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L’éthique en politique : éduquer par l’exemple

N’en déplaise au journal Le Monde, le guévarisme est bien un humanisme

Le journal le Monde a de nouveau publié ces jours-ci un article paru au début de ce siècle et parodiant Jean-Paul Sartre : le guévarisme ne serait donc pas un humanisme ?... Peut-être faudrait-il savoir de quoi on parle quand on parle d’humanisme, et distinguer l’humanisme bourgeois de l’humanisme révolutionnaire !

Ceux qui l’ont connu ont souvent présenté le Che comme un homme pressé qui peut-être avait l’intuition que sa vie serait courte. Aussi ne perdait-il jamais de temps, enseignant à lire, écrire et compter aux paysans de la Sierra, étudiant sans répit la littérature, la poésie, mais aussi l’économie et les mathématiques financières. Et il ne s’agissait pas que de sa propre personne puisqu’il voulait que l’être humain soit dans une situation lui permettant de s’accomplir pleinement, c’est à dire développer toutes ses potentialités. Tel est le privilège d’une élite dans le système capitaliste qui s’emploie précisément à amputer l’être humain de son humanité. A l’inverse, on pourrait définir le socialisme comme un mode de production qui rend possible cet accomplissement. Dans le Manifeste du Parti Communiste, Marx et Engels parlent déjà d’ « une association où le libre développement de chacun sera la condition du libre développement de tous ».

Le Che a sans doute lu et relu le Manifeste, mais il va plus loin que la libre possibilité du développement de chacun. Il s’agit, pour le Che, d’aller « jusqu’au bout de ce que l’on peut », comme le disait Deleuze, c’est à dire d’exprimer toute sa puissance dans l’expansion totale de l’être. Nombreux furent ceux qui ne le comprirent pas et considérèrent comme du volontarisme ce qui est en fait de l’héroïsme et de l’exemplarité.

Il n’aurait jamais pu, selon Alberto Granado, qui l’a accompagné lors de son premier voyage initiatique en Amérique du sud, exiger de quelqu’un ce qu’il n’aurait pas été capable de faire lui-même. En tant que guérillero, il s’engageait toujours dans les missions les plus périlleuses, et n’aurait jamais eu l’idée d’y envoyer à sa place l’un des hommes qu’il avait sous ses ordres. Plus tard, une fois ministre de l’industrie, il coupait lui-même la canne à sucre pour inciter les autres à le faire. Le Che pensait devoir donner l’exemple de l’image qu’il avait de l’homme tel qu’il devait être. Pour lui, le dirigeant n’est pas tant celui qui donne des ordres que celui qui donne l’exemple, à travers sa personne, de ce qu’il convient de faire. L’authenticité, ici, réside dans le fait qu’il y a adéquation entre l’acte posé et l’image donnée de l’être humain tel qu’il sera, ou devra être, dans la société communiste de l’avenir. Voilà pourquoi il est possible de parler de pédagogie par l’exemple : le Che s’efforce, en toutes circonstances, d’être un exemple de ce qu’il pense que l’homme doit être. C’est à travers lui-même qu’il a dessiné l’image de l’homme nouveau.

« Je suis capable de sentir en moi la faim et les souffrances de n’importe quel peuple d’Amérique, fondamentalement, mais aussi de n’importe quel peuple du monde. »

Ainsi, quand il affirme que le révolutionnaire est celui qui fait la révolution, le Che veut dire qu’on ne peut se prétendre révolutionnaire ni éprouver sa valeur en tant que révolutionnaire si on n’a pas fait la révolution. La révolution signifie qu’une rupture décisive est marquée et que s’installe un ordre radicalement différent du précédent, ce qui implique un « avant » et un « après ». C’est dire que la révolution ne saurait être partielle : il ne s’agit pas de changer certains aspects, d’apporter des réformes, mais de changer tout, y compris cette partie du tout qu’est l’être humain. La révolution a ceci d’essentiel qu’elle refuse, d’emblée, de se situer dans le cadre de la conservation de l’ordre existant. Et, puisque l’être humain fait partie de cet ordre existant, il doit lui aussi se transformer. C’est ici qu’intervient l’humanisme révolutionnaire de Che Guevara : changer le mode de production sans changer l’homme est un leurre. Comment se développe cet humanisme révolutionnaire chez le Che ? Lors de son premier voyage en Amérique du sud, son « Amérique Majuscule », il acquiert une conscience très aiguë de la contradiction entre ce qui est et ce qui doit être. Dès lors, la révolution deviendra pour lui un devoir et une nécessité. Un devoir, parce que, du point de vue du marxiste qui commence à poindre en lui, et en vertu de sa rigueur morale, c’est un impératif catégorique que de mettre fin à toute situation où l’homme est opprimé, humilié, réduit à l’esclavage. Et une nécessité aussi, une nécessité vitale pour ceux dont le but immédiat est de survivre. Le Che déclarait à l’ONU en 1964 : « Je suis capable de sentir en moi la faim et les souffrances de n’importe quel peuple d’Amérique, fondamentalement, mais aussi de n’importe quel peuple du monde. »

