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Le Monde Diplomatique (novembre 2022)

Pour Serge Halimi, la gauche est désarmée face à la guerre : « De Jean Jaurès à Aristide Briand, de Lénine à Clara Zetkin, lorsqu’une guerre éclatait en Europe et menaçait de l’ensevelir, tribuns de gauche et manifestants pacifistes donnaient de la voix. Rien de tel dans le cas de l’Ukraine. Alors que le conflit s’envenime et que les médias s’enflamment, la gauche européenne est aphone. »

Pour Hélène Richard, dans la guerre d’Ukraine, les sanctions sont à double tranchant : « Il y a quelques mois, les dirigeants européens voulaient croire que la « guerre économique et financière totale » lancée contre Moscou serait une promenade de santé. « La Russie est un très grand pays et un grand peuple (…) mais c’est à peine plus que le PIB [produit intérieur brut] de l’Espagne », indique le commissaire européen au marché intérieur Thierry Breton sur RTL, le 1er mars, tout en assurant que son « impact sera faible » en Europe. Six mois après la première salve de sanctions occidentales, l’économie russe accuse le coup, mais l’effondrement n’a pas eu lieu. Le Fonds monétaire international (FMI) tablait, en mars, sur une récession de 8,5 %. La Banque mondiale parle désormais d’une chute du PIB de 4 %. À ce rythme, la richesse du pays est loin d’être « divisée par deux », comme l’annonçait le 26 mars dernier, à Varsovie, le président américain Joseph Biden devant un parterre de Polonais. »

Marie-Pierre Rey se souvient d’une époque où la Russie avait perdu la guerre de Crimée : « Largement oubliée dans les pays qui, tels la France et le Royaume-Uni, l’ont gagnée, la guerre de Crimée (1853-1856) fait l’objet d’un souvenir vibrant en Russie, qui l’a pourtant perdue… »

Jonathan Sperber revient sur Marx et la question d’Orient : « Abject, canaille, reptilien… Karl Marx ne portait pas le tsarisme russe dans son cœur. Aussi, quand la guerre de Crimée éclate, se passionne-t-il pour ce conflit, dont il fait une lecture toute particulière. »

Michael Zemmour se demande s’il va bientôt attendre 70 ans pour prendre sa retraite : « Fin 2019, la mobilisation contre la réforme des retraites avait relayé celle des « gilets jaunes ». En sera-t-il de même fin 2022, après que l’automne a été marqué par des grèves dans les raffineries et certains services publics pour obtenir des augmentations salariales ? Les premières annonces du gouvernement suggèrent des mesures qui accéléreraient la baisse du montant des pensions. »

Marc Lenormand observe l’été indien du mécontentement au Royaume-Uni : « Boycott des factures d’énergie, grève des dockers, des postiers, dans les usines et les chemins de fer : au Royaume-Uni, l’« été du mécontentement » se prolonge cet automne, alors que le pays s’enfonce dans la crise économique et politique. En fonctions depuis le 6 septembre, la première ministre Elizabeth Truss n’aura tenu que quarante-quatre jours avant d’annoncer sa démission… »

Dominique Pinsolle revient sur une époque où les syndicats « empêchaient la grande presse de baver » : « Parce qu’ils mettent en scène la vie publique, les médias bénéficient d’une certaine indulgence de la part des partis et des syndicats : toute critique appuyée du rôle social joué par les journalistes expose ses auteurs au soupçon de saper la démocratie. Tel n’était pas le cas au début du XXe siècle : la Confédération générale du travail (CGT) bataille alors vigoureusement contre la presse dominante. »

