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Les Saoudiens, le 11 septembre et les 28 pages (Middle East Eye)

Photo : le président américain George W. Bush, accompagné du procureur général américain John Ashcroft (à gauche), de l’ambassadeur saoudien, le prince Bandar ben Sultan ben Abdelaziz al-Saoud (2e en partant de la gauche) et du secrétaire d’État américain Colin Powell, s’exprime avant une prière prononcée par l’imam Abdullah Muhammad Khouj lors d’un dîner de ramadan, le 19 novembre 2001, dans l’East Room de la Maison Blanche, à Washington, DC. (AFP)

Les sections déclassifiées du rapport dressent un tableau beaucoup plus accablant des liens saoudiens avec les attentats du 11 septembre que ce que les médias indiquent

C’était le jour idéal pour enterrer les mauvaises nouvelles. Vendredi 15 juillet, le gouvernement américain a finalement publié les 28 pages classifiées tant attendues du rapport conjoint du Congrès sur les attentats du 11 septembre 2001, qui souligne le rôle joué par l’Arabie saoudite. Le même jour, le Congrès s’est dispersé pour l’été et l’atrocité perpétrée à Nice dominait l’actualité. Vint ensuite un coup d’État en Turquie.

L’histoire s’est presque volatilisée. Aucune preuve irréfutable, ont rapporté les médias.

Toutefois, cette interprétation des pages est quelque peu trompeuse. Ces auteurs ont-ils réellement lu les documents ou seulement les déclarations du FBI et de la CIA ? Certes, les 28 pages ne montrent pas que des ministres saoudiens de haut rang ont directement demandé aux pirates de l’air de détourner des avions vers des bâtiments ou qu’ils leur ont fourni les moyens de le faire. Pourtant, les affirmations portant sur un manque de liens définitifs avec les Saoudiens ne peuvent tenir que si elles signifient que l’arme du crime n’a pas été retrouvée encore fumante entre les mains du prince-héritier ou du roi en personne.

Seuls ceux qui ne veulent pas voir les liens ne les trouveront pas dans ces pages, bien qu’il y ait des mises en garde.

Premièrement, le rapport comporte encore beaucoup de noms et de lignes noircis : nous ne pouvons donc pas voir en entier ce qu’ont vu les sénateurs qui ont lu le rapport non censuré. Dans le cas contraire, le tableau de l’implication saoudienne serait presque certainement encore plus accablant.

Deuxièmement, le document indique que ni le FBI, ni la CIA n’ont enquêté sur les Saoudiens aux États-Unis avant le 11 septembre dans la mesure où les Saoudiens sont des alliés des États-Unis. Les choses ont seulement changé après le 11 septembre, et même à ce moment-là, les craintes de bouleverser la relation spéciale avec les Saoudiens ont fait que plusieurs pistes importantes n’ont pas été suivies. Les supérieurs ne souhaitaient clairement pas faire avancer l’enquête. Le directeur du FBI, Robert Mueller, mettant en garde contre des « conclusions hâtives », a même reconnu devant la Commission conjointe le 9 octobre 2002 que les investigations des membres de l’Enquête conjointe avaient révélé des faits dont le FBI et lui-même n’étaient pas au courant.

Troisièmement, selon les 28 pages, les Saoudiens n’ont pas coopéré à l’enquête. Ils se sont montrés « inutiles et obstructionnistes », a déclaré un agent du FBI à New York. Les autres étaient du même avis.

Quatrièmement, les 28 pages traitent seulement une petite partie du complot du 11 septembre, la cellule de San Diego, et ne mentionnent que brièvement la connexion avec la Floride.

Pourtant, même avec ces limitations, la lecture attentive des pages nouvellement publiées, combinée à ce que l’on connaît au sujet des personnes qui y sont mentionnées, dresse un tableau accablant. Les liens entre les agents de renseignement saoudiens qui ont aidé les pirates du vol 77, Khalid al-Mihdhar et Nawaf al-Hazmi, et des hauts responsables du gouvernement saoudien sont clairs.

