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Les "élites" belges à la dérive : de la novlangue et de l’extrême-droite

Nul ne l’ignore désormais, une large coalition de droite incluant des ministres liés aux milieux néo-nazis flamands a conquis le pouvoir fédéral. Au-delà des indignations opportunistes de l’opposition, voici l’occasion de nous pencher sur la compromission de nos dirigeants, intellectuels et formateurs d’opinion l’ayant permis.

Car il n’y a pas de "surprise" quant à l’intronisation de Jambon et Francken. Il n’y a pas plus de surprise quant à la faiblesse des réactions sur leurs dérapages quant à la collaboration, au racisme et à l’homophobie. Le "cordon sanitaire" autour du Vlaams Blok a volé en éclat dans les années nonante. La Nieuw-Vlaamse Alliantie (N-VA) est au pouvoir régional depuis 2004. Les liens de ses cadres avec l’extrême-droite et, en particulier, les organisations néo-nazies flamandes sont documentés depuis bien avant même sa fondation. Plusieurs responsables francophones de premier plan, tant au Mouvement Réformateur qu’au Parti Socialiste, s’étaient déjà déclarés prêts à gouverner avec ce parti. Il n’y a pas de surprise.

Il n’y avait pas plus d’inexorabilité à cet événement. La N-VA ne représente que 30% des électeurs flamands et 20% des belges. Nul n’était tenu de l’intégrer aux divers exécutifs.

La dérive des politiques : de l’irruption des "minorités visibles" au retour de vieux démons

Manuel Abramovicz a intelligemment démontré la banalité du racisme et de la tentation autoritaire après-guerre tant au sein d’innombrables organisations dédiées qu’au sein des partis traditionnels dans le contexte d’une Europe coloniale en pleine déliquescence. Il est alors habituel de voir des élus tant socialistes que libéraux faire des campagnes racistes ou évoquer l’homosexualité comme un pathologie psychiatrique menaçant la nation. Culminant dans les années septante au travers d’une véritable "terreur organisée"1 inspirée par l’Amérique ségrégationniste et l’apartheid sud-africain, on verra se multiplier les attentats terroristes, telles les actions du ZOON à l’encontre de mosquées à Molenbeek, et les actions publiques, tel le massacre d’une centaine de travailleurs Algériens par la police parisienne.

A la fin de cette époque, la main d’oeuvre immigrée ou ses descendants, travailleurs invisibles et silencieux, accédèrent peu à peu à la citoyenneté, constituant un nouveau groupe électoral. De même, les homosexuels se révélèrent en tant que communauté avide de reconnaissance civile. Inspiré par le mouvement de lutte pour les droits civiques étasunien ayant mis un terme à la ségrégation et permis aux homosexuels de s’afficher en tant que tels, ces groupes obtinrent rapidement un consensus social autour de leurs revendications. Pour la première fois dans l’histoire de l’Europe occidentale, le racisme, la xénophobie et l’homophobie furent condamnées sans ambiguité et l’extrême-droite, clairement définie, ravalée au rang d’abomination. L’ensemble du corps social promettait à ces minorités une intégration jusque là refusée. Le "Touche pas à mon pote" se propagea jusque dans les écoles, les gay pride se multiplièrent, le "cordon sanitaire" se déploya et les législations sanctionnant tant les discriminations que les discours et actes racistes ou homophobes furent adoptées.

La "crise économique", la résurgence d’un chômage de masse, touchant au premier chef des minorités toujours discriminées, la réduction des classes moyennes, l’émergence d’un consensus politique autour des politique néo-libérales, la fin de la guerre froide bien vite remplacée par une "guerre de civilisations",... vint cependant à nouveau exacerber des pulsions xénophobes endormies. Le "cordon sanitaire" à peine installé vola en éclats. Les partis d’extrême-droite ne se sont pas "normalisés", la société les a simplement réintégrés. Des politiciens de tous bords, par conviction, y voyant un vivier électoral potentiel ou n’acceptant pas de voir ces minorités accéder à des postes à responsabilité, s’y sont employés. Une dizaine d’années après ce retour en force de la xénophobie, se réinstalle mécaniquement une parole homophobe dans le discours public. Il ne s’agit certainement pas de pointer du doigt la majorité des mandataires publics mais une minorité très active et de moins en moins dénoncée par leurs pairs.

