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Mandela la légende : Du matricule 46664 au prix Nobel

« Mon idéal le plus cher a été celui d’une société libre et démocratique dans laquelle tous vivraient en harmonie avec des chances égales (...) C’est un idéal pour lequel je suis prêt à mourir. »
Nelson Mandela

Ce 11 février 2010, l’Afrique du Sud, le monde occidental, fêtent les vingt ans de la libération de Nelson Mandela. Quel bilan pouvons-nous faire de l’Afrique du Sud et de l’action de Nelson Mandela ? Avant toute chose, l’information qui nous est distillée par les médias occidentaux parle d’une réussite exemplaire de l’Afrique du Sud qui a réussi l’intégration et à créer, selon le bon mot de Mandela, une « nation arc-en-ciel » Nous allons d’abord montrer que la libération de Mandela, le 11 février 1990, ne fut pas un cadeau et qu’elle a été, par la force des choses, imposée au pouvoir raciste d’Afrique du Sud par cet Occident qui avait soutenu pendant des décennies le pouvoir. Cet Occident qui a compris que le vent de l’histoire avait tourné et qu’il valait mieux composer avec l’ANC plutôt que de tout perdre. Souvenons-nous « l’ex-président sud-africain Nelson Mandela et son parti politique, le Congrès national africain, étaient sur la liste noire des organisations que les Etats-Unis considèrent comme terroristes ». Durant tout son mandat en tant que Président élu de l’Afrique du Sud, il ne fut pas reconnu et jusqu’en 2008, il était toujours sur la liste des terroristes ainsi que tous les dirigeants de l’ANC. Il a fallu attendre le 1er juillet 2008 pour que le président américain George W. Bush signe une loi en vue de retirer l’ancien président sud-africain Nelson Mandela ainsi que son parti d’une liste américaine répertoriant des terroristes.

10.000 jours de prison

La détention de Mandela pendant 10.000 jours fut l’objet d’un processus qui s’est accéléré en 1989. Le régime de l’apartheid a offert à six reprises de libérer Mandela. Ce dernier a d’abord refusé, jugeant les conditions du gouvernement inacceptables. Mais, vers le milieu des années 1980, le gouvernement de l’apartheid est aux abois. Isolé sur la scène internationale, il peine à réprimer les rassemblements anti-régime dans les townships. Le président P.W.Botha consent enfin à proposer à Mandela une solution politique négociée que l’ANC réclamait depuis toujours. Mandela rencontre en secret le président Pieter Willem Botha en juillet 1989. Le chef de l’ANC parle des Afrikaaners et de la guerre anglo-Boer, ce qui séduit le président. En détention à Robben Island, Mandela a appris la langue des Afrikaaners, il s’est penché sur leur histoire, et a lu leurs poètes. (...) Frederik de Klerk succède à Botha en août 1989. Mandela le rencontre en décembre. On le fait entrer en cachette, par le garage. Le détenu est accompagné, mains libres, dans le bureau de Frederick de Klerk. Le président sud-africain le reçoit en compagnie du chef des services secrets. C’est la première fois que De Klerk voit Mandela. « C’est donc lui, l’icône mondiale de la lutte contre l’apartheid ! », se dit de Klerk. Il avoue dans ses mémoires avoir été impressionné par le calme, la courtoisie, et la confiance en lui de Mandela. De Klerk souhaite aller vite. Il sait que son parti politique est du mauvais côté de l’Histoire. Le mur de Berlin est tombé. Le gouvernement de l’apartheid ne peut plus prétendre s’opposer à l’ANC pour enrayer l’expansion communiste. Le 2 février 1990, De Klerk annonce la libération de Mandela. Le 11 février, ce dernier franchit à pied les derniers mètres de sa « longue marche vers la liberté ». (1)

L’impérialisme colonial est toujours présent malgré les décolonisations. La seule décolonisation dit-on réussie est celle de l’Afrique du Sud avec un pouvoir blanc toujours présent et avec lequel Mandela a composé. Cette Afrique n’a d’Afrique que la couleur. La mentalité est encore occidentale. Ce pays est, dit-on, développé et dispose de l’énergie nucléaire. Peut-être parce qu’il n’est pas musulman.