Il s’agit bien ici d’un humanisme conséquent donc révolutionnaire. En effet, cet humanisme devient révolutionnaire dès qu’il saisit les véritables causes de l’oppression - en l’occurrence l’impérialisme yankee - et qu’il prend la résolution de les combattre pour aider à transformer effectivement cet ordre existant injuste. S’il ne le fait pas par crainte de la violence, l’humanisme reste abstrait : ce n’est qu’un discours sentimental et stérile.

C’est comme médecin que le Che enfourche pour la première fois sa « Rossinante ». C’est comme révolutionnaire qu’il reviendra de ce premier voyage initiatique. Dès lors, son engagement est clair et définitif : le révolutionnaire, c’est celui qui fait la révolution. Cette formule peut paraître redondante à qui ne prend pas la révolution au sérieux, ou qui se satisferait d’avoir des idées révolutionnaires ou considérées comme telles. En réalité, elle signifie que les intentions, idées et paroles ne suffisent pas à faire d’un homme ou d’une femme des révolutionnaires, et que c’est la révolution qui fait le révolutionnaire. N’importe qui peut avoir des idées révolutionnaires. Quant à agir pour la mettre en œuvre, et s’y confronter physiquement, ce n’est pas le lot du commun des mortels. S’engager dans une lutte révolutionnaire, c’est assumer jusqu’aux ultimes conséquences de ses idées et de ses idéaux, c’est à dire risquer la mort.

« Soyez toujours capables de sentir, au plus profond de vous-mêmes, toute injustice commise contre quiconque en quelque partie du monde. C’est la plus belle qualité d’un révolutionnaire »

Certains ne voient là-dedans qu’une passion romantique alors qu’il s’agit de l’expression authentique de l’humanisme. Et si on approfondit un peu le sens de la formule pré citée, on comprend que c’est un pied de nez à tous ceux qui, à l’époque, en Europe comme dans les autres continents, étaient partisans de la théorie des étapes, affirmant la nécessité d’attendre que toutes les conditions subjectives et objectives soient réunies pour faire la révolution. Il leur était facile de se rassurer à bon compte sur leur propre valeur de révolutionnaires : ils n’avaient qu’à s’autoproclamer marxistes-léninistes ! Par contre, payer de sa personne et lutter les armes à la main est plus risqué qu’attendre Godot. Certains n’ont pas hésité à qualifier le Che d’aventurier romantique pour avoir osé le faire. Ainsi, on ne peut se prétendre révolutionnaire avant d’avoir fait la révolution. Ce sont les actes, bien plus que les idées ou les discours, qui constituent l’être humain et lui donnent sa valeur. L’humanisme révolutionnaire du Che est bien une philosophie de l’action, ce qui n’a rien à voir avec un activisme inconséquent. La cohérence du Che, c’est d’avoir mis ses actes en accord avec ses idées en pleine conscience et acceptation du prix à payer. On peut toujours estimer qu’il a commis des erreurs – le contraire serait surprenant – mais il a payé de sa personne, donnant à ses actes une dimension universelle. En effet, le Che exprime, à travers son exemple personnel, le fait que la valeur d’un être humain s’éprouve, qu’elle n’existe pas à priori, indépendamment des actes qu’il accomplit. Il affirme la valeur universelle de la révolution par le fait même qu’il y participe. Ainsi, l’humanisme révolutionnaire n’a rien d’un angélisme qui décréterait que « tous les hommes sont frères », prenant alors ses désirs pour la réalité. Il n’accepte pas de renvoyer dos-à-dos l’oppresseur et l’opprimé : il prend position en faveur des opprimés, non pas en tant qu’opprimés, car il ne s’agit pas de pitié ni d’amour de la misère, mais en tant qu’ils luttent effectivement en vue d’un monde meilleur.

« Il ne s’agit pas de plaindre la victime, mais de partager son sort »

L’humanitarisme, au contraire, est la bonne conscience des bourgeois, qui est autant la cause que l’effet de l’oppression. Ainsi, et contrairement à ce que pense la majorité, celui qui fait de l’humanitaire n’est pas un humaniste puisqu’il permet à l’oppression de se perpétuer.

Enfin, on reproche à la révolution et au révolutionnaire leur violence. Or, la violence ne peut être humaniste. Mais peut-on, sans se contredire, considérer l’oppression qui précède la révolution autrement que comme une violence ? Il reste alors à choisir entre la violence révolutionnaire qui met fin à l’oppression, et la violence oppressive qui perdure ad vitam æternam. Or, l’humanitarisme s’accommode fort bien de cet immobilisme.

