Le 25 novembre 2016, une page importante de l’Histoire du monde se tournait avec la mort du chef de la Révolution cubaine, Fidel Castro Ruz. Même si cette mort était tout sauf prématurée, elle n’a tout de même pas manqué de susciter la stupéfaction et l’intérêt des commentateurs du monde entier. La plus grande partie de la population mondiale (celle qui souffre le plus) a su rendre hommage à l’homme de manière honorable, même si ce n’était pas toujours sans critiques. Cependant, de notre côté du monde, c’est un véritable ouragan de haine qui s’est déchaîné dans les semaines qui ont suivi cette mort. Un interminable flot de calomnies et de contre-vérités fut entonné tel un malicieux et antipathique medley, digne de tout le mal dont ces moralistes de caniveaux sont capables !
Que n’a-t-on pas entendu en ces jours de deuil ! Dictature, meurtres de masse, persécutions sanguinaires, pillages des plus pauvres et j’en passe les meilleurs ... À entendre les pires émules de l’ordre actuel et de la droite jambonne, nous avons eu tôt fait de nous rappeler que l’anticommunisme béat des années 50 n’était pas qu’un vague souvenir issu de la seule Guerre froide. Mais une haine bien vivace du socialisme (et non pas seulement de ses constructeurs), seul projet de société alternatif concrètement réalisable dans ce monde en perdition. Mais au-delà de cette haine du socialisme, une seconde haine, celle-là moins visible, mais tout aussi tenace, concernait la première des conquêtes que le peuple cubain su décrocher. C’est-à-dire leur souveraineté. Car il est bon de se rappeler que la lutte de Fidel Castro et du mouvement du 26 juillet (M26) était d’abord une lutte de libération nationale ! Liberté nationale, qui à l’instar du socialisme, est considérée comme une intolérable hérésie par les impérialistes et les larbins de tout poil.
En définitive, et cela, sans prendre (ou perdre) mon temps à répondre à ce flot infini d’accusations hypocrites, de mauvaises fois ou de simples ignorances, je crois que le seul fait de prendre le temps de se remémorer les fondements de ce en quoi l’île actuelle est construite sera la meilleure réponse à faire à ses détracteurs. Ce sera également un bon moyen de rendre hommage au combat de Fidel Castro et d’exprimer quels sont les aboutissements et les exploits de ce peuple insoumis. Et pour paraphraser Bernard de Chartres, la lutte du peuple cubain est grande de son histoire, mais cette lutte est grande, parce qu’elle est juchée sur les épaules d’un géant !
« Patria o muerte ! »
Au-delà de ses plages magnifiques, de son rhum enivrant et des cigares de luxe que la publicité touristique nous vante tant, un secret des plus importants reste encore à découvrir sur cette île lointaine des Caraïbes qu’est Cuba. Ce secret, loin d’être l’un de ces légendaires trésors de la mythologie occidentale, n’est rien de moins que le joyau de l’indépendance d’un peuple. Fierté et indépendance, qui sont des concepts que tout souverainiste aurait bien tort de rejeter sous quelques prétextes que ce soit. Conception révolutionnaire de l’idée d’indépendance qui est à la base de la composition identitaire de ce peuple que l’on aurait tout à gagner de mieux connaître. Et ceci, afin de connaitre le réel prix que coûte la victoire. Prix que nous devons comprendre ici dans ses deux acceptations, soit comme coût et comme récompense.
Cuba est une île dont le symbole est la résistance d’un idéal de justice qui perdure malgré les aléas de l’Histoire et qui, par le prix qu’elle a payé, devrait inspirer le respect à tous ceux qui souhaitent en finir avec ce monde injuste, où la démocratie de façade ne fait qu’occulter les piliers concrets de l’injustice. Cette île, que trop de gens jugent hâtivement et sans vraiment en connaître les réalités, devrait être vue comme l‘avant-garde et l’archétype de ce que sont les réalités de l’autodétermination d’un peuple plutôt qu’un simple résidu du bloc de l’Est. Le coût réel de la liberté, voilà ce que devrait incarner ce petit bout de terre isolé par l’impérialisme américain et le capitalisme international, car, croyez-le ou non, il n’y a pas que Cuba qui a un tel voisin ! Et les armes de l’impérialisme ne varient guère d’un pays à l’autre. Certes, l’histoire de Cuba n’est pas celle de tout peuple en lutte, loin de là. Mais celle-ci reste toutefois fort représentative des efforts et des sacrifices que l’on doit s’attendre à faire afin de mener jusqu’au bout l’idéal de justice et de liberté, qui, je le crois, est le lien que toutes les nations assujetties en ce monde ont en commun.
