À l’initiative de l’eurodéputé de Podemos Miguel Urban, deux journées de formation sur les audits municipaux se sont déroulés à Madrid, dans l’ancien local de la librairie Traficantes de Sueño qui est maintenant devenu un des nouveaux locaux qu’occupent Podemos dans la capitale. Miguel Urban a présenté le déroulement de ces journées de formation et souligné la nécessité d’ouvrir cet espace tourné vers l’action en lien avec les mouvements sociaux.
Lorena Ruiz-Huerta, députée de la Communauté autonome de Madrid pour Podemos et présidente de la commission d’audit de la dette de la région a présenté la situation locale et lancé des pistes de réflexion à travers quelques exemples emblématiques. À la région de Madrid, le PP (parti de droite dure du gouvernement Rajoy au pouvoir en Espagne) a perdu la majorité aux dernières élections régionales. Pour la première fois depuis longtemps, l’opposition peut donc avancer en faisant des pactes stratégiques sur certaines questions cruciales. En ce qui concerne le travail de la commission d’audit, Lorena Ruiz-Huerta a relevé l’exemple de la Ciudad de la Justicia (cité de la justice), un centre urbain de 14 immeubles qui a coûté 105 millions d’euros aux habitants de la capitale. L’un de ces édifices de ce projet pharaonique héberge le centre de médecine légale où les 127 chambres froides de cadavres prévues ne trouvent pas l’emplacement nécessaire du fait de la forme circulaire de l’édifice. La commission a commencé à travailler sur ce cas emblématique et a même organisé des visites d’inspections.
Daniel Albaracin, membre du comité d’audit en Grèce et conseiller du groupe parlementaire GUE sur les questions de budget, a pointé la nécessité de prendre conscience du caractère unique et distinct de chaque niveau d’investigation, qu’il soit local, municipal, régional ou national. Ceci dit, les stratégies doivent être communes et ces différences s’interconnectent : dans chaque cas il faudra identifier les créanciers, les dépenses et recettes. Il est clair que la problématique et méthodologie de l’audit à Madrid ne peut être transposée à d’autres villes au regard de l’aspect gigantesque de la capitale qui compte près de 3,2 millions d’habitants intra muros et 21 arrondissements (distritos).
Par ailleurs, il existe une différence de taille entre un simple audit qui permet de rationaliser les comptes publics et l’audit que tentent de mettre en place les nouvelles « municipalités du changement », comme elles se nomment elles-mêmes. Celles-ci veulent procéder à une radiographie des mauvais usages des dépenses, évaluer les politiques publiques et l’impact social que celles-ci impliquent. On peut identifier 3 axes de travail : la transparence, l’évaluation des politiques publiques (ce qui a été réalisé et ce qui peut être amélioré) et l’identification des dettes et dépenses illégitimes au regard de la soutenabilité sociale de celles-ci. L’expérience menée en Grèce avec la Commission d’audit qui poursuit son travail est riche d’enseignement. Daniel Albaracin conclut en précisant que le mot « audit » vient du monde comptable pour la bonne gestion d’entreprises ou d’Administrations publiques tournées vers la croissance capitaliste, or il s’agit là de faire bien plus qu’un audit comptable. Il est question d’y ajouter la participation populaire en tenant compte de la soutenabilité des politiques d’endettement pour les citoyens.
Carlos Sanchez Mato, responsable des finances municipales de Ahora Madrid pour la nouvelle municipalité de Madrid dirigée par Manuela Carmena, a présenté de manière remarquable l’expérience de l’audit municipal en cours. Nous devons garder espoir, redoubler d’effort et accélérer le cours de notre histoire face à l’opportunité historique qui s’offre à nous avec l’arrivée au pouvoir de municipalités qui optent pour le changement et s’engagent sur la voie des audits municipaux souligne-t-il. Il faut aussi écarter la peur que l’opposition et les médias nous insufflent. La situation de cessation de paiement est déjà une réalité dans certaines villes tout comme en Catalogne.
