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Loin des médias, Caracas est si proche.

Un livre baptisé avec des semences de pois « quinchoncho » et de « mañoco » plutôt qu’avec des pétales de fleurs, présenté par trois femmes et un homme. Terre, Femmes et Hommes Libres, paru à la maison d’édition La Estrella Roja, traite des relations de genre à l’intérieur d’un mouvement social, le Front National Paysan Ezequiel Zamora (FNCEZ).

Au fil des pages, Liz Guaramato raconte la lutte contre un système qui les opprime doublement : comme paysannes et comme femmes. Orión Hernández, éditeur du livre, souligne que cette publication inaugure la série « Sororités » de la collection Construire les Communes, dont l’objectif est de rendre visible l’organisation des femmes dans la lutte contre le capitalisme et le patriarcat. « Ils nous voulaient à la maison, en train de repriser, obéissante, accouchant dans la douleur/ Attendant la dernière heure, et disant : oui, père ; oui, mari ; oui, Dieu » énonce une partie du poème qu’Aura Bastidas a récité samedi à la Librairie du Sud, dans le cadre de la Foire Internationale du Livre du Venezuela 2015.

Un accouchement. Ainsi l’a défini une des protagonistes de cette histoire lors de la présentation du livre à une assemblée attentive. Un livre qui parle des inégalités de genre à l’intérieur d’un collectif en lutte, où le machisme reste une pratique commune aux hommes et aux femmes. Ainsi parle Aura Bastidas, paysanne et militante du FNCEZ : « ce livre est un accouchement tout droit sorti de nos entrailles à nous, les femmes qui militons dans la lutte paysanne. Les femmes paysanne vivent enfermées par ce système, sans possibilité et avec peu de portes ouvertes pour dire ce qu’elles vivent, comme femmes, comme militantes et comme communardes ».

A partir d’une épistémologie féministe latino-américaine, et de l’ethnographie comme méthode de travail, Liz Guaramato a décidé de se centrer sur le travail quotidien des femmes qui donnent vie à la Commission Nationale de Genre du FNCEZ. « C’est un débat urgent, et pas seulement des grandes organisations, comme le Front Paysan, mais aussi à l’intérieur des communes que nous sommes en train de construire et pour ceux et celles qui croient au projet de ce pays, un projet libérateur impulsé par le premier président qui s’est déclaré féministe, comme le fut Chavez et l’est aujourd’hui Maduro » conclut l’auteure.

« Il n’existe pas d’autre livre, pas d’autre écrit qui transmette ce qu’est la réalité des femmes qui militent à l’intérieur d’un mouvement mixte et qui prétend lutter pour la construction de ce féminisme populaire socialiste. C’est le seul » déclare Bastidas applaudie par les participants . « Nous voici, les ovaires pleins comme des grenades/ comme des banderoles et des munitions à la place de scapulaires et chapelets/ Ou avec tout à la fois, mais dignes, et déjà nous ne sommes plus muettes, nous marchons », poursuit le poème écouté attentivement à la Librairie du Sud.

Le livre me reflète pas ce que disent les intellectuels, – « je m’excuse auprès des intellectuels, si j’en offense certains » déclare la paysanne-, mais ce que les femmes vivent, construisent, font. Des expériences qui se compliquent pour celles qui vivent à la campagne et affrontent le « machisme face à face », ajoute-t-elle. « Nous avons relaté les conflits internes qui ont généré la pratique libératrice de la Commission Nationale de Genre du mouvement social paysan. La lutte n’a pas pour seul objectif de parvenir à la libération des femmes mais de parvenir également à la libération des hommes parce que « ce système utilise les hommes que nous aimons pour nous opprimer » assume Bastidas.

« Ils nous voulaient muettes, et à présent nous chantons/ Ils nous voulaient sillonnées de larmes et à présent nous sommes des rivières/ Ils nous voulaient soumises et à présent nous résistons, nous avançons et nous menons le combat » poursuit le poème.

Autre voix présente dans le livre, celle de Yolanda Saldarriaga qui explique – émue – que l’œuvre est le produit d’une longue lutte mais qu’il est aussi aussi une production inachevée, juste une étape. « Nous devons utiliser ce livre comme outil pour la critique, pour la compréhension d’autres réalités, pour l’autocritique de ceux qui militent dans des organisations mixtes. Comment les hommes et les femmes nous reproduisons le patriarcat et le machisme » explique-t-elle. Elle fait un appel à l’unité de tous et toutes : « Le chavisme est un chavisme indigène, un chavisme féministe, un chavisime afro-descendant, un chavisme ouvrier, tout cela est le chavisme, et nous sommes frères et sœurs de lutte ». C’est à dire, ce livre a pour objectif de renforcer le collectif, pas de dénigrer quelque compagnon que ce soit. « Si nous réunissions les gouttes nous serons capables de donner l’averse dont nous avons besoin », dit – avec la voix entrecoupée de brefs silences Saldarriaga. Derniers vers de ce poème récité en 2009 et repris aujourd’hui pour la Foire Internationale du Livre : « Ils nous voulaient comme une brise silencieuse, à présent nous sommes le vent » (1)