Les suspects

Larisa Alexandrovna Horton, rédactrice en chef en charge des reportages d’enquête pour The Raw Story, a produit un résumé utile du rapport : « Quatre des cinq [agents saoudiens nommés] occupent un poste gouvernemental saoudien et entretiennent des liens avec les pirates de l’air du 11 septembre. Quatre d’entre eux semblent également être des agents de renseignement saoudiens avec un poste gouvernemental saoudien comme couverture. Deux d’entre eux ont obtenu un financement direct de la part du prince Bandar et de [son épouse] la princesse Haïfa, ainsi que de la part du ministère saoudien de la Défense et de l’Aviation (dirigé par le père du prince Bandar, le prince Sultan). [...] L’un d’entre eux rendait compte directement à Bandar en sa qualité d’employé du consulat saoudien. Trois d’entre eux sont liés via des appels téléphoniques à l’ambassade d’Arabie saoudite et à d’autres ministères du gouvernement saoudien. Tous étaient protégés par le gouvernement saoudien. Ajoutez à cela plusieurs personnes anonymes qui sont liées à la fois à l’ambassade d’Arabie saoudite et aux pirates de l’air. Les connexions avec Bandar apparaissent en outre sur le répertoire téléphonique de plusieurs suspects terroristes. »

Outre les quinze pirates de l’air saoudiens qui ont été nommés par le FBI après les attentats de 2001, nous devons ajouter de nouveaux noms originaires du royaume à la liste des suspects du 11 septembre. Les pages déclassifiées montrent comment plusieurs Saoudiens reliés à l’ambassade saoudienne et à des responsables saoudiens de haut rang ont aidé les pirates de l’air. Parmi eux figurent les personnes suivantes :

* Omar al-Bayoumi, que des rapports du FBI datant de 1999 et cités dans les 28 pages ont décrit comme un agent de renseignement saoudien avec un long historique en matière de connexions avec les autorités saoudiennes. Il a effectué 100 appels vers des institutions saoudiennes jusqu’au début de l’année 2000 et disposait de plusieurs contacts à l’ambassade, au centre culturel saoudien et au consulat saoudien à Los Angeles. Il avait reçu 20 000 dollars de la part du ministère des Finances. Le rapport indique qu’il a « fourni une aide substantielle aux pirates de l’air Khalid al-Mihdhar et Nawaf al-Hazmi après leur arrivée à San Diego en février 2000. Al-Bayoumi a rencontré les pirates de l’air dans un lieu public peu de temps après avoir rencontré une personne du consulat saoudien. » Le rapport se poursuit en ces termes : « Lorsqu’al-Hazmi et al-Mihdhar sont partis à San Diego [...] ils ont séjourné dans l’appartement d’al-Bayoumi pendant plusieurs jours jusqu’à ce [qu’il] ait pu leur trouver un appartement. Al-Bayoumi a ensuite co-signé leur bail et a peut-être payé leur premier mois de loyer ainsi que leur dépôt de garantie. » Il a organisé une réception en leur honneur et a trouvé quelqu’un du Centre islamique de San Diego pour leur servir de traducteur et les aider à obtenir un permis de conduire ; il leur est également « venu en aide pour localiser des écoles de pilotage  ».

Les pirates de l’air ont ensuite été transférés dans la maison d’un ami d’al-Bayoumi, Abdussattar Shaikh, qui, sans qu’al-Bayoumi le sache, était un informateur du FBI. Le FBI a clos son enquête initiale sur al-Bayoumi en 1999. Après les attentats du 11 septembre 2001, al-Bayoumi a déménagé au Royaume-Uni, où il a été arrêté à la demande du FBI, mais l’enquête a ensuite été abandonnée. L’agence a fait l’objet de nombreuses critiques par la suite pour ne pas avoir suivi les preuves le reliant aux pirates de l’air.

Bayoumi a travaillé pour une société affiliée au ministère saoudien de la Défense, même s’il ne s’y est présenté qu’une fois. Le document précise ainsi que « selon les dossiers du FBI, [CENSURÉ] au sein de la société a indiqué qu’al-Bayoumi recevait un salaire mensuel même s’il ne s’était présenté qu’une seule fois. Le soutien a considérablement augmenté en avril 2000, deux mois après que les pirates de l’air sont arrivés à San Diego, puis légèrement diminué en décembre 2000, avant de stagner jusqu’au mois d’août 2001. La société aurait disposé de liens avec Oussama ben Laden et al-Qaïda. »

