Lors des élections législatives du 6 mai en Grèce, l’échec cuisant des deux piliers du bipartisme grec, le PASOK et Nouvelle Démocratie (ND) ainsi que l’éparpillement des voix en directions de partis jusque-là périphériques ont révélé la crise profonde du régime politique instauré à la chute de la dictature des colonels en 1974 [1]. Ces élections ont également consacré la coalition de la « gauche radicale », SYRIZA, qui est arrivée en deuxième position avec près de 17% des voix, un score historique.
SYRIZA présentait à ces élections un programme clairement réformiste et une formule de pouvoir floue : pour la formation d’un « gouvernement de gauche ». Malgré l’ambiguïté de cette formule, elle lui a permis d’attirer les voix de beaucoup de travailleurs et de jeunes qui cherchaient une alternative à la politique d’austérité appliquée par les « partis traditionnels » du régime, notamment à la gauche de la social-démocratie grecque, le PASOK. Quant au programme de SYRIZA, « plus conservateur et droitier que celui du PASOK quand il a pris le pouvoir pour la première fois en 1981 » [2], il a connu une évolution de plus en plus droitière depuis son « succès électoral » de mai. En effet, même si le programme de SYRIZA est, depuis toujours, dans ses grandes lignes, essentiellement réformiste, la pression électorale de juin change la donne. La possibilité de devenir la première force électorale du pays à l’issue des législatives du 17 juin et, par conséquent, d’être en mesure de former un « gouvernement de gauche » pousse les dirigeants de SYRIZA à se présenter comme une « gauche responsable » et acceptable pour les marchés et « les partenaires européens » de la Grèce. En ce sens, ce n’est pas un hasard si Alexis Tsipras, le leader de SYRIZA, lors de son déplacement à Paris le 21 mai, se défendait d’être un dirigeant d’« extrême gauche » sur l’antenne d’Europe. « Je tiens à dire que je ne suis pas un dirigeant de parti d’extrême gauche. Je suis un dirigeant d’un parti démocratique de la gauche qui se trouve au centre de la vie politique grecque et dont les aspirations expriment celles de la grande majorité de la société grecque ».
La Gauche Anticapitaliste, fidèle soutien de Tsipras…
Evidemment, ce succès électoral de SYRIZA a été présenté comme le « modèle à suivre » par toute une gamme de dirigeants politiques, à commencer par ceux du Front de Gauche évidemment ou encore des intellectuels réformistes, altermondialistes ou anti-néolibéraux [3] à la recherche de « raccourcis électoraux » vers « le peuple ». Mais le « phénomène (électoral) SYRIZA » a aussi ébloui les dirigeants de la « Gauche Anticapitaliste » (le « courant unitaire pour l’écosocialisme » du NPA), qui dans un communiqué du 24 mai écrivaient : « Aujourd’hui, en Grèce comme ailleurs, nous devons être de ces forces de la gauche radicale qui créent l’espoir. Nous devons en être pour contribuer à la construction d’un rapport de force avec le pouvoir et pour peser dans les débats centraux », en ajoutant dans leur projet de résolution de CPN que cette « démarche donne à voir ce que pourrait être une démarche révolutionnaire moderne ». Et au passage ils lançaient une critique lapidaire à ANTARSYA, coalition de groupes anticapitalistes se situant à l’extrême gauche de l’échiquier politique grec, en déclarant que celle-ci « [étant] obnubilée par la primauté de la revendication de sortie de l’euro, ne représente pas une solution crédible aux souffrances de la population. Cantonnée à 1,2%, elle refuse d’affronter les enjeux de la période puisqu’elle répond aux sollicitations de SYRIZA par un vague "on se retrouvera dans les luttes’ » [4]. En plus de persister dans leur méthode réformiste d’évaluation de la « valeur » des courants politiques à travers leurs résultats électoraux, les dirigeants de la GA dénoncent ce qu’ils estiment comme une « idée fixe » chez ANTARSYA, la sortie de l’euro, sans rien dire d’une autre idée fixe, de SYRIZA celle-là , qui consiste à vouloir rester ancrés et dans la zone euro, et plus largement, dans l’UE. Ces critiques de droite de la GA à l’encontre d’ANTARSYA, comme celles, d’ailleurs, à l’encontre de la campagne de Philippe Poutou et du NPA après le premier tour des présidentielles [5], indiquent combien les dirigeants de ce courant, impressionnés par des résultats électoraux, ont emprunté une voie qui mène tout droit au réformisme. C’est une des conséquences logiques des projets de « partis anticapitalistes larges » sans délimitation stratégique. C’est précisément cette ambiguïté stratégique qui alimente les courants qui cherchent à mener la liquidation de toute référence au marxisme jusqu’au bout en se fusionnant avec les réformistes de type Front de Gauche.
