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Mon voyage en Corée du Nord raconté à ma grand-mère

Tu as été en Corée du Nord, c’est ça ? Ce n’est pas une destination très prisée !

C’est vrai, ce n’est pas une destination très courante. Mais, le dénigrement systématique dont ce pays est la cible permanente par « la communauté internationale » incite à aller y faire un tour !

Et j’ai eu l’occasion de faire ce voyage grâce à l’Association d’amitié franco-coréenne. C’était du 4 au 18 septembre dernier. Le voyage est un peu long (et un peu cher !) parce qu’il faut faire une escale à Pékin, à l’aller et au retour. Il n’y a pas de liaison directe entre Paris et Pyongyang, la capitale, sans doute parce que la France n’a toujours pas de relations diplomatiques avec la République Populaire Démocratique de Corée : nous sommes le seul pays d’Europe dans ce cas (avec l’Estonie !)

Alors, tu l’as dit, ce n’est pas une destination très prisée, mais qui dénigre ? Et faut-il croire tout ce qu’on nous dit sur la Corée du Nord, ou sur l’Iran, la Syrie, ou même sur la Chine ? Ceux qui disent du mal de la Corée sont ceux qui ont prétendus que l’Irak de Saddam Hussein avait des armes de destruction massive, et qui l’ont tué après avoir détruit le pays. Ce sont les mêmes qui ont raconté que Mouammar Kadhafi avait bombardé Benghazi, et qui l’ont tué après avoir détruit le pays. C’est le pays du mensonge qui dit du mal de la Corée. Alors, croire ou ne pas croire, c’est aller voir ou ne pas aller voir, c’est être curieux ou être sous contrôle !

Et pourquoi tant de haine ? Parce que la RPDC, socialiste, indépendante, serait un très mauvais exemple pour les peuples du monde si l’affaire venait à se savoir !

Mais tu avais un a priori favorable pour ce pays, n’est-ce pas ?

Oui, bien sûr, parce qu’une barricade n’a que deux côtés. Et donc, l’occasion se présentant, je suis allé voir !

Et il y avait au moins deux choses que je voulais voir de plus près. D’une part, la relation que les Coréens entretiennent avec leurs dirigeants, et d’autre part la soi-disant agressivité de la RPDC. Sur ce deuxième point, l’affaire est finalement assez simple. La Corée du Sud est en fait une gigantesque base militaire étasunienne, dirigée contre la Corée du Nord, et accessoirement contre la Chine. Les États-Unis ont déjà agressé la Corée en 1950. Et ses forces sont toujours présentes. Chaque année, des manœuvres militaires étasuniennes ont lieu conjointement avec le Japon et les forces du Sud. Il y a quelques mois, ce sont 140.000 soldats, des porte-avions et des bombardiers stratégiques (c’est-à-dire transportant la bombe atomique) qui se sont agités au large des côtes coréennes.

Imagine que tu aies des ennemis qui t’ont déjà agressée. S’ils viennent manifester sous tes fenêtres, tu en penses quoi ? Que tout ceci n’est pas si grave et qu’ils ne sont finalement pas si méchants ? Ou bien, tu penses qu’ils s’entraînent pour remettre le couvert ? C’est ce qui s’est passé en mars dernier. Les Coréens ont dit : « peut-être que vous aller déclencher la guerre et nous engloutir, mais sachez que dans ce cas, nous chercherons à vous faire autant de mal que possible ». C’est histoire de dissuader, histoire de maintenir la paix, en fait ! Alors la presse occidentale a répandu la rumeur : «  vous avez vu ces Coréens, qu’est-ce qu’ils sont agressifs ! ». Mais qui est agressif, les Coréens qui n’ont jamais eu un soldat hors de leurs frontières, ou les Étasuniens qui en ont partout dans le monde et agressent pour de bon les peuples ?