En Nouvelle-Calédonie, les élections provinciales de 2019 ont acté le retour d’une droite revancharde et affairiste face à des forces indépendantistes peu inspirées. Revendiquant une troisième voie, un jeune parti « océanien » tente de rebattre les cartes. Entre instrumentalisation et réactivation de liens ancestraux, la notion d’« identité océanienne » peut-elle infléchir la sortie de l’accord de Nouméa ? Sylvain Derne explique que la Nouvelle-Calédonie fait « le pari de l’identité océanienne » : « En Nouvelle-Calédonie, les élections provinciales de 2019 ont acté le retour d’une droite revancharde et affairiste face à des forces indépendantistes peu inspirées. Revendiquant une troisième voie, un jeune parti « océanien » tente de rebattre les cartes. Entre instrumentalisation et réactivation de liens ancestraux, la notion d’« identité océanienne » peut-elle infléchir la sortie de l’accord de Nouméa ? »

Violette Goarant se demande s’il fait toujours bon vivre en Suède : « Passé de 5,7 % à 20,5 % des voix en douze ans, le parti d’extrême droite des Démocrates de Suède, Sverigedemokraterna (SD), occupe depuis septembre une place privilégiée au Parlement et soutient la coalition de droite. Sa percée peut surprendre dans un pays synonyme de social-démocratie. Paradoxalement, elle s’explique par le souvenir d’une facette peu connue de l’État-providence. »

Philippe Pataud-Célérier nous emmène chez les Papous où s’est installé un géant du cuivre très menaçant : « Freeport-McMoRan figure parmi les plus gros groupes miniers cotés à Wall Street. Loin de la légende du patron de génie parti de rien pour dominer le monde du cuivre, les dirigeants ont bénéficié de l’appui d’élus américains corrompus, des coups bas de la Central Intelligence Agency, de complicités diverses en Amérique du Nord, en Papouasie occidentale… Et cela continue. »

Romain Droog répertorie les nombreux conflits de voisinage en Amérique Latine : « Héritées des indépendances, les frontières latino-américaines sont bien loin d’être intangibles. De nombreux différends opposent des pays à leurs voisins ou à une puissance européenne. Les récits nationaux, souvent renforcés par les programmes scolaires, entretiennent la sacralisation des territoires. Et appellent à la récupération des terres perdues. »

Pour Thierry Brésillon, la transition tunisienne est en ruine : « « Retour de la dictature », « contre-révolution », « fin du “printemps arabe” » : les verdicts ne manquent pas pour condamner à raison la démarche autoritaire du président Kaïs Saïed, dont le pays subit une grave crise financière. En réalité, la démocratie tunisienne naissante s’était enlisée depuis bien longtemps dans les arrangements mercantiles et la dépolitisation de la question sociale. »

Mitra Keyvan est allé enquêter chez les Iraniennes qui « allument un brasier social » : « Une révolte contre le port obligatoire du voile ? Assurément. Mais le soulèvement qui ébranle la République islamique ne se limite pas à cela. Les fondements du régime sont attaqués et plusieurs catégories de la population sont unies par un ras-le-bol généralisé. Si l’issue du soulèvement est incertaine en raison d’une brutale répression, la volonté de changement demeure intacte. »

50 ans après le procès de Bobigny, Le Monde Diplomatique publie des témoignages de femmes qui voulurent se faire avorter alors que c’était sévèrement puni par la loi : « Tribunal de Bobigny, 8 novembre 1972. L’avocate Gisèle Halimi appelle Paul Milliez à témoigner en faveur de Michèle Chevalier, accusée, avec trois autres femmes, d’avoir aidé sa fille Marie-Claire à se faire avorter. « Si Mme Chevalier était venue me trouver, je l’aurais sûrement aidée », annonce le célèbre professeur de médecine, catholique pratiquant et opposant à la légalisation de l’avortement. Dans les semaines qui suivent cette déposition — décisive dans le dénouement du procès qui contribuera, en 1975, à autoriser l’interruption volontaire de grossesse —, Paul Milliez reçoit des centaines de lettres. Des attaques de confrères, des messages de soutien, des commentaires philosophiques… Mais aussi des lettres de femmes désespérées, qui implorent son aide. »

