La Société des Nations, l’ancêtre de l’ONU actuelle, leur donne raison à la Conférence de San Remo, en 1920. Londres devient puissance mandataire de la Palestine, de la Transjordanie et de l’Irak et Paris reçoit les actuels territoires syrien et libanais sur lesquels la bourgeoisie française lorgnait depuis des décennies, souvent au nom de la « défense des chrétiens d’Orient », mais surtout pour écouler ses marchandises, réaliser des affaires et étendre sa sphère d’influence.
Pour commencer, Paris fragmente et divise le territoire en plusieurs provinces (États de Damas, d’Alep, État des Alaouites, du djebel druze et territoires de Lattaquié et d’Alexandrette), pas tant pour des raisons géographiques que pour mieux s’imposer, en instaurant des divisions là où il n’y en avait pas auparavant et en exacerbant les séparations religieuses et communautaires là où elles existent. Les troupes mandataires, elles, se comportent en armée coloniale. Elles lèvent l’impôt et ont mis de côté tous ceux qui, sous la tutelle ottomane, jouaient un rôle central dans l’administration. Paris réussit ainsi à faire passer la population syrienne de la défiance à la franche hostilité et à générer, y compris chez les grandes familles les plus disposées à négocier avec Paris, rancœurs et frustrations.
C’est dans ce cadre qu’une délégation de notable druzes est chargée en 1925 de porter leurs doléances au Haut-commissaire français en poste à Beyrouth. Non seulement le général Maurice Sarrail ne les reçoit pas mais il les fait tout bonnement arrêter. Il n’en faut pas plus pour mettre le feu aux poudres. La révolte qui commence tout d’abord dans le Djébel druze s’étend rapidement et déborde même du côté libanais. Au cours de l’été 1925, après que le sultan Al-Atrash se porte à la tête des insurgés et déclare la « révolte contre la France », les troupes coloniales essuient un certain nombre d’échecs cuisants.
Pour reprendre le contrôle de la situation, avec la bénédiction, encore une fois, de la Société des Nations, le gouvernement français conduit par le Cartel des Gauches décide d’envoyer des renforts pour reprendre le contrôle des campagnes (où une guerre de guérilla se poursuit jusqu’au printemps 1927) et de bombarder les villes qui refusent de se soumettre. Ce sera le cas, notamment, de Damas, Homs et Hama. La « pacification » de certains quartiers de la capitale n’interviendra pas avant le printemps 1926.
La « révolte druze » qui a dépassé, et de loin, les strictes limites communautaires dans laquelle les autorités coloniales avaient voulu l’enfermer, n’est pas un cas à part à l’époque. Toute la région actuellement secouée, d’une façon ou d’une autre, par « le printemps arabe », est marquée par la multiplication de mouvements de lutte contre le colonialisme, que ce soit dans le Rif marocain avec la rébellion d’Abdelkrim contre l’Espagne et la France, entre 1921 et 1926 (où les troupes françaises utilisent du gaz moutarde contre les populations rifaines) ou encore celle d’Omar Al-Moukhtar contre les troupes italiennes en Libye entre 1928 et 1931.
Dans le cas syrien, maniant le bâton et la carotte et surtout après la dévastation des campagnes, le bombardement des villes, le déplacement des populations et un pays à genoux, Paris fait quelques concessions en direction du mouvement national qui, militairement, n’a pas pu faire le poids face aux 50.000 hommes envoyés par la France pour faire plier Al-Atrash. Ce ne sera qu’en 1936, avec une grève générale de cinquante jours conduite par les travailleurs de Syrie que Paris sera forcé d’entamer des négociations pour reconnaître l’indépendance du pays dont la France, officiellement, n’était que « mandataire ». Soit dit en passant… le gouvernement de l’époque, celui de Léon Blum, du Front Populaire, refusera de ratifier le traité. Comme quoi, entre la gauche (colonialiste) française et le Proche et Moyen-Orient, c’est une longue histoire…
CT, 27/09/13