* Oussama Bassnan, proche associé d’al-Bayoumi, était un agent de renseignement saoudien, selon des informateurs du FBI opérant dans la communauté musulmane. Il habitait directement en face des pirates de l’air à San Diego et a affirmé à un informateur qu’il en avait fait plus pour les deux pirates de l’air qu’al-Bayoumi. Le FBI l’a décrit comme « un extrémiste et un partisan d’Oussama ben Laden ». Le document souligne que « selon une note de la CIA, Bassnan aurait reçu un financement et potentiellement un faux passeport de la part de représentants du gouvernement saoudien ». Le rapport indique que Bassnan était financé par « l’ambassadeur saoudien aux États-Unis [Bandar] et son épouse » à travers la société financière préférée des Saoudiens, la Riggs Bank. Une fouille de l’appartement de Bassnan a fait apparaître des indices selon lesquels il a encaissé 74 000 dollars de chèques et possédait un chèque de 15 000 dollars rempli en 1998 par Bandar en personne.

* Le représentant du ministère saoudien de l’Intérieur Saleh al-Hussayen a séjourné dans le même hôtel que le pirate de l’air al-Hazmi à Houston, quelques jours avant l’attentat. « Bien qu’al-Hussayen ait affirmé après le 11 septembre ne pas connaître les pirates de l’air, des agents du FBI ont estimé que ses propos étaient fallacieux », a indiqué le rapport. Il a pu quitter les États-Unis malgré la volonté du FBI de l’interroger.

* À la page 433 (le document de 28 pages est numéroté de la page 415 à la page 443), le rapport se réfère à un incident décrit comme un possible « galop d’essai » des attentats de 2001, lors duquel en 1999, Mohammed al-Qudhaeein et Hamdan al-Shalawi ont pris un vol entre Phoenix et Washington DC pour assister à une réception à l’ambassade saoudienne. « Après avoir embarqué [...] ils ont commencé à poser aux agents de bord des questions techniques sur le vol, ce que les agents de bord ont trouvé suspect. » À un moment, « al-Qudhaeein est allé à l’avant de l’avion et a tenté à deux reprises d’entrer dans le poste de pilotage. L’avion a procédé à un atterrissage d’urgence et le FBI a enquêté sur l’incident, mais a décidé de ne pas engager de poursuites. » Les hommes ont indiqué que leurs billets d’avion avaient été payés par l’ambassade saoudienne.

* La personnalité de loin la plus haut placée, impliquée à travers de multiples connexions avec les agents qui ont aidé les pirates de l’air, est le prince Bandar ben Sultan, qui était alors ambassadeur saoudien aux États-Unis, à Washington. Son père, le prince Sultan, était à l’époque ministre de la Défense. Parmi les numéros de téléphone trouvés dans le répertoire téléphonique de l’agent saoudien d’al-Qaïda Abou Zoubaydah figurait un numéro attribué à l’APSCOL Corporation à Aspen, qui gérait la résidence du prince Bandar au Colorado.

Le président américain George W. Bush (à gauche) rencontre l’ambassadeur saoudien aux États-Unis, le prince Bandar ben Sultan, dans le ranch de Bush, le 27 août 2002 à Crawford, au Texas (AFP)

Les 28 pages comprennent également de nouvelles informations reliant le prince Bandar à la résidence protégée d’Oussama ben Laden au Pakistan :

« Le gouvernement américain a également localisé un autre numéro de Virginie dans la résidence protégée d’Oussama ben Laden au Pakistan. Le numéro appartient à un individu nommé [CENSURÉ] qui a été interrogé par le FBI en juin 2002. Il n’a pas été en mesure d’expliquer pourquoi son numéro était apparu [dans] une résidence protégée au Pakistan, mais a déclaré qu’il fournissait régulièrement des services à un couple d’assistants personnels du prince Bandar. »

Encore une fois, aucune preuve irréfutable, mais un nouveau lien entre Bandar et le cerveau présumé des attentats du 11 septembre, ben Laden.

Bandar le survivant

Bandar est par la suite devenu chef du Conseil de sécurité nationale saoudien et du General Intelligence Directorate (GID) et était en charge du dossier syrien jusqu’à ce que son soutien présumé pour le groupe État islamique soit devenu un possible handicap, entraînant son retrait du poste.

