Nous examinerons la question essentiellement du point de vue de la responsabilité syndicale.
Coup de tonnerre, coup de semonce une fois de plus !
Certes !
Pour la première fois effectivement le FN vire en tête avec près de 25 % des suffrages exprimés
C’est un événement incontestablement important : le système d’alternance au pouvoir entre la droite et le parti socialiste en est fortement bousculé et les classes dominantes sont à la recherche d’une alternative à ce dispositif incluant le FN et qui ne menace pas leurs privilèges.
La montée du FN n’est donc pas un élément de subversion fondamental du paysage politique mais une donnée intégrée à la stratégie des classes dominantes qui explique en partie l’entreprise de dédiabolisation de cette organisation et sa valoriation médiatique.
Par exemple BFM-TV diffusant depuis plusieurs années déjà en direct le discours de Marine LEPEN au cours du rassemblement du 1er mai organisé en l’honneur de Jeanne d’Arc.
Et, sans doute comme dans les années 30 où pour les classes dominantes la crise ne pouvait trouver une solution adaptée à leurs intérêts que dans le recours au national-socialisme, la valorisation et la désignation du FN comme seule alternative à la faillite du système politique en place leur apparaît-elle comme souhaitable !
État de l’opinion
Pour examiner l’état de l’opinion, partons donc des données globales en nombre de voix et non pas seulement en pourcentages auxquelles les estimations dominantes restent confinées, masquant de ce fait et des réalités et des enseignements importants.
Par exemple, s’il devance tous les autres partis avec 4,7millions de voix multipliant pratiquement par 4 son score aux européennes de 2009 (à l’époque 1,1 million), il est en dessous du score de Marine LEPEN à la présidentielle de 2012 qui a été de 6,4 millions de voix
C’est donc relativement à la participation électorale que son poids s’enfle, parallèlement à un affaiblissement ou un effondrement (le parti socialiste) des autres organisations.
Par ailleurs il faut mettre ces résultats en rapport avec le nombre d’abstentions et de vote blancs et nuls qui affleurent au total les 60 % (plus de 27 millions d’abstentions et plus de 700.000 bulletins blancs et nuls !).
Et sans doute très nombreux sont les opposants à la politique du pouvoir socialiste et à la dictature de l’Union européenne qui ont choisi cette forme de protestation.
Ce qui pour le mouvement syndical et les militants demeure cependant plus que préoccupant, c’est que parmi ceux qui soutiennent à présent régulièrement l’extrême-droite figure de manière importante et le monde ouvrier et une partie importante de la jeunesse.
En quoi cela renvoie-t-il à notre responsabilité ?
Certes, dans sa conquête de l’opinion le FN s’évertue (avec succès) à brouiller les cartes.
En rupture avec la ligne de LEPEN père, le FN mêle étroitement le recours au socle anti-immigrés (le bouc émissaire de tout mouvement fasciste) ET la référence à la souveraineté populaire (contre les diktats de l’Union européenne) ET la référence aux intérêts des travailleurs contre la mondialisation, les banques et les marchés financiers...
Eléments constitutifs déjà du national-socialisme volontiers anti trust en paroles mais articulés avec habileté dans cette période de nouvelle crise profonde et systémique du capitalisme avec son cortège de chômeurs, de licenciements, de délocalisations, de précarisation de masse de travailleurs et d’insécurité auxquelles les classes populaires sont confrontées.
Et c’est là que pour les syndicats le bât blesse !
Pourquoi est-ce le FN qui apparaît à présent pour de nombreux salariés comme la force anti-système, seule capable de bousculer l’ordre établi et de mettre en difficulté les puissants ?
Pourquoi la plupart des partis et les organisations syndicales, CGT comprise apparaissent-ils à de nombreux travailleurs comme des institutions intégrées au fonctionnement de la société et partageant de ce fait la dégradation du sort qui leur est fait ?
Pourquoi le FN apparaît-il comme le champion de la défense de l’indépendance nationale et de la souveraineté populaire face aux diktats de l’Union européenne et en quelque sorte comme l’héritier naturel du refus populaire du traité constitutionnel de 2005 ?