De l’esclavage à la révolution
Afin de comprendre l’esprit d’un peuple comme il se doit, il est tout indiqué d’en connaître minimalement l’histoire. Et celle de Cuba est, à ne pas s’en surprendre, un peu le côté sombre du rêve américain. C’est probablement l’élément primordial de ce qui saura faire la nation cubaine d’aujourd’hui.
Au départ, Cuba est avant tout le théâtre de la découverte des Amériques par le très célèbre Christophe Colomb, ce qui lui donne dès le commencement une aura spéciale. Ensuite, cette île, comme tout le reste du continent, fut le lieu de tous les pillages, massacres et exploitations de l’époque coloniale. Cette colonie espagnole ne fut pas totalement ce que l’on appelle un « eldorado » pour la majorité de ses habitants. Mentionnons que cela s’applique même aux petits colons qui ont fait le voyage dans le but d’améliorer leur vie, car la vie ne fut pas telle qu’espérée (la déception des immigrants ne date pas d’hier !). Effectivement, si l’on met à l’écart les quelques oligarques qui se sont formés autour du commerce triangulaire, la grande majorité des habitants du Cuba espagnole de l’époque étaient des indigènes (essentiellement des Karibs et des Tanios), qui furent presque totalement anéantis dans les cent premières années de cette colonisation, des paysans européens (rêvant du Nouveau Monde) et des esclaves africains, lauréats de la plus longue période d’esclavage de l’histoire coloniale (375 ans). En plus des conditions de vie plus que précaires, l’île fut aussi le centre de bien des conflits entre pays impérialistes (Angleterre, Espagne et ultérieurement les États-Unis) ce qui a eu pour effet de créer une instabilité récurrente qui, elle non plus, n’a pas été source de stabilité économique pour les populations pauvres. Les volontés révolutionnaires, pour ces raisons, ont émergé très tôt dans le cœur des Cubains, avec un premier soulèvement en 1525 suivis de plusieurs autres (surtout en lien avec les conditions de travail et l’esclavage) au cours des siècles suivants. Par contre, il faut attendre le début de la seconde moitié du 19e siècle pour voir émerger politiquement le sentiment révolutionnaire à saveur patriotique dans la population. Ce sentiment patriotique, loin d’être unique à l’Amérique latine (c’était l’époque de l’essor des États-nations et du nationalisme un peu partout), sera tout de même la base de ce qui mènera le peuple cubain là où il est.
L’émergence de l’esprit révolutionnaire cubain remonte à Carlos Manuel de Cespedes et à la « Guerre des dix ans » (1868-1878), qui ne fut pas un total succès, mais entama tout de même le début d’une certaine indépendance face à l’Espagne et mit aussi fin à l’esclavage. L’esprit révolutionnaire des Cubains, loin de tomber par le non-respect des réformes promises par la métropole espagnole, prit au contraire un élan plutôt marqué en 1891, année de la formation du PRC (parti révolutionnaire cubain) de José Martí (héros national officiel). Cette nouvelle guerre d’indépendance, contrairement à la précédente, mit définitivement un terme au statut colonial de Cuba ainsi qu’à celui d’empire pour l’Espagne. Mais n’apporta pour autant pas la liberté tant souhaitée par les habitants de l’île. La raison de cette situation est qu’en même temps que l’empire espagnol s’effondrait, une nouvelle puissance émergeait à quelques centaines de kilomètres de l’île. Comme les intérêts de cette nouvelle puissance étaient mis à mal par cette situation de guerre d’indépendance, ceux-ci virent s’ingérer au conflit. D’abord par la mise en place de leur USS Maine au port de La Havane et ultérieurement coulée pour des raisons non élucidées et particulièrement louches. Ensuite, par la déclaration de guerre à l’Espagne. La « Guerre hispano-américaine » a pour le moins fort aidé les révolutionnaires cubains dans leur lutte, mais au prix d’une nouvelle soumission et cette fois bien plus subtile. Effectivement, cette nouvelle puissance a profité de sa victoire et de l’épuisement des révolutionnaires cubains pour mettre leur grain de sel dans la nouvelle constitution du pays, notamment en implantant un protectorat sur l’île. Ce protectorat donnait aux États-Unis un droit légal d’ingérence (amendement Platt), en plus d’une base militaire permanente (Guantánamo) et toujours présente aujourd’hui.