Il s’agit, pour le Che, d’assumer la situation des opprimés, de partager leur sort, et de lutter avec eux, et non pour eux.

Le processus de conscientisation, mené parallèlement à celui de la révolution, permet au peuple de s’emparer du pouvoir et de l’exercer en son nom. Mais ce n’est pas tout : il constitue également une éducation qui transforme l’être humain de l’intérieur et rend plus aisée la transition vers le socialisme.

Ainsi, le Che prend position en faveur des humiliés qui luttent pour une existence digne. Ceci implique de sa part une sensibilité face aux injustices : « Soyez toujours capables de sentir, au plus profond de vous-mêmes, toute injustice commise contre quiconque en quelque partie du monde. C’est la plus belle qualité d’un révolutionnaire », écrit le Che à ses enfants avant de partir pour le Congo.

Mais bien sûr, il ne se contente pas de ressentir : il agit en conséquence. L’action doit toujours être en accord avec la pensée. Il ne s’agit pas, il ne suffit pas de déplorer la misère, l’exploitation, etc... Le Che est très clair là-dessus dans son Message à la Tricontinentale rédigé en 1966 : « Il ne s’agit pas de plaindre la victime, mais de partager son sort ».

« Laissez-moi vous dire, au risque d’être ridicule, que le révolutionnaire est habité par un grand sentiment d’amour »

D’ailleurs, à l’époque où il écrivait ce texte, il préparait déjà son expédition en Bolivie de façon à partager justement le sort des peuples bolivien et vietnamien. Mais précisément, s’il avait pris cette décision, c’est qu’il avait été capable de saisir ce « moment illogique de l’histoire », où le Vietnam était « tragiquement seul  » face à l’ennemi yankee. La dimension affective de la sensibilité révolutionnaire y est donc pleinement à l’œuvre. Quand le Che disait qu’il fallait « s’endurcir sans jamais perdre sa tendresse  », il voulait dire que le révolutionnaire doit être capable de supporter des conditions de vie très dures, mais qu’il ne doit pas pour autant régresser à l’état animal ; il doit rester pleinement humain, accessible à la détresse humaine, et même développer au maximum cette aptitude. Sans cette aptitude, qui est finalement une aptitude à aimer, il n’y a pas d’être humain intégral. « Laissez-moi vous dire, au risque d’être ridicule, que le révolutionnaire est habité par un grand sentiment d’amour ».

Nul doute que cet amour est une force, et non une faiblesse pour le révolutionnaire parce qu’il produit la vie en déployant l’intensité de sa propre vie. Il déborde des limites de l’individualité et constitue en cela une transcendance. Cet amour participe de cet acte créateur et libérateur qu’est la révolution.

Le souci d’autrui et de sa dignité fait partie intégrante de la morale communiste. Voici ce que le Che écrit dans le prologue du livre Le parti marxiste-léniniste :

« Le marxiste doit être le meilleur, le plus capable, le plus complet des êtres humains, mais toujours et par-dessus toutes choses, un être humain : un militant d’un parti qui vit et vibre avec les masses ; quelqu’un qui donne sens et organise en directives concrètes les désirs parfois obscurs de la masse ; un travailleur infatigable qui se donne tout entier à son peuple... »

« Tout homme digne de ce nom doit pouvoir sentir la gifle donnée sur la joue d’un autre homme  »