Les Coréens ont une claire conscience que ce risque d’agression est un risque permanent. D’ailleurs, ils ont une politique (la politique du Songun) qui met la priorité sur les affaires militaires. Non seulement l’armée est bien entraînée et bien équipée (mais sans trop peser sur les finances de l’État parce qu’elle est autosuffisante, avec ses propres champs et entreprises), mais elle est massivement soutenue par la population. De plus, dans les villes et les villages, des sortes de milices d’autodéfense sont prêtes à faire face à une invasion.

Tu vas me dire que ce n’est pas très pacifique tout ça. Mais être pacifiste lorsque l’ennemi cogne à la porte, c’est accepter de se faire écraser, et ainsi de renoncer au socialisme et à l’indépendance. Les Coréens ont clairement conscience que se tenir prêts à une éventuelle agression est le principal facteur de paix dans la région.

Et pour ce qui est des dirigeants, alors ?

Alors, c’est plus compliqué à comprendre. Il y a entre la Corée et nous une vraie différence culturelle. Dans la Corée ancienne et rurale, le père s’associait à son fils aîné (c’est-à-dire le premier enfant qui devient adulte) pour développer la ferme familiale. Puis, à la mort du père, c’est lui qui héritait. C’est un système familial dit « souche ». En 1947, à la création de la RPDC, les lois socialistes abolissent ces choses-là, mais la culture, le bruit de « fond anthropologique » dirait E. Todd, perdure. Ce qui fait qu’aujourd’hui, les Coréens disent très clairement avoir une relation filiale avec leurs dirigeants, particulièrement le fondateur de la RPDC, Kim Il-sung. Cela veut dire qu’ils l’aiment comme ont aime son père ! À sa mort, on le pleure comme on pleure son père. On est fier que sa descendance continue à figurer sa présence !

Chez nous, ce n’est pas pareil. Même quand nous nous dotons d’un dirigeant respecté (et c’est de plus en plus rare ces temps-ci !), nous ne nous sentons pas dans une relation filiale avec lui, mais plutôt dans un rapport d’égalité, avec des responsabilités particulières pour le leader. Et s’il veut donner des responsabilités à sa descendance, on se méfie !

Il nous faut donc accepter que, si tous les peuples du monde sont équivalents, ils peuvent aussi avoir des références culturelles différentes. C’est pour ça « qu’il n’y a pas de modèle » : chaque peuple a à choisir sa propre voie.

Il nous faut aussi accepter qu’on ne puisse pas porter un jugement sur un peuple étranger en se fondant sur nos propres valeurs ! On doit juste faire l’effort d’essayer de comprendre.

Et la relation forte entre la population coréenne et ses dirigeants n’est pas feinte : j’ai assisté à un immense défilé pour célébrer le 65è anniversaire de la RPDC. Justement, ce n’était un défilé militaire, mais un défilé de dizaine de milliers de civils, membres de ces milices d’autodéfense dont je t’ai parlé. Sans armes, mais avec des drapeaux, des fleurs (en papier), des portraits, des banderoles. À la fin, Kim Jung-un, l’actuel dirigeant, est apparu à la tribune pour saluer le public. L’enthousiasme de la foule, applaudissant et criant, est clair et net.

Et qu’est-ce que tu as fait comme visites ?

On a surtout visité Pyongyang, la capitale, et on a fait un saut à Kaesong (à deux heures de route), sur la ligne de démarcation, tu sais, les petites baraques bleues.

Ce qui frappe à Pyongyang, c’est la largeur des avenues, l’immensité des places (c’est commode pour les défilés) et les gigantesques immeubles d’habitation.

À chaque carrefour, il y a une fliquette (des hommes aussi, mais surtout des filles). Jeunes (la circulation doit être un début de carrière), elles ont une tunique blanche, avec un ceinturon et un baudrier (mais pas d’arme), une jupe droite bleue, des socquettes blanches, et des chaussures noires à talons ! Elles ont une casquette blanche, un petit bâton rouge et blanc et un sifflet. Imaginez cette situation à Lille ! Les filles seraient certainement un peu bousculées. Mais pas là-bas : quand elles agitent leur petit bâton en sifflant, les plus gros camions s’arrêtent !