Le protectorat américain sur Cuba ne s’éternisa pas trop longtemps. Celui-ci se termina dès 1933 par la fuite du président d’alors (Gerardo Machado) chassé par le peuple cubain exaspéré par la tyrannie d’un homme se voulant plus dictateur que président. Cette nouvelle révolution déboucha sur l’apparition d’un nouvel homme fort au pays, Fulgencio Batista (au niveau de l’armée), mais aussi par la mise en place de plusieurs réformes fortement populaire via les politiques nationalistes du premier de cette nouvelle série de présidents, soit Ramón Grau San Martín.
Pendant un peu moins de 20 ans, Batista travaillera à la mise en place de son pouvoir et finit par provoquer un coup d’État en 1952. Son régime pro américain et corrompu fut le coup de grâce que demandait le destin afin de couper toute inhibition à ce désir profond de liberté que près de 5 siècles de pouvoir extérieur ont su forger dans le cœur de ses habitants. La suite est assez bien connue et il est donc inutile de faire une narration trop exhaustive des exploits du mouvement du 26 juillet et de son chef. Malgré tout, un petit résumé de l`épisode pourrait être appréciable à tous ceux qui n’ont pas eu la chance d’explorer ces événements. Pour ce faire, le petit article de Jimmy Dalleedoo du site le Grand Soir reste tout indiqué afin de résumer les grandes lignes de l’aventure romantique du mouvement du 26 juillet.
Évidemment, vous pouvez aisément deviner que la révolution ici évoquée n’est que le début de l’affaire. Le « grand soir » d’alors ne fut que le commencement d’une lutte acharnée qui n’est pas sur le point de s’achever. Alors, regardons de plus près les aboutissants de cette épopée tragique.
Le blocus comme conséquence du socialisme
Le Fidel Castro de la révolution, quoique d’éducation marxiste comme beaucoup d’étudiants de l’époque, ne se revendiquait pas directement de Marx, mais bien de José Marti. Ce qui ne le prédisposait donc pas nécessairement à entrer en hostilité directe avec les États-Unis pour la simple question de l’anticommunisme viscéral des Américains (et aussi d’une grande partie des Cubains d’avant la révolution). Ces révolutionnaires étaient, ne l’oublions pas, avant tout des patriotes, même si le mouvement du 26 juillet comportait également plusieurs communistes revendiqués (Le Che et le frère de Fidel en sont les figures les mieux connues). Ceci est d’autant plus important à souligner qu’autant le Parti socialiste populaire (parti affilié à l’URSS) n’appuya qu’à la toute fin l’initiative militaire de Fidel (comme l’aile urbaine de sa propre organisation d’ailleurs). Par contre, le très anticommuniste Second Front de l’Escambray d’Eloy Gutiérrez Menoyo et de William Morgan (dit l’Americano) a vaillamment secondé le M26 tout au long de la lutte contre Batista. D’ailleurs, la méfiance de Fidel envers l’Union soviétique était de notoriété publique à l’époque. Cette déclaration de Fidel en 1959 démontrait en substance que le premier souhait du M26 était d’abord l’indépendance de leur pays et le retour de la simple démocratie : « Le capitalisme sacrifie l’homme. L’État communiste, par sa conception totalitaire, sacrifie les droits de l’homme. C’est pourquoi nous ne sommes d’accord ni avec l’un ni avec l’autre. [...] Cette révolution n’est pas rouge, mais vert olive »[1]. À l’évidence, la rupture diplomatique entre les États-Unis et Cuba n’avait au départ que très peu avoir avec la question du socialisme, mais plutôt avec les nationalisations de compagnies américaines et plus généralement la politique cubaine contre les latifundias, hérités de la colonisation espagnole (la fameuse réforme agraire). Cette revendication politique, au départ très réformiste[2], était l’un des fondements de la popularité de la révolution et l’abandonner aurait été la pire des trahisons. En fait, c’est plutôt pour des raisons, au départ, pragmatiques que le gouvernement cubain se rapprocha de Moscou. D’ailleurs, il est à noter que Cuba n’était géopolitiquement que de bien peu d’importance pour les Soviétiques à l’époque.