Le racisme et l’homophobie ont repris pleinement leur place (l’avaient-ils jamais perdue ?) dans le fonctionnement interne des différents partis et institutions politiques. En témoignent divers témoignages, dont le plus édifiant est celui de l’ancienne secrétaire d’Etat Gisèle Mandaila (FDF), ou des arguments tenant dans le seul qualificatif de "PD" ayant traversé quelques conseils communaux. Nombre de responsables n’hésiteront d’ailleurs pas à porter cet état d’esprit dans le débat public : Alain Destexhe (MR) opposant le "pauvre Belge" aux citoyens immigrés et homosexuels, Didier Reynders (MR) expatriant Molenbeek, Jacqueline Galant (MR) préconisant de discriminer spécifiquement les Belges d’origine maghrébine et turque dans la législation, Jean Demmanez (PS) se lamentant qu’un immigré ait pu supplanter un "ancien Belge" dans les urnes, Danny Smagghe (VLD) proposant d’interdire l’accès des centres récréatifs flamands aux "jeunes allochtones" bruxellois,...

S’inspirant du climat délétère français, nos hommes politiques crurent bon d’importer chez nous les débats sur le voile islamique, les Roms et le mariage pour tous. Importés dans un pays qui ignorait jusqu’au concept même de la laïcité, où le mariage homosexuels avait été adopté sans aucune opposition sociale et comptant un nombre insignifiant de camps Roms.

Au CD&V, cette dérive alla rapidement jusqu’à prendre des dimensions organiques. Historiquement dominants et se voyant menacé par l’émergence du Vlaams Blok, les démocrates-chrétiens crurent pouvoir y remédier par la formation d’un cartel avec la N-VA en 2001, d’un poids électoral alors insignifiant n’atteignant même pas le seuil de représentation. Le calcul politique du CD&V fut bon. Le Belang fut siphonné par le cartel. Le CD&V fut cependant doublement perdant. Perdant lorsque la N-VA dissoudra le cartel en 2008, s’installant peu à peu comme le premier parti flamand, fort de la légitimité offerte par les démocrates-chrétiens. Perdant encore lorsque poursuivant dans cette logique, Kris Peeters, formateur régional CD&V, reçoit Bruno Valkeniers en 2009, négociateur du Vlaams Belang. Entérinant la disparition du cordon sanitaire et la possible accession au gouvernement d’un parti condamné pour incitation à la haine raciale, Peeters déclare alors qu’on "ne peut pas ignorer la voix de 200.000 Flamands", enfermant le CD&V dans la séduction de son aile droite vouée à l’échec depuis l’autonomisation de la N-VA.

La novlangue et la dissolution de l’extrême-droite

Orwell, parodiant le Basic English propagé dans les colonies britanniques, dénonçait le détournement d’une langue visant à l’abrutissement de la pensée au service d’une domination politique. A bien des égards, une véritable novlangue s’est développée ces deux dernières décennies afin de réintégrer l’extrême-droite dans le champs politique sans faire explicitement référence à ses fondements idéologiques.

