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Le Monde Diplomatique, novembre 2023

Benoît Bréville et Pierre Rimbert défendent la cause du Monde Diplomatique comme celle d’un journal non-aligné : « De l’effondrement financier de 2008 à l’embrasement du Proche-Orient en passant par la crise climatique et l’invasion de l’Ukraine, la planète a connu ces quinze dernières années une série de secousses qui affolent les boussoles intellectuelles et géopolitiques. Pas celle du Monde diplomatique, qui défend, presque seul désormais, le non-alignement. Et sollicite ses lecteurs pour soutenir son combat. […] Dans les médias français, la focalisation sur les crimes de guerre commis par les combattants du Hamas reformule l’ensemble du conflit israélo-palestinien en termes de « terrorisme islamiste ». Sitôt ce recadrage effectué dans un pays meurtri par de multiples attentats de ce type, il ne s’agit plus pour les médias d’informer, mais de relayer les consignes de fermeté du pouvoir et de pourchasser ceux qui les discutent.

Depuis sa création en 1954 jusqu’aux années 1980, Le Monde Diplomatique a accompagné le mouvement de décolonisation puis celui des non-alignés, ce groupe de pays qui refusaient de choisir entre les deux blocs et défendaient leur indépendance nationale grâce à un développement autonome, souvent sous la bannière du socialisme. À l’époque, il n’était pas seul. On frissonne rétrospectivement à l’idée que L’Express, Le Nouvel Observateur ou Le Monde aient pu manifester de la compréhension envers les « terroristes » du Front de libération nationale (FLN) algérien, auteur lui aussi de massacres de civils, et relayer les campagnes de leurs avocats. Ces trois publications ont depuis basculé « à l’Ouest ».

Le journal se demande ce qu’il va advenir d’Israël et de la Palestine après l’embrasement : « De loin, tout semblait calme. Ou en voie de normalisation après les accords entre Tel-Aviv et plusieurs pays arabes. Mais, lorsque le Hamas a lancé son assaut le 7 octobre, les chaînes d’information ont basculé en édition spéciale : pour imputer l’opération à l’Iran ; pour imposer le qualificatif de « terroriste ». Tandis qu’en Israël la colère gronde contre un pouvoir qui n’a pas su empêcher le massacre, les Palestiniens comptent leurs morts par milliers. Alignée sur celle des États-Unis, la diplomatie française s’enferme dans l’impuissance. »

Qui est barbare, qui est civilisé ? Alain Gresh pose la question : « Qui ne serait indigné devant les assassinats du Hamas ? Et devant le déluge de bombes ordonné par le gouvernement israélien ? Le premier est qualifié de “ terroriste ” – pas le second. Au fil de l’histoire, cette notion a beaucoup varié. […] Nous sommes le 4 septembre 1997, rue Ben-Yéhouda, en plein centre de Jérusalem. Trois kamikazes du Hamas se font exploser, tuant cinq personnes, dont une jeune fille de 14 ans prénommée Smadar, sortie de chez elle pour acheter un livre. Elle porte un nom prestigieux en Israël. Son grand-père, le général Mattityahou Peler, a été l’un des artisans de la victoire de juin 1967, avant de devenir une « colombe » et l’un des protagonistes de ce que l’on a appelé les « conversations de Paris », premières rencontres secrètes entre des responsables de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) et des Israéliens « sionistes ». En cette année 1997, M. Benyamin Netanyahou était déjà premier ministre et avait promis de détruire l’accord d’Oslo signé en 1993, ce qu’il réussira à faire. Il connaît aussi la mère de Smadar, Nourit, une camarade d’école et une amie de jeunesse. Quand il l’appelle pour lui présenter ses condoléances, elle lui rétorque : « Bibi qu’as-tu fait ? », le tenant pour responsable de la mort de sa fille. »

Akram Belkaïd analyse l’engrenage guerre au Proche-Orient : « En menant, le 7 octobre à l’aube, une attaque militaire surprise de grande ampleur sur le sol israélien à partir de Gaza, le Hamas a provoqué une riposte dévastatrice pour les populations civiles et les infrastructures de l’enclave. S’il revendique désormais le rôle de champion de la résistance palestinienne, ses exactions commises lors de l’offensive obèrent son avenir politique. »

Serge Halimi explique ce qu’il se passe quand la guerre percute la politique français : « Le nouveau conflit au Proche-Orient a provoqué des retombées instantanées sur la politique française. Les commentaires de La France insoumise ont suscité des critiques violentes, y compris à gauche, et facilité la mise à l’index de cette organisation par un pouvoir qui met la barre toujours plus à droite. Le Rassemblement national paraît être le principal bénéficiaire de l’opération. »

Pour Hélène Richard, la société ukrainienne est désormais coupée en deux : « Alors que le bilan humain des combats s’alourdit en Ukraine, sans qu’aucune des parties ne prenne le dessus, Kiev peine à recruter des volontaires pour le front. Confronté à une demande populaire de justice, le gouvernement affiche sa politique anticorruption, mais accélère le démantèlement de l’État social et des syndicats. Plongée dans un pays en guerre où les mutilés prennent des avocats et où les déplacés sont invités à faire leurs démarches administratives avec un smartphone. »