Étant donné que Bandar a été mis à l’écart et qu’un changement de pouvoir en Arabie saoudite a amené une nouvelle génération sous le prince Salmane, d’aucuns pourraient suggérer que les 28 pages importent peu. Mais cela ne passera pas. Imaginez simplement que nous ayons remplacé le pays mentionné dans le rapport par la Russie, l’Iran ou un autre ennemi traditionnel des États-Unis. Quelle aurait été la réaction des médias occidentaux à la déclassification de ces pages ?

Un casus belli ?

Le Sénat américain a récemment voté à l’unanimité en faveur d’une loi permettant aux familles de poursuivre le gouvernement saoudien pour son implication dans les attentats du 11 septembre. Bien qu’aucune des personnalités politiques n’appelle à la guerre contre l’Arabie saoudite à la suite des révélations que contiennent les 28 pages, il est vrai que par rapport aux casus belli pour les invasions de l’Afghanistan et, à plus forte raison, de l’Irak, les preuves de liens directs entre le gouvernement saoudien et les attentats du 11 septembre sont beaucoup plus irréfutables. L’Amérique a envahi deux nations du Moyen-Orient pour bien moins que ça.

En fin de compte, une nouvelle guerre ne résoudra pas les problèmes déclenchés par la guerre contre le terrorisme lancée depuis le 11 septembre. Les principales victimes d’une telle guerre ne seraient pas les princes milliardaires accusés d’avoir aidé les terroristes du 11 septembre, mais, comme lors des guerres en Irak et en Afghanistan, les gens ordinaires et les soldats enrôlés qui sont incinérés par des bombes américaines coûteuses.

Au lieu de cela, les Américains doivent sérieusement se demander comment ils peuvent continuer d’être les alliés d’un gouvernement qui a probablement contribué à provoquer la pire attaque perpétrée sur le territoire continental du pays au cours de son histoire. Ils doivent aussi se demander comment un président américain qui s’est autoproclamé défenseur de la sécurité nationale a pu poser à plusieurs reprises des obstacles devant les organismes d’application de la loi qui enquêtaient sur les liens saoudiens avec le terrorisme, puis ignoré sa propre interdiction de vol pour faire sortir du pays des Saoudiens haut placés afin qu’ils puissent échapper à la justice.

Deux ans plus tard, il a embarqué l’Amérique dans la guerre contre l’Irak, en partie grâce à des liens factices établis entre Saddam Hussein et les attentats du 11 septembre, et détruit ce pays.

Kristen Breitweiser (à droite), qui a perdu son mari lors des attentats terroristes du 11 septembre 2001 contre les États-Unis, sèche une larme lors d’une audience du Comité sénatorial américain (AFP)

Kristen Breitweiser, veuve d’une victime du 11 septembre et activiste, a écrit ce mois-ci : « Les 29 pages sont gardées secrètes et soustraites au public américain depuis quinze ans, non pas pour des questions de véritable sécurité nationale, mais pour des questions de commodité, d’embarras et de couverture. »

Elle souligne à quel point le président du rapport de la Commission du 11 septembre nommé par Bush, Philip Zelikow, était opposé à une enquête sur le rôle saoudien, allant jusqu’à renvoyer l’enquêteur qui examinait le rôle de l’Arabie saoudite lorsqu’il a été chargé de l’affaire.

Et la question du mobile pèse sur ces pages. Qu’est-ce qu’un membre du gouvernement saoudien pouvait gagner à attaquer les États-Unis, alliés de longue date et protecteurs des richesses des Saoud, à moins qu’eux aussi ne souscrivissent à la vision du monde de ben Laden ?

L’histoire du 11 septembre est très loin d’être terminée. Comme le signale Breitweiser, l’une des nombreuses veuves à se battre pour obtenir justice : « Les 29 pages ne comportent pas les informations contenues dans les plus de 80 000 documents qui sont actuellement examinés par un juge fédéral en Floride, 80 000 documents que ni la Commission du 11 septembre, ni l’Enquête conjointe, ni la Maison Blanche de Clinton, Bush ou Obama, ni le royaume d’Arabie saoudite ne souhaitent porter à notre connaissance. »

Joe Gill

Joe Gill a vécu et travaillé en tant que journaliste à Oman, à Londres, au Venezuela et aux Etats-Unis, pour des journaux tels que le Financial Times, Brand Republic, Morning Star et le Caracas Daily Journal. Il a poursuivi des études de maîtrise en politique de l’économie mondiale à la London School of Economics.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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Publié sur le site de Heritage Foundation,
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