Le SU aussi s’enflamme pour SYRIZA
Mais malheureusement ce type de position est loin d’être l’apanage de la seule GA. C’est ce dont témoigne le soutien donné à SYRIZA par le Secrétariat Unifié (SU), le courant international dont faisait partie l’ex-LCR et dont quelques-uns de ses principaux dirigeants se trouvent au sein de la majorité actuelle du NPA. Dans une déclaration du 24 mai le Bureau Exécutif (BE) écrit : « Face à cette politique [d’austérité], la gauche radicale grecque, et en particulier SYRIZA qui a aujourd’hui une place centrale, défend un plan d’urgence autour de 5 points :
- L’abolition des "mémorandum’, de toutes les mesures d’austérité et des contre-réformes du travail qui sont en train de détruire le pays.
- La nationalisation des banques qui ont été largement payées par les aides publiques.
- Le moratoire du paiement de la dette et un audit qui permettra de dénoncer et d’abolir la dette illégitime.
- L’abolition de l’immunité des ministres.
- La modification de la loi électorale qui a permis au PASOK et à Nea Dimokratia [ND] de gouverner au détriment de la population grecque et de faire sombrer le pays dans la crise.
La IVème Internationale appelle l’ensemble du mouvement ouvrier mondial, tous les indigné-e-s, toutes celles et tous ceux qui se réclament des idéaux de la gauche, à soutenir un tel programme d’urgence » (souligné par nous).
Cette position, soit dit au passage, aurait été adoptée sans même avoir pris la peine de consulter la section grecque du SU, l’OKDE-Spartakos, qui fait partie d’ANTARSYA et qui présentera à nouveau des listes lors du scrutin du 17 juin [6]. Mais à travers cette déclaration, le BE du SU prend un raccourci qui débouche tout droit sur une impasse réformiste. En effet, ce « programme d’urgence », que le BE du SU appelle à soutenir, est totalement insuffisant pour offrir une réponse pour les travailleurs et les masses face à la situation de crise dans laquelle se trouve le pays. Voyons cela de plus près.
Fini le mémorandum, fini « l’austérité » ?
La revendication de l’annulation des mémorandums et des mesures d’austérité qui ont été appliqués depuis le début de la crise est sans doute un des mots d’ordre fondamentaux dans la situation actuelle en Grèce. Mais l’annulation des mémorandums signifie-t-elle la fin de l’austérité et des sacrifices exigés aux travailleurs et aux masses de Grèce ? Les responsables de SYRIZA laissent planer le doute. Quant la journaliste d’Europe 1 lui a demandé si un gouvernement de SYRIZA demanderait lui aussi au peuple grec de se serrer la ceinture, Alexis Tsipras a répondu clairement que « oui, nous demandons des sacrifices, mais des sacrifices qui servent à quelque chose, parce que jusqu’à présent ces sacrifices n’ont servi absolument à rien » [7]. On pensera encore aux déclarations de Rena Dourou députée SYRIZA au Parlement grec, qui déclarait au Monde dans un entretien que « sans être contre l’assainissement de nos finances, nous revendiquons de tout renégocier dans une logique bien différente de la politique actuelle » [8]. De la même façon, dans le « nouveau programme économique » [9] de SYRIZA on insiste sur cette idée « d’assainissement des finances » de l’Etat : « SYRIZA soumettra une législation au Parlement d’un plan national pour le développement économique et social, la reconstruction de la production, la redistribution équitable des revenus et l’assainissement équitable des finances publiques » (souligné par nous). On sent là le vieux discours sur le « partage des sacrifices » en temps de crise si cher aux bureaucraties syndicales et autres dirigeants réformistes.
Qui a parlé de « nationalisation des banques » ?
