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Obamanie, quand tu nous tiens !

J’imagine que dans toute bonne école de journalisme, on apprend aux élèves à différencier texte de contexte et surtout, à « contextualiser », pour employer un mot à la mode, les événements, afin qu’une fois devenus des professionnels, ils sachent donner aux nouvelles qu’ils écrivent l’environnement qui est le leur et sans lequel elles sont souvent incompréhensibles. C’est là un savoir que les journalistes semblent toutefois oublier quand il s’agit d’aborder certains domaines où intervient l’ « idéologie ». Je n’en veux pour preuve que les récents comptes rendus des déclarations de Raúl, le 16 avril 2009, à Cumaná (Venezuela) à l’occasion du Cinquième Sommet extraordinaire de l’Alternative bolivarienne pour les Amériques (ALBA).

Ainsi, The New York Times informe, le 18 avril, sous la plume de Sheryl Gay Stolberg et d’Alexei Barrionuevo :

« PORT OF SPAIN, Trinité-et-Tobago " Le président Obama, cherchant à introduire le dégel dans les relations longtemps glaciales avec Cuba, a dit vendredi à une réunion de dirigeants du continent américain que « les Etats-Unis cherchaient un nouveau départ avec Cuba » et que son administration cherchait à s’engager avec le gouvernement castriste sur une large série de questions.

Les remarques d’Obama, fait à la cérémonie inaugurale du Sommet des Amériques, sont le signe le plus clair durant des décennies que les Etats-Unis sont disposés à changer de cap dans leurs relations avec Cuba et couronnent une série d’événements vertigineuse intervenue cette semaine, dont les paroles étonnamment chaleureuses entre Raúl Castro, le dirigeant cubain, et la secrétaire d’Etat Hillary Rodham Clinton. »

Là , j’avoue que c’est moi qui suis étonné ! Il est évident que les deux journalistes n’ont pas fait le moindre effort pour aller voir dans quel « contexte » Raúl avait dit être prêt à parler de tout avec les USA. Et quand on le fait, on constate aussitôt que le ton est rien moins que « chaleureux ».

Je fournis donc le contexte. C’est presque au début de l’ouverture du Sommet de l’ALBA. Hugo Chávez, hôte de la réunion, a la parole, en présentant les raisons d’être. Soudain, un adjoint lui passe un papier. Il s’interrompt et informe les présents des déclarations faites à Saint-Domingue par Hillary Clinton (il est trois heures de l’après-midi) selon laquelle elle a, entre autres choses, « pressé instamment Cuba de libérer les prisonniers politiques, de permettre le libre flux d’information et la liberté de réunion ». Je glose le commentaire de Chávez : eh bien, si c’est là le nouveau discours de l’administration Obama, c’est mal barré… Il passe la dépêche à Raúl, qui est assis à ses côtés et qui se plonge aussitôt dans sa lecture. Chávez reprend le fil de son discours. Différents présidents interviennent, tandis que la caméra de télévision se braque de temps à autre sur Raúl, toujours dans sa lecture.

A un moment donné de la réunion, Raúl se lève pour abandonner, semble-t-il, la salle. Mais il ne part pas, s’approche de Daniel Ortega, lui passe la main du cou, lui demande quelque chose, puis prend finalement la parole, debout, toujours le bras posé sur les épaules d’Ortega. Et là , alors, on se rend compte qu’il est furieux, énervé. Le ton est dur, sec. Il refuse de parler de l’OEA, mais en parle de fait, pour dire qu’elle suinte le sang depuis sa naissance. Il rappelle que ce 16 avril marque le quarante-huitième anniversaire du jour où Fidel affirme que la Révolution est socialiste, durant l’enterrement des victimes de bombardements de la veille, prélude de l’invasion qui débutera le 17 avril 1961. Il rappelle que l’OEA a approuvé toutes les atrocités de l’Empire, dont l’invasion du Guatemala en 1954 pour renverser Jacobo Arbenz. Il se demande pourquoi et par qui Cuba a été attaquée. Il évoque que le terrorisme d’Etat des Etats-Unis contre la Révolution cubaine a fait plus de 5 500 victimes, entre morts et mutilés, dans la population. Il évoque l’épidémie de dengue hémorragique introduite par des terroristes et qui a coûté la vie à plus de cent personnes, la plupart des enfants. Il rappelle les morts de Playa Girón, les combats, avec la flotte étasunienne, dont un porte-avions, à la limite des eaux territoriales (trois milles). Il évoque ce qu’il se serait passé si les Etats-Unis avaient envahi le pays en 1962, comme tous les documents déclassifiés prouvent qu’ils allaient le faire pour venger l’humiliante défaite de Playa Girón et liquider une fois cette Révolution cubaine qui leur résistait, la présence des fusées soviétiques ayant répondu à cette menace tout à fait précise.

