Il manifesto, vendredi 18 août 2006.
L’armée libanaise, qui avait pratiquement disparu de la scène pendant un peu plus de quatre semaines de bombardements et d’invasion israélienne, a fait son apparition hier dans deux épisodes de chronique étroitement reliés entre eux.
Le premier épisode est le retour des forces libanaises dans la petite ville à majorité chrétienne de Marjayoun, évacuée peu de temps avant par l’armée israélienne.
Le deuxième est l’arrestation bruyante, quelques heures plus tôt, du général Adnan Daoud, ex-commandant de l’armée dans cette même ville, après que la télévision du Hezbollah, al Manar, ait diffusé une séquence où l’on voyait l’officier supérieur libanais prendre aimablement le thé dans son bureau avec quelques officiers israéliens, pendant que tout autour se déchaînait la bataille entre l’armée de Tel Aviv et la résistance. Episode qui a failli renverser aussi le premier ministre Sinora et l’axe pro étasunien qui le soutient, en obligeant l’exécutif à arrêter le controversé général dans sa tentative désespérée de défendre aux yeux de l’opinion publique une armée qui, à quelques exceptions héroïques près, n’a pas tiré un seul coup pour défendre son pays ; et qui, maintenant, selon la résolution 1701, devrait assumer le contrôle de la « bande de sécurité » au sud Liban, et désarmer les milices du Hezbollah. Une tâche qui pourrait faire sauter le délicat équilibre pluriconfessionnel du gouvernement, des institutions libanaises et de cette même armée.
L’armée libanaise est composée d’environ 70.000 homes répartis en 11 brigades motorisées, plus la garde du président Emile Lahoud, ex-chef d’état-major et protagoniste de la reconstruction des forces armées après 15 années de guerre civile. L’armée peut compter sur 1.100 blindés M113, 130 chars d’assaut M48 de fabrication étasunienne, 180 chars d’assaut T54 et T55 de fabrication russe et 40 chars légers AMX13 français. L’Aviation n’a pas d’avions mais seulement quelques dizaines d’hélicoptères. La Marine dispose de 20 patrouilleurs Attacker et Tracker et deux unités de débarquement de fabrication française.
Le vrai point faible de l’armée, comme du gouvernement libanais, est cependant sa structure fondée sur l’équilibre entre chrétiens et sunnites chez les officiers, alors que les sunnites fournissent le gros de la troupe. Le commandant en chef est le général Michel Soleiman, chrétien comme le ministre de la défense Elias Murr.
Le président Emile Lahoud, maronite, mais favorable à de bons rapports avec la Syrie et hostile au nouveau mandat franco étasunien sur le Liban, a essayé de poursuivre une sorte de collaboration entre l’armée régulière et le Hezbollah qui, selon ses propres paroles, constituerait « la seule force dans le monde arabe qui ait tenu tête à Israël ».
Usa et France cherchent actuellement, à travers le premier ministre Sinora soutenu, lui, par les forces multinationales qui arrivent, de potentialiser l’armée : non pas pour défendre le Liban contre Israël mais plutôt pour tenter une sorte de coup d’état sunnite qui amènerait la liquidation de la résistance islamique chiite et une paix séparée avec Israël. Sans aucun retrait des territoires libanais (Sheba), syriens (Golan) et palestiniens (Cisjordanie). Un pari assez dangereux dans la mesure où le Liban ne peut pas être gouverné en s’appuyant sur une seule communauté, ou sur un seul parti et contre la composante majoritaire du pays qui est chiite. Ni même par l’armée.
Pour le moment il semble qu’on soit arrivé à un accord entre les deux factions : celle, pro-occidentale, favorable au désarmement du Hezbollah et à son absorption par les forces armées, constituée par l’aile sunnite pro saoudienne, profrançaise et par la famille Hariri, par la droite phalangiste de Geagea et Gemayel et par le leader druze Walid Joumblatt ; et la faction « nationaliste » , partisane d’une « coordination » entre la résistance Hezbollah et l’armée libanaise, constituée par les partis chiites (Hezbollah et Amal), par l’ex-général Michel Aoun, par une partie des sunnites de Saïda et Tripoli et par les laïcs prosyriens. Le compromis prévoit le déploiement de l’armée libanaise au sud mais sans aucune tentative de désarmer le Hezbollah, ni de le chasser hors de la « bande de sécurité ».Le gouvernement libanais a ainsi maintenu l’unité en mettant de côté, pratiquement, la résolution 1701 de l’Onu que les forces multinationales devraient être destinées à exécuter. C’est ainsi que d’ici quelques semaines trois armées seront opérationnelles au sud du Liban : le Hezbollah, l’armée libanaise et des forces multinationales. Chacune avec ses propres agenda et objectifs souvent opposés. Face à eux, la toujours présente armée israélienne.
Stefano Chiarini
– Source : il manifesto www.ilmanifesto.it
– Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio
Les intérêts de Washington dans la guerre d’Israel, par Seymour M. Hersh - The New Yorker.
Liban : les Etats-Unis et Israël font face à un fiasco politique, par WSWS.