« Le monde change, rester coincé dans des certitudes nucléaires, c’est prendre le risque d’être de plus en plus en décalage avec l’évolution du monde. »
Nicolas Hulot
Deux informations, en apparence contradictoires, sont venues nous rappeler la centralité du problème de l’énergie. D’abord, l’AIE qui nous apprend, lundi 30 mai, que nous sommes en faute et que le seuil d’augmentation des 2°C ne sera pas tenu ! La deuxième information est que le leader européen, l’Allemagne, a décidé de sortir du nucléaire d’ici 2022.
Le réchauffement est inéluctable
Les émissions de CO2 ont atteint leur plus haut niveau en 2010. Après une réduction en 2009, en raison de la crise financière mondiale, les émissions de CO2 ont de nouveau grimpé à 30,6 Gigatonnes (Gt), soit 5% de plus par rapport au précédent record de 29,3 Gt, en 2008. « De surcroit, 80% des émissions du secteur de l’énergie prévues pour 2020 sont d’ores et déjà programmées puisqu’elles sont censées provenir d’usines en activité ou en construction », indique l’AIE. Selon le chef économiste de l’Agence Fatih Birol, ces données constituent un « sérieux revers », dans l’espoir de limiter le réchauffement climatique à 2°C par rapport à l’ère préindustrielle. L’agence estime à 44% les émissions provenant du charbon, 36% pour le pétrole et 20% pour le gaz naturel. (1)
Le lac Poyang, situé dans la province du Jiangxi (sud-est de la Chine ), était le plus grand lac d’eau douce de Chine, et la deuxième plus grande surface d’eau du pays après le lac Qinghai. Mais aujourd’hui, sur 90% de la surface qu’il occupait encore il y a peu, l’eau a laissé place à de la boue séchée et craquelée ou à de l’herbe, à cause du manque de précipitation et des hautes températures. « Alors qu’une partie du globe, de la France à la Chine, subit un exceptionnel épisode de sécheresse, un phénomène qui pourrait devenir de plus en plus fréquent selon les experts, le climat semble n’avoir jamais été aussi absent des préoccupations du G8. Tout plaide, pourtant, pour que le climat reste au centre des priorités de la communauté internationale. Pour commencer, la multiplication des événements météorologiques extrêmes. Les dérèglements annoncés par les climatologues se vérifient chaque jour un peu plus, infligeant à l’économie mondiale des pertes considérables. (2)
Pour Fatih Birol, économiste en chef à l’AIE, interrogé par le quotidien, il s’agit de « la pire nouvelle en ce qui concerne l’émission » de CO2. « Ca devient un défi extrêmement difficile à tenir de rester sous les deux degrés (...) Les perspectives sont lugubres. C’est ce que disent les chiffres », ajoute-t-il morose. Pour Nicholas Stern, de la London School of Economics, auteur d’un rapport sur le réchauffement climatique, interrogé également par The Guardian, « les projections supposent qu’il y a 50% de possibilité que l’augmentation de la température dépasse 4°C vers 2100. Une telle chaleur perturberait les vies et les moyens d’existence de centaines de millions de personnes à travers la planète, menant à un large mouvement de migration et au conflit ». (3)
Le choix responsable de l’Allemagne : sortir du nucléaire
On peut penser que la solution serait de réduire les énergies fossiles, en se reportant sur les énergies renouvelables et l’inévitable nucléaire. Les interrogations sur le nucléaire après la catastrophe de Fukushima obligent, ensuite, à repenser l’avenir énergétique. Le remplacement du nucléaire, faible émetteur de CO2, se fera-t-il par des énergies renouvelables ou bien du gaz et du charbon, au risque, dans cette dernière hypothèse, de troquer le risque nucléaire par le péril climatique ? Enfin, la flambée du cours du pétrole, qui rend un peu plus compétitives les énergies renouvelables, devrait inciter les Etats à subventionner davantage les technologies « vertes », et non les énergies fossiles. Pour avoir une chance de maintenir le réchauffement sous la limite de 2oC d’ici à la fin du siècle, les émissions de CO2 doivent non seulement cesser d’augmenter, mais commencer à baisser dès 2015.