Mais même dans le cadre d’un abandon complet des politiques de rigueur et de l’annulation des Mémorandums, pour que ces mesures prennent toute leur force, elles doivent être accompagnées d’autres mesures visant à autre chose qu’à un simple « un retour à la situation d’avant la crise ». En ce sens, la remise en cause des intérêts du capital financier est déterminante. Or, alors que l’on nous répétait que SYRIZA défendait la nationalisation du système bancaire sous contrôle des travailleurs, dans le « programme d’urgence en 5 points » du SU il est question de nationaliser seulement les banques ayant reçu de l’argent public (sans spécifier sous quelles conditions, rachat ou expropriation sans rachat ni indemnisation, ni sous quelles formes, sous contrôle des travailleurs ou pas). Autrement dit, si cette mesure était appliquée, il y aurait coexistence entre un « pôle bancaire public » et un autre privé, avec concurrence entre les deux, et tout ce que cela implique. Plus encore, ce « pôle bancaire public » serait pratiquement incapable d’assurer des crédits bon marché pour les travailleurs et les petits commerçants, écrasés par les dettes et les taux d’intérêt usuriers pratiquées par le privé. En outre, c’est une illusion de croire que l’on pourrait faire un simple audit de la dette sans la nationalisation sous contrôle et gestion des travailleurs de tout le secteur bancaire qui s’en est rempli les poches et se trouve impliqué dans milles scandales de corruption, pots-de-vin et évasion fiscale au cours des dernières années.
Cependant, comme nous le soulignions plus haut, SYRIZA est en train « d’actualiser » et « d’adapter » son programme au fur et à mesure que les intentions de vote en sa faveur augmentent. Ainsi, dans le « nouveau programme économique » présenté le premier juin on peut lire que « SYRIZA ne "‹"‹s’oppose pas au programme de recapitalisation des banques, même si cela est bien différent de leur nationalisation. (…) Néanmoins, ce programme ne peut être interrompu au cours de cette phase de recapitalisation des banques sans un effondrement bancaire. SYRIZA n’est pas, par conséquent, en opposition à la recapitalisation des banques en conformité avec l’accord de prêt spécifique qui prend en charge cette recapitalisation. La seule différence étant que cela doit se faire avec les actions ordinaires, après un vote (et non sans un vote tel que décidé par le PASOK et la ND dans le cadre de leur gouvernement de coalition sous L. Papademos). La recapitalisation des banques par actions ordinaires, après un vote, se traduira par retour sous la propriété de l’État national. (…) Un gouvernement de gauche ne fera pas seulement que nationaliser les banques, mais les socialisera, ce qui signifie qu’elles seront sous contrôle du social et de l’Etat » (souligné par nous). Pour éviter « un effondrement bancaire », SYRIZA est prête à accepter « l’accord spécifique » pour la recapitalisation des banques, à savoir l’argent de la Troïka, ce qui entre en contradiction évidente avec son refus proclamé aux mémorandums. Ensuite, on apprend que les « nationalisations » ne seraient autre chose que le rachat de certaines banques à travers des actions ordinaires et nullement l’expropriation des banques sans indemnisation. Concernant le contrôle des travailleurs, on met en avance un très ambigu « contrôle social et de l’Etat ». Si le « contrôle social » reste à définir, on sait très bien ce que « contrôle de l’Etat » veut dire : l’administration par des technocrates de l’Etat bourgeois (car pour l’instant il n’est pas du tout question de remettre en cause celui-ci) désignés par le pouvoir politique.
