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Liban : Le merveilleux magicien de Washington, par Justin Raimondo - Antiwar


[Dans le cas improbable d’élections directes au Liban, les partis
pro-syriens, y compris le Hezbollah, verraient leur contrôle du parlement
considérablement renforcé. Cela peut difficilement faire partie du plan
américain, dans la mesure où ce qu’ils veulent c’est neutraliser le
Hezbollah pour sécuriser la coopération israélienne (et la survie du
gouvernement d’Ariel Sharon), tandis que le « processus de paix » bancal
menacera de s’effondrer par la même occasion.]


Antiwar, 11 mars 2005


La nouvelle selon laquelle le gouvernement américain a fabriqué de toute pièces l’histoire de la capture de Saddam Hussein [1] (il n’a pas été retrouvé au fond d’un trou, il s’est battu, un marine a été tué dans l’opération) peut être vraie ou fausse, mais la première hypothèse ne m’étonnerait guère. Chaque fois que quelqu’un ouvre le bec, dans l’administration US, c’est un mensonge qui en sort, [2] comme si ces gens-là ne pouvaient pas dire la vérité,même si leurs vies étaient en danger. Malheureusement, nos vies aussi en dépendent, comme celle des gens du monde entier, mais surtout dans ce coin du monde si agité, le dernier en date auquel les artistes de la politique américaine s’intéressent : au Proche Orient, la Syrie et le Liban.

Un article du Spectator résume le sens des événements libanais dans le titre
de l’article de Mary Wakefieeld : « Une révolution faite pour la télé ». Au
lieu de la révolution qu’elle allait y chercher, elle a trouvé quelques
milliers d’adolescents : « Dehors la Syrie, la Syrie dehors ! », scandait la
foule. « Nous sommes des révolutionnaires ! » ajouta joyeusement mon amie ».
Mais cela coinçait quelque part. Tout le monde autour de moi était jeune,
très présentable, ils s’amusaient bien, mais ce n’est pas ce à quoi je m’
attendais. Seulement un millier de personnes ? Je croyais que c’était tout
Beyrouth. Et pourquoi est-ce qu’ils avaient tous moins de trente ans ? Même
au milieu de la foule, au premier rang, cela ressemblait moins à un
soulèvement national qu’à un concert pop. [.] C’est alors que je compris ce
qui me gênait : « tout ça c’est juste pour les caméras », dis-je à mon
amie. ». C’est un show pour la télé ». « Arrête avec ton cynisme »,
répondit-elle. C’est une célébration, ils ont fait tomber le gouvernement,
rappelle-toi. »
. Pas exactement, pourtant : le gouvernement a démissionné, c
’est vrai, après que l’opposition ait mobilisé peut-être quelque 25 000
personnes dans ce qui a été décrit en Occident comme l’expression de la
volonté populaire libanaise. Mais quand un demi million de gens ont
manifesté la semaine suivante en riposte, en portant des drapeaux libanais
au milieu de portraits de l’homme fort de la Syrie, Bachad Assad, et en
exigeant que l’Occident cesse son ingérence dans leurs affaires intérieures,
le vieux gouvernement était bien de retour aux manettes.

La brève « révolution du Cèdre » ressemblait à un scène du magicien d’Oz,
lorsque Dorthy et ses amies se présentent devant le magicien. Il fait son
apparition sous la forme d’une tête géante qui flotte sur un nuage de feu
vert, sa voix tonne et ordonne d’obéir, jusqu’à ce que Toto aille voir
derrière le rideau et découvre le vieux magicien, qui n’est autre qu’un
aboyeur de carnaval du Kansas, et qui tire les ficelles de son propre
bobard. « Ne faites pas attention à ce monsieur derrière le rideau ! Je suis
Oz en personne, le grand et puissant Oz ! »

Comme Dorothy, Ms. Wakefield a bien raison de se sentir violentée :
« A vrai dire, la révolution est assez ridicule et il s’agit plus d’une mise
en scène que ce qu’en montrent les photos ».
Mais alors c’est Assad qui a pu
lui souffler cela ? Comme ils l’a dit dans un discours prononcé quelques
jours avant la grande manifestation sur le thème « Dehors la Syrie » : « 
Remarquez comment les caméras de télé zooment sur un petit groupe de gens ;
si elles zoomaient en arrière vous découvririez qu’il n’y a pas tant de
monde que ça pour les soutenir ».

