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Mohamed Al-Dirawi : Israël est conscient de la force du mot

Alohanews est allé à la découverte d’une littérature qui grandit peu à peu. C’est lors d’un petit déjeuner/lecture organisé à la Bibliothèque Publique de Mouscron que nous avons pu découvrir la littérature palestinienne. Mohamed Al-Dirawi, jeune écrivain palestinien de Gaza expatrié en Belgique depuis plus de dix ans, a accepté de répondre à nos questions. Poésie, espoir, résistance par la culture ont été les maitres mots de cet échange.

Vous avez quitté la bande de Gaza en 2000 juste avant la seconde Intifada, racontez-nous votre périple.

Disons que j’ai eu un peu de chance. Entre la première et la seconde Intifada, nous avons vécu une période de calme relatif. Au moment où les tensions commençaient à émerger, j’ai eu ma bourse d’études en France. Une semaine après mon départ, la seconde Intifada a éclaté, les frontières ont été fermées, les checkpoints ont été de nouveau renforcés. C’était le chaos général.

Comment vous est venue l’envie d’écrire des nouvelles ?

Tout au début, j’étais intéressé par la poésie. C’est un peu historique dans la littérature arabe, depuis seize siècles, la rime est reine. Il y avait beaucoup de transmission par coeur, très peu d’écrits. La poésie était donc plus facilement transmissible tout comme les contes ou les fables.

Petit à petit, en rencontrant des auteurs, en lisant des livres, je commençais à m’intéresser à écrire des nouvelles. J’ai commencé par publier mes écrits dans la presse locale en langue arabe en Palestine. Une nouvelle, un roman permettent de raconter une histoire, d’inventer un monde, d’inventer des personnages. Différent de la poésie qui est le plaisir de jouer avec le mot. J’ai jonglé avec ces deux styles selon l’inspiration et l’envie.

Quelle place a la culture au milieu du climat tendu que connait la Palestine ?

La culture a une place à part entière en Palestine. C’est un moyen de résistance. La résistance par le mot. Dans l’état d’esprit du résistant, l’écriture permet de motiver les personnes à la lutte. Par ce biais, l’écriture permet d’exprimer la souffrance d’un peuple. Aussi, la Cisjordanie ainsi que la bande de Gaza sont des territoires fermés. Les frontières sont contrôlées par Israël, la réaction naturelle des Palestiniens est d’imaginer le monde au-delà de leurs frontières. Ils font appel à leur imaginaire et pour l’exprimer, ces derniers le font sur papier.

Une sorte d’échappatoire au quotidien…

Exactement ! La population veut sortir de ce quotidien, sortir de ce couvre-feu. Il faut savoir que pendant l’Intifada, à partir de 19 h, nous n’avions pas le droit de sortir. Jusqu’à mes 24 ans, je n’ai jamais pu me rendre dans un cinéma ou une pièce de théâtre, je ne savais pas ce que c’était. Quand je sortais de chez moi, c’était par nécessité, pour aller à l’école, aller au travail, chercher à manger. Beaucoup d’écrivains palestiniens font cela non pas pour être reconnus, mais simplement pour s’exprimer.

Vous dites que les Palestiniens font de la résistance par le mot, par la culture. Est-ce que le gouvernement israélien est conscient de cela ? Et au-delà de l’occupation militaire qu’il exerce, exercerait-il une occupation culturelle aussi ?

Tout à fait, il y a différents aspects de cette occupation culturelle. Le gouvernement israélien a fait en sorte d’effacer tout ce qui est du ressort de la mémoire collective palestinienne. Il l’a fait en changeant le nom des villes et des villages. Tous les monuments historiques ont été rasés, replacés ou falsifiés parfois pour donner une référence israélienne.

Bien évidemment, il y a aussi la situation économique qui rend la vente des livres difficile. Elle est difficile sur deux points. Premièrement, pour publier un livre, avec la fermeture des frontières, les contrôles intempestifs, il devient quasi impossible de pérenniser une maison d’édition. Deuxièmement, la situation économique ne permet pas les ventes, car les personnes dépensent d’abord leur argent pour nourrir leurs enfants. Fatalement, cela étouffe beaucoup de projets littéraires et cela limite les publications au niveau local.