Pour Ariane Lavrilleux, l’État français est un VRP de l’industrie de l’armement : « Troisième plus gros vendeur d’armes du monde, la France ne figure pas à ce rang par hasard. Ce commerce fut au cœur de l’ambition de Paris d’incarner une puissance autonome vis-à-vis des États-Unis et de l’ex-URSS. Une stratégie qui a conduit son administration à se mettre au service des industriels depuis les années 1960. Hors de tout contrôle démocratique et au risque de piétiner les droits humains. »

Dans le même temps, l’austérité a vaincu la Bundeswehr, selon Thomas Schnee : « Le 27 février 2022, trois jours après le déclenchement de l’invasion de l’Ukraine, le discours de M. Scholz annonçant un Zeitenwende – un « changement d’ère » – stratégique et militaire pour l’Allemagne avait surpris le monde. Longtemps sous la coupe des Alliés et traditionnellement sur la réserve, l’Allemagne devait, selon le chancelier, répondre au bouleversement stratégique européen provoqué par l’attaque russe en transformant radicalement sa culture de défense. »

Est-ce vraiment la fin du dollar, se demandent Renaud Lambert et Dominique Plihon : « La tenue du sommet des Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) à Johannesburg en août 2023 s’est accompagnée de déclarations officielles dénonçant la place de la monnaie américaine dans l’économie mondiale. Moscou et Brasília ont annoncé vouloir limiter leur exposition au billet vert. Mais suffit-il de déclarer la fin de l’hégémonie du dollar pour la faire advenir ? »

Maïlys Khider nous dit où trouver des perritos : « Pénuries, queues devant les magasins, flambée du marché noir de devises et inflation des prix : l’économie cubaine traverse une crise profonde depuis trois ans. Si l’embargo américain est structurellement responsable de cette situation aggravée par le choc de la pandémie de Covid-19, une réforme monétaire pour unifier le peso n’a fait qu’empirer les choses. La population fait face, mais les départs à l’étranger se multiplient. »

Au Pakistan, le bruit des bottes est de retour : « Les attentats se multiplient au Pakistan, souvent contre des lieux de culte, alors que la situation économique et sociale se détériore. Mais le principal souci des dirigeants politiques et militaires est d’asseoir leur pouvoir, fortement secoué en début d’année par les partisans de l’ex-premier ministre Imran Khan, qui a été arrêté. Ils ont différé à janvier 2024 des législatives désormais sous contrôle. »

Dans le Haut-Karabakh, Philippe Descamps entend désormais le bruit du silence : « Après une offensive éclair des forces de l’Azerbaïdjan le 19 septembre dernier, la quasi-totalité des habitants de la république autoproclamée du Haut-Karabakh ont fui vers l’Arménie. Cet exode vécu comme une nouvelle tragédie par tous les Arméniens s’inscrit dans un conflit séculaire marqué par le génocide de 1915, et émaillé d’exactions de tous bords. Ce dénouement témoigne aussi d’un aveuglement stratégique à Erevan. »

Éric Sadin pose une grave question à propos de l’avenir de l’art : « La création se définit comme un geste singulier, en dialogue avec un réel qu’il recompose. Mais la puissance de calcul des ordinateurs jette le trouble sur cette conception. De l’hyperréalisme du métavers aux images générées par l’intelligence artificielle, l’art va-t-il se dissoudre dans les algorithmes ? »

François Bégaudeau tente une approche idéologique de Jean-Jacques Goldman : « L’opération idéologique commence par un postulat qui fait s’étrangler le lecteur quinquagénaire encore traumatisé par l’hégémonie de Jean-Jacques Goldman sur ses années d’adolescence : le chanteur « adulé de partout », « roi du top 50 », « patron de la scène rock » (???), habitué aux « unes » de Podium, est un « minoritaire ». Cette couleuvre, Jablonka la fait avaler de trois manières. 1) Jeu sur l’ambivalence du terme : JJG est minoritaire par son affiliation à l’histoire juive tramée d’exils et de persécutions. Hypothèse audible, à laquelle le livre doit ses meilleures pages. 2) Ayant décrété que raconter Goldman c’est faire l’« archéologie de son époque », puisque le chanteur « incarne le Zeitgeist des années 1985-1987 », Jablonka décrète à l’inverse que le même n’est pas de son temps – où règnent « la pub, le fric, le look ». La star est donc dedans et dehors. Une production sociale et historique mais en fait non. La « sociohistoire » de Goldman se fera sans socio ni histoire. 3) Goldman est minoritaire en tant que chanteur populaire. Car le populaire est méprisé. Méprisé par l’élite culturelle, représentée par Télérama, Libération, Le Monde, prodigues en saillies contre le chanteur à tubes, au temps antédiluvien et anté-You Tube où ces journaux arbitraient le bon goût. »

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