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Liban : Ce que nous n’avons pas encore compris à propos du Hezbollah, par Robert Pape - The Observer.





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The Observer, dimanche 6 août 2006.


Israël a fini par admettre que les frappes aériennes ne suffiraient pas à elles seules à vaincre le Hezbollah. Au cours des semaines à venir, il verra bien que la force terrestre est elle aussi impuissante. Non que les Israéliens ne soient pas suffisamment puissants sur le plan militaire, le problème est qu’ils appréhendent mal la nature de l’ennemi.

La structure et la hiérarchie de cette organisation ont moins de similitude avec, par exemple, une secte religieuse comme les Talibans, qu’avec un mouvement à dimensions multiples comme celui des droits civils américains des années 1960. Le Hezbollah doit son ascension fulgurante et son invulnérabilité militaire non à un quelconque soutien qu’il recevrait de l’étranger, mais au fait qu’il résulte de l’évolution et de la réorientation de groupes sociaux libanais pré-existants.

Dans sa résistance à l’occupation israélienne, le Hezbolah ratisse large : preuve en est l’origine sociale de ses kamikazes. Entre 1982 et 1986, le Hezbollah orchestra une vaste campagne d’attentats-suicides visant des cibles américaines, françaises et israéliennes. Quarante-et-un terroristes en tout participèrent à ces attaques, dont le tristement célèbre attentat à la bombe de 1983 contre les casernes de Marines à Beyrouth.

Les collègues qui m’ont aidé à faire les recherches pour mon livre, qui passe en revue la totalité des 462 attentats-suicides de l’histoire mondiale, ont fouillé les archives libanaises à la recherche de vidéos de martyrs, de photos, de témoignages et de biographies de kamikazes du Hezbollah. Sur un total de 41, nous avons réussi à retrouver les noms, les lieux de naissance et d’autres détails biographiques de 38 d’entre eux. Nous avons été sidérés de découvrir que seuls 8 étaient des fondamentalistes de l’Islam ; 27 étaient issus d’organisations politiques comme le Parti Communiste Libanais et l’Union Socialiste Arabe, trois étaient des chrétiens, dont une enseignante du second degré titulaire d’un diplôme universitaire. Tous étaient nés au Liban.

Le fil conducteur qui relie les auteurs de ces attentats, ainsi que leurs successeurs actuels, n’est pas l’idéologie religieuse ou politique, mais simplement l’engagement dans la résistance à une occupation étrangère. Près de deux décennies de présence militaire israélienne n’ont pas éradiqué le Hezbollah. La seule chose qui ait réussi à mettre fin aux attentats-suicides, au Liban et ailleurs, c’est le retrait de l’occupant.

Les analyses antérieures du terrorisme-suicide ne bénéficiaient pas d’une étude in extenso de la totalité des attentats-suicides au niveau mondial. Ce manque de données exhaustives, ainsi que le fait qu’un grand nombre de ces actes (et tous ceux qui visaient des Américains) aient été commis par des musulmans, a conduit de nombreux Américains à tenir le fondamentalisme islamique pour cause principale des attentats. Cette croyance en a généré une autre, selon laquelle la seule manière de mettre fin au terrorisme anti-américain serait de remanier de fond en comble les sociétés musulmanes ; c’est cette même vision des choses qui a contribué à susciter l’adhésion de l’opinion à l’invasion de l’Irak. Néanmoins, l’étude du phénomène des attentats-suicides démontre le caractère trompeur des liens établis avec le fondamentalisme islamique.

Le rapport causal étroit que beaucoup croient pouvoir établir entre attentats-suicides et fondamentalisme n’existe pas. En réalité, ce que pratiquement toutes les campagnes d’attentats-suicides ont en commun est un but laïque et stratégique bien défini : tenter d’obliger les démocraties à retirer leurs armées de territoires que les terroristes considèrent comme leurs.

Il est rare que la religion soit la cause première, bien que les organisations terroristes y aient souvent recours pour recruter des membres ; elle est également employée en d’autres occasions, pour servir la stratégie générale de ces groupes. La plupart du temps, il s’agit d’une réaction à une occupation.

Le fait que les attentats-suicides ne soient pas le produit du fondamentalisme islamique est lourd d’implications, il indique la manière dont les États-Unis et leurs alliés devraient mener la lutte anti-terroriste. Il est peu probable que la multiplication des démocraties dans le Golfe Persique soit la panacée, tant que des soldats étrangers resteront dans la péninsule arabe. La solution la plus évidente pourrait bien être l’abandon pur et simple de cette région. L’isolationnisme, cependant, n’est pas praticable ; les États-Unis ont besoin de mettre au point une nouvelle stratégie qui résolve la question vitale du pétrole, tout en ne favorisant pas l’émergence d’une nouvelle génération de terroristes. La même chose s’applique aujourd’hui à Israël.

Il se peut que la nouvelle offensive terrestre d’Israël lui fasse gagner du terrain et lui permette de détruire des armes, mais il y a peu de chances pour qu’elle détruise le Hezbollah. En réalité, après les bombardements de civils, il est probable que l’incursion israélienne aide le Hezbollah à faire des recrues.

Il est également important de noter que l’agression israélienne a aussi pour conséquence de changer les bonnes dispositions qui animaient initialement des états dits modérés comme l’Égypte et l’Arabie Saoudite, qu’Israël s’était conciliés. C’est le jugement des nations qui pèse le plus lourd dans la balance, en effet, tandis qu’Israël est incapable d’écraser le Hezbollah, il lui serait possible de réaliser un but moins ambitieux : dissuader la Syrie de procurer de nouveaux missiles au Hezbollah.

Étant donné le contrôle total qu’exerce la Syrie sur sa frontière libanaise, endiguer le flot d’armements est un travail qui conviendrait plus aux diplomates qu’aux militaires. L’Arabie Saoudite, l’Égypte et la Jordanie, nations dirigées par des sunnites et qui désirent la stabilité régionale, ont des raisons de vouloir limiter les ambitions du Hezbollah. Si les conditions étaient réunies, les États-Unis pourraient peut-être inciter les voisins de la Syrie à former une coalition ad hoc, qui par ses encouragements et ses menaces empêcherait Damas de permettre aux missiles iraniens, chinois ou autres de pénétrer au Liban. Elle pourrait également proposer d’entamer des pourparlers à propos des hauteurs du Golan.

Mais c’est à Israël que revient l’initiative. A moins qu’il ne mette fin à son offensive et accepte un authentique cessez-le-feu, il est probable qu’il y ait beaucoup, beaucoup d’Israéliens morts dans les semaines à venir, ainsi qu’un Hezbollah aux forces décuplées.

Robert Pape


Robert Pape est professeur de Science Politique à l’Université de Chicago. Son livre, Dying to Win : Why Suicide Terrorists Do It, (« Ils meurent d’envie de gagner : qu’est-ce qui motive les auteurs d’attentats-suicides ? ») paraîtra ce mois-ci au Royaume-Uni chez Gibson Square, £18.99


 Source : The Guardian www.guardian.co.uk

 Traduction : C.F.Karaguézian www.egueule.com
pour Le Grand Soir www.legrandsoir.info
(article vu sur www.dedefensa.org)


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 Dessin : Gervasio Umpiérrez


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