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Mario Draghi : “ L’Europe devra agir comme un seul État ”

Le 18 mars devant le Sénat italien, Mario Draghi présentait une mise à jour de son Rapport à la Commission Européenne de septembre 2024. La troisième partie de son discours, ici reproduite, évoque notamment la "nécessité" de renforcer l'industrie de défense européenne pour soutenir la vitalité économique de l'UE. Sans doute par mauvaise foi, j'y vois un autre agenda, qui viserait plutôt à accélérer la marche vers le fédéralisme.

Mario Draghi :

"Le Rapport, dans sa troisième partie, aborde les principales vulnérabilités auxquelles l’Union européenne est exposée et, parmi elles, la défense.

Il est nécessaire de définir une chaîne de commandement d’échelle supérieure qui puisse coordonner des armées hétérogènes par leur langue, leurs méthodes, leurs armements et qui puisse s’affranchir des priorités nationales en opérant comme un véritable système de défense continental.

D’un point de vue industriel et organisationnel, cela signifie favoriser les synergies industrielles européennes en concentrant les développements sur des plateformes militaires communes (avions, navires, véhicules terrestres, satellites), afin de permettre l’interopérabilité et de réduire la dispersion ainsi que les actuelles duplications dans les productions des États membres.

Ces dernières semaines, la Commission européenne a lancé un important plan d’investissements dans la défense de l’Europe.

Alors même que l’on prévoit de nouvelles ressources, il serait nécessaire que l’actuel marché public européen de la défense – environ 110 milliards d’euros en 2023 – soit concentré sur quelques plateformes de pointe, plutôt que sur une multitude de plateformes nationales, aucune réellement compétitive car essentiellement conçues pour leurs marchés domestiques.

L’effet de cette fragmentation est dévastateur : malgré des investissements globalement élevés, les pays européens achètent finalement une grande partie de leurs plateformes militaires aux États-Unis.
Entre 2020 et 2024, les États-Unis ont assuré 65 % des importations de systèmes de défense des États européens membres de l’OTAN.

Dans la même période, l’Italie a importé environ 30 % de ses équipements de défense des ÉtatsUnis.

Si l’Europe décidait de créer sa propre défense et d’augmenter ses investissements en dépassant l’actuelle fragmentation, plutôt que de recourir massivement aux importations, elle en retirerait sans aucun doute un plus grand bénéfice industriel, ainsi qu’un rapport plus équilibré avec l’allié atlantique, y compris sur le plan économique.

Cette grande transformation est en réalité indispensable, non seulement en raison des complexités géopolitiques actuelles, mais aussi à cause de l’évolution technologique extrêmement rapide, qui a complètement bouleversé le concept même de défense et de guerre.

Prenons l’exemple des drones : selon une estimation des forces armées ukrainiennes, depuis le début du conflit, environ 65 % des cibles touchées l’ont été par des aéronefs sans pilote. Mais ce ne sont pas uniquement les drones : l’intelligence artificielle, les données, la guerre électronique, l’espace et les satellites, ainsi que la cyber-guerre silencieuse, ont désormais un rôle fondamental sur et en dehors des champs de bataille.

La défense aujourd’hui ne se résume plus à l’armement, c’est aussi de la technologie numérique.
C’est le concept même de défense qui évolue vers une notion plus large de sécurité globale. La convergence entre les technologies militaires et les technologies numériques conduit à la synergie des différents systèmes de défense aérienne, maritime, terrestre et spatiale.

Il est donc nécessaire de se doter d’une stratégie continentale unifiée pour le cloud, le supercalcul, l’intelligence artificielle et la cybersécurité.

Cette évolution ne peut se faire qu’à l’échelle européenne. La défense commune de l’Europe devient ainsi un passage obligé pour exploiter au mieux les technologies qui devront garantir notre sécurité.

Même notre façon de mesurer l’investissement dans la défense, aujourd’hui basée uniquement sur les dépenses militaires, devra être revue pour inclure les investissements dans le numérique, l’espace et la cybersécurité, désormais essentiels à la défense de demain.