Il y a de grands écrivains palestiniens comme Mahmoud Darwish, Ghassan Kanafani, Naji Al-Ali qui étaient conscients de l’impact que le mot peut avoir. Israël est conscient de la force du mot. Le mot échappe aux checkpoints et c’est par ce biais que le message puisse être diffusé au monde entier. Ces écrits peuvent attirer un public plus large que le discours politique. On a plus envie de voir un film, une pièce de théâtre, lire un roman que d’écouter un discours politique.

Avez-vous tenté de revenir à Gaza malgré le blocus imposé par le gouvernement israélien ?

Depuis que je suis parti de Gaza, je n’ai pas réussi à y retourner. Peut-être dans les mois qui viennent avec le changement qui se passe dans la région, surtout du côté égyptien. La difficulté est qu’il faut d’abord réussir à rentrer. Les frontières sont gérées de manière très arbitraire, cela dépend de l’humeur du soldat israélien au poste de contrôle. Vous passez, vous ne passez pas. Il peut arriver que vous soyez arrêté. L’autre difficulté est que vous pouvez rentrer, mais que vous ne pouvez plus sortir. A l’époque, j’étais étudiant et je ne voulais pas courir le risque d’abandonner mes études. Maintenant, j’espère qu’avec le nouveau gouvernement égyptien de Mohamed Morsi, je pourrai regagner mon pays par les frontières égyptiennes.

Le tribunal Russell fait en sorte à ce que la communauté internationale reconnaisse l’État palestinien. Pensez-vous que si la Palestine venait à être reconnue par l’ONU, cela modifierait le quotidien des Palestiniens ?

Il y a un point important dans le conflit israélo-palestinien, il y a deux voix de la résistance. Il y a une voix qui dit, on se fout d’un état ou de deux états, on voudrait vivre ensemble, mais en ayant tous les mêmes droits. Comment ? En mettant fin à cet État d’apartheid. C’est-à -dire un Palestinien qui a la carte d’identité rouge et un Israélien qui a la carte d’identité bleue, ces derniers ne bénéficient pas des mêmes droits sociaux.

La reconnaissance d’un État palestinien, je pense que ça peut aider dans la mesure où la Palestine peut avoir un statut juridique différent, cela permettrait de reconnaître certains lieux historiques, permettrait de juger des criminels de guerre. Toutefois, dans le quotidien, connaissant la manière dont les territoires sont gérés, cela me paraît difficile, voire impossible à mettre en place. La seule issue à mes yeux est d’avoir un seul état pour les deux peuples.

Mahmoud Darwish, grand poète palestinien, disait : « Nous souffrons d’un mal incurable, l’espoir ». Pensez-vous que ce peuple est encore habité de ce mal ?

Oui, les Palestiniens sont à la fois pessimistes et optimistes. Ils sont pessimistes en se disant, demain ce sera peut-être pire. Parfois optimistes en ayant un espoir qui nous fait croire que nous ne pouvons rester comme cela et que la justice ouvrira les yeux un jour. Mahmoud Darwish a dit autre chose qui est très intéressant en parlant à la fois du peuple israélien et du peuple palestinien, il dit : « Nous sommes comme dans un échange de prisonniers, la vie de l’un dépend de la vie de l’autre. La sécurité de l’un dépend de la sécurité de l’autre ». Quand un jour, chacun comprendra cette réalité, les choses vont s’arranger. Quand Israël parle de la sécurité pour la paix. S’il prenait en considération aussi la sécurité de l’autre et vice versa, le climat serait plus propice à des négociations.

Si vous aviez un message à faire passer au nom du peuple palestinien, que nous adresseriez-vous ?

Je pense qu’il faut mettre l’accent sur la résistance civile. Dans la même ligne de pensée que Nelson Mandela, parler des droits de l’Homme. Nous voulons vivre ensemble, mais nous voulons bénéficier des mêmes droits. Un tel message est incontestable. Personne ne peut mettre en cause une requête pareille. On peut mettre en cause une résistance violente, on peut être critique face à certains actes qui sont violents, mais un message civil, pacifique, légitime comme celui-ci pourra mieux être entendu. J’en suis convaincu. Il aura plus d’impact sur la scène internationale.

Mouâd Salhi / Alohanews / http://newsaloha.tumblr.com/post/33837674755

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Je crois vraiment que là où il y a le choix entre la couardise et la violence, je conseillerais la violence.

MAHATMA GANDHI

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