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Mémoire d’un enfant palestinien de la Naqba de 1948

Le texte ci dessous a été publié en 1988, il y a 20 ans ; il évoque l’impossibilité d’oublier "d’un enfant palestinien de la Naqba de 1948".
Quarante années avant de publier ce souvenir, posthume ; et 20 années de plus pour qu’il soit diffusé plus largement. Faudra-t-il 60 années pour que des enfants de Gaza arrivent à dire ces mêmes massacres, par les mêmes troupes coloniales ? Pour ne pas oublier.

Ce texte a été publié en 1988 dans la « Revue d’Etudes Palestinienne » en hommage à Khalil Al-Wazir, alias Abou Jihad, l’un des fondateurs avec Yasser Arafat du Fatah, et qui venait d’être assassiné en avril 1988 par un commando israélien devant sa famille en Tunisie.
Ce témoignage d’Abou Jihad fut publié sous le titre « Hommage à Abou Jihad ». Or nous pouvons peut-être l’actualiser en le nommant « Mémoire d’un enfant palestinien de la Naqba de 1948 », et proposer que ce texte soit aussi étudié, pas uniquement en classe de CM2, mais aussi dans les cabinets du président de la république et de ses ministres. Peut-être que nos dirigeants feront alors quelque chose pour arrêter les horreurs du présent avant de penser à celles de l’avenir.

* * * *

« Je ne peux oublier... »

« Je me souviens comme si c’était hier du jour où les forces sionistes ont attaqué Jaffa. Les Arabes de cette ville envoyèrent quelques voitures et des camions chez nous à Ramleh. "De l’aide pour Jaffa !, De l’aide pour Jaffa !", criaient-ils. Je vois encore les hommes et les femmes de Ramleh montant dans les voitures et les camions. L’un d’eux avait un très vieux revolver, quelques couteaux et des gourdins. Nous nous portions ainsi secours les uns aux autres. Nous savions que les juifs attaqueraient Ramleh et Lodd s’ils arrivaient à prendre Jaffa. C’est exactement ce qui arriva. Une nuit ils encerclèrent Ramleh et Lodd et ils y parvinrent aisément parce que les soldats jordaniens s’étaient retirés sans combattre. Nous étions encerclés et seuls.

Nos gens ne pouvaient se battre - avec quoi l’auraient-ils fait, nous n’avions pas d’armes. Le maire et une délégation municipale se rendirent auprès des commandants juifs. Le maire leur dit : "D’accord, vous pouvez entrer dans la ville, mais vous ne devez ni faire du mal aux gens ni prendre des prisonniers ; et vous devez permettre aux gens de rester dans leurs maisons et d’y vivre normalement". Les juifs lui répondirent "non". Ils voulaient que nous quittions nos maisons, que nous abandonnions notre ville.

Après notre décision de ne pas bouger, Ramleh et Lodd furent soumis au tir de l’artillerie. Je ne peux oublier ce qui alors se passa. Le toit de notre maison fut touché. Nous étions au rez-de-chaussée. Puis un autre obus tomba dans la rue, et notre porte vola en éclats. Les obus tombaient partout sur la ville, et le maire demanda à la population d’aller se mettre à l’abri dans les mosquées et les églises. Nous vivions dans la partie chrétienne de Ramleh et nous nous hâtâmes vers l’église des catholiques. C’est à ce moment que certains de nos voisins furent tués par les obus.

Nous vécûmes deux jours dans l’église avant que les juifs n’entrent dans la ville. Hommes, femmes et enfants, nous dormions collés les uns aux autres. On ne pouvait pas poser le pied entre les corps tant ils étaient serrés. Quand les juifs entrèrent dans la ville, je montai au cinquième étage. A travers les volets, je les vis de mes yeux abattre des femmes et des enfants qui étaient encore dans la rue. Je ne peux l’oublier. Puis je regardai les soldats juifs entrant dans nos maisons, défonçant ou cassant les portes et faisant feu à l’intérieur. Parfois, ils en faisaient sortir des gens qu’ils abattaient dans la rue.