Pour tout cela, il est nécessaire d’engager un processus qui nous amènera à dépasser les modèles nationaux et à penser à l’échelle continentale. Tout cela concerne non seulement notre sécurité, mais aussi la place de l’Europe parmi les grandes puissances.

Les décisions auxquelles le Rapport appelle l’Europe sont aujourd’hui encore plus urgentes, alors que la nécessité de se défendre et de le faire vite est au cœur des préoccupations de la majorité des citoyens Européens. Une Europe qui croît pourra financer plus aisément des besoins désormais supérieurs aux prévisions du Rapport.

Une Europe qui réforme son marché des services et des capitaux verra le secteur privé participer à ce financement. Mais l’intervention de l’État restera nécessaire.

Les marges budgétaires étroites ne permettront pas à certains pays d’augmenter significativement leur déficit, et il est tout aussi inimaginable de réduire les dépenses sociales et de santé : ce serait non seulement une erreur politique, mais surtout un reniement de la solidarité qui fait partie de l’identité européenne, cette même identité que nous voulons défendre face à la menace des autocraties.

Le recours à la dette commune est la seule voie possible. Pour mettre en œuvre de nombreuses propositions contenues dans le Rapport, l’Europe devra agir comme un seul État.

Cela pourra signifier soit une plus grande centralisation des décisions et des capacités de dépense, soit une coordination plus rapide et plus efficace entre les pays qui, partageant des orientations communes, réussiront à atteindre les compromis nécessaires pour avancer ensemble.

À chaque étape de ce processus, les Parlements nationaux et le Parlement européen joueront un rôle essentiel. Les choix qui nous attendent sont d’une importance historique, peut-être comme jamais depuis la fondation de l’Union européenne.

La politique – et en particulier la politique intérieure de chaque État membre – en sera au cœur. Vous, députés, en serez les acteurs, en répondant, par vos décisions, aux aspirations mais aussi aux inquiétudes des citoyens.

C’est ainsi que nous construirons une Europe forte et cohésive, car chacun de ses États n’est fort que s’il est uni aux autres et s’il est cohérent en son sein.

Je vous remercie."

Ainsi la menace russe, devenue terriblement prégnante (et non provoquée), au point où même l’assassin islamiste de Samuel Paty est soudainement devenu - si je puis dire - "un tchétchène russe aux ordres du Kremlin" dans toutes les bouches ressassant les éléments de langage de la propagande officielle, permet utilement de soutenir à la fois les intérêts des mêmes industriels (de la finance) qui ont tout fait pour aboutir à la guerre en Ukraine (et poussent pour son escalade), et l’agenda fédéraliste qui vise la destruction des États-nations, qui est me semble-t-il le seul cadre où puisse s’exercer (un ersatz de) la démocratie.

En outre, l’UE qui s’assume comme l’antagoniste des autocraties, s’assure désormais - pour notre bien - de mieux censurer les discours dérangeants et d’intimider ou de supprimer les plateformes qui les diffuseraient. On attend désormais avec impatience que l’Euro numérique dûment sécurisé puisse favoriser encore mieux tous les prélèvements à la source, et la marche au pas de l’ensemble des acteurs de l’économie.

Pour ce qui est des capacités de notre industrie, Mario Draghi parle bien du coût faramineux de l’énergie, mais – à l’instar de bon nombre de nos représentants - il n’évoque étrangement pas les conséquences concrètes de la mise à mort de Nord Stream par un mystérieux allié.

La revente du pétrole russe raffiné, via l’Inde et autres circuits pirates qui permettent, en transvasant les précieux fluides d’un navire à l’autre dans les eaux internationales, de continuer à acheminer jusqu’en Europe une bonne quantité d’énergies fossiles venues de Russie sous sanction, mais en masquant leur origine, ne permet-elle finalement pas un bénéfice très substantiel à ceux qui l’organisent ?

Qui, par exemple, se soucierait de 1300 emplois chez Michelin, franchement ? Michelin, contrairement aux boulangers, peut rester compétitif en vulcanisant ailleurs. L’Europe, qu’on n’en doute pas, s’assurera d’offrir autrement à ces quelques malheureux salariés un cadre idéal à leur épanouissement. Et puis le pain des boulangeries artisanales, c’est surcoté.

