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Les drones étasuniens au Moyen-Orient contre le droit international (Foreignpolicy.com)

L’utilisation de drones pour cibler les « terroristes » ne respecte pas les règles du droit international, et encore moins les normes morales qui sont censées d’encadrer les politiques et les pratiques de nos « démocraties » dans le cadre des soi-disant « guerres humanitaires ». Ben Emmerson, Rapporteur Spécial des Nations Unies, se plonge sur cette question, en analysant la relation entre anti-terrorisme et droits de l’homme. Ce discours concerne le lancement d’une enquête internationale sur l’impact de l’utilisation de ces machines de mort et autres formes d’élimination programmée à distance sur les civils et sur les droits de l’homme, à l’occasion des actions d’anti-terrorisme et de contre-insurrection. Mais alors, qui provoque la vraie terreur ?

En Juin de l’année passée, au Conseil des Droits de l’Homme à Genève, un groupe d’États, incluant deux membres permanents du Conseil de Sécurité, ainsi que le Pakistan et un certain nombre d’autres États concernés, ont fait une déclaration conjointe demandant de mener une enquête, durant le mandat en cours, sur l’utilisation des drones dans le contexte des opérations anti-terrorisme.

J’ai déclaré peu après cela que les États utilisant cette technologie, ainsi que les États qui sont la cible de celle-ci, sont sujets au droit international qui oblige à établir des enquêtes indépendantes et impartiales lorsque quelque attaque d’un drone a selon toute probabilité pu causer des pertes civiles. J’ai aussi indiqué que si ces États ne mettaient pas en œuvre des enquêtes suffisamment solides et impartiales, il pourrait s’avérer nécessaire, en dernier recours, que les Nations Unies mènent des enquêtes sur des frappes de drones individuelles.

L’enquête que je lance aujourd’hui est une réponse directe aux demandes qui m’ont été faites par ces États au Conseil des Droits de l’Homme en Juin dernier, ainsi qu’à la préoccupation internationale grandissante au sujet des frappes programmées à distance via l’utilisation des UAVs (Véhicules Aériens sans pilotes, Drones). L’augmentation exponentielle de l’utilisation de la technologie des drones dans une série de contextes militaires et non-militaires représente un défi réel dans le cadre du droit international et c’est à la fois une question de principe, et une réalité politique incontournable, la communauté internationale devrait focaliser son attention sur les standards applicables à ce développement technologique, tout particulièrement son déploiement dans des contextes d’anti-terrorisme et de contre-insurrection, et chercher à atteindre un consensus sur la légalité de son utilisation, et les standards de sauvegardes qui devraient s’y appliquer.

Le fait est que cette technologie va perdurer, et que son utilisation dans le cadre de conflits est une réalité avec laquelle le monde doit s’accommoder. Il est dès lors impératif de mettre en place des structures opérationnelles appropriées et légales pour réguler son utilisation de telle façon qu’elle respecte les exigences du droit international, y compris les droits de l’homme internationaux, le droit humanitaire international (ou le droit de guerre comme il est couramment appelé), et le droit international des réfugiés.

Il y a pour l’instant au moins trois théories légales principales en lices pour la primeur sur cette question. Il y a ceux qui considèrent qu’en dehors de situations avérée de conflit armé international, le cadre applicable est le droit de l’homme international, sous lequel il est tout à fait illégal d’engager des frappes programmées à distance sous quelque forme que ce soit. Les normes établis dans l’Alliance des Droits Civils et Politiques, et tout particulièrement les clauses de l’article 6 qui protège le droit à la vie, permet l’utilisation d’une force létale uniquement si c’est strictement nécessaire et dans une optique d’auto-défense immédiate. D’après cette analyse, les États désirant passer à l’action contre des éléments suspectés d’être des terroristes et hors du cadre de conflit armé international, doivent d’abord tenter une arrestation, et ensuite utiliser la force létale uniquement si cette personne résiste à l’arrestation et qu’il s’avère strictement nécessaire d’avoir recours à cette solution.

À l’autre bout de ce spectre d’idées, on retrouve une analyse qui a été promue par les avocats internationaux des États-Unis, et par John Brennan, nommé à la tête de la CIA par le Président Obama, considère que les démocraties occidentales sont engagées dans un conflit global contre un ennemi sans État, sans frontières géographiques sur le terrain, et sans limite de temps. Cette analyse est fortement discutée par la plupart des États, et par la majorité des avocats du droit international hors des États-Unis d’Amérique.