À Pyongyang, le métro est plutôt majestueux, mais il n’y a que deux lignes pour l’instant (et il y a trois millions d’habitants). Il y a aussi des bus et des trolleys, plutôt surchargés et anciens. Alors on voit des milliers de gens qui marchent. Ce qui frappe, c’est que la population est plutôt jeune et mince, et élancée ! Il n’y a pas d’obèses, même pas de grassouillets ! Il faut dire qu’il n’y a ni fastfood, ni barre chocolatée.

Et puis, il y a les monuments et les musées. Je ne vais pas tout te raconter, mais juste en évoquer deux. D’abord, le cimetière des martyrs de la guerre de Corée (de 1950 à 1953). On voit la statue de ce héros qui, dès le premier jour de la guerre s’est jeté sur une mitrailleuse ennemie pour que sa section puisse continuer à avancer. Et cet autre qui, blessé aux deux bras, prend une grenade dans sa bouche et se précipite sur un groupe d’ennemis. Et d’autres encore dont le souvenir est bien présent, jamais oubliés !

Un autre monument important est « l’Arche des trois Chartes ». C’est une sorte d’arc de triomphe qui représente deux femmes coréennes qui se tiennent la main au-dessus de l’autoroute qui sort de Pyongyang pour aller vers le sud. C’est un appel à la réunification.

Kim Il-sung, dès l’armistice de 53, a cherché la réunification. Il a fait plusieurs propositions, qui se rassemblent en trois chartres. Le principe général de cette réunification est simple : « un État, deux systèmes ». Cela pour montrer que la réunification n’est pas un coup tordu pour imposer le socialisme au Sud, mais une demande de la population, artificiellement divisée en deux par les Étasuniens, alors qu’il n’y a qu’un seul peuple, qui parle la même langue, sont de même famille, de même culture. C’est ce qu’a fait la Chine lors de la réunification avec Hong-Kong et Macao, que les Chinois maintiennent pour « le retour de Taïwan à la patrie ».

En Corée, la réunification est donc une préoccupation très présente dans les esprits.

Mais, dans l’ensemble, ça donne une société plutôt joyeuse ou plutôt austère ?

Eh bien, il y a une chose qui m’a étonné. Dans les années 70, Kim Il-sung a expliqué qu’il fallait construire une société socialiste « de haute civilisation ». La traduction ne permet pas de comprendre immédiatement. Mais cela veut dire que le socialisme se construit par le travail, pour créer une société prospère, sportive et cultivée, etc., mais pas seulement ! Il y a aussi le loisir. Alors, on assiste à un spectacle de dauphins savants, on visite un « skatepark », une patinoire, une salle de fitness ; le soir, sur le fleuve on voit un spectacle avec des jets d’eau lumineux, etc. À deux reprises, on a dîné dans des restaurants haut de gamme, plutôt pas mal !

C’est que que le socialisme, ce n’est pas juste un truc pour pauvres qui passent leur vie à gratter, mais une société prospère, où non seulement on a accès aux sports et à la culture, mais aussi à des loisirs dont le seul but est d’être distrayants. Joli programme, non ?

Donc, tu vois, on est donc loin d’une « société austère », mais au contraire, plutôt joyeuse ! Cependant, il est clair que la Corée est un pays « en voie de développement » : les transports en commun laissent à désirer, les rues de Pyongyang ne sont pas très bien éclairées, etc. Tout n’est pas réglé, loin de là. Mais les Coréens ont une ferme confiance dans leur avenir, et ils travaillent !

D.R.

http://www.resistance-politique.fr/article-mon-voyage-en-coree-raconte-a-ma-grand-mere-120485600.html

Retour du "pays du matin calme " - carnet de voyage : par Daniel Rougerie, président du comité Nord de l’association d’amitié franco-coréenne, et Marianne Dunlop, de l’AAFC

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