A qui va donc servir tout ce show, alors ? Sûrement pas aux gens qui sont
descendus dans la rue au Liban, qui savent parfaitement quel est le réel
rapport des forces ; cette comédie musicale s’adresse strictement à nous.
Nous sommes tous censés répéter comme des perroquets, avec l’éditorialiste
du New York Times et les autres pontifes, les dernières conclusions
suggérées par la Maison Blanche et sa claque de néo-conservateurs : Bush
avait raison, en fin de compte. L’invasion de l’Irak, nous dit-on, fait s’
écrouler en chaîne toute une série de dominos, pour le plus grand bien de la
démocratie, et cela inclut non seulement le Liban mais aussi l’Egypte (peu
probable), l’Arabie saoudite (n’importe quoi) et la Palestine (un indéniable
« pas en avant », dû non pas à l’invasion de l’Irak mais à l’Intifada).

Ceux qui élèvent des objections contre la version officielle et mettent en
doute l’authenticité de la dernière « révolution » avec sa dernière couleur
codifiée sont des « apologistes » de gens patibulaires, depuis Saddam jusqu’
à Bachar et l’Ukrainien Yanukovitch (sans oublier Milosevic) ; nous sommes
des « contre-révolutionnaires », selon le patois néo-soviétique de nos
libérateurs néo-conservateurs. Notre tendance à poser trop de questions
inconvenantes révèle notre insistance pathétiquement archaïsante à relever
de l’appartenance à la « communauté enracinée dans la réalité », comme un
porte parole éminent de la Maison Blanche l’a affirmé au reporter Ron
Suskind : [.] Il y a des gens qui pensent que les solutions surgissent à 
partir de vos analyses scrupuleuses de la réalité telle qu’on peut la
discerner. [.] Ce n’est plus comme cela que le monde tourne. Nous sommes un
empire, désormais, et quand nous agissons, nous créons notre propre réalité.
Et pendant que vous étudiez cette réalité, aussi scrupuleusement que vous le
prétendiez, nous allons entreprendre d’autres actions et créer encore de
nouvelles réalités, que vous pourrez étudier aussi, et voilà comment les
choses vont se passer. Nous somme les acteurs de l’histoire. et vous, vous
tous, n’aurez rien d’autre à faire que d’étudier comment nous nous y
prenons. »

Voilà comment la Maison Blanche peut se féliciter de l’avancée de la « 
démocratie » au Liban, juste au lendemain du rassemblement pro-syrien
massif, et conclure en réponse à la promesse syrienne de se retirer jusqu’à 
la vallée de la Beka près de la frontière :

« Cela ne veut pas dire que la Syrie quitte le Liban ; nous allons continuer
à les harceler, nous n’accepterons pas de demi-mesures, un chat est un
chat ».

La reconnaissance tardive que le Hezbollah, le plus grand parti politique
libanais, jouera un rôle dans l’avenir de ce pays, est déjà pour cette
administration une concession tout à fait à reculons en direction de cette
« communauté enracinée dans la réalité », mais dans la campagne aléatoire
pour les élections libanaises, prévues pour mai, tout peut arriver. De même
que l’assassinat de Rafik Hariri, homme d’affaires et homme politique
populaire, a été le catalyseur pour déclencher une campagne internationale
contre Damas, de même la perspective d’une nouvelle guerre des factions
pourrait facilement être le signal pour une intervention militaire
étatsunienne.

Dans cette perspective, on va demander aux Américains de gober une histoire
préfabriquée, celle-là même qui a été implantée par l’interprétation des
médias occidentaux sur les événements de la « révolution orange » d’Ukraine,
de la « révolution rose » de Géorgie, et de celle d’Irak, qui tourne plutôt
au pourpre. Ces méchants Syriens « oppresseurs », qui ont été appelés au
Liban avec l’accord des Etats-Unis, se mettent en travers de la route « de l
’avenir », et ont tendance à écorcher le veau d’or de la démocratie avec un
grand D : nous avons le devoir de sauver la révolution du Cèdre, qui sera
infailliblement comparée au soulèvement hongrois de 1956, ou encore au
mouvement Solidarnosc de Pologne. Ou quelque chose dans le genre.
Mais c’est là que les masques vont tomber et que nous percevrons « l’homme
derrière le rideau », qui se trouve derrière sa coalition arc-en-ciel de
révolutionnaires « démocrates » : c’est le gouvernement des Etats Unis, qui
menace de toute sa force militaire : si ces élégants figurants tellement
glamour des concerts rock sponsorisés par la CIA n’ont pas trop envie de
faire un coup d’Etat, là , ce sera le signal pour siffler les Marines.