Et c’est presque à la fin de cette philippique contre les Etats-Unis, contre ce qu’ils représentent comme pire ennemi de la nation cubaine depuis deux cents ans et de la Révolution cubaine depuis cinquante, alors qu’il n’a pas décoléré depuis le début de son intervention, qu’il lâche la fameuse phrase que la presse internationale, d’un même élan, a mis en exergue, comme s’il n’avait dit que ça. En fait, il répond exactement aux déclarations d’Hillary Clinton qu’il a lues un peu plus tôt.

« Et puis aussi, comme Evo et d’autres compagnons en ont parlé ici, la démocratie, la liberté, les droits de l’homme… Eh bien, nous avons fait dire au gouvernement étasunien, en privé et en public, que les droits sont là pour qu’on en discute, tous les droits : les droits de l’homme, la liberté de la presse, les prisonniers politiques, tout, tout, tout. Tout ce qu’ils veulent discuter, mais sur un pied d’égalité, sans la moindre ombre à notre souveraineté, sans la moindre violation du droit du peuple cubain à l’autodétermination ! (Applaudissements.) »

Et là , malheureusement, la traduction sur papier ne donne rien du ton de l’orateur, et des gestes. Il est furieux, il est excédé d’entendre une fois et encore le même langage, la même ritournelle. Il se prend la tête dans les mains, il supplie presque : le ton est : mais quand aurez-vous fini de nous juger ? Y’en marre ! Et quand il dit que Cuba est prête à discuter « des droits de l’homme, de la liberté de la presse, des prisonniers politiques, tout, tout, tout », le ton veut exactement dire, contrairement à ce que pense la presse internationale qui y voit là un début de « sagesse », non de ces droits à Cuba, mais de ces droits chez vous aussi, parce que votre liberté de la presse est douteuse, parce que vous avez des prisonniers politiques, parce que vos droits de l’homme sont sacrément violés… Ce n’est pas pour rien qu’il rappelle qu’il n’y a qu’un seul parti aux USA. Que la liberté de la presse y est celle des patrons.

Et ce n’est pas pour rien, non plus, qu’il affirme que, après avoir fait le petit pas si porté aux nues (levée des restrictions aux voyages et aux envois de fonds, mais uniquement pour les Cubano-Américains, la Maison-Blanche se croit en droit de poser des conditions :

« Mais, et je vais conclure là -dessus, il est évident que maintenant ils se doivent de créer un climat, et à peine vous différez sur quelque chose, aussitôt ils vous sortent : et la démocratie ? Et la liberté ? Et les prisonniers ? »

Et ce premier geste, « minime », selon le qualificatif de Fidel, semble de toute évidence si suffisant pour la Maison-Blanche qu’Hillary Clinton et tous les porte-parole ne se cachent pas pour dire que la balle est maintenant dans le camp de Cuba, je n’en veux pour preuve que ces déclarations de samedi (tiré du Temps de Lausanne)

« Le porte-parole de M. Obama, Robert Gibbs, a dit que certaines déclarations de M. Castro avaient particulièrement retenu l’attention, à commencer par celles dans lesquelles il reconnaissait que les dirigeants cubains n’étaient que des "êtres humains" et qu’ils avaient pu se tromper par le passé.

« "C’est un changement de rhétorique de leur part comme nous n’en avons pas vu depuis un moment et qui mérite certainement que nous l’examinions plus profondément", a commenté M. Gibbs.

« Mais à la presse qui lui demandait si la balle était toujours dans le camp de Cuba malgré ce que la secrétaire d’Etat Hillary Clinton a salué comme une ouverture de la part de M. Castro, il a répondu : "Elle l’a toujours été".

« "Il est très juste de dire" que M. Obama attend à présent des mesures de réciprocité, a-t-il ajouté.