La question de la nationalisation des entreprises stratégiques
Dans les cinq point sur lesquels le BE du SU fonde son soutien à SYRIZA, outre le fait que nulle part on ne parle de contrôle des travailleurs, on n’évoque même pas la question de la nationalisation des entreprises stratégiques de l’économie. Or, sans la nationalisation sous gestion des travailleurs des entreprises fondamentales, il est impossible d’apporter une réponse aux problèmes urgents des travailleurs de Grèce comme le chômage. Seul le partage des heures de travail pourrait en finir avec le chômage qui touche plus d’un million de personnes dans le pays, soit 21% de la population active. Mais sur ce point aussi, le nouveau programme économique de SYRIZA nous apporte quelques éclaircissements : « Une direction stratégique fondamentale du SYRIZA sera le contrôle de l’Etat des secteurs stratégiques de l’économie (par exemple l’énergie, les télécommunications, les chemins de fer, ports, aéroports, etc). Dans ce contexte, les entreprises stratégiques seront progressivement passées sous contrôle de l’Etat, que ce soient celles qui sont dans le processus de privatisation ou celles déjà privatisées (DEH, OTE, OSE, ELTA, EYDAP, transports publics, etc). Le calendrier, la manière, la vitesse et les moyens par lesquels le programme stratégique fondamental et non négociable se concrétisera, sera précisément déterminé par le gouvernement de la gauche sur la base des circonstances spécifiques, des capacités et des problèmes auquel il devra faire face » (souligné par nous). Tout d’abord, on voit qu’ici il n’est même plus question du vague « contrôle social » mais carrément d’un simple « contrôle de l’Etat », capitaliste il va sans dire, même avec un gouvernement de gauche. Ensuite, rien n’est dit sur les modalités ni sur les temps de ces nationalisations, sauf que ce « sera le gouvernement de la gauche » qui en décidera ultérieurement. Enfin, si ce plan venait à se concrétiser un jour, dans le meilleur des cas, on verrait coexister un secteur public limité à certaines branches de l’industrie (communications, transport et énergie) avec de grosses entreprises d’Etat (ou mixtes) dirigées par de haut fonctionnaires et où les travailleurs n’auraient même pas un relatif droit de regard ou de contrôle, aux côtés d’un secteur privé dominé par de grosses entreprises multinationales grecques ou étrangères.
Payer la « dette légitime » ?}
Alors que l’exigence du paiement de la dette de l’Etat grec aux banquiers des puissances impérialistes de l’UE, à commencer la France et l’Allemagne, est utilisée comme prétexte pour appliquer des attaques terribles contre les masses en Grèce, le BE du SU se joint aux appels des réformistes qui demandent un moratoire sur le paiement de la dette et un audit pour payer « la dette légitime ». Car quand on dit que l’on veut « abolir la dette illégitime » ce n’est rien d’autre que de se prononcer pour le paiement de « la partie légitime » de la dette. Or, depuis quand les travailleurs doivent-ils répondre des dettes, même partielles, de l’Etat capitaliste, c’est-à -dire de l’Etat des bourgeois et des banquiers qui les maintiennent sous l’exploitation et l’oppression et qui maintenant sont en train de les mener à la barbarie ? On nous parle de dette illégitime et de dette légitime comme si les travailleurs et les couches populaires pouvaient décider et contrôler où l’Etat bourgeois investit ou sous quelles conditions il s’endette ! Mais même s’il s’agissait de considérer, ne serait-ce qu’une seconde, le remboursement de l’argent qui aurait servi à financer les budgets de la santé ou de l’éducation, en réalité cela fait longtemps déjà que cet argent a été remboursé à travers le paiement des taux d’intérêt.
Quand nous disons que c’est aux capitalistes de payer leur crise, cela veut aussi dire que les dettes des Etats des capitalistes relèvent de la bourgeoisie. Cela ne semble pas du tout être l’orientation de Tsipras. « SYRIZA entend annuler les accords de prêt, afin de remplacer leurs conditions onéreuses et de renégocier le processus d’annulation de la plus grande partie de la dette publique totale, pour que le reste soit remboursable (…) L’objectif de la négociation sera l’éradication de la plus grande partie de celle-ci et le remboursement du reste liée à la croissance avec de nouvelles conditions favorables », peut-on lire dans le nouveau programme économique. Mais attention, pour ceux qui estimerait que cela reste encore trop « radical », les « camarades » de Tsipras n’ont pas oublié une petite « clause » : « La manière, le calendrier, ainsi que tout l’aspect politique et juridique de cette condamnation et la renégociation des accords de prêt seront décidés et mis en oeuvre par un gouvernement de gauche en fonction de sa capacité et des circonstances particulières ».
Les révolutionnaires restent indifférents face à l’euro et à l’UE ?