Norbert Röttgen (CDU), le ministre allemand de l’Environnement le confirme : le dernier réacteur allemand sera débranché au plus tard fin 2022. Exit le prolongement jusqu’en 2036. (...) Ce revirement dans la politique énergétique devrait être lourd de conséquences. Même si le solaire dépasse déjà les 1% de l’électricité produite en Allemagne et atteint ainsi un record mondial, si les éoliennes égayent massivement les paysages de la République et que la biomasse est une source déjà importante d’énergie, le virage énergétique risque malgré tout de se faire au forceps. Le gaz étant généralement décrit par les experts allemands comme l’énergie de transition à même de réussir le « pont » vers le 100% renouvelable. Dès lors, il sera difficile de faire des progrès sur les émissions de CO2, déjà plombées par le charbon. (4)
Le miracle allemand est que l’industrie du renouvelable s’est considérablement développée. Pour Rue 89, les énergies renouvelables se sont considérablement développées au court des quinze dernières années grâce à un soutien volontariste de l’Etat. Fortement pourvoyeur d’emplois, on estime à 330.000 le nombre de personnes qui travaillent dans ce seul secteur. Au point qu’il est devenu une véritable fierté nationale...et une véritable force de frappe industrielle, notamment à l’exportation. Par comparaison, 150.000 personnes environ travaillent pour EDF. Les renouvelables produisent aujourd’hui 16% de l’électricité allemande. Trois fois plus qu’en 1997. Les éoliennes, chauffe-eau solaires ou autres panneaux photovoltaïques font partie du paysage. En Allemagne, la transition vers un modèle énergétique écologiquement responsable n’est pas un fantasme futuriste ou une promesse fumeuse à la Grenelle. Il s’agit d’une réalité quotidienne, visible et tangible - notamment en espèces sonnantes et trébuchantes. La loi allemande permet en effet à de nombreux petits épargnants d’investir leurs économies dans des projets éoliens par exemple. Très récemment, l’Agence fédérale pour l’environnement a affirmé qu’il était possible et réaliste qu’à technologie équivalente, le pays soit approvisionné à 100% en renouvelable d’ici 2050. Même si ce chiffre a été discuté, il participe d’une petite musique quotidienne qu’entendent beaucoup d’Allemands : un autre concept d’approvisionnement énergétique, celui-ci durable, est possible. (5)
La fermeture des 17 réacteurs allemands va se faire de manière progressive, déclare au Monde, le physicien Bernard Laponche. D’ici 2022, l’Allemagne va devoir remplacer une énergie d’où provient 22% de son électricité et dès aujourd’hui, il lui faut compenser les 6,8% correspondant aux huit réacteurs déjà arrêtés. « Dans l’immédiat, les Allemands vont peut-être utiliser un peu plus de charbon [43% de l’électricité allemande] et importer un peu plus d’électricité », estime Bernard Laponche, « mais de façon transitoire ».
L’Allemagne, va « réduire la consommation d’électricité et parallèlement, augmenter la part des énergies renouvelables », explique le physicien. De fait, un document rédigé par le gouvernement et que Reuters a pu se procurer lundi 30 mai, indique que l’Allemagne prévoit de réduire sa consommation d’électricité de 10% à l’horizon 2020. Concrètement, « il y a toute une batterie de mesures déjà prévues par le plan d’efficacité énergétique et qu’ils vont probablement accélérer ». « Il peut y avoir une augmentation, du prix de l’électricité mais pas dans des proportions extravagantes », prédit Bernard Laponche. « Pour le moment, la France importe plus d’électricité d’Allemagne que l’inverse », tempère Bernard Laponche. De fait, en 2010, d’après les chiffres de Réseau de transport d’électricité (RTE), le gestionnaire du réseau électrique français, la France exporte 9,4 térawattheures (TWh) en Allemagne, tandis que l’Allemagne en exporte 16,1 vers la France. (6)
Aux coûts de démantèlement qui ont été provisionnés par les exploitants (12,2 milliards d’euros pour E.ON, 9,5 milliards d’euros pour RWE et 4,7 milliards d’euros pour EnBW), s’ajoutent les investissements nécessaires pour construire de nouvelles capacités. Dans un rapport présenté il y a quelques semaines, le cabinet IHS Cera a évalué à 39 milliards d’euros d’ici à 2025. En Allemagne, le nucléaire : les 17 réacteurs théoriquement encore en activité en Allemagne représentent 22% de la production d’électricité brute, qui est d’environ 620 terrawatt-heures (TWh), soit 6,8% du total. A eux seuls, les États-Unis, la France, le Japon et la Russie disposent de 248 réacteurs, soit 56% du total. 64 réacteurs sont actuellement en construction, dont 27 en Chine, 10 en Russie, 6 en Inde et 5 en Corée du Sud.
Où en sommes-nous maintenant ?
La boulimie énergétique de la Chine est connue. Elle est due au retard accumulé et à un développement à deux chiffres depuis plus de dix ans !. La consommation est de 1, 5 tep/hab/an contre 4 pour l’Européen et 8 tep/hab pour l’Américain. La Chine a lancé un audit de sûreté de ses installations nucléaires. La Chine concentre la grande majorité des projets de centrales nucléaires dans le monde. Elle entend ainsi résoudre une partie de ses problèmes de capacité énergétique et de pollution. Avant la catastrophe japonaise, la Chine avait planifié une puissance de 90 gigawatts (GW) en 2020 (90 réacteurs de 1000 mégawatts), 200 GW en 2030, 400 GW en 2040.
Dans un rapport présenté il y a quelques semaines, le cabinet IHS Cera a évalué à 39 milliards d’euros d’ici à 2025 le montant des investissements nécessaires, On sait que l’empreinte écologique de l’homme a dépassé les limites permises par la Terre. Nous avons consommé en 2010, en moins de 8 mois ce que la Nature nous a prodigué pour l’année. Les Américains font comme s’ils avaient 4 planètes à leur disposition. L’Homme est un prédateur qui ne connaît pas les limites. Le prix Nobel de chimie Paul Crutzen, en 2000 avait forgé un terme : Anthropocène.
