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Livres, livres sublimes (Counterpunch)

Rio Chico, Bolivie.

J’ai deux oeuvres d’art dans la main. L’une est la carte postale d’une peinture de l’artiste bolivien Ricardo Pérez Alcalá*. Elle représente un crâne humain transformé en machine à écrire Remington de 1900 - les touches sont les dents ; les deux extrémités du chariot, les oreilles ; et le mécanisme intérieur, la mâchoire. Autour de ce crâne sinistre, sont éparpillés des bouts de papiers, témoins de la superbe écriture du 19ième siècle, et deux escargots qui explorent les débris.

Ma première réaction a été la surprise. Seigneur, voilà un puissant symbole du passage des textes écrits à la machine aux textes de l’époque cybernétique post/postmoderne, me suis-je dit. A moins que l’artiste n’aie voulu rendre compte du passage de la calligraphie manuelle à la machine à écrire - pour illustrer la marche du progrès humain à travers les âges.

Quoiqu’il en soit, le tableau diffuse un sentiment de désolation.

L’autre oeuvre d’art que je tiens, c’est "Les livres de ma vie" de Henry Miller (1951), un livre de poche que j’ai trouvé sur l’étagère des livres en Anglais d’une libraire de Cochabamba. Le laisser aller règne ici au rayon des livres en Anglais - destinés principalement aux touristes - aussi quand j’ai vu le livre de Henry Miller je l’ai pris tout de suite. Sur la couverture il y avait une liste d’auteurs, Rimbaud, Powys, Lao-Tseu, Emerson ; un crayon et un encrier, des trombones, et les drapeaux tricolores des deux paysages préférés de Miller, la France et les Etats-Unis.

Le volume est un voyage à travers les lectures de l’auteur et même plutôt un hymne aux livres. On y trouve une lettre écrite à Big Sur en 1950 au critique Pierre Lesdain. Il y dévoile ses pensées les plus embryonnaires sur des sujets comme la spiritualité de Dostoïevski par rapport à celle de Whitman et régale le lecteur des détails d’une journée typique d’écriture. L’appendice offre la liste des 100 livres préférés de Miller.

Mon chapitre favori traite du "paysan-anarchiste" français, jean Giono. Giono a été extraordinairement prolifique et ses deux livres les plus connus sont peut-être : Le chant du monde et l’homme qui plantait des arbres. Miller parle de sa capacité à décrire les couleurs, les goûts, les odeurs et les sensations ; de son lien avec les hommes et la terre ; de sa relation avec son cordonnier de père qui l’a aidé à s’épanouir ; de la délicatesse avec laquelle il met en lumière les questions cruciales de la vie.

Ah ! On touche là à ce qui était essentiel aux yeux de Miller.

"Chaque jour, dit-il en citant Miguel de Unamuno, "je crois un peu moins à la question sociale, et à la question politique et à la question morale et à toutes les autres questions que les gens ont inventées dans le but de ne pas avoir à affronter la seule vraie question : la question humaine". La tâche de l’écrivain, en conséquence, n’est pas d’exprimer des opinions ni faire du prosélytisme, mais d’éclairer l’expérience de l’existence.

Miller écrit que Le chant du monde de Giono est un livre "intime, personnel, cosmique, libre - et infini. Il contient le chant de l’alouette, du rossignol, de la grive ; il contient le chuchotement des planètes et le mouvement des constellations ; il contient les sanglots, les larmes, les cris et les plaintes des âmes blessées ainsi que le rire et les youyous de la liesse ; il contient la musique séraphique des anges et les hurlements des damnés."

Il va sans dire que le silence et l’espace sont nécessaires à la contemplation de tels chants - et ces deux choses sont difficiles à trouver lorsqu’on est immergé dans le réalisme virtuel post/postmoderne d’agitation électromagnétique relié aux satellites.

Vous pouvez me traiter de dinosaure ! Je vis dans le silence et l’espace à quelques kilomètres de la route qui mène à un des sites touristiques les plus populaires de Bolivie : Le Parque Cretácico et ses empreintes de dinosaure. Et n’oublions pas que les dits animaux, rois des temps anciens, sont les héros du monde intuitif des enfants.

Je dois l’admettre, j’ai longtemps rejeté l’idée que le développement technologique qu’on appelle "progrès" engendre une société supérieure à celles du passé. La certitude actuelle de sa supériorité s’accompagne de l’idée qu’éprouver la moindre admiration pour les époques antérieures est une sottise baptisée poliment "naïveté" ou "nostalgie". Je ne dirai pas, parce que c’est très mal vu, que pendant deux millions d’années les hommes se sont développés, et se sont accomplis, en symbiose avec le monde naturel ; que les deux ou trois "progrès" majeurs engendrés par le développement technologique - les " révolutions"agricole, industrielle et numérique - sont des solutions techniques qui n’ont pas pour origine de glorieuses "inventions humaines", mais une course à l’aveuglette pour réparer les problèmes causés par les solutions techniques précédentes ;que la société globalisée qui est la conséquence de cette utopie a causé des souffrances inouïes et qu’aujourd’hui, pour finir, elle détruit la planète.

Et il faut mieux que je ne dise pas non plus que, moi qui suis né en 1947, je me souviens très bien que, malgré les ravages déjà causés par l’impérialisme technologique, les années 1950, 60 et même 70 et 80 offraient une existence tout de même moins speedée, plus enracinée et plus reliée à la communauté humaine et à la nature que celle que tous ces nouveaux gadgets offrent. Et je me suis aussi rendue compte que je ne trouve la joie et la créativité que lorsque je renonce à courir à la vitesse obligatoire de la réalité cybernétique et que je suis corps et âme attentive au moment présent comme dans la méditation Zen.

Quant aux livres, j’aime les tenir dans les mains pour les savourer.

Ici en Bolivie, les livres sont encore fabriqués artisanalement et ils sont beaux et les journaux sont encore vendus au coin de la rue - mais la numérisation menace de nous frapper d’un seul coup d’un seul à la manière d’une roquette lancée d’un avion militaire Hal sur l’iPad. J’ai trouvé un peu de réconfort d’une manière surprenante, en faisant connaissance d’un groupe de jeunes poètes Chuquisaceño qui ont décidé d’écrire avec des plumes d’oie. J’en cherchais moi-même chez tous les antiquaires pour un musée qui exposait des objets d’il y a 100 ans. Comment Shakespeare, ou Charlotte Bronte faisaient-ils ?, peut-on se demander. Ou si on prend la question par l’autre bout : comment nous rappellerons-nous, étudierons-nous et envisagerons-nous l’existence quand le Peak Oil se produira, qu’il n’y aura plus d’électricité et que l’économie se sera effondrée ?

C’est pourquoi je le répète : intéressons-nous aux oeuvres d’art qui nous parlent de la manière de vivre en accord avec notre nature humaine, et pendant que nous y sommes, gardons précieusement nos plumes, nos crayons, nos machines à écrire et nos livres.

Chellis Glendinning

Chellis Glendinning a écrit 5 livres dont : When Technology Wounds, Off the Map : An Expedition Deep into Empire and the Global Economy and Chiva : A Village Takes on the Global Heroin Trade. Son site est : www.chellisglendinning.org.

Note :
*https://www.facebook.com/media/set/?set=a.340491424475.149065.24330484...

Pour consulter l’original : http://www.counterpunch.org/2013/05/17/books-glorious-books/

Traduction : Dominique Muselet

»» http:// http://www.counterpunch.org/2013/05/17/books-glorious-books/
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