Ainsi, le Che épouse la cause des opprimés parce ce sont eux qui luttent contre l’inhumanité de l’état de chose existant, et en vue d’une humanité pleinement accomplie. Cette humanité n’est pas une donnée de fait ; ceci est impossible tant que dure l’exploitation de l’homme par l’homme. Elle est l’aboutissement d’un processus dialectique, et suppose que l’on triomphe de toutes les contradictions de ce monde dénué de spiritualité, ainsi que le déplorait Marx. Un tel triomphe n’est pas envisageable sans lutte ; on ne le cueillera pas tel un fruit mûr. L’humanisme révolutionnaire ne nie pas la fraternité comme valeur, il la nie comme fait universel dans un contexte où les conditions l’empêchent effectivement d’exister. Il nous engage à dépasser l’humanisme bourgeois qui se voile la face et ne se donne pas les moyens de résoudre les vrais problèmes de l’humanité, pour la simple raison qu’il les ignore. Cependant, si l’humanisme doit être révolutionnaire, le révolutionnaire doit également faire preuve d’une grande humanité, ce qui n’a rien d’une évidence. En effet, si pour le révolutionnaire, la révolution est une fin en soi, il risque de ne considérer les hommes que comme des moyens en vue de cette finalité suprême, et donc de ne plus les traiter humainement. Le raisonnement est le suivant : si la cause poursuivie est juste, il faut que tout le monde s’y voue corps et âme, et on n’hésite plus à sacrifier des hommes d’un cœur léger. Ce serait oublier que la révolution se fait pour la libération de l’être humain, et c’est lui la finalité suprême. Or, une finalité, si elle est juste, ne peut exiger des moyens qui ne le sont pas. C’est pourquoi le Che disait que le révolutionnaire doit être « essentiellement humain », « atteindre le meilleur de l’humain ». Et il ne se contentait pas de le prescrire, puisque son humanité, il la mettait au service de l’opprimé – toute sa vie l’atteste – mais aussi au service des ennemis blessés qu’il soignait comme ses camarades et dont il n’a jamais toléré qu’ils soient humiliés. Dans son journal de Bolivie, il affirme n’avoir pas eu le courage de tirer sur des soldats endormis : il ne concevait pas de révolutionnaire amputé de sa sensibilité, et là encore, il est extrêmement cohérent. Comment peut-on, quand on n’est pas soi-même opprimé – or, le Che ne l’était pas – avoir le désir et la volonté de transformer le monde, si on n’est pas capable d’éprouver les injustices que subissent les autres. C’est pourquoi le Che aimait citer cette très belle phrase de José Marti avec laquelle il se sentait en profonde harmonie : « Tout homme digne de ce nom doit pouvoir sentir la gifle donnée sur la joue d’un autre homme  ».

Le révolutionnaire authentique développe donc son affectivité comme il développe les autres dimensions humaines, mais cet amour éprouvé pour l’humanité opprimée qui lutte se construit lui aussi à travers des actes.

Si, « Pour construire le communisme, il faut changer l’homme en même temps que les moyens de production », le Che devait commencer par lui-même. Avait-il conscience ou non d’incarner cet homme nouveau qu’il appelait de ses vœux ? Aucun témoignage ne l’atteste.

Nous comprenons à présent pourquoi il ne suffit pas de contempler l’icône immortalisée par Korda pour s’improviser révolutionnaire ; encore faut-il entendre l’appel du héros, qui est aussi un appel au dépassement de soi. Par contre, celui ou celle qui entendra cet appel n’aura plus jamais la conscience tranquille et ne pensera plus jamais en avoir fait assez, et encore moins trop, pour exprimer son idéal. Voilà pourquoi le Che n’en finit pas de nous déranger et que certains se donnent bonne conscience en prétendant ne voir dans son option que l’expression d’une tendance suicidaire. Le Che aurait, en Bolivie, trouvé la mort qu’il cherchait, ce qui ôte à son assassinat toute sa dimension scandaleuse.

On peut s’interroger ici sur le bien fondé d’un tel sacrifice accepté à priori comme l’horizon possible de tous les instants : y a t-il quelque chose qui justifie qu’on y sacrifie sa vie ? Que l’être humain s’affirme comme étant un moyen ? Le héros place ses idéaux plus haut que sa propre vie, ce qui ne veut pas dire qu’il ne considère pas la vie comme sacrée. Le héros affirme les valeurs de la vie, puisque c’est pour elles qu’il lutte, mais il est prêt à mourir pour les défendre. Le principe est simple : si on affirme que rien ne vaut la vie et que rien ne vaut la peine qu’on la mette en péril, il faut aussi se demander ce qui constitue la valeur de cette vie à laquelle un est si attaché. Or, la vie prend justement valeur à travers les actes que l’on accomplit. Dès lors, le Che peut accepter que sa vie soit le moyen en vue d’une fin : la libération des peuples. Car il ne s’agit pas, au fond, de mourir pour des idées mais pour un idéal bien concret qui est celui de la justice sociale. Qu’y a-t-il de plus concret que l’injustice pour tous ceux qui en font l’expérience au plus profond de leur chair, que ce soit à travers la misère ou encore l’exploitation ?

Enfin, si le Che accepte en toute lucidité de mourir pour une cause qu’il pense juste, c’est parce qu’il a d’abord vécu pour cette cause, et qu’il y a engagé sa vie entière. En cela, il reste cohérent.

Comme le souligne Camilo Torres : « La lutte révolutionnaire n’est pas n’importe quelle lutte : c’est une lutte dans laquelle on ne donne pas seulement des heures de son temps ; dans laquelle on ne donne pas seulement son argent. C’est une lutte dans laquelle il faut être prêt à donner sa vie même...Pour accepter quelqu’un comme révolutionnaire, nous devons exiger de lui qu’il soit révolutionnaire à temps complet. » (conférence aux syndicats ouvriers, 1965 )

Cette lutte révolutionnaire donc nécessairement humaniste trouve sa dimension universelle dans l’internationalisme prolétarien et elle est, aujourd’hui, encore plus décisive qu’hier.