« Il a fait valoir que M. Obama avait manifesté concrètement cette semaine sa volonté de changer la nature des relations en levant toutes les restrictions sur les voyages et les transferts d’argent des Cubains des Etats-Unis vers leur île d’origine.

« "Les sourires et les poignées de mains, et le souhait d’un dirigeant qui dit vouloir être l’ami du président, tout cela c’est une chance magnifique de joindre les actes à la parole. Et le président et d’autres dans son administration attendent avec impatience ces nouveaux gestes", a expliqué M. Gibbs, sans qu’il apparaisse clairement s’il parlait de M. Castro ou peut-être de son allié vénézuélien Hugo Chavez. Ce dernier, bête noire du gouvernement de George W. Bush, a offert vendredi son amitié à M. Obama.

« Un haut responsable de la Maison Blanche a cependant reconnu que maints dirigeants d’Amérique latine réunis avec M. Obama samedi matin lui avaient à nouveau demandé de lever l’embargo.

« M. Obama leur a répondu qu’il comprenait l’importance de la question pour eux. Mais dans un appel voilé à se joindre aux pressions américaines, il a ajouté qu’eux aussi, tous démocratiquement élus, devaient se préoccuper de démocratie à Cuba, a expliqué ce responsable sous couvert de l’anonymat. »

Si Obama, son Hillary Clinton et son département d’Etat pensent qu’un petit geste peut biffer cinquante ans de forfaitures contre la Révolution cubaine, et des milliers de victimes, ou s’ils pensent qu’il suffit de dire qu’il faut, du passé, faire table rase pour que le contentieux disparaisse comme par enchantement, ou s’ils croient que les fleurs de rhétorique (« laissons de côté l’idéologie », a-t-il dit à ses pairs latino-américains) peuvent noyer des siècles d’intervention et des centaines de milliers de victimes, s’ils pensent qu’il suffit de se justifier en disant qu’il n’est pas responsable, eh bien, alors, les choses n’avanceront guère, ni avec l’Amérique latine, ni, à plus forte raison, avec la Révolution cubaine !

Et si c’est vrai qu’il s’estime non responsable des actions de ses prédécesseurs, alors qu’il se démarque concrètement de leurs faits et gestes. Un seul exemple, mais ils fourmillent : dire que la Doctrine Bush vis-à -vis de Cuba n’est plus valable, démanteler la Commission présidentielle pour la transition démocratique à Cuba, parce que, que je sache, c’est là un document officiel de la Maison-Blanche qu’hérite le nouveau locataire (Raúl a rappelé que l’invasion de Playa Giron a été peaufinée par Eisenhower, mais que c’est Kennedy qui l’a matérialisée…). C’est tout bête. Ou alors, demander pardon à Cuba pour toutes les victimes qu’ont causées ses prédécesseurs.

Quant aux gros dossiers, ils ne manquent pas non plus. Au hasard, et sans ordre ni préférence : la base de Guantánamo usurpée et illégale au vu du droit international ; la loi d’ajustement cubain ; la mise sous séquestre des fonds cubains, utilisés pour payer des indemnisations à des contre-révolutionnaires ; la mise sous séquestre des fonds en rapport avec les communications téléphoniques ; l’annulation du vol des marques commerciales cubaines aux USA, etc. Sans parler des Cinq qu’il lui suffirait de gracier pour empêcher la continuation d’une injustice flagrante, ou alors ordonner à son département d’Etat de délivrer des visas aux deux épouses qui n’ont plus vu leur maris emprisonnés depuis dix ans. Ou alors indemniser les victimes des attentats terroristes. Ou juger les terroristes cubano-américains que ses prédécesseur n’ont jamais jugés, ou alors les extrader au Venezuela ou au Panama qui les réclament, ou alors directement à Cuba…
Bref, des gestes, Obama en a tant à faire qu’il ressemblera très vite à un moulin à vent en pleine tempête. Avant que l’équilibre soit atteint sur ce plan entre les deux pays, il va devoir user nombre de ces fameux stylos-plumes de la Maison-Blanche dont le président fait ensuite cadeau aux invités.