En fait, plus les réformes contre les monopoles américains[3] avançaient dans le sens qu’elles se devaient d’aller pour la simple indépendance, plus Washington faisait de la pression pour que cessent ces assauts contre leur main mise sur l’île.
À la suite de la mise en place des réformes, dès le départ annoncé dans le programme de la Moncada, les Américains mirent non seulement en place des sanctions économiques, mais allèrent jusqu’à armer des opposants pour que ceux-ci puissent participer au retour de Cuba à son statut de semi-colonie, statut minimal qu’attendent les Américains d’un pays latino. Du côté cubain, cette mauvaise foi évidente renforça donc l’idée que les réformes devaient aller encore plus loin dans le sens concret de l’indépendance et (comme les capitalistes de Cuba étaient presque tous inféodés aux États-Unis) du socialisme. Comme il ne vous l’a sûrement pas échappé, Cuba est une île et il n’est pas possible d’y créer un pays moderne en état de totale autarcie. Donc plus les relations américano-cubaines s’effritaient (et du coup avec les relations avec les pays soumis avoisinants) plus le rapprochement d’avec l’URSS devenait nécessaire. Effectivement, suivant la Doctrine Monroe, les Américaines n’aimaient pas perdre le contrôle de ce qu’ils voyaient comme leurs propriétés (les pays d’Amérique du Sud). Voyant ainsi l’évolution socialiste de l’île se concrétiser malgré les attentats des terroristes pro-américains, il arriva ce qui devait arriver. Soit une attaque militaire officieuse fomentée par la CIA et appuyée sur les émigrés cubains. Comble du malheur ! Et ceci contre toute attente, l’attaque de la baie des Cochons fut un lamentable échec et fut de surcroît la cause de l’alignement définitif de Cuba avec l’URSS. Ce n’est pas un hasard si la création de ce qui deviendra le parti communiste cubain est fondée moins d’un an après l’attaque. Le socialisme dès lors officiellement déclaré, le blocus devint alors total.
Concrètement, qu’est-ce que l’on entend par blocus ? Bien c’est d’abord la rupture avec son premier partenaire commercial (les États-Unis), ensuite avec l’Organisation des États d’Amérique (OEA), qui était essentiellement dirigée par les Américains et finalement la rupture de toutes les relations commerciales d’avec le reste de l’Amérique[4]. Cela va jusqu’à empêcher toutes importations de produits faits en partie de produits cubains (comme le sucre ou le nickel), même s’il est fabriqué par un pays tiers. De plus, tout bateau accostant sur l’île se voit interdit d’accoster sur les ports étasuniens pendant un an. Ces deux exemples montrent assez bien toute la sévérité du blocus, sachant à quel point l’économie de l’époque était centrée sur les États-Unis. Cela rend encore plus compréhensibles (question de survie) les rapprochements économiques et politiques d’avec l’URSS. Ce rapprochement ne fût évidemment pas sans conséquence et projeta directement Cuba au front du conflit entre les États-Unis et l’URSS (voir l’épisode des missiles), ce qui amplifia le fossé déjà abyssal qui existait entre l’ancienne élite et le reste du peuple. Les Gusanos (ver de terre) comme Fidel les appelait, fuirent le pays dès les premiers moments de la révolution, se regroupèrent en Floride et alimentant le très virulent lobby anticastriste (Anti-Castro political action committees), qui s’est rendu responsable de nombreuses actions terroristes[5] au lendemain et bien longtemps après la révolution. Quoique minoritaire chez une population très pauvre, et donc prédisposée à soutenir l’initiative socialiste de Fidel Castro, cette tendance (celle de ceux qui quittèrent l’île) fut l’un des moteurs principaux de la création des lois américaines renforçant le blocus et qui aboutira aux lois Torricelli (1992) puis Helms-Burton (1996) près de quarante ans plus tard. Ces lois avaient évidemment comme vocation de tuer le socialisme postsoviétique à Cuba (comme il le fût dans les pays de l’Est) en aggravant ce qui fût l’une des pires crises économiques que connut un pays dans son histoire. Ce chantage odieux visait la création d’une rébellion du peuple contre ses dirigeants alimentée par la famine, en partie selon le schéma des révolutions colorées.