Pourtant la situation n’est pas aussi rose que l’on veut bien nous le faire croire. Les plaies sont encore béantes. Ecoutons ce qu’écrit Kholofelo Mashabela du journal The Sunday Independent : « Nelson Mandela a été libéré le 11 février 1990. Malgré les bouleversements survenus dans la société, les blessures infligées par le régime raciste restent vives et difficiles à résorber. C’est comme si c’était hier. Le 11 février 1990, des milliers de personnes avaient envahi les rues du Cap pour apercevoir la personnalité qui s’était battue si longtemps pour la liberté. (...) On ne sait pas très bien qui a écrit le scénario, mais cela a marqué le début d’une tendance à gérer le processus politique par l’hystérie. La dernière manifestation en est la fièvre qui entoure l’organisation de la Coupe du monde de football, qui aura lieu du 11 juin au 11 juillet 2010. Avant, il y a eu la Convention pour une Afrique du Sud démocratique (Codessa) et ce qu’elle a apporté. Il y a eu la violence dont ont été victimes les communautés noires. Il y a eu les révélations sur les activités du Bureau pour la coopération civile (CCB). Bien sûr, il y a eu la Vlakplaas [unité secrète antiterroriste pendant l’apartheid]. Il y a eu aussi l’établissement de la Commission électorale indépendante, qui a ouvert la voie aux premières élections démocratiques, peut-être le résultat le plus significatif de février 1990. Puis sont arrivées la reconnaissance internationale et l’acceptation de l’Afrique du Sud en tant que pays dirigé par des Noirs. Il y a eu aussi la Coupe du monde de rugby, en 1995... En somme, un mélange de bon et de mauvais. Tous ces événements ont, chaque fois, produit le même effet sur notre peuple : celui de réveiller l’hystérie collective. A ce moment de notre histoire, la communauté internationale s’est bousculée pour faire de Nelson Mandela un citoyen du monde. Le régime de l’apartheid et le Congrès national africain (ANC) s’étaient autoproclamés les acteurs les plus importants de l’accord négocié qui devait suivre ».

« Dans l’accord négocié qui a suivi, la question de la terre fut éludée. Il fut décidé que les terres dont les Noirs avaient été dépossédés avant 1912 ne leur seraient pas rendues et que celles qui leur avaient été prises après 1912 ne seraient restituées que sur la base d’un contrat de vente volontaire. C’est probablement en partie pour cela que la société sud-africaine est aujourd’hui l’une des plus inégalitaires au monde en termes socioéconomiques. Car, après février 1990, la réconciliation est devenue une priorité. Si le concept était noble en soi, cela signifiait cependant que la justice ne serait pas rendue. Les personnes coupables de violences institutionnelles envers les Noirs ne seraient pas traduites en justice. Toujours dans ce désir de réconciliation, Nkosi Sikelele Afrika, l’hymne africain de l’espoir, a été mis sur le même niveau que Die Stem, un chant qui célèbre les objectifs de la rébellion [boer] de Slagtersnek [1816]. On a fusionné les deux chants pour créer l’hymne national sud-africain, que la plupart des gens semblent ne pas pouvoir ou ne pas vouloir chanter dans son intégralité. (...) Au moment où les élus prenaient leurs fonctions et où nous apprenions combien ils gagnaient, nous avons vu que l’éthique était jetée aux orties et que les graines de la corruption avaient été semées. Si le contenu de cet article met le lecteur mal à l’aise, c’est peut-être parce qu’il est temps que quelqu’un fasse remarquer que le roi est nu. Mais ces propos auront-ils le moindre effet, compte tenu de l’hystérie qui entoure le vingtième anniversaire de ce fameux mois de février 1990 ? » (2)