Possédés par la fièvre d’une idéologie dangereuse, le président et ses
conseillers néo-cons croient vraiment qu’ils sont « du bon côté de l’
histoire » : ce sont les agents du destin, des héros de légende, de leur
propre point de vue. C’est là un symptôme de leur maladie idéologique, qui
ressemble à l’ancienne hallucination marxiste selon laquelle le communisme
était inévitable parce que la Révolution était inscrite dans les étoiles. C’
est l’hubris communiste qui a provoqué l’effondrement de l’empire rouge, et
l’empire des néo-cons connaîtra le même sort, pour les mêmes raisons.

La grande leçon que nous avons apprise de la fin du 20ème siècle est que les
dictatures aussi ont besoin du consensus des gouvernés, et ne peuvent pas
être imposées indéfiniment par la force. La première leçon du 21ème siècle
pourrait être que cette règle s’applique aussi au libéralisme démocratique.
Nous pouvons envahir l’Irak, y injecter des millions de dollars ponctionnés
dans nos impôts, et buter sur une théocratie, aussi « démocratique »
soit-elle. Dans le cas improbable d’élections directes au Liban, les partis
pro-syriens, y compris le Hezbollah, verraient leur contrôle du parlement
considérablement renforcé. Cela peut difficilement faire partie du plan
américain, dans la mesure où ce qu’ils veulent c’est neutraliser le
Hezbollah pour sécuriser la coopération israélienne (et la survie du
gouvernement d’Ariel Sharon), tandis que le « processus de paix » bancal
menacera de s’effondrer par la même occasion.

La « révolution du Cèdre » s’est révélée parfaitement creuse comme je le
disais, mais ne démentez pas ces génies que nous avons à Washington, car ils
croient vraiment à leur pouvoir quasi-divin pour plier la réalité à leur bon
plaisir : après tout, le pouvoir militaire est ce qui compte réellement.
Nous devons envahir l’Irak, argumentait le sous-secrétaire à la Défense Paul
Wolfowitz, simplement parce que c’est « faisable ». La force fait le droit.
C’est ce qu’ils croient, comme les Soviétiques le croyaient, et comme toutes
les idéologies déboulonnées par le passé l’ont fait, tandis qu’elles
pointent leurs armes sur la tête de leurs sujets « libérés ».

Le triomphalisme prématuré de ceux qui ont claironné « Bush avait raison »
peut ne pas se retourner exactement contre eux, cependant. A mesure que les
détails de l’enquête sur l’assassinat de Hariri vont être ajoutés au
cocktail libanais, l’effet sera celui d’une allumette enflammée sur une
nappe de pétrole. Et il y aura d’autres conséquences imprévues à la campagne
pour obtenir le retrait de la Syrie avant mai, dont la moindre n’est pas la
conclusion logique de leur raisonnement : si l’occupation par des troupes
étrangères ôte toute légitimité à une élection, qu’en est-il alors des
élections irakiennes, qui se sont tenues à l’ombre des chars américains ? Si
j’étais dans la clique des « Bushies », je n’en ferais pas trop sur le thème
des envahisseurs syriens. Ils feraient mieux d’apprendre de Damas comment
générer des déploiements massifs de soutien pour leur propre occupation.
Pour en revenir à Oz : dans la mesure où l’appel des libéraux du Liban à une
aide de la part des Etats-Unis se retrouve « du bon côté de l’histoire », le
prix qu’on leur demandera de payer pourrait bien être semblable à celui qu’
exigea le magicien d’Oz de Dorothy, l’Epouvantail, le Lion Peureux et le
Robot, quand ils lui demandèrent des comptes : « Prouvez d’abord que vous,
vous êtes fiables en accomplissant une toute petite tâche : apportez-moi le
balai de la sorcière de l’ouest ».

Bachar Assad n’a pas la réputation de voyager sur un balai, mais il n’en
faudrait pas beaucoup pour amener le peuple américain à le croire. Il ne
fait pas de doute que le changement de régime en Syrie est l’objectif de l’
administration US. L’ophtalmologiste policé va bientôt se transformer en
dictateur à la hauteur d’Hitler. Et dans les entrailles climatisées du
Pentagone, on est probablement déjà en train de préparer les trucages pour
les circonstances de sa capture.

Justin Raimondo


 Source : Antiwar http://antiwar.com/justin

 Traduction : Cuba Solidarity Project

"Lorsque les Etats-Unis sont venus chercher Cuba,
nous n’avons rien dit, nous n’étions pas Cubains."


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cité par Sarah McClendon (reporter à la Maison Blanche) dans sa lettre d’infos datée de Juin 1992.

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