Dans l’église les gens pleuraient. Certains criaient "Deir Yassine, Deir Yassine". Nous étions convaincus que nous allions être à notre tour massacrés. Le prêtre confectionna un drapeau blanc et quand les soldats juifs se dirigèrent vers l’église, il sortit à leur rencontre. Puis il y revint avec eux. Ils nous dirent : "Les mains en l’air". Tout le monde s’exécuta. Alors ils commencèrent à nous trier. Ils nous dirent qu’ils voulaient tous les jeunes et les hommes âgés de quatorze à quarante cinq ans. Puis ils les emmenèrent vers les prisons et les camps de détention. Seuls demeuraient les enfants, les femmes et les vieux.
Le lendemain, les juifs nous autorisèrent à regagner nos maisons, et je n’oublierai jamais ce qui arriva alors. Durant la nuit, les soldats juifs firent plus de dix fois irruption dans notre maison. Ils forçaient leur chemin et mettaient tout sens dessus dessous. Ils disaient qu’ils cherchaient des armes. En réalité, ils visaient - c’était partie de leur politique - à nous donner un sentiment permanent de panique et d’insécurité. C’était leur tactique pour nous faire fuir nos maisons et notre patrie. Ma grand-mère était à l’époque très vieille et très malade. A chaque fois que les juifs débouchaient dans notre maison, ils tiraient brutalement les couvertures de son lit. Quand ils réalisèrent néanmoins que malgré tout nous n’avions pas l’intention de bouger, ils devinrent de plus en plus agressifs.

Deux jours plus tard, ils firent une annonce par haut-parleurs. Ils nous ordonnèrent de quitter nos maisons et de nous rassembler en certains points de la route. Ils dirent qu’ils préparaient des autobus pour nous emmener à Ramallah. Nous passâmes ainsi trois jours au bord du chemin. La nuit, ils tiraient au-dessus de nos têtes. Le deuxième jour, comme les autobus n’arrivaient pas, ils donnèrent l’ordre aux vieux de marcher vers Ramallah. Je restai seul avec trois de mes frères - l’un d’eux était encore un nourrisson -, mes trois soeurs, ma mère, ma grand-mère et ma tante.

Le troisième jour, les autobus arrivèrent. Nous avions quelques sacs avec nous. Dans l’un d’eux du pain, du fromage et un pyjama neuf dont j’étais très fier. Lorsque les juifs nous dirent que nous ne pourrions pas emporter nos sacs, je tentai d’en sortir le pain, le fromage et mon nouveau pyjama. Innocent comme un tout jeune enfant, je m’adressai au chauffeur. Je lui dis en hébreu : " Monsieur, je veux emporter un peu de nourriture ", et je désignai l’un de nos sacs. Il me dit "d’accord, d’accord". Lorsque j’y glissai ma main il y eut des cris d’énervement en hébreu. A cet instant, ma mère me tira brutalement contre sa poitrine. Elle avait vu un soldat juif qui me mettait en joue. Il tira plusieurs fois. J’aurais été probablement abattu si ma mère n’avait pas vu ce qui se passait. Les balles me manquèrent, mais touchèrent l’un de nos voisins de la famille al-Marsala à la jambe. Il vit aujourd’hui à Amman. Si vous allez le voir, il vous racontera comment les balles qui l’ont touché sont le sacrifice qu’il fit pour la vie de Khalil al-Wazir !

A quelque 16 kilomètres de Ramallah, les juifs firent stopper les autobus et nous ordonnèrent de descendre et de continuer à pied. "Ramallah est par là , vous devez couper à travers ces vallées et ces collines. "Nous nous mîmes en marche, lentement. Quelques-unes des femmes étaient vieilles et malades, et il fallait qu’elles s’arrêtent toutes les cinq minutes pour reprendre leur souffle. D’autres qui étaient en meilleure forme étaient quand même épuisées car elles portaient leurs enfants.

La deuxième nuit, les juifs nous bombardèrent au canon et au mortier. Nous commençâmes par nous mettre à l’abri derrière les rochers. Mais comme le bombardement se prolongeait, tout le monde commença à pleurer et à paniquer... et nous nous mîmes à courir, courir, courir jusqu’à Ramallah.

Je n’oublierai jamais. Des mères abandonnèrent leurs enfants : elles ne pouvaient plus les porter plus loin. Même ma tante conseilla à ma mère de laisser quelques-uns de mes frères et soeurs. Ma mère portait trois enfants. Ma tante lui dit "Tu ne eux pas courir avec trois enfants. Tu vas te faire tuer. Laisses-en deux et nous enverrons des secours les reprendre dès que nous atteindrons Ramallah". Ma mère refusa. Elle me dit : "Khalil, tu n’as que douze ans et tu n’es pas bien fort, mais penses-tu pouvoir porter l’une de tes soeurs et courir ?" Je répondis "oui" et c’est ce que je fis. Des enfants furent abandonnés car il n’y avait personne pour les porter ; d’autres parce que leur mère avait été tuée. Comment l’oublier ?