Ainsi, le "politiquement correct", concept né avec la démocratie étasunienne, désignait aux Etats-Unis la nécessité de conformer le discours public au droit. Ce n’est que récemment que les néo-conservateurs du pays l’ont utilisé pour désigner la conformité de ce discours non plus au droit mais aux opinions dominantes dans la population. Bien que ses origines soient spécifiquement étasuniennes, le politiquement correct – plus encore au sens néo-conservateur – existe également en Europe dans une moindre mesure. Cependant, ce terme une fois importé prit une acception fort différente, s’apparentant à un autre néologisme : la "bien-pensance". Il s’agit ici de dénoncer toute défense des minorités et, plus largement, tout fondement de l’humanisme contemporain. Cette idée s’est diffusée à tel point qu’aujourd’hui c’est à qui s’épanchera le plus de ces "sujets dont on ne peux parler" et qui s’étalent pourtant quotidiennement dans nos média, à qui dénoncera le plus les "vrais problèmes" sans pour autant apporter aucune autre solution qu’une édulcoration du discours d’extrême-droite traditionnel. Dans le même temps, toute argumentation contraire se voit discréditée sans débat.

En conséquence, son substrat ne pouvant plus être dénoncé, l’extrême-droite disparait peu à peu du discours en tant que catégorie politique. On tenta tout d’abord de la requalifier en "droite-extrême" ou "droite radicale", entérinant son installation en tant que frange marginale de la droite traditionnelle, puis "populiste", concept flou englobant toute critique de l’ordre établi. Plus récemment tend à s’imposer l’assimilation de divers courants conservateurs et de l’extrême-droite au sein d’un nouveau concept importé des Etats-Unis, le "néo-conservatisme". Peu importe à ses promoteurs qu’il relève encore une fois d’une réalité spécifiquement américaine. Les néo-conservateurs sont issu d’un mouvement critiquant tant le fascisme que le socialisme ou le néo-libéralisme et prônant l’instauration d’un ordre international sous hégémonie américaine. Ils n’ont que peu de rapport avec le repli identitaire traversant l’Europe.

De même, l’importation du concept communautarien "fondateur et constitutif qui forme l’arrière plan historique de l’identité américaine", affirmant que tout homme ne peut se définir en dehors de ses multiples appartenances, s’est accompagné d’une profonde perversion au travers du prisme européen. Renommé "communautarisme" (sans rapport aucun avec son homonyme anglo-saxon), ce qui apparaissait légitime et positif sur la terre d’immigration américaine est ici devenu symbole d’atteinte à l’identité nationale et utilisé comme outil d’oppression. "L’anti-communautariste" stigmatisera ainsi les différences de telle ou telle minorité tout en lui interdisant de se définir comme telle, et donc de lui répondre. La lutte pour les droits civiques est de ce fait délégitimée et l’intégration redéfinie comme un impératif pour des minorités de se fondre à une société qui les montre du doigt.

Parallèlement à la perversion de termes étasuniens, le monde francophone a redéfini certains de ses propres idéaux. L’exemple le plus criant étant celui de la "laïcité", consistant en la séparation stricte des Eglises et de l’Etat au sens de la révolution française et de la loi de 1905, transformé très opportunément en un contrôle des expressions religieuses par l’Etat dans les administrations et, pour certaines, dans l’ensemble de l’espace public afin de restreindre la visibilité d’une minorité musulmane dont l’affirmation est perçue comme insupportable. Voici même la Belgique, qui n’est pas et n’a jamais été laïque, dont le gouvernement assiste chaque année au Te Deum, en prendre prétexte pour voter des lois et règlements liberticides. Dispositions, volontairement floues pour éviter de se voir déclarer anticonstitutionnelles, sur lesquelles prend aujourd’hui appui la N-VA pour restreindre également la visibilité de la minorité homosexuelle anversoise au grand dam de certains de ses initiateurs outragés qui entendaient viser spécifiquement la minorité musulmane.

Enfin, au travers de divers discours, on assiste à une infantilisation progressive de l’électeur qui lorsqu’il vote extrême-droite n’en serait nullement responsable. Il n’est plus un être conscient effectuant des choix. Il est victime de "la crise". Victime de l’insécurité. Victime de l’immigration. Egaré par des populistes. Il doit être considéré et entendu pour être ramené au bercail. Peu importe qu’il soit de très loin minoritaire, il représenterait le "peuple" qui perd son caractère de masse et se voit réduit à ce qu’il a de plus médiocre.