Une autre question centrale qui n’apparaît pas du tout dans les fameux « 5 points d’urgence », c’est la question du rapport d’un hypothétique « gouvernement de gauche » après le 17 juin avec les institutions impérialistes de l’UE et la « zone euro ». Et cela se comprend parfaitement puisque les dirigeants de SYRIZA n’arrêtent pas de clamer à qui veut bien l’entendre qu’ils sont pour le maintien du pays dans la zone euro et dans l’UE. En ce sens, dans la déclaration du BE du SU, on peut lire que « la crise n’est pas celle de la Grèce, mais bien celle de l’Union européenne soumise à la volonté du capital et des gouvernements à son service. C’est celle du mode de production capitaliste dans le monde entier. Ce n’est pas à la "Troïka’, mais au peuple grec de décider de la politique à suivre dans ce pays. (…) Ce n’est pas l’euro, ce sont les diktats de la "Troïka’ qu’il faut combattre aujourd’hui » (souligné par nous). Ici on voit que pour ne pas entrer en contradiction avec la ligne officielle du « champion de la gauche radicale », le BE du SU nous présente l’UE non pas comme un instrument de la « volonté du capital » mais comme une « victime » de celui-ci et de ses gouvernements. Ensuite, on essaye de nous bercer dans l’illusion selon laquelle les travailleurs de Grèce pourraient lutter conséquemment contre « les diktats de la Troïka » sans remettre en question l’appartenance du pays à la « zone euro », ou qu’en tout cas ce n’est pas « une lutte à l’ordre du jour », comme s’il s’agissait de deux luttes ou phases différentes.
Pourtant cette question n’est pas anodine et sans implications. Cela vaut pour tous les pays membres de la zone euro et de l’UE mais elle se pose en Grèce d’une façon particulière étant donnée la relation entre la participation à cette alliance inter-impérialiste et les privilèges que la bourgeoisie impérialiste grecque en tire. Ainsi, « l’adhésion à l’UE et à la zone euro constitue un choix stratégique des capitalistes grecs. C’est la voie concrète par laquelle le capitalisme grec s’est intégré dans la chaîne impérialiste globale. C’est le processus concret par lequel le capitalisme grec participe à la concurrence internationale et au partage de la plus-value et du profit. En conséquence, il ne peut y avoir aujourd’hui un programme et une réelle perspective révolutionnaire sans faire l’analyse des formes particulières que prennent la participation et le rôle du capitalisme grec dans la division capitaliste internationale du travail (…) Il ne fait aucun doute que la participation à l’UE et à la zone euro est la nouvelle "Grande Idée’ du capitalisme grec, au nom de laquelle ils appellent - surtout maintenant, en période de crise - les classes subalternes à subir les sacrifices terribles qui sont imposés au travers des Mémorandums et des Programmes de stabilité. Cette insertion dans l’UE habilite le capitalisme grec à jouer un rôle de force périphérique - un sous-impérialisme local - dans les Balkans et dans la Méditerranée orientale. La participation à l’UE a fait du capital grec le supplétif des grandes puissances impérialistes européennes et des Etats-Unis dans leurs interventions dans les Balkans et en Europe orientale (un exemple de cela est le fait que l’expansion de Coca-Cola dans ces régions se fait par le biais de la société grecque « 3E ») (…) L’introduction de l’euro a enrichi la classe dirigeante grecque. Elle a obtenu, avec une telle monnaie forte et des taux d’intérêts bas, les capitaux nécessaires pour prendre part aux juteuses privatisations des secteurs publics dans les pays de l’Europe orientale. Cela a fait de la Grèce, au cours de la dernière décennie, un pays exportateur de capitaux. Sans sa participation à l’UE et à la zone euro, la Grèce ne pourrait pas jouer un tel rôle dans la région » [10].
On voit alors toute la superficialité consistant à séparer la question de l’euro et l’UE des « diktats de la Troïka » et les intérêts de la bourgeoisie grecque. La participation de la Grèce à la zone euro et à l’UE est un instrument qu’a l’impérialisme grec (certes périphérique) pour participer à l’oppression des semi-colonies de la région. On comprend alors « pourquoi, jusqu’à présent, les think tanks bourgeois n’ont pas produit de stratégie alternative sur la manière de maîtriser la crise en incluant le scénario d’une sortie de l’euro et d’un retour à la monnaie nationale, la drachme, afin de doter le capitalisme grec des instruments de mise en oeuvre d’une politique de rechange » [11]. Ainsi, la revendication de rester à tout prix dans la zone euro et l’UE avancée par SYRIZA non seulement n’est pas contradictoire avec les intérêts de la bourgeoisie grecque mais elle est fonctionnelle à ceux-ci !