Pour Ilioné Schultz, l’arme du viol est désormais au banc des accusés : « La Cour pénale internationale devra établir si les viols commis par les soldats russes en Ukraine constituent des crimes contre l’humanité. En attendant, bien des obstacles demeurent pour rendre justice aux victimes. »

Michaël Jean analyse le malentendu croissant entre la France et la francophonie : « Le XVIIIe Sommet de la francophonie se tient les 19 et 20 novembre à Djerba, dans une Tunisie en pleine dérive autocratique. Tandis que les Français ne représentent plus qu’une minorité parmi les francophones, la France tente de corseter une organisation internationale qui se voulait émancipatrice pour tous les locuteurs de cette langue-monde, regrette une témoin privilégiée de ce reniement. »

Pour Éric Dussert, il faut désormais désherber les bibliothèques : « Désherber : éliminer les mauvaises herbes d’un terrain. Synonyme : sarcler ». Le dictionnaire Larousse ajoute une définition moins connue : « Retirer les ouvrages vétustes ou obsolètes des collections d’une bibliothèque ». Cette pratique a toujours eu cours. L’écrivain et spécialiste des bibliothèques Eugène Morel (1869-1934) en faisait déjà en 1908 la promotion, pour des raisons d’efficacité et de coût d’une logique imparable : « Le plus grand nombre de livres n’augmente pas seulement le chemin à faire pour les trouver, les rayons pour les mettre, et les bâtiments, et l’entretien des bâtiments, nettoyage et ce qui s’ensuit, mais rend plus difficiles le classement, les remaniements, plus long et plus coûteux le Catalogue. »

Pour Akram Belkaïd, la Coupe du monde de football est la “ coupe de trop ” : « Le 2 décembre 2010, à Zurich, un vote du comité exécutif de la Fédération internationale de football association (FIFA) désigne le Qatar pour organiser la Coupe du monde de 2022. À Doha, la capitale de l’émirat, c’est une explosion de joie. Les sirènes des navires retentissent dans le port, les klaxons des berlines rutilantes qui longent la corniche leur font écho et les médias locaux célèbrent en boucle une reconnaissance internationale consacrant l’entrée du pays dans la cour des grands. L’émir Hamad Ben Khalifa Al-Thani, père de l’actuel souverain, qui lui a succédé en 2013, exulte. Son royaume est désormais connu de la planète entière. »

COMMENTAIRES  

05/11/2022 07:28 par Robess73

J ai trouvé l article de Serge HALIMI extrêmement ambigu et anti russe .le M onde diplo semble participer aussi a la propagande atlantiste.qu en pensent les habitués du grand soir ?

05/11/2022 10:44 par babelouest

Il y a bien 5 ans que je me suis éloigné du Diplo, que je sentais trop éloigné désormais de mes propres convictions. Une grande perte, mais c’est ainsi.

05/11/2022 14:04 par Lou lou la pétroleuse

A Robess73,

Doit on sacrifier l’analyse concrète de la situation concrète aux manichéismes ambiants (Poutine héros antinazi défenseur des droits des peuples opprimés contre Zelenski escroc débile exécuteur des basses œuvres de la CIA <- versus -> Zelenski héros de la résistance à l’impérialisme russes contre Poutine dictateur ancien-du-KGB-c’est-tout-dire) ?

05/11/2022 14:47 par Auguste Vannier

Gros malaise à la lecture de ce LMD.
Les contorsions de S.Halimi pour, tout en la dénonçant du bout des doigts, colporter la narrative de propagande de guerre contre la Russie, sont pénibles à observer. Quant à l’article sur les viols crimes de guerre il fait la part belle aux accusations de l’Ukraine et charge l’armée Russe. Utiliser ce sujet pour de la propagande insidieuse est abject...Toutes les guerres sont des crimes contre l’humanité, qu’elles utilisent du napalm ou le viol...

05/11/2022 15:13 par CAZA

Déjà eu quelques échanges

Grand merci Loulou mais tous les mérites reviennent au Grand Soir .