Une troisième analyse consiste à évaluer si une organisation terroriste est engagée dans un conflit armé interne (ou non-international) contre un gouvernement en particulière, comme les gouvernements du Pakistan, du Yémen et de Somalie ; et ensuite évaluer si et dans quelles circonstances il est légal pour un État tiers d’entrer en guerre dans ce conflit interne armé pour soutenir les forces gouvernementales. Il est clair qu’en termes de droit international, une intervention de la sorte pourrait être légale si elle a lieu sous la demande exprimée par le gouvernement de l’État concerné. C’est beaucoup moins évident dans le cas où une nation étrangère comme les États-Unis utilisent la force militaire sans le consentement de l’État concerné.

Les avocats du droit international sont en désaccord sur la question de savoir si un consentement tacite ou un acquiescement sont suffisants ; ou si le déploiement de la technologie des frappes à distances dans de telles circonstances constitue une violation de la souveraineté de l’État dont le territoire en est la cible ; ou si cela pourrait cependant être légal si l’État concerné est soit contraire, soit incapable de prendre des mesures contre ces menaces terroristes de la part d’un groupe d’insurrection opérant sur son territoire.

L’absence d’un consensus sur ces questions très fondamentales de droit international est le centre d’un débat intense aux Nations Unis en ce moment, et sera l’objet d’une série de discussion de haut niveau et de négociations entre États et experts dans les années qui viennent, avec pour but de trouver une entente sur ces points de vues fort divergents. La réalité, c’est que le monde est face à un nouveau développement technologique qui n’est pas facilement acceptable dans le cadre légal existant, et aucune des analyses qui ont été émises n’est entièrement satisfaisante ou complète. La situation légale en Afghanistan par exemple, où il y a un conflit armé international reconnu, est très différente de celle des Zones Tribales Administrées Fédéralement au Pakistan, qui est à son tour très différente du Yémen ou du Territoire Palestinien Occupé (OPT). Et même dans un pays comme le Yémen, il pourrait y avoir des zones du pays dans lesquelles certains pourraient voir un conflit armé interne, tandis que dans d’autres zones du pays, ce n’est clairement pas le cas.

Étant donné la relative facilité avec laquelle cette technologie peut être déployée, et étant donné son coût relativement peu élevé (à la fois économiquement et en termes de risque de vie pour le personnel en service pour l’État qui a recours à cette technologie), la question doit désormais être traitée avec fermeté par la communauté internationale. Et par cela, je ne veux pas dire juste un pacte tacite ou vite fait par des gouvernements derrière des portes closes. Je veux dire que des efforts doivent être faits pour obtenir un consensus parmi les citoyens des gouvernements représentés. Après tout, les États qui déploient cette technologie à des fins militaires sont pour la plupart des États démocratiques.

Ben Emmerson

Je voudrais aussi préciser que ces questions légales ne sont pas confinées à l’usage de drones. En ce qui concerne le droit, elles s’appliquent à toute utilisation de force armée, incluant les avions avec présence humaine et les frappes de missiles pour des éliminations télécommandées. Mais c’est l’usage de ces drones qui a propulsé cette question au sommet de l’agenda international, car ils peuvent être (et l’ont été) utilisés avec une apparente facilité et fréquemment, avec des effets dévastateurs, sans mettre en péril la vie de pilotes. Étant donné que cette technologie est déployée régulièrement sur des cibles qui sont profondément ancrées dans des populations civiles dans des zones tribales du Pakistan et du Yémen par exemple, des voix s’élèvent du fait du taux de risque inacceptable d’avoir des victimes parmi les civils.
L’objectif central de la présente enquête est de regarder les preuves qui démontrent que des frappes de drones et autres formes de frappes télécommandées à distance ont causé des dommages civils disproportionnés dans certains cas, et d’émettre des recommandations concernant le devoir des États de conduire des enquêtes approfondies et impartiales au sujet de ces allégations, avec un égard particulier visant à s’assurer des responsabilités et des remédiations là où les choses sont visiblement allées fortement de travers, avec des conséquences potentiellement graves pour les civils.

Mon mandat a reçu un nombre conséquent de plaintes se référant à des frappes individuelles, et mon équipe à Genève a commencé à étudier certains incidents. De manière à formuler des recommandations à l’Assemblée Générale à ce propos, j’ai sélectionné une petite équipe d’experts pour m’assister dans ma tâche d’identification des cas où il semble possible que des opérations télécommandées de cette nature aient pu causer des pertes civiles, et à conduire une enquête approfondie sur les preuves disponibles. Nous proposons de nous focaliser sur 25 cas d’études au Pakistan, Yémen, Somalie, Afghanistan, et en Territoire Palestinien Occupé, et d’examiner les preuves en détail en veillant à déterminer si il est plausible que des tueries aient eu lieu en dehors de la loi, ce qui déclencherait obligatoirement une enquête du droit international, qui s’impose à la fois sous la perspective du droit humain international et des droits de l’homme.