Tania

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COMMENTAIRES  

06/10/2017 18:06 par Antar

Merci Tania pour cette magistrale démonstration à clouer le bec de tous ces minables détracteurs du Grand Ché.
L’idée du Ché, quand il affirme que " le révolutionnaire est celui qui fait la révolution..." est à lier à la notion de praxis qui trouve ses origines dans la thèse sur Feuerbach où Marx déclare : « Les Philosophes jusqu’ici n’ont fait qu’interpréter le monde. Il s’agit maintenant de le transformer ». Une notion que Lénine a mise concrètement en pratique comme stratégie et tactique révolutionnaires et qui deviendra un concept central dans la pensée philosophique marxiste de Gramsci.
En parlant de Gramsci, il est intéressant de mettre en parallèle sa notion d’intellectuel organique et l’engagement révolutionnaire du Ché. Pour Gramsci, l’intellectuel organique est celui qui, non seulement prend conscience d’une situation d’injustice, mais la théorise et la met en œuvre. C’est celui qui lie la théorie à la pratique à travers un processus orientée vers la transformation du réel (praxis). C’est en d’autres mots ce que Tania a brillamment illustré à travers cet article où elle affirme entre autres à propos de l’engagement du Ché qu’« il s’agit bien ici d’un humanisme conséquent donc révolutionnaire. En effet, cet humanisme devient révolutionnaire dès qu’il saisit les véritables causes de l’oppression - en l’occurrence l’impérialisme yankee - et qu’il prend la résolution de les combattre pour aider à transformer effectivement cet ordre existant injuste. S’il ne le fait pas par crainte de la violence, l’humanisme reste abstrait : ce n’est qu’un discours sentimental et stérile. »
Il est également intéressant de noter que Gramsci a développé la notion d’intellectuel organique entre 1924 et 1926 quand il était à la tête du Parti communiste italien. C’est à dire 2 à 3 ans avant la naissance du Ché. Ce faisant, le communiste italien ne savait pas que, quelque part en Amérique du Sud, naîtra un enfant qui sera quelques années plus tard l’incarnation même de sa notion d’intellectuel organique.

06/10/2017 18:14 par Georges SPORRI

Pour MARX l’humanisme bourgeois n’est qu’une idéologie progressiste qui découle d’une réalité brutale : on peut imaginer l’industrie sans patrons-actionnaires mais on ne peut pas l’imaginer sans ouvriers ou sans techniciens . Alors les penseurs du Capital les plus intelligents essayent de convaincre leurs commanditaires qu’il faut tenir compte de ce "rapport de forces" ... L’humanisme bourgeois consiste donc avant tout à essayer de normaliser les relations dites "humaines" entre exploiteurs et exploités ... Aussi sincères que soient les adeptes de cette philosophie, ils n’iront pas jusqu’à condamner le managment des restructurations-privatisations. Les 58 suicidés de France Télécom vont les choquer 5 minutes et l’assassinat de Hans Martin Schleyer pendant 5 siècles . Idem pour les faits terroristes : l’attentat de la gare de Bologne, la sale guerre contre l’ETA ...etc (très longue liste) commis par l’extrême droite ou l’état, seront condamné mollement sans lyrisme alors que les frasques des brigades rouges ou de la RAF seront considérées comme des "horreurs absolues" et donneront lieu à des logorrhées hystériques pendant 40 ans ... Je préfère ne rien dire sur les commentaires modérément indignés et très vite oubliés suite au viol de "théo" et les fatwas véhémentes qu’a déclenchées l’arrachage de la chemise d’un cadre RH lors d’une confrontation houleuse entre salariés et direction ... C’est trop facile de prouver que l’humanisme bourgeois est surtout une arme des riches pour imposer aux pauvres des règles de morale qu’ils ne respectent pas eux mêmes !

06/10/2017 18:35 par Bruno Guigue

Texte superbe .. et passionnant.

06/10/2017 19:25 par Assimbonanga

Merci pour ce très beau texte

06/10/2017 21:33 par G. Bassignot

Très beau texte... Voilà un aspect du Che que j’ignorais totalement comme quoi il n’est jamais trop tard pour s’instruire...

Maintenant il y a une remarque générale à faire c’est que généralement les hommes (comme les femmes) de ce genre (humanistes révolutionnaires, pour vous paraphraser),ont très souvent un destin tragique et que, paradoxalement, pourrait-on dire, c’est ce qui les fait rentrer dans la légende. Tant il est vrai que ce qu’on pourrait appeler "la bête immonde" ne supporte pas ces gens là qui remettent en question son action destructrice et tout ce qu’elle pourra entreprendre pour les faire taire elle l’entreprendra. Les exemples ne manquent pas dans l’histoire et depuis longtemps. Mais plus elle en supprime et plus il en surgit et plus leurs messages s’impriment dans les consciences et les peuples s’en inspirent pour leur libération. On pourrait faire un rapprochement particulier avec l’histoire de Gandhi qui est mort assassiné par un "extrémiste" (ou supposé tel). Gandhi a délivré son pays (l’Inde) du joug britannique par la non-violence. Bien sur c’est hautement méritoire en soi mais son exemple ne peut que très difficilement être transposé dans un autre pays ce cas particulier étant spécifique à l’Inde.