A l’inverse , il en existe un qui sombre dans la propagande dans le sillage de L’ Imonde ( son patron ) et que c’est bien triste .
Il avait déjà commencé avec les ouïghours et Martine Bulard ancienne de l’Huma il y a quelques mois
Un article dans le dernier No du Diplo .
Zélensky rédacteur en chef du Diplo et témoin No 1 ç’est il pas que ça aurait de la gueule ?

<<<< L’arme du viol au banc des accusés
La Cour pénale internationale devra établir si les viols commis par les soldats russes en Ukraine constituent des crimes contre l’humanité. En attendant, bien des obstacles demeurent pour rendre justice aux victimes.
En ce début juillet, il fait près de 40 °C dans la petite voiture qui emmène Mmes Tatiana Zezioulkina et Lyudmila Kravchenko près de la frontière biélorusse. « On va à Yahidne, un village occupé par les Russes pendant presque un mois, explique la première. Trois cent cinquante personnes ont été retenues de force dans le sous-sol de l’école. Et on pense que des viols y ont été commis. » Les deux militantes, membres du Réseau international d’entraide des survivantes de crimes sexuels en période de conflit armé (SEMA), sont ici pour enquêter. À l’école, abandonnée, vitres brisées, le gardien raconte : « Ils ont réclamé, oui, mais on n’a pas donné nos femmes aux soldats. » Une femme les approche, hésitante. Elle confie avoir trouvé des préservatifs chez elle après la libération et finit par donner le nom de deux victimes.

Dès fin mars, quelques semaines après le début de la guerre, alors que les forces ukrainiennes commencent à libérer des villages occupés — Boutcha, Irpin et d’autres —, les récits de viols commis par les forces russes sur des civils émergent sur les réseaux sociaux et dans la presse : le calvaire de cette mère violée pendant deux semaines devant sa fille ; ce garçon de 11 ans violé devant sa mère ; ces deux adolescentes violées par cinq soldats qui leur ont aussi fracassé les dents… Le président Volodymyr Zelensky parle début avril de « centaines de cas rapportés ». Représentants des Nations unies, dirigeants européens et américains s’indignent, réclament des enquêtes et des investigations poussées. Pour la première fois, à ce niveau, on parle du viol comme « arme de guerre » en Ukraine.

Si le viol dans la guerre a toujours existé, sa reconnaissance comme outil de la guerre s’est affermie ces dernières décennies. Une autorité politico-militaire peut en effet l’utiliser de manière stratégique pour humilier, détruire, prendre le pouvoir ; il est employé surtout sur les femmes, mais sur les hommes aussi. C’est avec le conflit en ex-Yougoslavie que le viol commence à être reconnu comme une arme. Il sera puni pour la première fois en tant que crime contre l’humanité par le Tribunal pénal international pour la Yougoslavie (TPIY, 2001) et comme acte de génocide par son homologue pour le Rwanda (tpir, 1998). Depuis 2002, viols et violences sexuelles sont intégrés dans la définition des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité sur lesquels la Cour pénale internationale (CPI) peut statuer.
Les défenseurs des droits humains relèvent une forme d’inaction

Les instances qui se pencheront sur les crimes commis pendant le conflit ukrainien auront à juger des viols commis depuis l’invasion russe de février 2022. Mais pas seulement. En décembre 2020, la CPI déclarait déjà qu’il y avait de « sérieuses bases » pour croire que de nombreux crimes de guerre avaient été commis en Ukraine depuis 2014 — date de l’annexion de la Crimée par la Russie — y compris des viols et violences sexuelles (1).