L’extrême-droite n’existe donc plus. Le racisme n’existe plus. L’homophobie n’existe plus. Les discriminations n’existent plus. Si vous osez les dénoncer comme tels, les hérauts du politiquement incorrect vous disqualifieront d’une phrase dans le meilleur des cas. Dans le pire, une Marine Le Pen vous assignera en justice. Ce détournement du langage devait permettre de s’approprier les thématiques classiques de l’extrême-droite pour siphonner son électorat. Il n’a aboutit qu’à la déresponsabilisation du citoyen, l’abrutissement de la pensée politique et l’effacement des frontières idéologiques.

Les dirigeants francophones face à la N-VA ou comment se tromper de combat

Face à l’extrême-droite flamande, le discours francophone a majoritairement mis en avant son "inacceptable" volonté de dissolution du pays. Il en était ainsi du Vlaams Blok / Belang et il en est de même avec la N-VA. Oui, la N-VA est nationaliste et séparatiste. Mais, au-delà, cette dernière est sans doute aucun un parti d’extrême-droite lié à l’histoire des mouvements néo-nazis flamands. Avant même sa fondation, nombre de ses cadres ont fréquenté et parfois dirigés des organisations néo-nazies dont sont également issus les cadres du Vlaams Belang. La Flandre mêle conservatisme et néo-libéralisme ? La Flandre a des velléités régionalistes, voir indépendantistes ? La belle affaire... Qu’on les combatte ou non, ces propositions ne sont pas exclusives à l’extrême-droite et n’ont rien d’abominable. Encore récemment notre ancien Premier Ministre, Elio Di Rupo, signifiait à des journalistes qu’il serait "totalement inacceptable de voir à la tête d’un pays un parti qui veut la fin de ce pays"... Cette affirmation n’a évidemment aucun sens. Ce qui rend la N-VA "infréquentable" ce sont ses dérives racistes, homophobes, autoritaires et remettant en cause nos libertés publiques. Pas autre chose.

De même, c’est une erreur francophone commune de considérer l’extrême-droite comme un "problème flamand". Non, comme l’a démontré Abramovicz, l’histoire de l’extrême-droite francophone est à la fois autre et similaire. Son absence de traduction en mouvement politique florissant dans l’après-guerre s’explique autant par la médiocrité de ses élites que de par l’absence d’un ressentiment nationaliste. L’extrême-droite a besoin d’un chef charismatique. Toujours. D’un chef. Pas de deux ou de trois. Le FN, le FNB, le PP, La Droite... tous ces partis disposaient et disposent toujours d’une large base électorale. Tous ont commencé par croître, voir obtenir leurs premiers élus, avant de s’auto-détruire au sein de luttes intestines. La société francophone n’en est pas moins gangrénée pour autant que la société flamande.

La dérive de la presse : La Libre Belgique et De Morgen

La presse belge a dans son ensemble fait preuve d’une étonnante naïveté face à l’extrême-droite. Dans les années nonante, l’ensemble des quotidiens milita pour la disparition du "cordon sanitaire" entourant le Vlaams Belang, jugé contre-productif. C’était l’époque des "vrais problèmes" qu’il fallait s’approprier. Que l’extrême-droite n’ait cessé de progresser depuis, tout comme en France depuis la fin du "front républicain", ne semble pas avoir perturbé nos éditorialistes convertis à la lutte contre le "politiquement correct". Deux quotidiens se distinguent néanmoins par leur compromission : La Libre Belgique côté francophone et De Morgen côté néerlandophone.

