Le Courrier, mardi 07 Août 2007.
New Dehli - La justice indienne désavoue la multinationale suisse, qui contestait la loi indienne sur les brevets. Une victoire pour l’accès à des médicaments abordables dans les pays pauvres.
Novartis, et avec elle toute la communauté des multinationales de la pharma occidentale, attendait avec impatience le verdict de la poursuite judiciaire entamée en Inde au début de cette année. La multinationale suisse remettait en question la section 3(d) de la loi indienne sur les brevets, jugeant qu’elle « interdit le patentage de médicaments innovateurs possédant des avantages sécuritaires et thérapeutiques pertinents ». Six mois après le début des audiences, le verdict est finalement tombé hier et Novartis a perdu sa cause.
La justice indienne a décidé que la loi sur les brevets demeurera inchangée puisqu’elle n’est pas l’instance compétente pour juger d’une modification éventuelle de cette loi. La Haute Cour de Madras s’en remet à l’OMC, et a suggéré à la multinationale de convaincre son gouvernement de se rendre au dispute settlement body de l’agence internationale, afin de déterminer si la loi est compatible avec les accords ADPIC (accords sur les aspects des droits de propriété intellectuelle touchant au commerce).
Dans les heures qui ont suivi le verdict, Novartis a fait part aux médias de son inquiétude quant aux conséquences de la décision de la Cour. Elle « aura des effets négatifs à long terme et qui risquent de décourager les investissements dans la recherche et le développement, indispensables pour offrir de meilleurs médicaments aux patients ». Vice-président et directeur général de Novartis India Limited, Ranjit Shahani a affirmé ne pas être d’accord avec la décision de la Haute Cour, tout en laissant entendre que la multinationale ne ferait vraisemblablement pas appel à la Cour Suprême.
Producteurs de génériques satisfaits.
De son côté, Médecins sans frontières (MSF) a fait savoir par un communiqué de presse que le verdict représentait une victoire immense pour l’accès à des médicaments abordables pour les pays pauvres. « Ceci est un soulagement immense pour des millions de patients et de docteurs dans les pays en développement qui dépendent des médicaments indiens, financièrement accessibles », a fait valoir le DrTido von Schoen-Angerer, directeur de la campagne pour l’accès aux médicaments essentiels de MSF.
En Suisse, la Déclaration de Berne a salué la décision de la justice indienne. Elle a demandé à Novartis de respecter la décision de la Haute Cour de Madras en renonçant à faire appel, et en réclamant des autorités suisses qu’elles ne déposent pas de plainte contre l’Inde à l’OMC.
Les ONG -qui ont réussi à récolter 420000 signatures priant Novartis de retirer sa poursuite depuis l’annonce du procès- et les milliers de malades du monde célèbrent aujourd’hui la défaite judiciaire du géant suisse. Les producteurs indiens de médicaments génériques marquent également cette date d’une pierre blanche. Contacté par téléphone, le Dr.Yusuf Hamied, PDG du numéro un de la pharma indienne Cipla, s’est dit « très satisfait » du verdict. « Il y a six mois, j’ai dit que ce n’était pas à Novartis de remettre en cause la loi indienne, mais à son gouvernement ; c’est ce que fait valoir la Cour aujourd’hui. »
Autre procès en cours
Mais la partie n’est pas terminée. Un autre procès est en cours dans le sous-continent, entamé par Novartis au même moment que celui qui vient de prendre fin. La multinationale s’attaque au refus, en 2006, des autorités locales d’autoriser la patente du Glivec, son blockbuster contre la leucémie pourtant breveté dans près de quarante pays. Estimant que le Glivec est une importante innovation, Novartis considère ce refus contraire aux accords liés à la propriété intellectuelle négociés dans le cadre de l’OMC, notamment l’ADPIC dont l’Inde est signataire. Reste qu’une dose de Glivec coûte 21000 dollars, tandis que l’équivalent produit par une firme indienne est vendu moins de 2000 dollars.
Malaise de Novartis
En cours de route, le cas du Glivec a été retiré à la Haute Cour de Madras pour être entendu par l’Intellectual Property Appellate Board (IPAB), un organe responsable des questions liées à la propriété intellectuelle récemment devenu opérationnel. A la suite de cette décision, en avril, Novartis a fait connaître son malaise par rapport à ce changement de cap -le nouveau IPAB étant dirigé par l’ancien contrôleur général de l’Office des patentes indien, M.Chandrasekaran. L’homme même qui, selon Novartis, est à l’origine de la décision de 2006 de ne pas autoriser la patente du Glivec.
Le géant suisse a refusé d’être entendu par M.Chandrasekaran et a demandé à l’IPAB un autre interlocuteur. Cette demande a été refusée ; actuellement, Novartis pèse ses options.
Andrée-Marie Dussault
– Source : Le Courrier www.lecourrier.ch