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La vérité aide les peuples dans leur lutte contre les élites rapaces -partout dans le monde.

Levons nos verres à Wikileaks

Le Guardian a notablement raccourci et enterré dans un panel d’opinions un article que j’avais écrit pour eux -à leur demande- au sujet de Wikileaks.

Voici l’original :

L’oligarchie sécuritaire grassement rémunérée est montée au créneau dans les médias contre Wikileaks avec leurs slogans usés :

Ces fuites vont menacer la vie d’innocents personnes et vont mettre en danger la sécurité du pays. Elles vont encourager le terrorisme islamique. Le secret gouvernemental est essentiel pour que nous demeurions tous sains et saufs. En fait ce que Wikileaks fait est si grave, que je serais surpris que nous ne soyons pas tous tués dans nos lits ce soir.

Sauf que nous avons entendu exactement le même discours il y a quelques mois quand Wikileaks a publié les documents sur la guerre en Iraq, puis ceux sur la guerre en Afghanistan et personne n’a pu présenter un seul exemple des ces sanglantes conséquences.

Comme ces dépêches sont diplomatiques, nous entendons aussi pas mal d’arguments en faveur du secret. Ce sont des arguments qui ne me sont que trop familiers étant donné que j’ai exercé la fonction de diplomate britannique pendant 20 ans, dont six passés dans la Senior Management Structure of the Foreign and Commonwealth Office.

Il y a des gens qui prétendent sérieusement que les Ambassadeurs n’oseront plus donner un avis sincère s’il y a un risque que leur opinion soit révélée. Ces dernières 24 heures j’ai entendu cet argument remarquable revenir sur différentes chaînes de TV sans que personne ne le remette en question.

En d’autres termes, le meilleur avis est un avis que vous ne seriez pas prêt à défendre en public. Vraiment ? Et pourquoi ? Dans le monde global d’aujourd’hui, l’ambassade n’est pas le seul élément dont nous disposons pour évaluer les choses. Bien souvent, les organisations expatriées, académiques ou commerciales, sont bien mieux informées. Le meilleur avis politique n’est pas celui qui est protégé du jugement de ses pairs.

Ce que l’Establishment veut dire bien sur, c’est que les Ambassadeurs devraient pouvoir recommander des choses que tout un chacun considérerait comme ignominieuses sans risquer d’être découvert. Mais devraient-ils vraiment avoir le droit de faire cela dans une démocratie ?

Je n’ai jamais compris pourquoi on a le sentiment que ce qui serait considéré comme répréhensible dans la vie privée ou même commerciale -comme mentir ou dire une chose à une personne et le contraire à l’autre- devrait être considéré comme acceptable et même louable en diplomatie.

Quand j’étais ambassadeur en Ouzbekistan, je fus réprimandé par le chef du Service Diplomatique (FCO) parce que j’avais envoyé à Londres dans un email non classifié des détails sur les violations des droits humains perpétrées par le gouvernement Ouzbek. Le FCO craignait que les Ouzbeks, qui interceptaient nos communications, ne découvrent que je désapprouvais leurs violations des droits de l’homme. Cela pouvait mettre en danger l’alliance Ouzbek avec les forces britanniques dans l’Afghanistan voisine. Pour le FCO, diplomatie est synonyme de duplicité.

Chez les diplomates britanniques, l’idée que leur profession les dispense de se comporter selon les standards normaux de décence s’apparente à un culte du Machiavélisme, ils sont fiers de leur propre immoralité. Cela est renforcé par leur origine sociale très étroite -en 2010 encore 80% des ambassadeurs britanniques viennent de private schools. En tant que groupe, ils se considèrent comme des supermans nietzschéens super-intelligents, et au dessus de la moralité normale. Ils ont trouvé à la fois un leader et une âme soeur en Tony Blair (Fettes et Oxford).

Ceux qui prétendent que Wikileaks a tort croient que nous devrions faire confiance au gouvernement au point de le laisser décider en maître absolu de ce que le peuple devrait ou non savoir de ce qui est fait en son nom. Cette attitude a mené au "Dodgy Dossier" un tissus de mensonges sur les armes iraquiennes de destruction de masse. Ceux qui invoquent les éventuelles pertes humaines que risquent de provoquer les activités de Wikileaks devraient comparer ce risque aux centaines de milliers de morts que les politiques étrangères des USA, de la Grande Bretagne et de leurs amis conspirateurs ont réellement causées pendant la dernière décade.

Les commentateurs du Web ont noté que les câbles diplomatiques qui ont été publiés reflètent l’agenda politique des USA et il y même pas une bonne partie de la blogosphère qui suggère que Wikileaks pourrait appartenir à la CIA. Ca n’a aucun sens. Bien sur que les documents reflètent le point de vue des USA - ce sont d’officiels échanges du gouvernement des USA. Ce qu’ils démontrent est quelque chose que j’ai moi-même constaté, à savoir que les diplomates dans leur ensemble disent rarement des vérités indigestes aux politiciens mais donnent à leurs maîtres les informations qu’ils ont envie d’entendre ou qui les confortent dans ce qu’ils pensent déjà afin d’obtenir de l’avancement.

En conséquence on se trouve en face d’une énorme quantité de documents sur l’arsenal nucléaire supposé de l’Iran et d’une exagération de la capacité de l’Iran à envoyer des têtes nucléaires. Mais on ne trouve rien sur l’arsenal nucléaire massif d’Israël. Ce n’est pas parce que Wikileaks a censuré toute critique d’Israël. C’est parce que un diplomate étasunien qui se permettrait de décrire honnêtement et ouvertement les crimes d’Israël se retrouverait rapidement sans emploi. Je ne veux pas brandir ici mon propre cas mais je ne souhaite à personne d’endurer ce qu’ils font subir à ceux qui osent parler.

Il n’est pas surprenant que les diplomates étasuniens se soient rendus complices de l’espionnages du personnel de l’ONU. Les Britanniques le font aussi et une femme très courageuse, Katherine Gunn a été jetée dehors pour avoir essayé de mettre fin à ces pratiques. Les câbles publiés jusqu’ici ne contiennent rien que des observateurs avertis ne sachent déjà ; par contre les informations que les pays arabes vont avoir sur la manière dont ces marionnettes de leaders étasuniens les trahissent aura sans doute un impact réel.

Le gouvernement du Yemen a collaboré activement avec les USA en affirmant mensongèrement -y compris devant son propre parlement- que les attaques de drones étasuniennes qui avaient tué de nombreux citoyens étaient le fait des forces aériennes yéménites. Le roi d’Arabie Saoudite ne semble pas inquiet de l’attitude d’Israël ou du sort des Palestiniens mais il insiste pour que les USA bombardent l’Iran. Ce n’est pas seulement ou d’abord l’Occident qui a besoin d’en savoir plus sur ce qui est fait en notre nom.
Les révélations de Wikileaks sont un coup dur pour l’Empire étasunien officieux.

Les gens que ces fuites embarrassent sont ceux qui méritent d’être embarrassés. La vérité aide les peuples dans leur lutte contre les élites rapaces -partout dans le monde.

Pour consulter l’original :
www.craigmurray.org.uk/archives/2010/11/raise_a_glass_t.html ou
www.uruknet.info?p=72369

Traduction : D. Muselet

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Jay Taylor, responsable de la section des intérêts américains à Cuba entre 1987 et 1990, in "Playing into Castro’s hands", the Guardian, Londres, 9 août 1994.

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