En tout état de cause les méthodes de libération des peuples sont particulières à chaque pays et chaque époque, ce qui, bien entendu, n’enlève rien aux hommes comme le Che et Gandhi. Leurs exemples sont inspirateurs pour leurs successeurs.

Comme le dit un proverbe ou je ne sais plus qui : celui qui agit, entreprend, peut réussir alors que celui qui ne fait rien à déjà tout perdu.

06/10/2017 22:32 par Roger

Belle et éclairante analyse de ce que peut être un engagement révolutionnaire. La figure du Che apparaît bien ici comme une sorte de "paradigme" des formes d’action qui visent à un changement radical des conditions du "vivre ensemble" une pleine humanité.Je trouve aussi que l’auteur élucide en une formule simple la différence entre le capitalisme de marché et le socialisme :
« le système capitaliste qui s’emploie précisément à amputer l’être humain de son humanité. A l’inverse, on pourrait définir le socialisme comme un mode de production qui rend possible cet accomplissement. »
Peut-on savoir qui est Tania ?

07/10/2017 09:14 par cunégonde godot

S’il était possible de changer l’Homme, les religions y seraient déjà parvenu depuis longtemps, le capitalisme aussi, et l’idée même d’écrire cet article ne serait jamais venue à l’esprit de la signataire...

Quand bien même utiliserait-on systématiquement l’embrigadement, le dressage mental dès le plus jeune âge, la coercition et la surveillance 24 h sur 24, la violence la plus cruelle, etc.

Si c’était possible, le communisme aurait triomphé. Mais il a échoué…

07/10/2017 12:57 par Emilio

Saludo Roger , ta question , parce que tu, et les autres aussi , ont senti ce vent d energie revolutionnaire , a travers cet article remarquable .

« Peut-on savoir qui est Tania ? « 

Camilo Torres est une bonne indication , pour la reponse , compañero …
En tout cas , Tania , ou peut-etre Alexandra , a compris ( cad vivre ) parfaitement la notion essentielle , de ce qu est la PRAXIS marxiste .

Avec mes mots de campesino, je dirais mettre son cerveau dans ses tripes , ou mettre les mains dans la terre , pour comprendre la terre , ses interactions chimiques energetiques , ce qui inclut les relations sociales dans toutes leurs dimensions structurelles .

Mais comprendre est juste l amorce , le detonateur ..
« Il ne s’agit pas de plaindre la victime, mais de partager son sort »

Ensuite vient >
« Tout homme digne de ce nom doit pouvoir sentir la gifle donnée sur la joue d’un autre homme »
IN LAK’ECH – HALA KEN . c est le salut Maya , IN LAK’ECH “yo soy otro tú”, a lo que contestaban : “HALA KEN”, que significa : “tú eres otro yo”. Je suis un autre toi , et l autre repond , tu es un autre moi .

Ensuite continue encore le chemin de conscientisation revolutionnaire de l individu ..
« Laissez-moi vous dire, au risque d’être ridicule, que le révolutionnaire est habité par un grand sentiment d’amour »

« L’éthique en politique : éduquer par l’exemple »

Voila , petite contribution et hommage , a tous les Che , et toutes les Tania du monde…

07/10/2017 14:57 par Emilio

Chere Cunegonde ,
le « si « en français est conditionnel , des hypotheses intellectuelles .
Le « si « en español est affirmatif ..

Sí se puede .
>Si , on peut . Oui, nous pouvons .

De mauvaises recoltes n ont jamais empeche le paysan de semer et semer encore , pourquoi ?

Jesus le Christ , le communiste par excellence , qui a accepte sa mort , crucifie comme un bandit , ses bourreaux voulaient rayer son nom et ses messages de l Histoire a jamais .. qui a echoue ?

Les realites existent si on y croit , et croire c est agir pour créer ces realites.

Si certains grands hommes ou femmes, ne meurent jamais , c est bien parce qu ils ont reussi … cette eternite .