Au-delà des militants qui connaissent notre discours contre la dette illégitime à travers le travail du CADTM ou de l’audit en Grèce, la possibilité de le porter vers des millions de citoyens s’offre à nous. Tenant compte de la marge de manœuvre limitée d’une municipalité, Carlos Sanchez a expliqué la difficulté de mener à bien une réforme en profondeur sur les politiques fiscales, l’État étant prédominant dans ce domaine. L’impôt sur la taxe foncière (IBI, Impuesto sobre Bienes e Inmuebles), qui ne comprend qu’un taux fixe pour tout le monde est l’une des principales sources de revenu. Il ne peut être réformé en profondeur pour pallier à l’inégalité qu’il génère sans changer la loi. En effet, la législation en vigueur ne permet pas d’augmenter les échelons de taxation pour tendre vers une meilleure progressivité de l’impôt qui prenne en compte les revenus des personnes imposables. Il est donc nécessaire de changer la loi afin que celle-ci permette une plus grande progressivité pour lutter contre les inégalités. Carlos Sanchez a expliqué que l’IBI à Madrid est dorénavant modifié de la manière suivante : il y a une réduction de 7% de l’impôt sur les immeubles résidentiels qui est compensé par une augmentation de 7% de l’impôt sur les immeubles commerciaux.
Carlos Sanchez ajoute qu’il y a incohérence, lorsque le gouvernement finance ses dépenses par des ressources provenant de l’extérieur et de l’endettement, puisque la politique fiscale sert par définition à tendre vers l’équilibre budgétaire. Carlos Sanchez, affirme que malgré ce que disent les agences de qualification (la municipalité envisage de ne pas renouveler son contrat avec Standard & Poor’s), Madrid ne va pas financer sa politique par l’émission de dette mais plutôt par une fiscalité adéquate.
Ensuite Yago Álvarez, membre de la PACD Madrid, a énuméré diverses expériences et initiatives d’audit au niveau municipal. Il a rappelé que l’audit n’est pas une fin en soi mais bien plus un outil à notre disposition pour conscientiser sur la mauvaise gestion des ressources, leur impact social et environnemental. Il a rappelé que la participation peut être sectorielle et transversale et il a cité quelques exemples emblématiques :
– Les éléphants blancs (méga projets ruineux pour la collectivité et parfois sans intérêts général) tel que le périphérique de Madrid, la M-30.
– Les budgets réalisés : exemple de Valence avec la publication des 10 années de budgets liquidés (2002 – 2012)
– Les OCM (Observatoires Citoyens Municipaux) qui s’étendent dans tout le pays. Terrassa est donné en exemple.
Ensuite, 3 groupes de travail se sont constitués selon la taille des municipalités pour débattre et mettre en avant les sujets importants à traiter par ordre de priorité.
Le lendemain, Eric Toussaint, le porte-parole du CADTM International qui poursuit son travail en tant que président de la Commission de la Vérité sur la dette grecque, a présenté un historique remarquablement complet des différentes expériences d’audits citoyens en s’attardant sur les cas équatorien et grec. Il a rappelé qu’à Liège où siège le CADTM en Belgique, une lutte locale contre un plan d’austérité en 1983 lié à un endettement à 15 % d’intérêt, est à l’origine de la création du CADTM, organisation qui par la suite s’est développée dans une trentaine de pays. Il a par ailleurs abordé les réponses apportées par les pouvoirs publics en terme de restructuration ou moratoire unilatéral. Les expériences qui ont eu lieu en Bolivie, en Équateur, en Argentine ou en Islande ont précédé l’exemple grec où une alternative viable et soutenable est encore possible et nécessaire.
Les participants comptent bien rester en contact afin de poursuivre la réflexion, coordonner leurs travaux d’audit et apprendre des expériences des autres. Une deuxième session de formation devrait voir le jour prochainement pour entamer plus concrètement le travail d’audit municipal proprement dit.