Dans les années 30 et 40, l’ennemi était fasciste et nazi. Quand au bouc émissaire, il avait le nez crochu, était juif banquier ou communiste, parfois tout ça à la fois. Puis il y a eu l’après-guerre, période où le fascisme s’est exporté dans les Amériques. Les populations européennes avaient encore le sens de la solidarité, par exemple en Suisse quand une vague de latinos-américains est arrivée, fuyant misère et répression suite au coup d’Etat de Pinochet, il y a eu des manifestations monstres malgré la répression (oui, même en Suisse !) si bien que le gouvernement fédéral avait du faire marche arrière et accepter de les accueillir. On chantait Guantanamera :
Mi verso es un ciervo herido
Que busca en el monte amparo
Mon vers est un cerf blessé
Qui cherche refuge dans la montagne
Aujourd’hui nous vivons une époque fantastique où l’ensemble de la politique a glissé à droite et où le bouc émissaire est le migrant, ce pauvre qui a quitté patrie, famille et amis pour échapper à la misère et à la répression dans l’espoir de trouver un refuge dans les montagnes. Comme dans les années 30, la Suisse vend des armes (les gilets jaunes en savent quelque choses, et de façon générale on retrouve les armes et les munitions suisses dans toutes les zones de conflit de la planète.), elle accueille les riches et refoule en masse les pauvres.
Ce fut le premier pays à apposer des "J" sur le passeport des juifs avant de les refouler. Aujourd’hui, de tout l’espace Schengen, c’est le pays qui applique le plus aveuglément et systématiquement les accords de Dublin, ceci sans presque jamais utiliser la clause de sauvegarde. Je vous passe les détails pratiques car c’est un seul et unique scandale, voir entre autre asile.ch pour les détails et plus d’info.
Ce durcissement de la politique d’asile est possible car aujourd’hui le peuple suisse s’en fout. Il est devenu tellement égoïste que le mot solidarité lui fait peur. Si peur que quand on lui demande s’il est d’accord de foutre encore plus dans la merde des gens, les migrants, qui sont déjà bien plus dans la merde que lui, il vote oui. Quand on lui demande s’il veut interdire la spéculation sur les matières premières et les produits agricoles, il vote non.
En marge de la grève des femmes, des féministes ont organisé à Lausanne une marche de solidarité avec les travailleuses du sexe, nous sommes parti.e.s à 10 et arrivé.e.s à 30 ou 40 pour rejoindre une autre action, un charivari nocturne devant la cathédrale, où là, pour faire la fête, il y avait au moins 1000 personnes. Pour les manifs de solidarité avec les migrants, il y a très rarement plus de quelques centaines de personnes (contre des milliers à l’époque de Pinochet). Le lendemain du charivari, la manif de la grève des femmes a réuni 40’000 personnes, ce qui pour Lausanne, est historique et super. Mais la question que je me pose est et après ? Si ces 40’000 personnes ne se décident pas à se grouiller le cul aussi pour montrer leur solidarité avec les autres, surtout que cela est de plus en plus plus que nécessaire, cette manif à la mobilisation historique ne servira in fine qu’à ouvrir la porte à toutes sortes de manipulations électoralistes.
P.S. : Je sais que cette manif va avoir des suites car d’autres actions sont déjà prévues. Le problème n’est pas là mais plutôt dans l’état de la gauche éclatée en une myriade de partis, d’associations et de collectifs, et avec des partis coincés dans une sorte de mesquinerie électoraliste qui leur font préférer la division (comme on a pu le constater encore une fois à Lausanne lors des dernières élections) et qui se retrouve ainsi et de facto incapable d’établir une stratégie qui pourrait lui permettre d’engranger des victoires et d’imposer sa voix dans des médias qui ont aussi une lourde part de responsabilité dans cette dérive électoraliste, mercantile, sectaire et liberticide de la politique. Il ne reste plus qu’à espérer que les féministes sauront profiter de cette mobilisation fantastique et qu’elles réussissent à établir une stratégie unificatrice des luttes.