 
 
Vivre pour écrire et lire. Le Venezuela, avec la moitié de la population aux études, est devenu le troisième pays d’Amérique Latine en nombre de lecteurs de livres. Le réseau public des Librairies du Sud met la littérature à portée de tous pour un prix modique – une politique menée par le gouvernement Allende au Chili et par le sandiniste au Nicaragua. Chaque Foire Internationale du Livre est une école populaire où des intellectuels, des créateurs, des mouvements sociaux organisent des débats, des ateliers, des concerts…

Ici, sous la pluie de semences d’un arbre très vieux, un petit amphithéâtre de ciment accueille une réunion d’information et de mobilisation autour des 43 étudiants disparus du village mexicain d’Ayotzinapa. Le comité vénézuélien qui vient de naître a réuni un public encore peu nombreux mais assez passionné pour entendre et transmettre la voix des absents.

A gauche, T.D., auteur de ce Blog, avec Juan Plaza, un vieil ami du Mouvement Bolivarien MBR 200 rencontré en 1995.
Le président Lázaro Cárdenas

Au début de la réunion, une compañera mexicaine donne la clef essentielle omise par les médias : l’école normale rurale où étudiaient les disparus est une création historique de la révolution mexicaine. Le général et président Lázaro Cárdenas, qui nationalisa le pétrole dans les années trente et défendit son pays face aux menaces des États-Unis, y vit la clef de l’irréversibilité de la révolution. Une formation intégrale basée sur cinq axes – politique, académique, culturel, productif et sportif – vise à former des enseignants critiques, analytiques, réflexifs, informés de ce qui se passe dans leur pays et dans leur communauté rurale, capables de développer les capacités de dialogue et d’organisation de leurs élèves.

Dès les années 30, des réseaux paramilitaires attaquèrent ces écoles et firent disparaitre plusieurs des pédagogues “socialistes”. Peu à peu, le modèle fut abandonné par l’État. Dans le Mexique de Peña-Nieto, très généreusement fourni en armes par les États-Unis et qui vient de reprivatiser l’exploitation des hydrocarbures, il reste 16 Écoles Normales Rurales qui résistent en s’auto-finançant et sont les cibles de la destruction programmée du mouvement social. Les derniers contacts avec les 43 disparus d’Ayotzinapa indiquent qu’ils étaient retenus par l’armée. Les familles ont contesté les aveux forcés de quelques narcotrafiquants, destinés à occulter la responsabilité directe de l’État mexicain.

43 : c’est – triste coïncidence – le même nombre de victimes qu’ont laissées l’an dernier au Venezuela les « guarimbas », ces violences de l’extrême droite aidée par les paramilitaires colombiens. La majorité de ces victimes appartient au camp bolivarien, une porte-parole du comité des victimes est venue pour témoigner (2). Notons que les quelques policiers et gardes nationaux qui ont fait fi des instructions et ont utilisé leurs armes durant ces affrontements, faisant plusieurs victimes, sont aujourd’hui en prison.

Brésil, mars 2015. « Dilma dehors ! », « Assez de corruption ! », « Nous réclamons une intervention militaire d’urgence face aux trois pouvoirs pourris ! ». « Assez d’endoctrinement marxiste », « Assez de Paulo Freire » (créateur de la célèbre « Pédagogie de l’opprimé », NdT), « US Navy et Air Force, sauvez-nous á nouveau du communisme ! », sans oublier des effigies de Lula et Dilma pendues á un pont : comme au Mexique ou au Venezuela, des élites et des classes moyennes, soutenues par l’hégémonie des médias privés, retrouvent les accents des Pinochet contre la possibilité d’une éducation populaire critique… et ne seraient pas fâchés de remettre en activité les caves de la dictature militaire pour éliminer les « toxines marxistes ».

Des médias occidentaux comme « Le Monde” avaient déguisé ces violences en “révolte populaire”. Tout comme ils parlent aujourd’hui du “raz-de-marée brésilien” sans dire que le million et demi de personnes qui a défilé au Brésil pour exiger le départ d’une présidente élue, représente 1 % de la population et que ce 1 %, gonflé par les médias, n’hésite pas à demander le retour de la dictature militaire. L’ex-président Lula ou le théologien Leonardo Boff ont responsabilisé le monopole privé des médias brésiliens de cette stratégie du chaos : le journal O Globo, la Télévision Globo, le journal Folha de Sao Paulo, l’État de Sao Paulo et la revue Veja. Des médias capables de prendre en otages les partis et les institutions républicaines et dont selon Lula, il est temps de démocratiser la propriété.

Au terme de la réunion j’ai interviewé l’organisatrice du comité, Mariana Yépez, l’étudiante en cinéma de 21 ans qui a collé au mur les visages des frères mexicains.