Ainsi, peu après sa nomination en 2013, Dorian de Meeûs, le nouveau rédacteur en chef de La Libre Belgique en ligne nous gratifia d’un éditorial détonnant intitulé "Ce que Luc Trullemans et Veronique Genest révèlent sur notre société...". Au fil d’une pensée confuse, de Meeûs prétend nous éclairer : les propos de Trullemans et Genest ne posent pas le problème du racisme. Non. Ils posent la question du "politiquement correct". Ils révèlent qu’on ne peut tranquillement critiquer l’Islam en rond. Et, trahissant ses propres obsessions, de Meeûs en profite pour nous glisser entre deux stéréotypes sur les musulmans, un "il est devenu impossible d’exprimer des réserves sur le mariage pour tous sans passer pour un affreux homophobe". Hors sujet me direz-vous ? Pas pour de Meeûs qui reprend ainsi à son compte les deux préoccupations majeures de l’extrême-droite française : les droits des communautés musulmane et homosexuelle. Si l’introduction est prudente (bien sûr de Meeûs condamne tout amalgame), la conclusion est sans appel : Trullemans et Genest sont devenus "involontairement des catalyseurs et porte-voix de ce ressenti" (à savoir que l’Islam et le mariage pour tous posent problème à ce peuple qu’on tenterait de museler). Ce sont des victimes innocentes de la bien-pensance. On doit parler des musulmans. On doit parler des homosexuels. Beaucoup. Et de préférence en mal. C’est comme cela qu’on combattra le "populisme". Que depuis des années les questions de l’Islam, des Roms ou des homosexuels occupent l’essentiel des articles de société dans la presse n’y change rien : on n’en parlera jamais assez. Au vu de son évolution éditoriale, rien d’étonnant de voir La Libre Belgique offrir régulièrement ses colonnes à Alain Destexhe, obsédé par les "Norvégiens", musulmans et homosexuels. Rien d’étonnant d’y trouver une tribune infâme de Bernard Swysen qualifiant Amnesty International d’"étendard de la soumission" pour avoir condamné des lois liberticides. Rien d’étonnant que quotidiennement plusieurs articles concernent ces sujets "dont on ne peut parler". Rien d’étonnant d’y voir tolérés des centaines de commentaires racistes, islamophobes et homophobes sur ses forum alors que toute réponse les qualifiant ainsi risque de se voir censurée.

Côté néerlandophone, l’exemple du Morgen, héritier de la presse socialiste, est tout aussi édifiant. Ainsi, depuis 2003, l’éditorialiste Yves Desmet utilise l’espression "kut-Marrokaantjes" (petits cons Marocains), précédant de loin Théo Francken, pour évoquer la délinquance, traduisant un des nouveaux axes idéologiques proclamés du quotidien : "débarrasser la gauche de l’anti-racisme". Car pour De Morgen, il faut désormais "oser dire (...) la réalité" pour récupérer ce "peuple" qui fait défaut à la gauche. Cependant, sous couvert de dénoncer la délinquance, la réalité pour De Morgen n’est pas que les "petits cons" posent problème mais spécifiquement les "petits cons Marocains". Les cons ne sont donc plus égaux et seuls certains méritent l’attention de Desmet. Ces dérives se traduisirent jusque dans la rubrique sportive au travers des articles de Hans Vandeweghe qualifiant Serena Williams de "grosse négresse" et de "truie suprême", se lamentant de nos footballeurs, "ces africains incapables de se concentrer", ou conspuant nos "holebi qui pensent que tous leurs congénères sont remisés au placard". Enfin, ultime avatar de cette dérive, De Morgen cru bon cette année de nous affliger d’un montage du couple Obama caricaturé... en singes sous couvert de satire. On rit beaucoup sur ces cons de Marocains, ces porcs de nègres et ces geignards d’holebi avec De Morgen. On rit tellement que le Koninklijke Vlaamse Schouwburg (Théâtre Royal Flamand - KVS) a dû mettre un terme à sa longue collaboration avec ce journal en lui signifiant un jugement sans appel : le KVS ne peut "plus se taire (...) Les nègres, les femmes, les homos : c’est une liste bien connue..."

La dérive institutionnelle : cachez cette lutte contre le racisme et l’homophobie

Bien sûr, les discriminations au sein des différentes institutions et administrations sont banales. Plutôt que d’égrener les études le démontrant ou les exemples particuliers, il me semble plus intéressant d’évoquer deux symboles de la dissolution de la lutte pour les droits des minorités dans des objectifs généraux.