Le pessimisme, c est le luxe du riche ...
Reponse … Desde las Montañas de Colombia.

https://youtu.be/JeKF8-7szCo
https://youtu.be/iOop_ijgdLc

07/10/2017 15:05 par Assimbonanga

J’ai des amis qui avaient mis leur gosse à la seule école primaire de la commune : catholique. Lorsqu’ils se sont aperçus que la petite pratiquait le génuflexion en traversant l’Église, ils ont pris la seule mesure qui s’imposait : l’inscrire à une école communale, mais au prix de km de transports scolaires en plus. Donc, oui, le dressage mental dès le plus jeune âge, ça existe. De nombreuses personnes n’ont pas rencontré dieu dans la rue mais dans un bourrage de méninge dès le berceau. Elles ne connaissent pas d’autres modes de vie et rituels. Elles croient en Dieu par contagion. Si, si, les religions ont beaucoup changé les humains et pas en bien, ô my god !
Quant au communisme il est toujours en but aux pires ennemis, les requins qui ne reculent devant aucun moyen, et n’ont aucun scrupules. Guerres économiques, assassinats, financements d’attentats, de groupes hostiles, déstabilisations, telles sont les méthodes de l’empire. Aussi, comment s’étonner que le communisme échoue (en général sur l’air des rita mitsouko) ?

07/10/2017 17:01 par Roger

j’aime la réponse d’Emilio, si près, si loin, desde las montanas de Colombia...
« Avec mes mots de campesino, je dirais mettre son cerveau dans ses tripes , ou mettre les mains dans la terre , pour comprendre la terre , ses interactions chimiques energetiques , ce qui inclut les relations sociales dans toutes leurs dimensions structurelles . »
et aussi celle là :
« IN LAK’ECH – HALA KEN » différents et semblables
hasta siempre...companeros.

08/10/2017 01:23 par Georges SPORRI

@ Cunégone G. // Votre vision du communisme (je veux dire du marxisme) me fait rire ... Utiliser l’autorité de l’état pour changer les habitudes c’est le projet des religions et du fascisme et de ses avatars ( puritanisme, néo puritanisme, assimilationnisme, écologisme ...etc. ).
Le marxisme postule au contraire que c’est la société qui doit changer pour "désaliéner" les individus et l’autorité de l’Etat Prolétarien ne servirait qu’à briser la résistance de la bourgeoisie jusqu’à destruction de toutes les institutions aliénantes, ce qui va de la propriété privée des moyens de productions jusqu’à la famille patrimoniale bourgeoise en passant par les nations... Rien à voir avec les morales et les idéaux des religions et des idéologies ...

08/10/2017 13:34 par Emilio

Saludo Georges,
Le marxisme vivant du jour et d hier , en Colombie (puisque c est la que je vis ) n est pas fige , mais une base de reflexion et d etudes permanentes. Les realites de societe industrielle europeene , analysees par Marx , issues du feodalisme d avant , et qui en sont le prolongement dans une morale pyramidale d exploitation de maitres et d esclaves , ne sont pas les memes que dans les societes rurales d amerique dite latine .

Les indigenes , dans leurs cultures vivantes sont déjà dans la phase communiste decrit par Marx. Societes collectivistes , sans classes , sans propriete privee , et sans Etats .. sans religions , cad sans eglises, mais tres spirituelles dans tous les actes de vie , semer , chasser , projets de groupes etc.. tout doit etre en relation et en harmonie , avec les connaissances energetiques de la nature . Il y a environ 1,2 millions d indigenes en Colombie , divers dans leur formes culturelles,mais toutes basees sur ce communisme. Marx en parle tres peu , quelques pages au plus , sous forme de communisme primitif , et assez mal . Il ne connaissait pas , a son epoque du XIX eme siecle , les chercheurs d autres civilisations , surtout amerindienne , etaient tres peu nombreux .

La construction d un marxisme , basee sur la paysannerie ( mais pas que non plus , les militants marxistes sont presents dans les villes , les universites , les mouvements sociaux etc.. et tres actifs ) en Colombie , tient compte de ces exemples vivants. Que ce soient les cooperatives collectivistes de production , l agroecologie , ce sont des cœurs vivants du marxisme , en pratiques pensees, que pratiquent les indigenes depuis des milliers d annees . La lutte contre le machisme aussi , est au cœur du marxisme en Colombie. Les femmes combattantes sont majoritaires dans toutes les guerrillas , les principales l ex Farc , ou l Eln . Et 75% des universitaires en Colombie sont des femmes .

En ce qui concerne les religions , catholique pour la Colombie , je citais Jesus Christ , le communiste , dans mon dernier commentaire .. pour la reference que faisait Tania, a Camilo Torres. Camilo Torres était un cure catholique , premier theologien de la Liberation . La creation de l ELN , ( ejercito de liberacion nacional) c est lui . Et c etait ( assassine par l armee colombienne ) un marxiste actif et de tres fortes convictions, un pole d humanisme comme l etait Alfonso Cano , commandant de la Farc , par Grand exemple .. des CHE colombiens . Le Che ( Ernesto Guevara ) c est le phare de l ELN , qui est une guerrilla guevariste et catholique revolutionnaire . Donc pas incompatible .