Mais la foi dans les « valeurs européennes » et dans les « partenaires européens » de SYRIZA semble « inébranlable », au point de considérer pratiquement impossible une expulsion de la Grèce de la zone euro : « La possibilité de sortie d’un pays de l’euro est utilisée comme chantage dans la perspective de ces élections. Pour nous cette possibilité ne peut pas être le choix de nos partenaires, à moins qu’ils n’aient décidé de la destruction de l’euro et du démantèlement de la zone euro », écrit-on encore dans le programme économique. Le fait est qu’au fond SYRIZA partage un point programmatique important avec ND et le PASOK : maintenir la Grèce en tant « qu’Etat capitaliste viable » au sein de la zone euro. Alors que la droite essaye de montrer qu’elle serait mieux à même de défendre cette perspective, Tsipras et les dirigeants de sa coalition parient sur le fait que la peur qu’un secteur de la bourgeoisie impérialiste européenne ressent face à l’éventualité d’une catastrophe de type « Lehman Brothers » (voire pire) au sein de l’UE fasse qu’un gouvernement dirigé par SYRIZA devienne acceptable dans le cadre de la crise. En ce sens, les « clins d’oeil » de Tsipras à l’élection de François Hollande en France, la présentant comme « un premier pas vers un changement de politique au sein de l’UE », ne sont pas du tout anodins.
Cela ne veut pas dire que, comme le font certains partis de gauche comme le PC stalinien grec (KKE) ou d’autres courants autres nationalistes bourgeois, que les marxistes révolutionnaires doivent revendiquer la rupture avec l’UE et l’euro au nom de la « souveraineté nationale ». Non. Nous défendons la rupture avec les institutions impérialistes internationales au nom de la révolution socialiste et dans la perspective de la conquête du pouvoir par les travailleurs. Autrement dit, pour le prolétariat, la seule rupture progressiste avec l’euro et l’UE ne peut être que la conséquence de sa lutte pour le renversement du capitalisme et pour la construction de son propre pouvoir. Une telle rupture avec l’UE, l’euro ainsi que les autres structures de l’impérialisme comme l’OTAN ou l’ONU, que seul un gouvernement ouvrier surgi d’une révolution socialiste victorieuse peut concrétiser, pourrait constituer un premier pas vers l’extension de la lutte révolutionnaire des travailleurs et des masses à travers le continent dans la perspective de la construction des Etats-Unis Socialistes d’Europe. Il est évident que la lutte du prolétariat européen aurait aussi un impact chez les travailleurs au Sud de la Méditerranée, déjà en plein processus révolutionnaire. Voilà le chemin le plus efficace pour lutter contre l’impérialisme et ses institutions internationales ainsi que contre les tendances réactionnaires nationalistes.
Les illusions par rapport à un « gouvernement de gauche » conciliateur avec l’impérialisme
Dans le cadre de ce soutien programmatique scandaleux, le BE du SU défend le mot d’ordre suivant : « Nous souhaitons que le peuple grec réussisse à imposer par ses votes et par ses mobilisations un gouvernement de toute la gauche sociale et politique qui refuse l’austérité, un gouvernement capable d’imposer l’annulation de la dette. C’est dans cette perspective que nous appelons au rassemblement de toutes les forces qui luttent contre l’austérité en Grèce " SYRIZA, ANTARSYA, KKE, les syndicats et les autres mouvements sociaux " autour d’un plan d’urgence » (souligné par nous).
Loin de contribuer à ce que des franges importantes du monde du travail et de la jeunesse avancent vers la conclusion que le seul programme à défendre face à l’austérité est un programme anticapitaliste et révolutionnaire, cet appel à la constitution d’un hypothétique « gouvernement de gauche » dirigé par SYRIZA sème des illusions sur une issue parlementaire et pacifique à la crise, sans s’opposer aux institutions impérialistes comme l’UE, ni toucher aux intérêts des capitalistes. Cette politique est ouvertement opportuniste, notamment face à la probabilité que l’approfondissement de la crise et de la lutte de classes développent des tendances ouvertement contre-révolutionnaires qui comptent avec le soutien de secteurs de la bourgeoisie et des classes moyennes effrayées. La progression du groupe néonazi Xrissy Avghi (Aube Dorée) n’est qu’une anticipation de cela.
Dans le meilleur des cas, on pourrait considérer que la revendication d’un « gouvernement de gauche » avancée par le BE du SU serait une déformation aberrante de la tactique du « gouvernement ouvrier et paysan » que Trotsky développe dans le « Programme de Transition » en tant qu’exigence lancée à l’égard des directions ouvrières réformistes ou petite-bourgeoises des masses en lutte (et non de phénomènes électoraux comme c’est le cas aujourd’hui en Grèce) dans le cadre d’une situation révolutionnaire (ce qui n’est pas encore le cas en Grèce). Cette exigence, chez Trotsky, a pour objectif que celles-ci rompent avec la bourgeoisie et prennent le pouvoir, et cette orientation est étroitement liée à l’impulsion donnée par le surgissement d’organes de double pouvoir de type « soviétiste ».