Donc, comme vous pouvez le constater et contrairement à ce qui aurait été logique dans pareils cas, plus les arguments liés au contexte de la Guerre froide devenaient dépassés, plus le blocus américain contre Cuba devenait virulent. Ajoutons comme toile de fond à tout ceci le Cuban Adjustment Act qui fut voté en 1966, dans le but d’inciter les hauts diplômés cubains à émigrer par appât du gain. Cette loi donnait un droit de citoyenneté pratiquement automatique à tous ceux qui décideraient de quitter Cuba ainsi que plusieurs autres droits et avantages. Cette loi, en plus de nuire aux politiques d’éducations, est surtout très utile au marketing visant à donner à Cuba l’image d’une horrible tyrannie que tous veulent quitter. Tout cet apanage mis en place pour détruire la révolution cubaine est aussi renforcé par d’incessantes campagnes médiatiques effectuées dans nos pays et ayant pour but d’affaiblir le soutien moral que porte la population progressiste de nos pays à l’encontre du blocus américain. L’affaire du terroriste Armando Valladares Pérez incarcéré pour des attentats, mais déclaré prisonnier politique pour ses écrits (il se trouve que le monsieur se découvrit des talents de poète en prison) est plus que représentative des campagnes menées afin de diaboliser Cuba. Enfin, malgré toutes ces épreuves, le socialisme cubain, loin d’être le fruit mûr prêt à tomber que croyait l’établissement américain, est plus que jamais vivace et comme l’a dit Fidel Castro dans sa réflexion du 6 janvier 2012 :
Cuba a été contrainte de se battre pour son existence face à une puissance expansionniste, située à quelques milles de ses côtes et qui ne cachait pas ses visées d’annexion dans la mesure où sa seule destinée était censément de tomber dans son giron tel un fruit mûr. Nous étions voués à l’inexistence comme nation. (...) Les médias, le monopole de nombreuses ressources techniques et les fonds considérables destinés à tromper et à abrutir les masses constituent sans aucun doute des obstacles importants, mais non invincibles. (...) La nation cubaine a prouvé, malgré sa condition de factorerie coloniale yankee où sévissaient l’analphabétisme et la pauvreté généralisée, qu’il était possible de faire face au pays qui menaçait de l’absorber définitivement. (...) la Révolution dure déjà depuis plus d’un demi-siècle. Le fruit mûr n’est pas tombé aux mains de l’Empire. Cuba ne sera pas une force de plus par laquelle l’Empire s’étendra sur les peuples d’Amérique. Le sang de Martí n’aura pas coulé en vain.
Comme quoi, la résistance et la force d’indépendance que possède ce peuple ne deviennent intelligibles à nos esprits libéraux et individualistes que si nous comprenons la profonde unité qu’a engendrée la révolution cubaine, hier encore incarnée par Fidel Castro.
La résistance, l’internationalisme & le patriotisme cubain
Comme Viktor Dedaj le faisait bien remarquer dans sa conférence de 2011, « un modèle de société, quel qu’il soit, sera d’autant plus critiquable (donc critiqué) qu’il incarnera une remise en cause du paradigme capitaliste et impérialiste ». Ceci explique d’ailleurs pourquoi un régime aussi obscurantiste que celui des Saoud n’est que timidement attaqué par les journalistes et les politiciens de carrières, contrairement à des démocraties présidentielles pourtant banales dans leur modèle juridiques comme le sont l’Équateur, la Bolivie et le Venezuela et qui le sont fort fréquemment. Il devient donc évident que ce qui appelle ce genre de critique n’est pas issu de la simple question des « droits de l’homme », mais bien une question de résistance (aussi légère soit-elle) au modèle de domination occidental. Évidemment, cette remise en cause du paradigme néolibéral est aussi celle de l’impérialisme, qui en est l’aboutissement. Cette remise en cause du modèle en sera d’autant plus inacceptable qu’il redonnera espoir à des peuples à qui la tyrannie de l’efficacité mécanique et comptable à détruis l’existence. Tel est le défi devant lequel le peuple cubain fait front.