Il n’y a bien sûr pas de substitut aux enquêtes officielles effectives indépendantes par les états concernés. Je n’anticipe pas non plus que cela va résulter dans un dossier de preuves capable de mener directement à l’attribution de responsabilité – criminelle ou civile – légale. Le but de cette enquête est de m’aider à mettre ces allégations plausibles sous le regard des États pour une réponse, et de rapporter mes découvertes à l’Assemblée Générale à l’automne 2013, en veillant à faire les recommandations pour d’ultérieures actions au niveau des Nations Unis s’il s’avère que c’est justifié par les découvertes de mon enquête.

L’enquête sera divisée en trois phases. La première phase, dont la fin est attendue pour fin mai, est le rassemblement de preuves. Durant cette période, mon équipe va travailler avec des avocats, des journalistes et des ONG qui travaillent sur le terrain, ainsi qu’avec des ONG internationales. Je vais aussi consulter directement les États concernés via mon bureau à Genève. J’espère mener une série de visites dans des pays incluant le Pakistan, le Yémen et le Sahel. La seconde phase, qui s’étendra de fin mai jusqu’à fin juin, est une phase de consultation durant laquelle je vais recueillir les vues et réponses des États concernés à propos des cas d’étude particuliers sur laquelle mon enquête porte. La troisième phase, de fin juin à fin septembre, sera une phase d’évaluation, et d’élaboration de mon rapport final. J’espère présenter mon rapport, ainsi que mes conclusions et recommandations, à l’Assemblée Générale des Nations Unies à New York en octobre de cette année.

Je voudrais préciser que je mène cette enquête avec un esprit tout à fait ouvert sur les allégations qui ont été portées à mon attention, et que je ne me suis pas encore forgé d’opinion sur les difficiles questions légales qui en dérivent. L’objet de mon mandat est d’établie des faits de manière aussi fiable que possible, gardant à l’esprit les obstacles pratiques significatifs qui existent pour conduire une collecte de preuves fiables sur le terrain au Waziristân, au Yémen, en Afghanistan et en Somalie.

Cette enquête qui sera coordonnée via le bureau du Rapporteur Spécial de l’Anti-Terrorisme et des Droits de l’Homme à Genève, qui s’occupera de tout engagement avec les États Membres des Nations Unies. Par ailleurs, j’ai une équipe ici à Londres qui m’aide à assurer la liaison avec ceux qui ont déjà ou sont toujours en train de mener des enquête sur le terrain. Je peux vous dire que j’ai déjà reçu un volume conséquent d’éléments de preuves pertinentes sous forme de phrases, de photographies ou d’éléments légistes. L’équipe d’enquête qui va m’assister se compose de Abdul-Ghani Al-Iryani, un analyste politique et consultant au développement au Yémen, qui est actuellement leader du Mouvement d’Éveil Démocratique (Democratic Awakening movement), un mouvement politique trans-partisan qui promeut la démocratie et la prééminence de la loi au Yémen. Le docteur Nat Cary, un légiste pathologiste de premier ordre avec une spécialité dans l’interprétation des blessures disruptives liées à des explosions : Imtiaz Gul, Directeur Général du Centre Indépendant de Recherche et d’Etudes de Sécurité situé à Islamabad ; le professeur Sarah Knuckey de la NYU (New York University), co-auteur du rapport « Living Under Drones » ; Lord Macdonald de River Glaven QC, ancien Directeur des Poursuites Judiciaires en Angleterre et au Pays de Galles ; Sir Geoffrey Nice QC, ancien procureur au Tribunal Pénal International pour l’ancienne Yougoslavie, qui a poursuivi Slobodan Milosevic ; le capitaine Jason Wright, juge-avocat en service pour l’armée des États-Unis qui collabore à l’enquête en sa qualité personnelle ; Le juge Shah Jehan Khan Yousafzai, l’ancien juge Puiné Senior de la Haute Cour de Peshawar au Pakistan, et Jasmin Zerinini, ancienne députée, directrice pour l’Afghanistan et l’Asie du Sud pour le Ministère français des Affaires Étrangères. Le conseil légal de cette enquête sera basé à Londres. L’équipe d’enquêteurs consultera des experts militaires légistes, ainsi que des experts et des ONG et journalistes du Royaume Uni, des États-Unis et du Pakistan, qui ont une connaissance approfondie de la région et de ses questions sensibles.

Je travaille aussi en étroite collaboration avec la Forensic Architecture (Architecture Légiste), une organisation qui se spécialise dans la modélisation légiste de conflits militaires dans le but d’établir leur compatibilité avec le Droit Humain International et le Droit Humain.

De par mes relations initiales avec les États concernés, j’ai la sensation optimiste que l’enquête jouira d’une bonne coopération de la part des gouvernements du Pakistan, du Yémen, des États Unis et du Royaume Uni.

Ben Emmerson
Traduit depuis l’anglais par Fabrice Lambert pour Investig’Action

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Source : foreignpolicy.com


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