Mariana Yépez

T. Deronne – Mariana, en quoi consiste le travail du collectif “Nous sommes tous Ayotzinapa, chapitre Venezuela” ?

Mariana Yépez – Le collectif est jeune, il est né en janvier 2015, à partir d’une concentration face à l’ambassade du Mexique. Les 43 étudiants sont notre référence mais nous voulons travailler pour toutes les victimes des peuples latino-américains. Nous voulons élever la voix : de même que le peuple vénézuélien a construit une solidarité avec le peuple palestinien, je crois qu’il est temps que nous organisions la solidarité avec le peuple mexicain. Un peuple qui est en train de vivre ce que notre peuple a dû vivre sous les régimes d’avant 1998, d’avant la révolution. Au Venezuela, aujourd’hui encore, on ignore où se trouvent les restes d’un grand nombre de ces disparus des années 60 à 90, paysans pour la plupart. Dans le Mexique du narco-État présidé par Peña Nieto, le massacre est quotidien. Quand on pense que le seul fait de rechercher les 43 disparus a fait apparaître les restes d’autres victimes anonymes, on imagine ce qu’est la réalité.

T. D. – Une des invitées rappelait que la majorité des mexicains ne sait rien de ce qui se passe dans le reste de l’Amérique Latine, ne savent pas qu’il existe des mouvements de solidarité. Pour toi qui étudies le cinéma, que peut-on faire face à cette dictature des médias privés qu’on voit agir aujourd’hui non seulement au Mexique mais en Équateur, en Argentine, au Brésil, ou chez nous au Venezuela ?

M.Y. – Je crois qu’il est urgent d’élever le niveau d’action des télévisions communautaires et que la population y ait une participation réelle. Ici, après 15 ans de révolution nous ne pouvons continuer à voir VTV (la chaîne gouvernementale, NdT) comme notre seule référence dans ce jeu de ping-pong avec les médias privés de la droite comme Globovision. Il y a suffisamment de propositions, même si beaucoup restent dans les tiroirs, de créer des télévisions communautaires. C’est le peuple qui doit participer, qui doit critiquer, dire ce qui se passe réellement dans tous les coins du pays, rompre avec cet élitisme audiovisuel du reporter et ses interviewés, le peuple doit être l’acteur du média, ici et en Amérique Latine, et partout ailleurs.

T.D. – Tu es née en 94, on pourrait dire avec la révolution. Un des problèmes de toute révolution est la transmission de l’Histoire à la nouvelle génération qui jouit des droits nouveaux sans avoir lutté directement pour eux. Qu’en penses-tu ?

M.Y. – C’est une de nos faiblesses, de nos manques dans la jeunesse, cette connexion avec nos lutteurs du passé. Notre jeune député Robert Serra, assassiné par les paramilitaires, avait cette obsession de nous rappeler qui nous sommes, d’où nous venons (3). L’autre travail est de nous unifier comme jeunesse. Malheureusement nous vivons souvent, en tant que jeunes, de manière individualiste, chacun pour soi. La lutte collective peut commencer par retrouver des racines. Que chacun assume sa tâche mais en s’articulant autour d’un centre, d’un corps de propositions pour les universités, pour les ministères. La droite en majorité recrute parmi les jeunes des classes supérieures, des universités privées, et même si leur vision est proche de celle de l’Empire, il faut reconnaître qu’ils savent s’unifier autour d’elle.

T.D. – La presse occidentale présente le Venezuela comme un pays dictatorial. Quelle image voudrais-tu transmettre par-delà cette muraille ?

M.Y. – (Rires) Je suis de Caracas et comme dit la chanson Caracas est folle. Que tu regardes d’un côté ou de l’autre, il y a toujours quelque chose à faire, quelque chose à dire.. Comme image je prendrais le centre de la ville, c’est un espace qui a été sauvé, je parle de toutes les activités culturelles qui s’y déroulent, la place Bolivar, la place Diego Ibarra et ses concerts permanents, les quinze théâtres reconstruits, cet espace de transformation, public, gratuit, voilà ce que fait notre “dictateur”, notre “régime castro-communiste”, ici on ne ferme la porte à personne, alors que dans l’Est de Caracas, dans les quartiers riches on ne trouve pas toute cette respiration, cette ouverture, il y reste beaucoup de la mentalité coloniale d’il y a cinq siècles.

»» https://venezuelainfos.wordpress.co...

(1) Source : http://albaciudad.org/wp/index.php/2015/03/en-fotos-bautizaron-libro-tierra-hombres-y-mujeres-libres-de-editorial-la-estrella-roja/ Texte : Laura Farina. Photos : Milángela Galea. Article traduit par Julie Jarozsewski.

(2) Lire le compte-rendu de la rencontre à Genève avec le comité des victimes des « guarimbas », le 13 mars 2015 : http://a.louest-le.soleil.seleve.over-blog.org/2015/03/geneve-rencontre-solidaire-avec-les-familles-des-victimes-de-l-opposition-putschiste-au-venezuela.html

(3) Lire « Les clefs de la mort d’un jeune député bolivarien et de sa compagne », https://venezuelainfos.wordpress.com/2014/10/03/les-clefs-de-la-mort-dun-jeune-depute-bolivarien-et-de-sa-compagne/


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