Une question qui me taraude ici (parmi d’autres) c’est : est-ce que c’est le totalitarisme qui conduit à la guerre, ou est-ce que c’est la guerre qui justifie le totalitarisme ?

Et vous : Qu’est-ce qui est au cœur de vos préoccupations ?

Discours intégral
Le Rapport Draghi (en anglais uniquement)

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COMMENTAIRES  

22/03/2025 07:39 par calame julia

Pas de réponse à la question "qui me taraude" qui reste une question
notamment pour "s’affranchir des priorités nationales en opérant comme
un véritable système de défense continental" et § suivant.

22/03/2025 10:14 par Léontin

À la question « Et vous : Qu’est-ce qui est au cœur de vos préoccupations ? », je répondrais volontiers en appliquant les bases de l’ONU : des États-Nations autonomes, souverains, maintenant des liens diplomatiques entre eux et de façon permanente ou cyclique, bilatérale et/ou plénière.
L’ONU, quoi, malgré ses faiblesses.
Et avant l’ONU la SDN et avant la SDN, les traités de Westphalie.
Pourquoi pas ?

24/03/2025 13:34 par Chris

La France a t-elle un intérêt majeur à rester dans l’UE ou pas ?
Depuis l’acte unique (1986) qui prépare et Maastricht (1992) qui lance l’UE, nous avons presque 40 ans de recul pour évaluer le bien-fondé de notre appartenance à cette organisation.
Si tout n’est pas noir ou blanc, force et de constater que notre économie s’est totalement déséquilibrée et affiche des déficits records, tant dans le domaine public que privé avec une balance commerciale dramatiquement dans le rouge depuis 20 ans. Notre industrie a été éparpillée aux 4 vents (Vente par nos gouvernants et rachat par des pays étrangers ou délocalisations) et notre agriculture n’est plus que l’ombre d’elle-même d’un point de vue qualitatif et quantitatif.
Sur le plan social, nos services publics sont agonisants (santé, éducation, justice, protection sociale...) et souvent absents pour une partie de plus en plus grande de la population alors que les dépenses liées n’évoluent peut et que les recettes s’effondrent. Les salaires n’augmentent qu’en dessous de l’inflation pour une majorité de Français dont une part grandissante et paupérisée et précarisée sur bien des domaines alors qu’une infime minorité profitent allègrement de ce système, creusant continuellement des inégalités de plus en plus flagrantes. Avec l’Euro comme monnaie unique comment s’apprécie ou se dévalue la compétitivité d’un peuple ?
Dans le domaine politique et démocratique, nos institutions sont asphyxiées ou figées et ne fonctionnent que grâce aux artifices prévus par la Vème république : le fameux vote bloqué (art. 49.3) fait la loi, nonobstant le résultat des élections. Elections au demeurant de moins en moins significatives tant sur le plan de la réprésentation (de moins en moins pluraliste) que de la participation (de plus en plus faible). Droite, gauche, quelles différences de projet de société ont été réalisé depuis 1983...? Que veut dire concrêtement être socialiste, communiste, républicain etc.. de nos jours ?
Quid de la souveraineté donc de la démocratie ? Reste t-elle populaire... ? nationale... ? ...Européenne voire libérale ?
En France comme partout en europe ont constate la montée d’une idéologie protestataire de droite extrême pour ne pas dire l’inverse. Et sur le plan international, la voix non-alignée de la France s’est éteinte en même temps que sa capacité a influer sur la scène mondiale alors qu’elle dispose -encore- d’un siège permanent au conseil de sécurité de l’ONU.

Si au sortir de la deuxième guerre mondiale, une France ruinée et divisée a pu jeter les bases d’un état social (CNR), central dirigiste et régulateur (commissariat général du Plan), faire de grandes réformes sociales et économiques au profit de sa population et faire entendre son point de vue sur les affaires du monde, qu’en est-il depuis Maastricht ?
Que peut faire la France seule et repliée sur elle-même, alors qu’a 6, 12, 27 elle serait bien plus forte et rayonnante, plus riche, heureuse, démocratique, libre et en paix ?

Alors que nous a réellement apporté l’UE et quel est l’horizon de ce formidable projet fédérateur qui s’annonce depuis le début comme un progrès, le progrès ?