Dans le même ordre visant à montrer que tout n’est pas rose et net, on apprend que la mentalité d’apartheid est « exportée » vers les voisins avec justement l’assentiment, à l’époque, du gouvernement...Mandela et on l’aura compris avec cet Occident qui continue à perpétuer sa tyrannie. Ecoutons Michel Chossudovsky, professeur d’économie à Montréal : « (...) Forcés de renoncer à l’odieux régime qui les avait mis au banc des nations, les fermiers blancs sud-africains se redéploient en direction du Mozambique et de l’Angola. Fer de lance de la nouvelle puissance régionale, ils prétendent s’emparer des meilleures terres agricoles et mettent en danger, avec l’aide de la communauté internationale, la survie des communautés locales. Créer un "couloir agroalimentaire" de l’Angola au Mozambique, tel est le projet d’une organisation de la droite sud-africaine blanche, le Front de la liberté. Avec le soutien de la Chambre sud-africaine pour le développement de l’agriculture, la Sacada, l’agrobusiness afrikaner voudrait ainsi étendre sa mainmise sur les pays voisins en investissant massivement dans l’agriculture commerciale, l’industrie alimentaire et l’écotourisme. (...) Le Front de la liberté est dirigé par le général Constand Viljoen : cet ancien commandant en chef de l’armée au temps de l’apartheid fut jadis impliqué dans l’assassinat de militants anti-apartheid. Si son parti semble modéré, comparé au groupe d’extrême droite de Eugène Terreblanche, l’Afrikaner Weerstandebeweging (AWB), il n’en est pas moins un mouvement politique raciste fidèle à l’idée d’un Etat afrikaner. Paradoxalement, l’initiative commune de la Sacada et du Front de la liberté bénéficie du soutien politique de l’ANC, notamment de la bénédiction du président Nelson Mandela ». (3)

« (..) Pour 0,15 dollar l’hectare, les fermiers afrikaners se verront en particulier concéder les meilleures terres agricoles de la province mozambicaine de Niassa : un véritable cadeau. (..) Les grandes banques sud-africaines, la Banque mondiale et l’Union européenne soutiennent cette entreprise. (...) Si la communauté internationale a soutenu (tardivement) le combat de l’ANC contre l’apartheid, elle aide maintenant financièrement les organisations racistes afrikaners de développement. Autrement dit, les pays occidentaux donateurs contribuent à l’extension de l’apartheid aux pays voisins de l’Afrique du Sud. L’Union européenne a ainsi financé la Sacada dans le cadre d’aides octroyées à Pretoria au titre du programme de reconstruction et de développement. Un responsable de Bruxelles considère l’initiative de la Sacada comme la meilleure nouvelle pour ce continent depuis trente ans ». (3)

Soutien à la Palestine

Ce que nous retenons de Mandela, c’est aussi ses prises de postion courageuses contre l’ordre occidental, contre la guerre en Irak et son soutien sans faille à la cause palestinienne. Dans une lettre adressée à Thomas Friedmann il écrit : « Aujourd’hui, dans le monde, noir et blanc, reconnaît que l’Apartheid n’a pas d’avenir. En Afrique du Sud, il s’est terminé grâce à notre propre action de masse décisive, pour bâtir la paix et la sécurité. Cette campagne massive de défi et autres actions ne pouvait qu’aboutir à l’établissement de la Démocratie. Il est peut-être étrange pour vous d’observer la situation en Palestine ou, plus spécifiquement, la structure des relations politiques et culturelles entre les Palestiniens et les Israéliens, comme un système d’apartheid. (...) Le conflit palestino-israélien n’est pas qu’un problème d’occupation militaire et Israël n’est pas un pays qui a été créé "normalement" et qui s’est mis à occuper un autre pays en 1967. Les Palestiniens ne luttent pas pour un "Etat" mais pour la liberté, la libération et l’égalité, exactement comme nous avons lutté pour la liberté en Afrique du Sud.(...) Israël ne pensait pas à un "Etat" mais à une "séparation". La valeur de la séparation se mesure en termes de la capacité d’Israël à garder juif l’Etat juif, et pas d’avoir une minorité palestinienne qui pourrait devenir une majorité, dans l’avenir. Si cela arrivait, cela forcerait Israël à devenir soit un Etat laïque ou binational, soit à devenir un Etat d’apartheid, non seulement de fait, mais aussi de droit. »