En 2015, Mmes Zezioulkina et Kravchenko sont détenues plusieurs jours dans le Donbass par un bataillon pro-ukrainien (baptisé Tornado), et sont victimes d’attouchements et de menaces de viol. À cette période en effet, alors que les positions des belligérants sont très mouvantes dans l’est de l’Ukraine et que les structures étatiques se sont effondrées, les violences sexuelles sont couramment pratiquées des deux côtés de la ligne de front, aux abords des checkpoints ou en détention — par les bataillons armés et les services secrets côté pro-ukrainien ; par des milices et des membres du « ministère de la sécurité » côté séparatiste et même des membres des services de sécurité russes (FSB) présents sur le terrain. Viols avec objets, viols collectifs, menaces, nudités forcées, électrocutions des parties génitales sont perpétrés dans le but d’humilier, d’intimider, de punir, d’obtenir des informations, voire, côté séparatiste, d’extorquer des biens ou de l’argent.

Selon la mission onusienne de surveillance des droits humains en Ukraine, ces violences n’étaient alors pas utilisées « à des fins stratégiques », mais surtout comme méthodes de torture (2). Elle estime, dans un rapport de 2021, à environ 340 (depuis 2014) le nombre de victimes de violences sexuelles en détention, soit entre 170 et 200 côté séparatiste et entre 140 et 170 côté ukrainien. Des chiffres sous-évalués notamment dans les républiques séparatistes et en Crimée où la mission des Nations unies n’a pu se rendre depuis huit ans. Selon de nombreux chercheurs travaillant sur la base de témoignages d’anciens détenus, tortures et mauvais traitements ont cours quotidiennement dans diverses prisons côté séparatiste, rappelant, par leur systématisme, des méthodes employées dans l’univers carcéral russe (3). Certains les qualifient d’outils de contrôle politique de ces territoires.

Le parcours de Mme Iryna Dovgan, fondatrice du réseau SEMA (en Ukraine), illustre les difficultés auxquelles se heurtent les victimes qui souhaitent obtenir justice. Capturée par un groupe séparatiste au printemps 2014 près de Donetsk, elle est agressée, attachée à un poteau et humiliée en place publique, déshabillée, frappée sur les seins, menacée de viols. « Et encore, je ne dis que 5 % de ce qu’ils m’ont fait… », confie cette femme de 60 ans dans le jardin de sa maison près de Kiev. Mme Dovgan obtient l’aide d’un avocat en 2016. Elle est interrogée en 2017 par un procureur militaire, mais son dossier est ensuite égaré pendant plusieurs années. Ce n’est qu’en 2021, après une conférence de presse qu’elle organise pour présenter le réseau SEMA, que le bureau de la procureure générale ouvre une procédure… dont Mme Dovgan n’a aucune nouvelle à ce jour.

Même si les autorités ukrainiennes ont ouvert plus de 750 enquêtes sur des crimes commis envers les civils entre 2014 et 2020 par leurs propres forces armées, plusieurs rapports de défenseurs des droits humains relèvent une forme d’inaction. « Rien n’a été fait pour que justice soit rendue aux victimes de disparitions forcées, d’actes de torture et de détention illégale aux mains de membres du SBU [services de renseignement ukrainiens] dans l’est de l’Ukraine entre 2014 et 2016 », déplore ainsi Amnesty International en 2021 (4). Dans un procès-test pour la démocratie ukrainienne, des membres du bataillon pro-ukrainien Tornado ont toutefois été jugés en 2016 pour leurs exactions commises dans le Donbass, dont des viols. À l’époque, le procès, à huis clos, échauffe les esprits. Violences et menaces ont lieu dans et en dehors de la cour par les soutiens des paramilitaires pour intimider l’appareil judiciaire. Huit anciens combattants écopent de peines allant de huit à onze ans de prison. Aucun, cependant, n’a été condamné pour crimes de guerre, alors que des faits auraient pu être qualifiés comme tels. La législation ukrainienne sur les crimes de guerre, couverts par l’article 438 du code criminel notamment, ne détaille pas les crimes sexuels, ce qui complique le travail des magistrats, souvent mal formés sur le sujet. D’autant plus que, jusqu’en 2019, les viols avec objets, par sodomie ou entre personne de même sexe par exemple, n’étaient pas considérés comme tels par la loi, modifiée depuis pour s’aligner sur les standards internationaux.
« Dans les villages, les jeunes femmes ont peur de ne jamais pouvoir se marier »