Parce que, que je sache, l’agresseur a été toujours et toujours la Maison-Blanche et ses dépendances. Comment ose-t-on demander à la victime de faire amende honorable !
Car le fond, le vrai fond, reste le même, indépendamment des locataires dormant dans les draps de la Maison-Blanche : cette volonté inébranlable des gouvernements étasuniens, depuis maintenant cinquante ans, de contraindre Cuba à renoncer à son système politique, économique et social, si celle-ci veut avoir des relations normales avec les Etats-Unis. Au nom de quel droit ? Du plus fort, de l’arrogant, du tout-puissant. Quand le Costa Rica a tout récemment renoué les relations avec Cuba - et Dieu sait si son président est un ennemi juré de la Révolution ! - il n’a pas demandé en échange à Cuba de renoncer à son système politique. Pourquoi les USA n’en feraient-ils pas autant et ne renoueraient-ils pas les relations sans rien demander en échange ou imposer des conditions ?

Devant les prises de position officielles aux USA, on comprend l’irritation de Raúl. Non, de chaleureux, je n’ai vu trace dans son intervention… De sorte que les déclarations de samedi remettent les pendules à l’heure et les choses en place. C’est une bonne chose. Rien n’est pire que l’aveuglement.

Heureusement, la Révolution cubaine est toujours aussi lucide, et l’Amérique latine voit de plus en plus clair. Une vrai Opération Miracle ! A laquelle il faudrait soumettre Obama et Cie.

Jacques-François BONALDI
La Havane


EN COMPLEMENT

Intervention de Raúl Castro Ruz, président du Conseil d’Etat et du Conseil des ministres de la République de Cuba, au segment public de la Septième Conférence au sommet de l’Alternative bolivarienne pour les Amériques (ALBA), à Cumaná (Venezuela), le 16 avril 2009.

Raúl Castro. ...Rappelle-toi que tu dois me passer la parole pour que je puisse remercier tout le monde, en particulier ceux qui ont déjà pris la parole - mais je ne vais pas exclure Daniel, parce qu’il le fera sûrement, comme il l’a fait durant toute sa vie de révolutionnaire - au nom de Cuba, pour toutes les marques de solidarité et d’appui à notre Révolution, à notre peuple, et aussi, par conséquent, au chef de notre Révolution, le compañero Fidel Castro qui nous écoute en direct (applaudissements).

Je ne vais pas m’étendre, je parlerai sur les autres points. Et je dois aussi prendre la parole, selon ce qu’on m’a dit, au meeting de masse, n’est-ce pas ?, sur la place. Je ne sais pas encore comment ça se fera. Il y aura des discours sur la place ?

Hugo Chávez. Oui. Nous te demandons de prendre la parole en notre nom à tous.

Raúl Castro.- Non, c’est une très grande responsabilité. Au mieux l’hôte principal…

De toute façon, ce que j’ai écouté ici cet après-midi ne me surprend pas. On sait que le monde entier, sauf les Etats-Unis, leur allié principal, Israël, et tel ou tel pays qui à l’occasion s’abstient ou vote contre à l’Assemblée générale des Nations Unies, condamne le blocus.

Je ne veux pas parler de l’OEA. J’en ai parlé à Sauà­pe, au Sommet de Rio, pas vrai ? De plus, mon ami Zelaya aura une réunion avec tous les délégués fin mai début juin. Je ne veux pas non plus répondre aux récentes affirmations de M. Insulza, parce que le compañero Fidel l’a fait voilà quelques heures.

On pourrait dire bien d’autres choses de l’OEA. Par exemple, qu’elle suinte le sang depuis sa naissance. Cuba en est un exemple. Mais il y avait déjà eu des Cuba avant. Le Guatemala, mettons. J’étais en prison pour l’attaque de la Moncada, en 1954, et j’ai écouté à la radio l’intervention au Guatemala. Pourquoi cette intervention ? Parce qu’un président honnête, qui avait été colonel de l’armée, Jacobo Arbenz, une fois élu à la présidence selon toutes les règles du jeu imposées par les Etasuniens dans ce pays, et par les classes dominantes dans tous les pays du monde, a voulu donner un peu de terre aux aborigènes, aux Indiens, aux descendants de la grande culture maya. Et que s’est-il passé ? Trois personnages : Eisenhower, son secrétaire d’Etat, Foster Dulles, et son frère, Allen Dulles, qui était le chef et le fondateur de la CIA, ont décidé de lancer une opération mercenaire, conduite par un certain Castillo Armas. Cette histoire, tous ceux qui sont ici dans cette salle la connaissent.

