Ce changement se place dans la logique de l’ébranlement de l’“alliance” Turquie-Qatar-Arabie formée pour soutenir les rebelles anti-Assad, de l’échec terrible et sans doute décisif pour elle qu’a constitué le tournant Russie-États-Unis, avec l’accord sur la destruction de l’armement chimique syrien (plan proposé par les Russes le 10 septembre 2013).
Les sources citées ici sont de deux origines, toutes deux du côté du soutien de Assad, mais il semble bien que le point fondamental de l’évolution radicale de la politique qatarienne soit clairement confirmé. Il s’agit d’un passage d’une position d’hostilité déclaré au régime d’Assad, avec soutien des rebelles, à des propositions allant jusqu’à la normalisation des relations du Qatar avec la Syrie. Assad n’y serait pas opposé. Certains pays du bloc BAO, notamment la France qui base son antagonisme avec Assad sur une politique de proximité, et en général grandement intéressée, du Qatar, se trouvent devant un classique contrepied dont leurs “politiques” sans le moindre fondement ni principes sont des productrices constantes. Les États-Unis ne sont sans doute pas au courant puisque, comme le signale Tymothy Garton-Ash, ils ont de la peine à réaliser qu’il existe une entité nommée the Rest Of the World (le reste du monde).
• La première citation est du journal quotidien de gauche As Safir, indépendant mais clairement engagé en faveur du Hezbollah, et hostile à la politique du bloc BAO. La nouvelle date du 13 octobre 2013, sur le site du journal, sous le titre « Infléchissement de la politique du Qatar : l’Emir aurait contacté Al-Assad via un official palestinien. »
« Des sources palestiniennes en Syrie ont révélé qu’un membre du Comité central du Fatah, Abbas Zaki, a transmis au président syrien, Bashar al-Assad, une lettre de l’Emir qatari, Tamim Bin-Hamad Al Thani, dans laquelle ce dernier exprime son désir d’améliorer ses relations avec Damas. Selon ces sources, la visite de Zaki à Damas et sa rencontre avec Al-Assad le 7 octobre n’avaient pas pour objet les pénibles conditions de vie des Palestiniens de Damas ni les relations palestino-syriennes, mais le Qatar et sa politique étrangère. [...]
»Des sources palestiniennes ont confié à Al-Safir tque le Sheikch Tamim avait appelé le président Mahmoud Abbas en août et l’avait invité à Doha. Abbas a en effet passé une journée à Doha le 28 août où il a rencontré le Sheikh Tamim qui lui a demandé d’appeler Al-Assad pour dénouer les tensions avec les autorités syriennes et informer les dirigeants syriens que le Qatar allait changer graduellement de politique étrangère mais que ce changement ne serait pas très important dans les premiers temps. Le fait que le Qatar ait tardé à envoyer un délégué palestinien en Syrie avec ce message est dû aux événements qui se sont déroulés en Syrie entre la rencontre d’Abbas avec l’Emir qatari et la visite de Zaki à Damas. »
.• La seconde citation est du site iranien Qods Online, du journal conservateur Mashhad publié par la Qods Cultural Foundation of the Holy Shrine of Imam Reza (Astan-e Qods-e Razavi). Il s’agit d’un commentaire de Hasan Hanizadeh sous le titre « La désintégration de la coalition Anti-Syrienne », du 14 octobre 2013. Les informations recoupent les précédentes sur l’évolution du Qatar, mais à partir du cadre plus large de l’hypothèse de la désintégration de facto de l’“alliance” de circonstance, et de très fragile circonstance, entre le Qatar, la Turquie et l’Arabie, pour soutenir les rebelles syriens contre Assad.
« Le fait que le sheikh Tamim bin Hamad Al-Thani ait exprimé son désir d’améliorer ses relations avec la Syrie indique que la coalition formée par l’Arabie Saoudite, la Turquie et le Qatar contre le gouvernement syrien ne va pas tarder à se désintégrer. Depuis le début de la crise syrienne le 15 mars 2011, l’Arabie Saoudite, le Qatar et la Turquie ne se sont pas seulement coalisés contre la Syrie, ils ont joué un rôle éminemment destructeur dans la crise.
»Selon les estimations de médias étrangers, l’Arabie Saoudite et le Qatar, qui sont considérés dans la région comme des nations rivales, ont fourni jusqu’ici plus de 36 milliards de dollars d’aide financière aux groupes terroristes salafistes opérant en Syrie. Mais avec la reconquête d’une grande partie du pays par l’armée syrienne et l’apparition de signes de défaite des groupes terroristes, le Qatar a progressivement pris ses distances avec Ankara et Riyad. Le départ du Sheikh Hamad bin Khalifa Al-Thani et son remplacement au pouvoir par son fils, le Sheikh Tamim bin Hamad Al-Thani, nouvel Emir du Qatar, a joué un rôle dans ce changement de politique. [...] Maintenant que les États-Unis et l’Union Européenne ont modifié leur politique vis à vis de la Syrie et que cette dernière coopère à la destruction des ses armes chimiques, le gouvernement du Qatar n’a d’autre choix que de se séparer de l’Arabie Saoudite et la Turquie. Le Qatar a donc revu sa position vis à vis de la Syrie et l’Emir du Qatar a envoyé un message à Bashar Assad, le président Syrien, pour lui dire qu’il était prêt à renouer des liens politiques avec Damas. Ce message a été transmis au président syrien par Abbas Zaki, un membre influent du Fatah très proche de Mahmoud Abbas, le président de l’Autorité Palestinienne, lors d’une rencontre à Damas.
»Bien que le gouvernement syrien n’ait pas encore réagi au souhait qatarien de renoncer à sa position politique antérieure le concernant, il semblerait que Damas ne soit pas opposé à la normalisation de ses relations avec Doha. Si les relations entre Damas et Doha reprenaient leur cours normal, la Turquie et l’Arabie Saoudite se retrouveraient de toute évidence très isolées. On peut penser que devant l’évolution de la situation, Ankara, sous la pression intérieure et internationale, ne tarderait pas à se séparer de l’Arabie Saoudite. En dépit du fait que la coalition diabolique formée par l’Arabie Saoudite, la Turquie et le Qatar contre le gouvernement syrien, a causé de gros dommages à la nation syrienne, la désintégration de la coalition permet de penser que la crise sera bientôt derrière le gouvernement syrien. Dans de telles conditions, l’Arabie Saoudite devenue le seul facteur de la crise en Syrie se retrouvera seule et perdra le soutien de son opinion public. »
Traduction des parties en Anglais : Dominique Muselet