Il faut bien prendre en compte que jusqu’à la fin des années 80, la CGT dénonçait clairement l’Union européenne comme un instrument du capital et Henri KRASUCKI en 1989 pouvait déclarer :
"C’est donc bien de la place de la France dans l’Europe que le grand capital veut nous faire, et que mettent en place les gouvernements successifs, qu’il est question aujourd’hui.
Il y a bien du monde pour présenter l’Europe comme un projet généreux, en agitant des idées qui ne nous sont en rien indifférentes, comme « progrès », « amitié entre les peuples », « solidarité internationale ». Mais ce qu’ils font, c’est tout autre chose !
Ce qu’ils veulent créer en vérité, c’est une zone de douze pays, délimitant un véritable terrain de chasse pour grands fauves. Ils pourront s’y affronter avec une férocité dont la valse des OPA nous donne quelque idée.
Dans cette lutte sans merci, des entreprises, des villes, des régions, peut-être des pays seront sacrifiés. Mais au-delà des contradictions, des rivalités, des affrontements entre capitalistes, dans cette jungle où régnera la loi du plus fort, le gibier ce sera avant tout les salariés."
Mais depuis lors, et dans le cadre de ces élections les dirigeants de la CGT comme ceux de la FSU entretiennent les illusions sur la possibilité d’une "Europe sociale"* et d’un syndicalisme soit-disant efficace alors qu’il est enfermé dans les canons européeens d’une CES totalement acquise aux traités existants !
Or dans leur masse les travailleurs rejettent de mirage évoqué depuis 30 ans à chaque consultation électorale et c’est donc faute de répondre à ces aspirations et quant au fonds à cette lucidité des travailleurs que nous laissons la voie libre aux promesses mensongères du FN.
Légitimement les travailleurs victimes des choix pro MEDEF de HOLLANDE et de son gouvernement vomissent cette politique et ce pouvoir, tandis
- qu’un Thierry LEPAON accuse ceux qui dénoncent fermement cette continuité et de fait cette aggravation de la politique sarkozienne de faire le jeu du FN se situant de fait en protecteur du pouvoir socialiste.
- et qu’en rupture avec les traditions et les statuts de la CGT il déclare au Nouvel économiste :
« Il n’existe à la CGT aucune opposition de principe face au patronat. L’entreprise est une communauté composée de dirigeants et de salariés – là encore, je regrette que les actionnaires fassent figures d’éternels absents – et ces deux populations doivent pouvoir réfléchir et agir ensemble dans l’intérêt de leur communauté" rejoignant les tenants de la collaboration de classes
»
L’heure est en effet grave.
Il est plus que temps que les militants syndicaux à quelque organisation qu’ils appartiennent renouent en grand avec les traditions de lutte frontale qui ont marqué l’histoire du mouvement social et ouvrier et des grandes conquêtes comme en 1936, en 45 ou en 1968.
En particulier, les militants et les structures de la CGT conscientes des enjeux et restées fidèles aux principes de classe de la grande Dame ont un rôle essentiel dans la conjoncture que nous connaissons.
Il doit être dit haut et fort que cela ne va pas dans nos organisations, que le bilan des 20 dernières années doit être fait, que l’orientation décidée alors au nom de la modernisation, de l’adaptation aux évolutions du monde du travail dans un moment de désarroi idéologique a de fait tourné le dos aux exigences du combat de classe livrant les travailleurs aux appétits de revanche des classes dominantes et aux entreprises de démantèlement des conquêtes chèrement acquises.
Exprimons donc tout cela plus haut et plus fort et de plus en plus nombreux car c’est à une réorientation majeure qu’il faut aboutir !
Dans les périodes les plus noires, notre peuple a su trouver les voies du rassemblement démocratique, du Front populaire ou de la Résistance ; nul doute que nous saurons nous montrer aussi dignes et résolus que ceux qui nous ont précédé !
Le Front Syndical de Classe
26 mai 2014
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* Voir à ce sujet l’excellent montage sur le mirage de l’Europe sociale sur le site d’Olivier BERRUYER “Et maintenant, en route vers l’Europe sociale !” :
http://www.les-crises.fr/video-35-ans-europe-sociale/