A peine sept ans plus tard, en 1961, hier justement, les deux principales villes de notre pays et des bases aériennes ont été bombardées.

Et aujourd’hui même, voilà quarante-huit ans - certains l’ont signalé ici - lors des funérailles des victimes de ces bombardements, Fidel a affirmé que la Révolution était socialiste, quand l’agression en cours était évidente. Et une masse de peuple - parmi laquelle il y avait de simples citoyens, je veux dire des ouvriers, des étudiants, des paysans, l’Armée rebelle qui deux ans plus tôt avait vaincu la tyrannie de Batista, la police - a brandi ses fusils en l’air et a appuyé cette décision. Et le lendemain, elle est partie verser son sang pour repousser cette agression.

Pourquoi nous a-t-on agressés ? C’est ce même trio qui a tout préparé, le trio qui avait attaqué le Guatemala sept ans plus tôt, bien avant que le mot de socialisme n’ait été mentionné à Cuba.

Eh bien, quatre mois et demi après la victoire, le 17 mai 1959, la Révolution a promulgué la première loi de réforme agraire dans notre pays, la loi la plus importante depuis la victoire. Et je dis que ça a été notre Rubicon. Le franchir a été la condamnation à mort de la Révolution cubaine par ceux qui avaient décidé sept auparavant l’invasion du Guatemala, parce que Foster Dulles était en effet un des avocats de l’United Fruit Company, une compagnie qui s’appelait à Cuba, non la Fruit, mais l’United Sugar Company, dont une partie de terres a été touchée par la réforme agraire.

Je fais un résumé de l’histoire récente. A Sauà­pe, au Brésil, j’ai parlé des plus de 5 500 victimes, avec plus de morts que de mutilés, que le terrorisme d’État des États-Unis a causées à notre peuple. La liste de ces actes terroristes serait interminable, comme l’épidémie de dengue hémorragique qui a frappé des centaines de milliers de personnes à la fois, au point que nos hôpitaux étaient saturés. Et des organismes internationaux affirment qu’il est impossible que ça ait été une épidémie normale. Je ne parlerai pas du sabotage de l’avion de la Barbade et de ses soixante-treize victimes, dont toute l’équipe junior d’escrime de Cuba qui avait empoché, justement ici, au Venezuela, toutes les médailles d’or. Je ne parlerai pas des gens morts à Playa Girón.

C’est hier, voilà maintenant quarante-huit ans, que nos compagnons ont commencé à tomber sous les bombardements, et c’est demain, à partir du petit matin, que des dizaines d’autres ont commencé à tomber au cours des combats, parce que nous avons plus de pertes que les agresseurs.

Fidel nous avait ordonné, et avec raison, de liquider cette agression dans les soixante-douze heures. Le panorama était clair. Les Étasuniens avait formé un gouvernement fantoche sur la base militaire d’Opa-Locka en Floride, avec à sa tête un certain Miró Cardona, qui était l’ancien Premier ministre, avec un conseil des ministres. L’invasion a lieu. Leur idée était d’occuper une tête de pont, parce que l’endroit était protégé par les marais de Zapata, le plus grande étendue de terres humides des Antilles, il n’y avait qu’une seule route, que nous venions juste de construire, et il fallait avancer en file indienne à cause des marais de chaque côté. Nos troupes ne pouvaient donc pas se déployer, et elles ont eu plus de pertes qu’eux.

A l’époque, les eaux territoriales ne faisaient que trois milles - maintenant, c’est douze - et donc, juste un peu au-delà des trois milles, il y avait une flotte étasunienne, avec un porte-avions, les marines… Des paires d’avions de combat étasuniens ont survolé à deux reprises le théâtre d’opération, sans rien faire, mais en tout cas ils ont survolé l’endroit.

Pourquoi l’OEA n’a-t-elle pas fait en 1961 ce qu’elle a fait en janvier 1962, nous expulser ? Elle nous avait déjà condamnés à Santiago-du-Chili, elle nous avait déjà condamnés à San José du Costa Rica, elle avait créé peu à peu les conditions, bien entendu sous la baguette de ceux qui la dirigeaient depuis sa fondation en 1948. Pourquoi ne nous expulse-t-elle pas avant ? Parce que si le gouvernement fantoche était parvenu à se consolider à Playa Girón, - ou plutôt dans la baie des Cochons, qui est son vrai nom, parce que Playa Girón était alors un hameau, et maintenant un centre touristique - il aurait demandé de l’aide à l’OEA qui l’aurait reconnu, et une partie des forces étasuniennes qui se trouvaient un tout petit peu au-delà de trois milles de nos côtes nous aurait envahis.