Un défi se pose aujourd’hui en Ukraine pour mieux accompagner les victimes de violences sexuelles, qui seraient désormais commises en masse et utilisées comme « tactique de domination politique et militaire par les forces russes », analyse Véronique Nahoum-Grappe, anthropologue et spécialiste des crimes de guerre. Pour Mme Matilda Bogner, représentante de la mission de surveillance des Nations unies en Ukraine, l’ampleur serait « significativement plus importante que ce qui s’est passé dans la première phase du conflit ». Sa mission comptabilise déjà plusieurs dizaines de cas de violences sexuelles par les forces armées russes. Des viols sur des hommes, femmes ou enfants, perpétrés souvent devant d’autres membres de la famille ou de la communauté. Des viols en général collectifs pour les femmes et commis en détention pour les hommes. « Toutes les femmes que je défends sauf une ont été violées par plusieurs soldats, trois en moyenne », confie Mme Larysa Denysenko, avocate ukrainienne spécialisée en droit international humanitaire.

Courant juillet, le bureau du procureur général ukrainien confirmait enquêter sur quarante-trois dossiers de violences sexuelles commises par les forces russes en Ukraine. Mais ce chiffre ne reflète pas la réalité, explique M. Oleksandr Pavlichenko, de Helsinki Human Rights Union (UHHRU), en rappelant que beaucoup de victimes ont fui le pays et que la stigmatisation reste particulièrement forte « dans les villages, où les jeunes femmes ont peur de ne jamais pouvoir se marier » : « Elles se disent aussi que les coupables ne seront jamais punis. »

Les victimes sont peut-être devenues encore plus méfiantes après l’affaire Lioudmila Denisova, du nom de l’ancienne commissaire aux droits humains à Kiev, qui avait dénoncé environ quatre cent cinquante cas de viols identifiés via sa hotline créée juste après le début de la guerre, en publiant des détails, parfois très crus, sur ses réseaux sociaux. Fin mai 2022, quelques jours après son renvoi par le président, elle a reconnu dans la presse avoir « exagéré » certains des témoignages (5) pour toucher les politiciens et l’opinion occidentale. Une source membre d’une organisation non gouvernementale (ONG) à Kiev et qui connaît bien le dossier ne cache pas sa déception : « Parmi ces cas, il y en a de véritables bien sûr, mais cette utilisation politique des violences sexuelles est très problématique. Elle a sans doute fait ça pour provoquer la société, pour venger ces crimes et obtenir plus d’armes. En fait, cela donne surtout une arme très puissante à la propagande russe et fait peur aux victimes. »

De nombreux observateurs sur place — notamment l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) (6) — considèrent que les viols y sont utilisés comme arme de guerre et pourraient être qualifiés de crimes contre l’humanité. Mi-octobre, la représentante spéciale de l’ONU Pramila Patten, en charge des violences sexuelles commises en période de conflit, parle d’une « stratégie militaire » et d’une « tactique délibérée pour déshumaniser les victimes », se basant sur les témoignages de femmes évoquant notamment « des soldats russes équipés de Viagra ». « On ne trouvera sûrement jamais d’ordre écrit de la part de Poutine pour dire : “Il faut violer toutes les Ukrainiennes” », explique Mme Larysa Denysenko. Mais, selon cette avocate, cela n’invalide pas la responsabilité de la chaîne de commandement. « Personne ne leur dit d’arrêter », avance-t-elle, avant de rappeler que M. Vladimir Poutine a décoré de médailles militaires la 64e brigade de fusiliers motorisés, auteurs présumés des exactions commises à Boutcha — dont des viols.

