Les Nouveaux Chiens de Garde, un film à voir, qui dénonce la mainmise de la bourgeoisie sur les principaux médias et la complicité de leurs ami-e-s journalistes. Une critique drôle et vivifiante qui arme d’arguments pour déconstruire le pouvoir des médias, qui est avant tout celui du patronat.
Les films sur les médias sont nombreux. Certains savent rappeler et démontrer que radios, journaux, télévisions, écoutés, lus ou regardés par des millions de personnes, sont en fait entre les mains d’un très petit nombre. Le documentaire Les Nouveaux Chiens de Garde, sorti en janvier 2012 et réalisé par Gilles Balbastre et Yannick Kergoat, ne se contente pas de le rappeler. Il apporte une critique déconstructive du bombardement médiatique de la société, redevable à la fois à l’essai sur les médias de Serge Halimi, publié en 1997 et dont le film de Ballastre et Kergoat reprend le titre, mais aussi à la critique de Bourdieu, aux travaux d’Acrimed, un observatoire spécialiste dans la critique des médias [1], et bien entendu aux Chiens de garde, l’ouvrage de Paul Nizan paru en 1932 dans lequel le jeune philosophe communiste appelait déjà de tous ses voeux à lutter contre les chiens de garde intellectuels de la bourgeoisie.
Les Nouveaux Chiens de Garde propose de se réapproprier un vocabulaire lutte des classes. La démonstration même du film est de rappeler que les intérêts d’une classe nécessitent le contrôle des médias. Il est ainsi question de structure de la classe médiatique dominante : chef d’informations, présentateurs-vedettes, journalistes connus, propriétaires de médias, hommes politiques, etc. Le film dévoile la connivence entre hommes et femmes de même éducation, de même milieu, de mêmes origines et de mêmes modes de vie. Il est question donc de complicité : images, citations, tableaux et graphiques à l’appui... Et bien entendu, il s’agit de montrer que cette connivence à des conséquences, des causes, et un but.
Voici donc un film qui sait faire preuve d’une grande pédagogie. Et on se prend à rêver qu’il pourrait figurer à tout cours « d’éducation civique » qui se respecterait... On y voit ainsi Franz-Olivier Giesbert (directeur du très sarkoyste Le Point et omniprésent présentateur cathodique) exprimer avec la plus grande franchise le cynisme de la possession : le Capital ne possède pas des médias ou des entreprises pour le plaisir, mais pour se faire obéir, pour assurer sa puissance. Bref, le Capital exerce le pouvoir que lui donne la possession. « Et où est le problème ? » nous dit M. Gisbert.
On voit également dans Les Nouveaux Chiens de Garde la bêtise crasse d’un des grand plus capitalistes français, Arnaud Lagardère, propriétaire du groupe Lagardère, c’est-à -dire de la quasi-totalité de l’édition française, le plus gros actionnaire privé d’EADS, mais aussi d’Europe 1, de Paris Match, etc.. Il faut le voir étaler bêtement sa peur d’être dévoilé, notamment par la léchecuterie sans limite de son employé, Jean-Pierre Elkabbach, qui au-delà du ridicule, offre l’occasion de comprendre jusqu’où va la veulerie des valets-journalistes.
Tout ceci s’accompagne dans le film d’illustrations très concrètes, exemples à l’appui, des pouvoirs du Capital, notamment du capital concentré des grandes multinationales françaises : Bouygues, Lagardère, Bolloré, Dassault, etc. La dépendance du capital privé aux marchés publics rappelle que les grands groupes privés ont besoin de moyens de pression sur les politiques à travers leurs capacités à façonner l’opinion public. On voit ainsi comment sur la question du réacteur nucléaire EPR de Flamanville, construit par Bouygues, TF1 (propriété du groupe Bouygues) dissimule allègrement tous les problèmes de malfaçon de ce même réacteur au béton plein de défauts...
Mais cette mainmise du Capital a été possible, et le film le rappelle, grâce aux décisions successives des gouvernements de droite (vague de privatisation de TF1 en 1986, ouverture à Berlusconi avec la 5, puis à M6) mais également grâce aux décisions du Parti Socialiste qui lorsqu’il était au pouvoir n’a jamais remis en question ces privatisations. Il est également rappelé, faits à l’appui, combien le « service public » est bien toujours celui d’un Etat bourgeois, c’est-à -dire littéralement aux mains de la bourgeoisie et de ses serviteurs. L’ère Sarkozy montre d’ailleurs un président nommant directement les chefs des grandes chaines, un véritable retour à l’ère gaullienne de l’ORTF que la France n’a jamais vraiment quittée.
A ce sujet d’ailleurs, les images nous rappellent la trajectoire de certains (pseudo) révolutionnaires ou gauchistes de salon d’il n’y a pas si longtemps, à l’image de Philippe Val ou de Michel Field, aujourd’hui reconvertis au service après-vente de la bourgeoisie. Vals, ancien censeur et moralisateur de Charlie Hebdo, a été nommé directement par Sarkozy avec pour mission d’expulser de France Inter tout journaliste critique. Field, lui, vante aujourd’hui les mérites de la police et participe aux sauteries de la fine fleur de la bourgeoisie lors des fameux diners du Club du Siècle qui se réunit place de la Concorde tous les mois. Que d’eau a coulé sous les ponts depuis l’époque où Field était un des leaders lycéens contre la loi Debré en 1973…
Voir Les Nouveaux Chiens de Garde c’est s’armer d’arguments pour démontrer ce que l’on savait déjà : la bourgeoisie tient aussi parce qu’elle achète tous les jours des hommes et qu’elle les crée, littéralement, tour-à -tour « experts », « journalistes grand-public », « critiques-irrévérencieux-qui-font-quand-même-la-révérence », etc. Et l’achat est ici chiffré, ce qui permet de savoir à combien tel ou tel « homme de télévision » s’achète et se monnaye pour une soirée d’entreprise, de promotion d’une idée, de défense d’un lobby. Il suffit de débourser suffisamment pour qu’un journaliste présente votre produit, quel qu’il soit, avec le sourire, et même si cela va à l’encontre de ce qu’il prétend être par ailleurs (c’est-à -dire généralement « indépendant », « au service de l’intérêt général », etc.). Les journalistes appellent cela un « ménage ». Quant aux « experts », notamment les économistes, le film rappelle que systématiquement présentés comme des universitaires, ils sont surtout systématiquement membres de conseil d’administration ou de fondations privées qui les arrosent de sommes colossales (plusieurs centaines de milliers d’euros par an pour les plus « éminents »).
Rien de nouveau en réalité, voilà pourquoi les citations au cours du film de l’essai de Paul Nizan écrit en 1932 frappent autant. Elles invitent à se plonger dans ce livre parce qu’elles énoncent clairement les faits, les stratégies, les intentions, les discours de la grande bourgeoisie. « Tout bourgeois se sent élu » peut-on y lire. Voilà le rappel que l’imposture est centrale, et son dévoilement nécessaire. La domination de la bourgeoisie pour être durable se doit d’être cachée. Cette énonciation, déjà présente chez Marx, est toujours autant d’actualité. Le chant qui dévoile le Capital offre une liberté immense. La liberté de rappeler qu’il existe une vérité. Les possibles, eux, sont encore en mouvement.
Pierre Hodel
Source : CCR du NPA
12/02/12