Que se serait-il passé si des troupes étasuniennes avaient envahi Cuba en 1961 ? Je fais juste une comparaison : combien de morts y a-t-il eu dans la république soeur du Guatemala à la suite de cette intervention de 1954, organisée elle aussi par les Yankees, dirigée elle aussi par les trois mêmes personnages que j’ai mentionnés avant, appuyée elle aussi par l’OEA ? Pourquoi l’OEA n’a-t-elle pas condamné cette invasion-là  ?

Selon différents historiens contemporains, à la suite de cette intervention et des dictatures qui ont ensuite ravagé cette république soeur, il y a eu de deux cent cinquante à trois cent mille morts. Est-ce vrai ou pas ? Cette quantité-là  ? Plus ? Moins ? Des centaines de milliers de victimes. Quels sont les responsables ? Qui les a accusés ? Sauf les peuples, les gens honnêtes, juste tel ou tel gouvernement.

Combien de morts aurait-eu Cuba, bien plus peuplée, bien mieux armée, même alors, avec une tradition de lutte dont les lauriers avaient reverdi tout récemment avec la victoire de la Révolution, en 1959, avec des centaines de milliers de citoyens armés à ce moment-là  ? Qui pourrait le calculer ?

L’impérialisme allait-il accepter tout simplement cette défaite, cette humiliation - tout à fait involontaire, bien entendu - causée par un petit pays des Caraïbes et de notre continent ? Allait-il le permettre ?

Le 2 janvier 1961, pour fêter le second anniversaire de la Révolution - qui avait eu lieu le 1er janvier, un jour férié - Fidel avait prononcé un discours sur la place de Révolution. Eisenhower, auquel il ne restait plus que dix-sept jours de présidence, en avait pris prétexte pour rompre les relations avec nous, le 3 janvier 1961, donc. Playa Girón a eu lieu en 1961. L’OEA nous a expulsés le 31 janvier 1962. Et pourquoi ne l’a-t-elle pas fait avant, en 1961, juste avant Playa Girón ? Parce que le gouvernement fantoche qui allait s’installer devait demander l’aide de l’OEA et qu’il fallait donc que Cuba en fasse partie. Et pourquoi nous expulse-t-elle en 1962, ou nous sépare ou nous suspend, ce qui revient au même ? Parce que, cette fois-ci, il ne s’agissait plus d’une invasion mercenaire ; cette fois-ci, c’était une invasion directe des Etats-Unis ! Et c’est justement cette situation - on n’a rien écrit ou pas grand-chose à ce sujet - qui explique la présence des fusées soviétiques à Cuba, des fusées qui ont empêché l’invasion prévue.

Tout ça est démontré maintenant par les documents déclassifiés par la CIA, par le Pentagone, bref, par le gouvernement étasunien, déclassifiés avec beaucoup de censures, mais en tout cas c’était bel et bien le plan. L’invasion n’a pas eu lieu, parce que la crise s’est réglée autrement, ce qui a provoqué de sérieuses divergences entre nous et Khrouchtchev, le Premier ministre soviétique, pour la façon dont il avait fait les choses, en nous ignorant. Et personne au monde ne peut nous ignorer, ni le plus grand pays du monde, ni un groupe de pays, même si ce sont les plus grands du monde, ni les G-7, ni les G-20 ! (Applaudissements.)

Voilà la triste réalité. D’abord, on ne fait que nous sanctionner, on nous condamne à plusieurs réunions, on crée l’ambiance, mais on ne nous expulse pas de l’OEA, en prévision de cette demande d’aide, et après, oui, on nous expulse. Les États-Unis avaient même accéléré les préparatifs de Playa Girón, après avoir appris que nous avions acheté des armes, que nous formions des pilotes de guerre à l’étranger, etc.

