inédit depuis au moins un demi-siècle, et vrai pour l’ensemble des pays industrialisés.
Et cette analyse ne souffre d’aucune contestation : d’après le Fonds Monétaire International, dans les pays membres du G7, la part des salaires dans le Produit Intérieur Brut a baissé de 5,8 % entre 1983 et 2006. D’après la Commission européenne, au sein de l’Europe cette fois, la part des salaires a chuté de 8,6 %. Et en France, de 9,3 %. Dans le même temps, la part des dividendes dans la valeur ajoutée passait de 3,2 % à 8,5 %. Un quasi-triplement.
Combien ça coûte ?
Enoncés ainsi, ces 9,3 % paraissent abstraits. Ils représentent en fait des montants colossaux - qui ont des conséquences très concrètes dans notre vie quotidienne.
Qu’on les évalue, d’abord :
Le PIB de la France s’élève, aujourd’hui, à près de 2 000 milliards d’euros. « Donc il y a en gros 120 à 170 milliards d’euros qui ont ripé du travail vers le capital, calcule Jacky Fayolle, ancien directeur de l’IRES - Institut de Recherche Economique et Social.
- 120 à 170 milliards par an, alors ?
- Pour aller très vite, c’est ça. »
Même avec des estimations basses, le seuil des cent milliards d’euros est largement dépassé. Soit plus de dix fois le « trou » de la Sécurité sociale en 2007 (dix milliards, l’année d’avant la crise), cinq fois celui de 2009 (22 milliards d’euros, crise oblige). Une vingtaine de fois celui des retraites (7,7 milliards d’euros). Des « trous » amplement médiatisés, tandis qu’on évoque moins souvent celui, combien plus profond, creusé par les actionnaires dans la poche des salariés…
« C’est un hold-up géant dont on ne parle pas, ça ?
- Oui, tempère Jacky Fayolle, sauf que le mot hold-up est trop brutal pour parler d’un changement qui cumule tout un ensemble de facteurs : le poids du chômage, les politiques économique, les changements de la gouvernance des entreprises depuis une vingtaine d’années. »
Ces 9,3 % devraient, par le gigantisme des sommes en jeu, des centaines de milliards d’euros, ces 9,3 % devraient s’installer au coeur du débat.
Quand Nicolas Sarkozy intervient, à la télévision, et déclare « si nous voulons sauver notre système de retraite, nous ne pouvons plus différer les décisions. Tous les chiffres sont sur la table », un choeur devrait s’élever dans le pays citant un chiffre qui n’est pas « sur la table » : 9,3 %. Quand le même revient à la télé, et déclare « Il faut plus d’argent contre Alzheimer, plus d’argent contre le cancer, plus d’argent pour les soins palliatifs, mais où est-ce qu’on les trouve ? où est-ce qu’on les trouve ? », on pourrait lui apporter la solution : qu’il retrouve ces 9,3 % dans les portefeuilles de ses amis du Fouquet’s.
Toute la contestation des « nécessaires réformes en cours » pourrait, inlassablement, s’appuyer sur ces 9,3 %. Or, c’est à l’inverse qu’on assiste : cette donnée majeure est quasiment effacée de la sphère publique, éclipsée dans les médias, à peine mentionnée par les politiques. Un point central de l’économie en devient le point aveugle.
C’est pourquoi Fakir vient apporter ses lumières…
Ce texte fait partie d’un hors-série spécial « hold-up tranquille » de quatre pages de Fakir, dont 50 000 exemplaires ont été distribués lors des manifestations du 1er mai dernier. Devant le succès, une réimpression a été lancée, et il est possible de commander ce hors-série à un tarif ultra-compétitif :
1 000 exemplaires = 70 €
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Les prix de La Poste ne sont pas du tout proportionnels au poids, donc autant en prendre beaucoup. Pour commander, envoyez vos chèques à Fakir - 21, rue Eloi Morel 80 000 Amiens.
FAKIR
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