Ainsi, le "Centre pour l’Egalité des Chances et la lutte contre le racisme" fut créé en 1993 à l’initiative de l’Etat avec pour objectif louable de lutter contre les discriminations des minorités et, moins louable, d’institutionnaliser cette lutte face à des ASBL indépendantes dénoncées comme "communautaristes". Force est malheureusement de constater qu’il a peu fait en matière de lutte contre le racisme, l’islamophobie et l’homophobie. Ainsi, en mai 2013 sur le plateau de Mise au Point, Delruelle, son directeur croyait bon se défendre devant Modrikamen, leader du parti d’extrême-droite francophone PP, de se "compromettre" avec les minorités musulmanes et d’origine maghrébine. Et d’évoquer pour appuyer son propos que "sur les deux dernières années" le Centre n’avait intenté d’action en justice qu’à deux occasions... à l’encontre de membres de Sharia For Belgium. De fait, si des rapports tant de l’UE que de nos universités félicitent la Belgique pour sa législation anti-discriminations, ils dénoncent le fait qu’elle soit dans la queue de peloton en matière de mise en application et que les actes de discriminations, principalement ethniques et religieux, ne fassent que croître dans une criante impunité. De façon symptomatique, en 2014, le centre a été réorganisé en un "Centre interfédéral pour l’égalité des chances" et un "Centre fédéral de la migration". La "lutte contre le racisme" reste bien sûr un objectif déclaré... mais il a été jugé bon d’en faire disparaître la référence et donc la spécificité. Le projet à terme est encore plus affligeant puisqu’il vise à créer un "Institut National des Droits de l’Homme" où l’on entérinera nominalement le passage de la défense spécifique de minorités à la défense, légitime mais toute autre, des droits de tout un chacun. Gageons que la nomination cette année d’un élu d’extrême-droite ouvertement opposé aux lois anti-discriminations, Matthias Storme, dans le Conseil d’Administration du centre n’améliorera pas son ardeur au combat...

L’histoire de la Gay Pride est tout aussi édifiante. Issues des émeutes de Stonewall provoquées par des violences policières homophobes dans le New-York de 1969, des marches de commémorations annuelles s’organiseront peu à peu dans de nombreuses capitales sous le nom de "Gay Pride". Importées chez nous via le Royaume-Uni, elles ne pouvaient en sortir indemnes. Ainsi la Belgique l’a d’abord renommée "Belgian Pride" en 2010 avant d’opter pour la "Pride4Every1" en 2014 malgré l’opposition de diverses organisations dont le Collectif contre l’homophobie. Le même processus a eut lieu en France, où chaque année se déroule désormais des "Marches des Fiertés" - Fiertés de qui ? Fiertés de quoi ? De tous et de tout. D’une manifestation communautariste - au sens américain du terme - s’inscrivant dans l’histoire de la lutte pour les droits civiques des homosexuels, la France et la Belgique veulent faire un événement festif et fédérateur célébrant tout un chacun. C’est oublier que tout un chacun ne serait pas tombé sous les coups de matraques des policiers au Stonewall Inn...

La dérive du patronat : le racisme et la discrimination s’affichent sans honte

De même, le racisme et la discrimination, principalement sur base ethnique, à l’embauche et au travail sont également banals et constituent l’un des plus importants fléaux sociaux, particulièrement à Bruxelles. Une nouveauté se fait cependant jour : depuis les années 2000 nombre de représentants du patronat n’hésitent plus à l’afficher, voir le revendiquer.