A t-on le droit de faire l’inventaire ?

24/03/2025 14:37 par Assimbonanga

Sur le plan social, nos services publics sont agonisants (santé, éducation, justice, protection sociale...) et souvent absents pour une partie de plus en plus grande de la population alors que les dépenses liées n’évoluent peut et que les recettes s’effondrent.

Les recettes baissent et pour cause ! Tout le travail de Macron depuis 8 ans consiste à réduire les recettes pour faire baisser les impôts des entrepreneurs et les cotisations patronales. En cela, il tient les promesses électorales 2017 de Fillon et Le Pen réunis. C’est pas l’UE, c’est la pression patronale de droite. Macron aurait fait de même s’il n’y avait pas eu l’échelle européenne.

Pour les gâter encore davantage, qu’ils soient industriels, commerçants, banquiers ou agriculteurs il leur a offert par-dessus le marché des apprentis gratuits.

24/03/2025 14:39 par Assimbonanga

Dans le domaine politique et démocratique, nos institutions sont asphyxiées ou figées et ne fonctionnent que grâce aux artifices prévus par la Vème république : le fameux vote bloqué (art. 49.3) fait la loi, nonobstant le résultat des élections.

Cela tient uniquement de la responsabilité de Macron. C’est sa politique, c’est ses méthodes, c’est son choix.

25/03/2025 11:37 par Vincent

notre économie s’est totalement déséquilibrée et affiche des déficits records, tant dans le domaine public que privé avec une balance commerciale dramatiquement dans le rouge depuis 20 ans.

23 ans en fait. Notre balance commerciale devient étrangement déficitaire dès l’introduction de l’Euro.
(de la même manière que la courbe exponentielle de la dette irrécouvrable et illégitime commence avec la loi Rothschild de 1973...)
Et ça empire chaque année et ça détruit notre industrie parce que cette (fausse) monnaie est surévaluée pour nous, et empêche - interdit - toute dévaluation.

Voir le bilan Target2 édifiant sur les réalités de la monnaie unique fétiche.
Cette enquête de 2012 prouve au moins qu’après 13 ans on n’a toujours rien fait.
Ah ! si, pardon : il y a eu les Quantitative Easings mis en place par un certain Draghi ! (lol)

Je recommande vivement de prendre le temps de regarder l’ensemble de cette série de vidéos.

Que peut faire la France seule et repliée sur elle-même ?

C’est vrai que la Suisse s’en sort très mal, en dehors de l’UE, de l’Euro, et avec toutes ses lois protectionnistes et tous les traités bilatéraux qui la lie au reste du monde. Qui ça ferait rêver un SMIC à 4000€ franchement ?
La Norvège et la Suède fonctionnent très bien avec leurs Couronnes, et même la Pologne est très heureuse de son Złoty.

On a le droit de faire l’inventaire, oui. Le problème c’est d’avoir le courage de le faire et le courage de regarder en face ce que dit le bilan.
Le chantage à la sortie de l’Euro fonctionne bien et rend stupides des français si prompts à se laisser spolier au nom de soi-disant "principes".
(soupir)

Cela tient uniquement de la responsabilité de Macron

Ah bon ? C’est un peu court. Et le "tournant de la rigueur" Fabius, Rocard etc. ? Et Maastricht ? Et Sarko, et Hollande, et toutes les fois où le peuple souverain a été pleinement respecté dans ses choix façon Lisbonne : on passe l’éponge, on oublie, on renonce ? On s’habitue, on accepte, on trouve ça normal, on s’abstient ? On revote encore pour les mêmes traitres cupides et corrompus pour nous protéger du "pire" ?

Grrrmbl !

25/03/2025 19:27 par Assimbonanga

Je parle du déficit que Macron a essayé de nous cacher en organisant une petite dissolution-éclair pour détourner notre attention . La dette de notre ami Bruno Le Maire, qui s’est sauvé en Suisse après que le pot aux roses fut révélé. Les renflements bruns bien dilatés, c’était les nôtres.
Tout ça c’est le fruit de 10 ans cumulés d’efforts à Bercy, Macron puis Le Maire.

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