Et puis aussi, comme Evo et d’autres compagnons en ont parlé ici, la démocratie, la liberté, les droits de l’homme… Eh bien, nous avons fait dire au gouvernement étasunien, en privé et en public, que les droits sont là pour qu’on en discute, tous les droits : les droits de l’homme, la liberté de la presse, les prisonniers politiques, tout, tout, tout. Tout ce qu’ils veulent discuter, mais sur un pied d’égalité, sans la moindre ombre à notre souveraineté, sans la moindre violation du droit du peuple cubain à l’autodétermination ! (Applaudissements.)

Je ne comprends pas cette démocratie des États-Unis, je ne la comprends pas. Je l’ai même dit à des Étatsuniens : aux USA, il n’y a qu’un parti, qu’un seul parti. Étudiez donc l’histoire des deux partis, étudiez la manière de faire, la façon d’agir chaque fois qu’il y a une décision importante à prendre ! Leur système, leur presse, ça c’est sûr, sont bien huilés. Il se peut qu’une maison d’édition ou un groupe de journaux, comme il en existe aux USA et en Europe, appartenant à une seule entreprise, ouvre plus grand l’éventail et dise aux journalistes : de ce point, vous pouvez écrire ce que vous voulez, mais du reste, vous ne pouvez écrire que ce que veut le patron du journal, ou de la station radio ou de la chaîne de télévision. C’est comme ça. Sinon, que quelqu’un me prouve le contraire.

Je disais donc qu’il y a un seul parti. « Comment ça ? », s’étonne-t-on. Et je dis : « Oui. Vous en voulez un seul exemple ? Comment se fait-il qu’une administration républicaine, celle d’Eisenhower, organise une expédition contre Cuba et que, trois mois après être entrée en fonction, une administration démocrate l’autorise ? » C’est la réalité. Je pourrais parler encore de bien d’autres choses ici.

Nous pouvons nous tromper, nous l’admettons, nous sommes humains ; nous sommes prêts à discuter, je l’ai dit, quand ils veulent. Mais, et je vais conclure là -dessus, il est évident que maintenant ils se doivent de créer un climat, et à peine vous différez sur quelque chose, aussitôt ils vous sortent : et la démocratie ? Et la liberté ? Et les prisonniers ?

La dernière fois, à Brasilia, un journaliste, un insolent, un provocateur, après une réunion avec le président Lula, m’a demandé : « Combien de dissidents avez-vous fusillés ? » Il tremblait quand je lui ai répondu de la façon dont je sais parfois répondre. Il tremblait, et je lui ai dit : « Ah ! oui, les fameux dissidents, ces gens à la solde des États-Unis… Va donc voir le dernier budget que le Congrès a voté pour eux, un total de 57 millions de dollars pour financer tous ces "patriotes", ces "journalistes indépendants", etc. ! Et pourquoi les USA ne libèrent-ils pas nos cinq héros, des jeunes héroïques qui n’ont fait aucun mal aux États-Unis, qui n’ont pas cherché de renseignements contre les États-Unis, mais contre les terroristes qui ont attaqué avec plus ou moins d’intensité, durant ces presque cinquante ans, mon pays ? »

C’est là que j’ai fait une proposition, que je ratifie ici aujourd’hui : s’ils veulent la liberté de ces prétendus « prisonniers politiques », parmi lesquels certains sont des terroristes passés aux aveux, des Guatémaltèques et des Salvadoriens, qui ont été jugés à Cuba, condamnés à la peine capitale - que nous maintenons, mais que nous n’appliquons pas depuis longtemps - bien que nous ayons commué celle-ci en prison à perpétuité, alors, qu’ils libèrent nos prisonniers et nous leur expédions là -bas, avec la famille et tous ceux qui veulent, ces prétendus dissidents et patriotes ! (Applaudissements.)

Je pourrais dire encore bien des choses dans ce genre… Evo, si après ce que tu viens de dire aujourd’hui, on t’expulse de l’OEA parce qu’incompatible avec le marxisme-léninisme, eh bien, la Bolivie et Cuba, nous formerons quelque chose d’autre qui ne s’appellera pas OEA, loin de là , et nous y admettrons ceux qui veulent nous accompagner ! (Applaudissements.)

Chávez, pardonne-moi d’avoir parlé si longtemps et d’une manière si informelle… J’allais sortir, j’allais m’excuser auprès de Daniel et puis je lui ai ôté la parole… C’est un abus de pouvoir. Peut-être parce que, comme je porte l’uniforme… (rires).

Je vous remercie. (Applaudissements.)

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