« Thomas, si vous suivez les sondages israéliens au cours des 30-40 dernières années, vous verrez clairement un racisme grossier, avec un tiers de la population qui se déclare ouvertement raciste. Ce racisme est de la nature de "Je hais les Arabes", et "Je souhaite que les Arabes meurent". Si vous suivez également le système judiciaire en Israël, vous verrez qu’il y a discrimination contre les Palestiniens, et si vous considérez plus particulièrement les territoires occupés en 1967, vous verrez qu’il y a déjà deux systèmes judiciaires à l’oeuvre, qui représentent deux approches différentes de la vie humaine : une pour la vie palestinienne et l’autre pour la vie juive. De plus, il y a deux approches différentes pour la propriété et pour la terre. La propriété palestinienne n’est pas reconnue comme propriété privée puisqu’elle peut être confisquée (...) Les soi-disant "Zones autonomes palestiniennes" sont des Bantoustans. Ce sont des entités restreintes au sein de la structure de pouvoir du système israélien d’apartheid. L’Etat palestinien ne peut pas être un sous-produit de l’Etat juif, juste pour garder la pureté juive d’Israël. La discrimination raciale d’Israël est la vie quotidienne de la plupart des Palestiniens. Parce qu’Israël est un Etat juif, les Juifs israéliens ont des droits particuliers dont les non-juifs ne bénéficient pas. Les Arabes palestiniens n’ont aucune place dans un Etat "juif". L’apartheid est un crime contre l’humanité. Israël a privé des millions de Palestiniens de leur liberté et de leur propriété. Il perpétue un système de discrimination raciale et d’inégalité. Il a systématiquement incarcéré et torturé des milliers de Palestiniens, en violation du droit international. Il a déclenché une guerre contre une population civile et en particulier contre des enfants. Les réponses de l’Afrique du Sud en matière de violation des droits humains provenant des politiques de déportation et des politiques d’apartheid ont mis en lumière ce que la société israélienne doit nécessairement accomplir avant que l’on puisse parler d’une paix juste et durable au Moyen-Orient et de la fin de la politique d’apartheid. » (4)

Pour Aminata Traoré, ancienne ministre de la Culture au Mali, « Mandela est un grand homme. Un homme de conviction et de courage qui a su libérer son pays. Nelson Mandela est aussi un grand homme qui a su quitter le pouvoir au moment opportun. Cela est important, parce que les héros des luttes de libération nationale qui s’accrochent à leur projet finissent comme Mugabe (...) Aujourd’hui, on cherche à faire la comparaison entre Mandela et les dirigeants africains actuels. Je ne poserai pas le débat dans ces termes. Parce que l’histoire de l’apartheid et la nature du combat ont changé. Aujourd’hui, nous avons affaire à un ennemi invisible. Avec l’apartheid, vous êtes en face de l’oppresseur. Vous êtes maltraité du fait, tout simplement, de la couleur de votre peau ». « L’apartheid est maintenant mondial ». (5)

Que peut-on retenir en définitive de la légende Mandela ? Il a fait honneur à l’Afrique et à l’humanité. Il n’existe pas de personnages qui ait marqué son époque au XXe siècle comme le Mahatma Gandhi ou son héritier spirituel, Nelson Mandela. Au XIXe siècle il y eut un grand consensus pour désigner l’Emir Abdelkader comme l’une des personnes ressources de l’humanité. Curieusement, l’Occident si prompt à donner des leçons de droits de l’homme, n’a pas vu émerger en son sein des hommes de la trempe de ces géants qui nous font espérer en la condition humaine.

Pr Chems Eddine CHITOUR
Ecole Polytechnique enp-edu.dz

1. Nicolas Champeaux - Les coulisses de la libération de Nelson Mandela - 10 février 2010

2. Kholofelo Mashabela - The Sunday Independent ; 11.02.2010

3. Michel Chossudovsky - Quand l’apartheid s’exporte Le Monde Diplomatique - Avril 1997

4. Lettre de Nelson Mandela à Thomas L.Friedman, March 28, 2001

5. Aminata Traoré : Et si Mandela... http://www.alterinter.org/article2324.html 22 juillet 2008

EN COMPLEMENT :

Selon les Etats-Unis, Nelson Mandela est toujours sur la liste noire des "terroristes"

Bush signe une loi en vue de retirer Mandela d’une liste terroriste américaine (juillet 2008)

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"Pourquoi les pauvres votent à droite"
Thomas Frank
Titre original : What’s the matter with Kansas ? (2004, 2005, 2007) Traduit de l’anglais par Frédéric Cotton Nouvelle édition. Première parution française dans la collection « Contre-feux » (Agone, 2008) À la fin des années 1960, la concurrence internationale et la peur du déclassement transforment un populisme de gauche (rooseveltien, conquérant, égalitaire) en un « populisme » de droite faisant son miel de la crainte de millions d’ouvriers et d’employés d’être rattrapés par plus (…)
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Viktor Dedaj

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