Contre les attaques médiatiques, économiques et physiques que subit ce petit pays, l’exploit principal que nous devons indéniablement saluer, est celui d’avoir su résister à la résignation. Il aurait été beaucoup plus facile et parfois même plus confortable pour ses dirigeants et ses élites professionnels (et ils sont légion à Cuba) d’accepter la libéralisation de l’économie et le protectorat américain. Sachant qu’un médecin cubain pourrait faire plus de cent fois son salaire aux États-Unis [plutôt mille fois que cent - Note du Grand Soir], il tient de l’exploit qu’ils exercent toujours de la manière dont ils le font encore chez eux. Afin d’anticiper l’argumentaire classique de l’État tyrannique empêchant ses ressortissants de sortir, je précise que l’une des exportations principales du pays est ses propres médecins et qu’il y en a des dizaines de milliers dans le monde (en aide humanitaire ou en échange donnant-donnant). Ce qui rend le « contrôle tyrannique » quelque peu difficile, mais démontre toute l’éthique dont ces gens sont capables. D’autant plus que les mesures contrôlant les sorties des citoyens cubains ont récemment été réformées.
C’est peut-être quelque chose de terriblement difficile à imaginer pour certains de nos plus bas esprits, mais parfois des gens vivent et incarnent autre chose de la volonté du gain. Le vœu de Fidel Castro de ne pas faire l’objet d’une quelconque idolâtrie, via des monuments commémoratifs ou des lieux nommés à son nom, en est pour quelque chose. De plus, les sempiternelles accusations de dictature auront bien du mal à se pérenniser étant donné la réforme constitutionnelle de 2008 limitant (un peu comme aux États-Unis) le poste de président à deux mandats de 5 ans[6]. Simplement, il faut comprendre qu’un homme de la trempe de Fidel, et aussi pour toutes les raisons évoquées plus haut, ne pouvait être remplacé pour le simple plaisir de l’alternance par le premier venu. C’est pourquoi il fut élu sans concurrence pendant de longues années. Les Cubains ne pouvaient se payer le luxe de l’alternance bipartisme, comme nos systèmes libéraux se plaisent à le faire.
Enfin, je pourrais continuer comme cela encore longtemps, car les points de discussions ne manquent pas. Il serait assurément pertinent de discuter des erreurs que les dirigeants révolutionnaires ont pu commettre (ils ne manquent pas non plus) et ce qu’ils ont fait pour y remédier, mais l’importance réside surtout dans le fait qu’ils soient source d’expériences et de discussions continuelles afin d’améliorer le socialisme cubain au lieu de jeter l’ensemble de l’aventure comme le souhaitent tant les apologètes de « l’empire du moindre mal ».
Notre propre combat ne doit pas se raconter d’histoires
Après tout ceci, le bon sens devrait nous faire comprendre que ce que les Cubains ont subi, d’autres pourraient également le subir. Beaucoup d’indépendantistes au Québec ont une tendance bien naïve envers le fameux « Québec inc ». Les Péladeau de ce monde n’ont rien de chevaliers blancs et les frasques de ce dernier ont largement prouvé que la résilience d’un Fidel Castro est une denrée plutôt rare dans ce monde et encore plus chez nous. Il est évidemment inutile de faire grand cas de l’incapacité qu’ont les capitalistes à être les hérauts de la liberté, car leur intérêt de classe est dans l’asservissement des hommes et non pas dans l’inverse. L’indépendance d’un pays n’est qu’une farce si celui-ci est soumis par les forces invisibles du capital, car l’indépendance d’un pays est d’abord l’indépendance du peuple et l’indépendance du peuple se trouve dans la liberté de chacun. Et non pas dans le seul contrôle des frontières. C’est donc à ce prix que les institutions sont en mesure de mener à bien leurs tâches et faire vivre le pays de manière organique. Alors, ne soyons pas dupes et ne croyons pas le baratin libéral qui présente toujours les êtres humains en dehors de leur contexte social et acceptons la réalité du combat à mener pour notre liberté. Beaucoup de ce que cette petite île insoumise des Caraïbes a pu endurer pour s’arracher de sa tutelle est peut-être aussi notre lot dans l’avenir, si les Québécois venaient à voir un peu plus loin. Alors, au lieu de crier avec les loups, apprenons des épreuves des peuples frères et travaillons ensemble à la mise en place d’un monde de nations libres, débarrassées de l’oppression et de l’impérialisme !
Benedikt ARDEN