En 2001, éclate la première affaire de discriminations ethniques à l’embauche menées systématiquement et à grande échelle suite à la dénonciation par un employé de la mise en place par l’entreprise d’intérim Adecco d’un système de fichier, organisé autour de l’acronyme "BBB" (Blanc Bleu Belge) détaillant principalement les exigences raciales de chaque entreprise cliente quant aux employés recherchés. Au sein d’une liste interminable (2), on retrouve C&A ("BBB uniqt"), Delhaize ("un homme pr motiver ses encodeuses et BBB"), Electrabel ("BBB !!!"), FNAC ("pas d’étranger et pas willekens"), Godiva ("BBB"), Interbrew ("BBB"), Melisana ("BBB ou autre nationalit, mais pas d’arabes"), Nachtergael ("BBB mais supermignonne"),... Malgré la saisie du fichier en question par la police, la direction d’Adecco se défendit de tout acte répréhensible. Il n’est pas tant question pour Adecco de nier des faits patents que de proclamer leur normalité et sa bonne foi. Les clients évoqués affirmèrent quant à eux que l’initiative relevait de la seule responsabilité d’Adecco.

Suite à cela, la RTBF mena plusieurs reportages où divers patrons d’entreprises, à visage découvert devant caméra, affirmèrent ouvertement ne pas engager "d’arabes" et/ ou "de turcs" et/ ou "de noirs" à la demande de leurs clients. A la question du journaliste, tous étaient persuadés de la légalité de leurs choix, la faute revenant selon eux uniquement aux clients... Plusieurs enquêtes menées récemment, à la colère affichée des représentants patronaux, confirment que ces pratiques n’ont pas changées, sont généralisées à tous les secteurs et concernent la majorité des entreprises testées. Les réactions patronales se suivirent et se ressemblèrent : minimisation et incompréhension. Sentiment d’incompréhension touchant jusqu’au patron des patrons bruxellois Thierry Willemarck, patron de Touring et du BECI qui affirma en 2013 dans les colonnes de L’Echo que la "population d’origine maghrébine" de Bruxelles manquait de "coups de pieds au cul"... regrettant par la suitte ses propos, n’ayant selon lui pas eut conscience que ses propos pouvaient "choquer".

Des entreprises évoquées, seule Adecco fait l’objet d’une procédure au civil (condamnation en 1ère instance actuellement en appel – la procédure pénale ayant été frappée de nullité car menée en français alors que le siège d’Adecco se situe en Flandre) entamée par le syndicat FGTB au nom des travailleurs lésés et les ASBL SOS Racisme (française) et Kif-Kif. Le parquet n’a évidemment jamais cru bon se saisir des autres dérapages emblématiques évoqués. Pas plus que le "Centre interfédéral pour l’Egalité des chances" considérant, dans un discours tendant à devenir récurrent, et à l’encontre de l’avis de nombreux juristes, qu’ils étaient "moralement condamnables" mais ne ressortaient pas des lois anti-discriminations. A l’image de Willemarck, il faut souligner que les auteurs de ces comportements sont généralement inconscients de leur caractère répréhensible... inconscience renforcée par l’inapplication des lois Moureaux.

Redéfinir ses limites

Il faut le dire avec force : l’indépendantisme flamand aussi regrettable soit-il n’est pas un problème. Le combat social dans une Europe détruisant peu à peu ses classes moyennes au profit de rentiers est à mener. Mais l’extrême-droite pose un tout autre problème : il s’agit de porter à nouveau un jugement moral et politique sur des propos politiques. D’établir clairement les limites de ce sur quoi nous sommes prêts à discuter et établir des compromis dans le cadre démocratique. Tant que les idées d’extrême-droite seront minoritaires, ce qu’elles sont aujourd’hui même s’il s’agit d’une minorité forte et très agissante, elles doivent être condamnées sans ambiguité. Et si un jour elles devaient redevenir majoritaires, il n’y aurait à nouveau que trois choix raisonnables et légitimes pour le reste de la population : la résistance civile, prendre les armes ou fuir le pays.

1 Abramovicz M., Le racisme organisé au coeur de l’histoire politique belge, Résistances, 2004 (http://www.resistances.be/racorg.html).
2 Un échantillon de la liste BBB d’Adecco a été publiée par Solidaire.

»» http://www.wikimedecine.fr/Les_%22%...
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