Pour expliquer en partie ces violences, l’anthropologue Véronique Nahoum-Grappe pointe la « tromperie » initiale de cette guerre, avec des troupes auxquelles on a promis une mission « pour sauver les populations russophones des nazis », mais qui ont en fait rencontré le rejet des populations locales. « Le sens même de cette guerre est donc mis en défaut et, si on ajoute la fréquence des viols de bizutage au sein de l’armée et l’abandon de leur hiérarchie sur le terrain, cela crée les conditions pour des exactions de masse. »

Les enquêteurs nationaux et internationaux vont devoir patiemment rassembler les pièces du puzzle pour pouvoir juger les coupables. Sachant que la CPI ne traitera que les cas les plus retentissants, de nombreux défenseurs des droits humains plaident pour la création d’un tribunal hybride regroupant des magistrats ukrainiens et internationaux. Mais, en attendant, c’est la justice ukrainienne qui se trouve aux manettes. Il y a donc urgence, selon Mme Oleksandria Matviitchouk, de modifier le code criminel. La directrice du Centre pour les libertés civiques (une ONG ukrainienne qui a reçu le prix Nobel de la paix en 2022) se bat depuis plusieurs années pour faire passer le projet de loi 2689, qui détaille beaucoup plus concrètement les crimes de guerre et contre l’humanité susceptibles d’être punis, notamment les violences sexuelles. Ratifié par le Parlement en 2020, ce texte attend depuis la signature du président Zelensky. « Les militaires s’opposaient à ces changements, éclaire M. Pavlichenko, de l’UHHRU. Avec la guerre, ils sont devenus des héros. Il n’y a donc pas de volonté politique pour le moment. » « C’est le silence », résume Mme Matviitchouk.

Ilioné Schultz

Et ça par danael : le Diplo et BFM même combat

https://www.bfmtv.com/replay-emissions/bfm-story/story-3-violences-sexuelles-en-temps-de-guerre-08-04_VN-202204080530.html

05/11/2022 16:39 par act

@Robesp : le lisez vous occasionnellement ou régilièrement ? car je n’ai pas encore lu le dernier numéro mais dans les précédente éditions, je m’étais réjouis d’enfin trouver un média avec une certaine audience qui propose (proposait ?) des analyses à contre-courant de la propagande main-steam.

J’y avais aussi lu des critiques envers les Russes mais j’ai lu d’excellent textes sur le sujet, qui étaient pourtant critiques envers les Russes...qui le méritent sur bien des points.
Un exemple ici : https://www.gaucherepublicaine.org/respublica-monde/respublica-europe/guerre-en-ukraine-intensification-et-ou-nucleaire/7432242
BàV.

05/11/2022 16:41 par Geb.

Depuis que Maurice Lemoine n’y est plus j’ai largué le bouzin. Et l’Huma en même temps alors que j’ai été CDH pendant plus de trente ans..

C’était les derniers média mainstream que je lisais encore.

Pour un mec qui a fait toute sa vie (ou presque), professionnelle et militante dans la Presse d’opinion communiste je dirais qu’il en a fallu des couleuvres à avaler avant de comprendre que le salut était hors de la chapelle en ruine. J’en connais même qui sont morts de désespoir sans l’avoir jamais compris.

La presse c’est une arme de classe et les journalistes les petits soldats des mêmes intérêts.

Et quand tu vois un petit soldat utiliser des munitions fournies par l’ennemi la première chose à faire c’est d’imaginer qu’elles sont "à blanc" ou vont lui péter à la gueule.

06/11/2022 08:32 par Robess73

Act . Je suis abonné au Md depuis 30 ans .ces deux dernières années je m aperçois que le ligne éditoriale vire progressivement a l extrême centre .je ne reprendrais pas mon abonnement cette année.