Dans le « Programme de Transition » Trotsky explique l’expérience de la Révolution d’Octobre où « d’avril à septembre 1917, les bolcheviks réclamèrent que les socialistes-révolutionnaires et les mencheviks rompent avec la bourgeoisie libérale et prennent le pouvoir dans leurs propres mains. A cette condition, les bolcheviks promettaient aux mencheviks et aux socialistes-révolutionnaires, représentants petits-bourgeois des ouvriers et des paysans, leur aide révolutionnaire contre la bourgeoisie ; ils se refusaient cependant catégoriquement, tant à entrer dans le gouvernement des mencheviks et des socialistes-révolutionnaires qu’à porter la responsabilité politique de son activité. (…) …la revendication des bolcheviks, adressée aux mencheviks et aux socialistes-révolutionnaires : "Rompez avec la bourgeoisie, prenez dans vos mains le pouvoir !", avait pour les masses une énorme valeur éducative. Le refus obstiné des mencheviks et des socialistes-révolutionnaires de prendre le pouvoir, qui apparut si tragiquement dans les journées de Juillet, les perdit définitivement dans l’esprit du peuple et prépara la victoire des bolcheviks » [12] (souligné par nous). Comme on peut le voir, cette tactique avait avant tout pour objectif d’accélérer l’expérience des masses avec les réformistes et les attirer vers les révolutionnaires. C’est en ce sens que, tout en proposant leur soutien à un gouvernement des réformistes contre les attaques de la réaction bourgeoise, les bolcheviks refusaient catégoriquement de rentrer dans ce gouvernement [13]. Le SU fait tout le contraire lorsqu’il apporte un soutien programmatique à une option de gouvernement ouvertement réformiste. Et cela n’est pas un « détail ». C’est une question centrale notamment au moment où « des ex membres de la bureaucratie des gouvernements du PASOK (comme Katseli, ministre de l’économie et après ministre du travail sous le gouvernement pro-mémorandum de Papandréou, ou Kotsakas, aussi un ancien ministre et partenaire proche de Tsohatzopoulos, actuellement emprisonné pour corruption) sont rentrés dans les rangs de SYRIZA ou sont sur le point de le faire » [14] . Cela signifie que SYRIZA est peut-être même en train de se transformer en une force « front-populiste », c’est-à -dire de collaboration avec une fraction ou des éléments de la bourgeoisie qui encore hier appliquaient les plans d’austérité que SYRIZA prétend vouloir combattre [15].
De cette façon, le SU transforme une tactique pour accélérer l’expérience des masses avec les directions réformistes, dans des situations aiguës de la lutte de classes, en un soutien électoral à des candidatures et des programmes de collaboration de classe.
Pour une politique véritablement révolutionnaire
Les travailleurs et les jeunes grecs ont montré une grande volonté de résister et une grande combativité pour faire face aux plans d’austérité dans les rues. Certains secteur avancés mais minoritaires ont mené des expériences d’occupations, sur leur lieu de travail ou d’étude. Cependant, jusqu’à présent, ces mouvements ont été canalisés par une bureaucratie syndicale vendue aux partis bourgeois qui, avec des journées de grève isolées, ont empêché le développement d’une tendance à la grève générale. Le PC grec (KKE) porte une grande responsabilité dans cette situation. Avec sa politique combinant l’auto-proclamation et le sectarisme avec un programme réformiste et électoraliste, il a constitué un obstacle pour développer le front unique ouvrier [16].
Sans aucun doute, pour vaincre les plans de l’UE et de la bourgeoisie grecque il faut un programme révolutionnaire qui soit à l’hauteur de l’offensive des capitalistes. Ce programme doit combiner des mesures d’urgence, comme l’annulation de la dette et des programmes d’austérité, avec des mesures transitoires, comme la nationalisation des banques sous contrôle des travailleurs, l’expropriation des grands groupes capitalistes, dans la perspective d’imposer un gouvernement ouvrier et populaire basé sur des organismes de démocratie ouvrière. Ce serait un premier pas dans la lutte pour les Etats-Unis Socialistes d’Europe.
Philippe Alcoy
08/06/12