« Cette ère géologique ouverte, écrit Hervé Kempf voici deux cents ans et durant laquelle l’homme - anthropos - est devenu une force géologique. (...) Pourquoi ce concept est-il important ? Parce qu’il clôt la période philosophique ouverte par le cartésianisme, et qui a inspiré la grande aventure occidentale de la révolution industrielle : voilà que l’homme s’est fondu dans la nature au point d’en être devenu l’une des forces les plus puissantes. (...) le destin de la biosphère ne peut plus être dissocié de celui de l’Homo sapiens. Cela peut conduire à plusieurs conclusions. L’une est de reconnaître que cette puissance nouvelle de l’action humaine a conduit à une dégradation telle de son terrain d’application qu’elle menace sinon son existence, du moins la possibilité de sa poursuite dans des conditions pacifiques et prospères. Une autre, à l’inverse, serait qu’il faut poursuivre et élargir la logique de domination, par exemple en comptant sur la géo-ingénierie pour répondre au changement climatique. Il est, cependant, poursuit Hervé Kempf une manière moins convenue de réfléchir à ce que signifie l’entrée dans l’ère de l’anthropocène : c’est d’interroger le sens de l’aventure humaine. D’analyser non seulement le système qui a accompagné cette expansion de la puissance d’Homo sapiens, le capitalisme, mais aussi l’attitude philosophique qui l’a inspiré, le matérialisme. Et donc, de rechercher dans la métaphysique une réponse aux questions de l’époque. » (7)
Conclusion
On peut se demander si les pays occidentaux et même la Chine et l’Inde sont conscients de ce qui nous attend. Pour Henry Moreigne l’insouciance est plus forte que la conscience. Enfermée dans une course folle au profit, l’humanité se prépare un destin à court terme des plus agités. Il est désormais quasiment acquis que le réchauffement climatique dépassera les +2°C, ouvrant ainsi la porte à des « perspectives lugubres » selon les propres mots de l’AIE. De la même façon que pour le nucléaire, le diktat des bénéfices et du confort présent l’emporte largement sur la sagesse. Le jour où la prise de conscience s’effectuera, il sera trop tard pour revenir en arrière. (...) Pourtant, les signaux d’alarme se multiplient. En 2008 et 2010, le département de la Défense américain publiait deux rapports (Joint operating environment) aux conclusions identiques. Une crise énergétique est imminente, faute d’extractions pétrolières suffisantes pour faire face à la demande mondiale. De façon très pragmatique, les auteurs voient dans cette situation un risque majeur d’embrasement de la planète. Les analystes considèrent les conséquence du réchauffement climatique comme la première menace pour la sécurité des Etats-Unis, loin devant le risque terroriste. (8)
Peut-on ou doit-on choisir entre la peste du nucléaire et le choléra des énergies fossiles ? Il est curieux de remarquer que le communiqué de l’AIE a été retardé pour ne pas troubler la quiétude des grands de ce monde à Deauville où ce problème des changements climatiques a été superbement ignoré. Quelle est la solution quand, d’un façon hypocrite, ont dit que l’Ocde ne consomme que 11 tonnes par habitant alors que la Chine en est à 5, 5 tonnes, il y a double mensonge, d’une part on oublie que ceux à qui il est demandé de faire un effort représentent 80% de la consommation regroupés autour de 10 pays (sur les 32 que compte l’Ocde) commencer par les Etats-Unis, à 20 tonnes de CO2 et toute l’Europe qui en est justement à 12 tonnes de CO2. Les 20 autres pays comptent à peine pour 20% des 12,5 milliards de tonnes de CO2 émises par l’Ocde. Où est la solution ? Si on sait que le nucléaire fait peur qu’avec les énergies fossiles le règne de l’anthropocène a fait que les changements climatiques sont de plus en plus récurrents. La solution est avant toute une chose, une sobriété énergétique et le recours massif aux énergies renouvelables avec un mix qui favorisera de plus en plus ces énergies en sachant bien qu’une étude récente » le Résumé pour décideurs du GIEC affirme qu’en 2050, il n y a pas d’obstacle technique pour passer à 80% de renouvelables dans le mix énergétique mondial à horizon 2050, et que cela coûtera moins d’1% du PIB mondial pour peu qu’il y ait une volonté politique (9)
C’est cette même volonté politique qui manque aux pays qui présentent une véritable addiction au nucléaire et qui pensent que l’Allemagne fera machine arrière d’ici là (en 2022) oubliant que par leur politique de fuite en avant les probabilités d’un accident nucléaire seront de plus en plus fortes et là les nuages radioactifs contrairement aux hommes, n’ont pas besoin de visa pour traverser les frontières.
Pr Chems Eddine CHITOUR
Ecole Polytechnique Alger enp-edu.dz