Il n’y avait pas de troupes arabes dans le secteur, ni soldats réguliers, ni volontaires, aucun contingent arabe d’aucune sorte. Les juifs savaient qui nous étions et où nous nous trouvions. L’attaque était délibérée et calculée et avait un seul objectif. Ils voulaient être sûrs que nous arriverions à Ramallah dans un grand état de panique et de détresse. Ils espéraient que notre état, ce que nous raconterions, inciterait d’autres pris de panique à quitter leurs foyers. Ce n’était qu’une partie de la stratégie intelligente et réussie des sionistes pour nous forcer à abandonner notre patrie sous l’effet de la peur.

Je sais que cela peut vous sembler difficile à croire, mais c’est ce qui est arrivé. »

Quarante ans plus tard, l’enfant qui avait réussi à atteindre Ramallah fut rejoint par ses tueurs et assassiné à son domicile de Sidi-Bou-Saïd, dans la banlieue de Tunis à l’aube du 15 avril 1988. Auparavant Khalil al-Wazir était devenu Abou Jihad, et il n’avait "jamais oublié".

Ce témoignage est extrait de l’ouvrage d’Aran Hart, « Arafat, Terrorist or Peacemaker ? » Londres, 1984, p. 91 et s.

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COMMENTAIRES  

03/03/2008 14:54 par Grenade

Je contiens ma colère mais la tristesse me coule par les yeux. Comment les européens peuvent-ils continuer à ignorer les souffrances bien actuelles du peuple palestinien, comment peuvent-ils quotidiennement détourner leux yeux de la scène de crime que constituent Gaza et autre Cijordannie. Chaque jour des enfants, des femmes et des hommes sont assassinés parce q’ils sont palestiniens et qu’ils refusent de céder leurs terres. Leurs assassins surarmés sont assurément coupables mais la "communauté internationale" ,par son silence et même son soutien, partage la même responsabilité coupable.

03/03/2008 17:02 par leila

de Eugenie et wissam en direct de gaza

ici c est la boucherie

je vous ecris vite fais j ai pas le net a porter de main, c est chaud de sortir, le cafe net est juste a cote du bureau de hanie, on prefer eviter
ils ont tue plus dune centaine de personnes en quatre jours, la plupart des civiles , 80 civils beacoup d enfants, une petite fille de deux jours un autre de six mois, c est l horreur totale on ne dort plus on se fait bombarder sans continue
je n ai jamais vu de gens aussi haineux,
ce qui se passe ici est terrible indescriptible et ils comptent bien continuer
hier c etait la journe la plus sanglante depuis le debut de l intifada c est a dire depuis 2000
tuer est systematique, sans limites, et ils savent tres bien qui ils tuent, tout cela est calculer
ici tout le monde est a bout les gens sont extenues, et personne ne sait quoi faire
on se protege comme on peu
il n y a plus de place dans les hopitaux
il n y a pas de ciment pour construire les tombes, meme les morts subissent l embargo
tout a l heure a jabalia l armee a torture trois hommes dans la rue a laisse les corps inanimes, les ambulances ne sont pas arrrive a les recuperer.
ils tuent des familles entieres, bombardent sans retenue,
je suis incapable de vsous decrire toutes les bouceheris qui se passent ici, toutes les deux minutes il y a de nouveaux massacres toutes les deux minutes les f16 qui tournent au dessus de nos tetes nous lachent un missile,
je dois partir, j enverrai un texte plus detaille aux missions civiles
salamat
eg

20/03/2008 22:29 par Anonyme

je vous ecris de france , je mappelle raoudha, et je pleure , ce que je lis est monstrueux, horrible, innomable, je ne sais pa quoi faire je me sens impuissante, sachez que je pense à vous ,je prie pour vous, courage , un jour le monde nous donnera raison, bientot je vous le promets, les choses changent, gardez confiance la terre de Palestine renait déja .Je vous aime mes soeurs mes freres mes enfants.la paix bientot .

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