06/11/2022 16:17 par CAZA

Tout sur le Diplo avec Wikipedia .
Plus que jamais la lecture du Diplo aujourd ’hui n’apprend ( presque ) plus grand chose .
C’est vrai mais c’est faux ( en même temps ) mais faut aiguillonner vers la gauche contre L Imonde .
Sauf que c’est ( c’était ) le dernier fleuron antiimpérialiste et antisioniste et l’honneur de ce qui reste de la presse française .
Le quitter ou pas ? Sur que sa disparition ferait plaisir a tous les suces pompes de la propagande

https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Monde_diplomatique

07/11/2022 15:37 par Ellilou

Les critique envers Le Monde Diplomatiques me semblent bien sévères, même si j’ai tiqué à la lecture de l’article sur le viol comme arme de guerre. Il reste le journal le plus intéressant et libre de la presse française, même si certain(e)s ici l’aimeraient plus ....plus quoi d’ailleurs ? Il n’est pas là pour confirmer nos opinions et nous conforter nos points de vue, acceptions d’être secoués et que nos neurones soient respectés :-) "Celui qui ne lit que ce qui lui plaît, je le vois bien seul"

08/11/2022 21:49 par CAZA

Bonsoir Ellilou
Sur que pour lire ce qui nous plait on risque pas de le trouver sur la propagande capitaliste subventionné .
On trouve la vérité , car il n’y en a qu’une seule , celle qui n’est pas au service d’officines impérialistes , sur LGS , mais pas que heureusement . Ou au parlement européen avec Clare Daly par exemple .
Ou sur Sud Radio une des plus ancienne radio périphérique aussi ringarde que RMC dans les années 70 .
Le Diplo ramené au rang d’un média manipulé par les pouvoirs capitalistes , comme Blast ou Mediapart ( Argent , chantage , autocensure )
Ce qui est certain c’est que les médias libres du Net font maintenant mieux et sans lui et c’est heureusement .
https://www.youtube.com/watch?v=CMqJ6yNrtzI&t=4s

18/11/2022 17:01 par act

j’ai pu lire le numéro en question, en effet l’article sur les viols m’a aussi étonné, dans le sens où, si quand on envoie des centaines de milliers d’hommes dans une opération militaire, il me semble illusoire d’espérer qu’aucun de ces hommes ne reproduira sur le front ce qu’ils commentent déjà "dans le civil" : des viols il y en a et c’est inacceptable, cela doit être dénoncé.
mais de là à reprendre, entre autre, les accusations formulées par un zelinski, il y a un gouffre dans lequel cet article s’abime, il ressemble à une concession d’une partie de la rédaction, envers une autre qui jugeait le dossier trop "compréhensif" envers la Russie.

par contre le reste du dossier est très intéressant,
accuser le MD ou Halimi d’être manipulé par les pouvoirs capitalistes n’est pas raisonnable et demande une relecture du dossier

le MD est à ma connaissance, le seul journal francophone disposant d’un lectorat large et diversifié (tjrs large mais moins diversifié ces dernières années vu que les "centristes" et la droite le considèrent maintenant d’extrême gauche) qui propose une analyse critique du discours atlantiste au sujet de l’Ukraine et/ou la Russie (idem sur bien d’autres sujets)

il est possible de comprendre les motivations de la Russie, de souhaiter qu’elle l’emporte dans cette confrontation, tout en restant convaincu qu’elle a eu tort de lancer son intervention militaire, que ce soit à ce moment, de cette manière ou même dans l’absolu.
plusieurs analystes fiables et favorables à la Russie avaient dès le début regretté que la Russie soit "tombée dans ce piège",
en bref, il est réducteur de taxer toute analyse qui s’éloigne d’un discours exclusivement "pro-russe" de "manipulation capitaliste ou atlantiste" (pour rappel le parti Russie Unie est capitaliste et réactionnaire)

18/11/2022 20:29 par CAZA

Bonjour act
je viens juste de mettre ce lien proposé par patoche sous l’article FMI de Theo .
Le Diplo n’est pas cité certes mais presque .
Si le Diplo a de bons restes il n’en reste pas moins qu’il est en liberté surveillé .
Très pertinent mais quand ça ne mange pas de pain question atlantiste et Chine seulement .
Idem JL ou le moustachu de Médiapart tiens comme c’est bizarre .
https://www.les-crises.fr/l-europe-apres-la-democratie-todd/

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