La Farc . guerrilla marxiste reconnait Camilo comme un revolutionnaire marxiste. La plupart des guerrilleros sont catholiques , mais savent tres bien aussi le role fascisant de l Eglise colombienne , dans une partie au moins de sa hierarchie. Il n y a pas cette animosite europeenne envers la religion catholique , oui il y a aussi des athes , mais l union , c est le marxisme , sans exclusions . Le marxisme cherche a integrer les differences , ethniques aussi pour les afro descendants par exemple ( comme le camarade Chavez) , sans les annihiler. Inclusion et pas exclusion , ni sociale ni ethnique .. tous ensemble le bien vivre d un projet commun , collectiviste et profondement humain.

Quant a la propriete privee , dans le programme de la Farc , elle est limitee en surface de propriete admise , a 1500 hectares . Marxiste, mais moins communiste que les indigenes qui n ont pas Marx en reference. ( jamais ou tres peu la Bible non plus , tres refractaires a toutes religions en general )

Je pourrais encore developper , mais déjà , je voulais souligner que ce marxisme vivant , d etudes appliquees et discutees entre tous , c est notre realite colombienne du marxisme. Un recent sondage ( de capitalistes ..) donne 10% d opinions favorables a la Farc. Quand on sait le risque reel a dire cela en Colombie… c est déjà enorme , et apres 50 ans d essais de contrôle mental a travers les propagandes des oligarques capitalistes , les pressions militaires internationales , et sociales .. Qui peut dire que le communisme , marxiste ou pas , a echoue .. ? du moins pas en Colombie , et d une façon generale , pas dans l amerique latine .

Voila , autres realites , extra europeenes, la lutte continue, mais les projets marxistes sont clairs et amplement discutes en groupes , et malgre les feroces repressions d Etat capitalistes d oligarques .

Desole du pave , mais enterrer si facilement le marxisme , en un mot < echec , c est tres loin de chez nous, et de nos realites.
Hasta Siempre la Victoria .. ce n est pas juste un slogan, mais du vivant dans toutes nos luttes de justice sociale . Et nous sommes des millions ... n en deplaisent aux capitalistes en tout genre .

08/10/2017 19:07 par Assimbonanga

@Emilio. Merci pour ce récit. Passionnant.

08/10/2017 19:17 par Georges SPORRI

@ Emilio // Merci pour ton pavé ! En fait, dans sa correspondance avec Plekhanov Marx préconisait de s’appuyer sur le M.I.R ( villages de paysans pauvres qui mutualisaient tout, y compris la propriété des terres et du cheptel ) . C’était encore possible en 1905, de réanimer le M.I.R, mais en 1917 ce n’était plus faisable ... Pour la religion, pas de soucis, elle est subordonnée à l’économie et à la lutte des classes et, comme tous les milieux sociaux une partie du clergé peut se mettre du bon côté de la barricade ...

08/10/2017 20:39 par Emilio

Gracias compañeros ,
Ce que tu dis Georges , sur le communisme dans sa phase ultime de societe sans classes etc.. est interessant . Parce que oui , la construction de ce communisme , ou meme sa phase intermediaire socialiste d Etat , depend de facteurs , rapports de force sociaux par exemple , et conditions presentes.

Ce qui semble impossible aujourd hui , dans une societe capitaliste occie-dentale (ou sans) , industrialisee et fortement capitalisee , petite bourgeoise dans les aspirations des proletaires. Il se peut que si les conditions changent , une crise financiere , une guerre etc.. que le marxisme renaisse de ses cendres comme un phoenix , parce que d une nouvelle societe devra naitre de nouveaux groupes de reflexions.

Le marxisme m interesse depuis mon annee de philosophie dans un college jesuite , ou nous avions etudie 3 mois les ecrits marxistes. Et plus pour ceux qui s y sont interesses. Un de mes meilleurs amis , un breton aussi , avait lu le Capital , a 16 ans. Nous avions des heures de longues discussions passionantes , sur le marxisme. Ensuite , lui a fait Cagne et hypocagne , enseigne le marxisme dans une universite allemande , et revenu en Bretagne , dans une universite nantaise , enseigne Marx et Engels , de nombreuses theses a son actifs .

Les societes ou civilisations naissent et disparaissent .. mais l organisation de groupe autour de projets communs reste toujours d actualite. Il n est surement pas vain d etudier le marxisme aujourd hui , de partout dans le monde , parce qu il y a beaucoup de verites universelles dans cette philosophie.

Voila , sous ce deuxieme pave , encore une plage , pour ceux qui savent lire et comprendre.
Conclusion >> Ce n est pas ma faute si mon sang est rouge, et mon cœur a gauche 

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