Serge Halimi doute que l’Europe puisse être à la fois libre-changiste et écologiste : « En remportant 10 % des sièges lors de l’élection du Parlement européen, les écologistes ont réveillé un vieux débat sur le positionnement politique de leur mouvement. Est-il plutôt de gauche, comme le suggèrent la plupart des alliances qu’il a nouées jusqu’ici, ou plutôt libéral, comme l’indiquent à la fois le ralliement à M. Emmanuel Macron de plusieurs anciens dirigeants écologistes (MM. Daniel Cohn-Bendit, Pascal Canfin, Pascal Durand) et certaines coalitions qui, en Allemagne, incluent déjà la droite et les Verts ? »
Peut-on réconcilier l’industrie et la nature, demande Jean Gadrey : « Ayant associé le développement économique et l’amélioration des conditions de vie, les forces politiques progressistes ont longtemps négligé l’impact des activités humaines sur l’environnement. L’urgence de protéger la planète impliquerait-elle de renoncer aux bienfaits de la société industrielle ? Pas nécessairement, dès lors que mutent certaines des habitudes de consommation auxquelles elle a donné naissance. »
Benoît Bréville dénonce l’obsession de la race aux Etats-Unis : « Êtes-vous « noir », « blanc », « amérindien », « asiatique »… ? Depuis plus de deux siècles, les résidents américains doivent déclarer leur « race » aux agents du recensement. Instrument des politiques de lutte contre la discrimination, les statistiques ethniques ainsi obtenues ont fini par renforcer le sentiment d’appartenance identitaire. Au risque de légitimer les divisions qu’elles étaient supposées combattre. »
Alain Garrigou et Jean-Paul Guichardréévaluent le rôle néfaste de Keynes lors du Traité de Versailles : « Un siècle après sa signature, le 28 juin 1919, le traité de Versailles est généralement abordé à la lumière de ses conséquences supposées : accablant l’Allemagne, il aurait favorisé la montée du nazisme. Les conditions concrètes de son élaboration sont en revanche souvent négligées, et notamment le rôle de certains personnages-clés, tel l’économiste John Maynard Keynes. »
Jean-François Bernardinia repéré qu’il y avait un éléphant dans le salon en Corse : « Après l’adieu aux armes et les victoires électorales, les autonomistes corses sont confrontés à l’exercice du pouvoir depuis 2015. La relance de la production locale et la lutte contre la désertification des zones rurales restent des défis majeurs. Et, si le projet de réforme constitutionnelle consacre la reconnaissance d’un statut particulier, les relations avec Paris demeurent marquées par la défiance. »
Geneviève Clastresdécrit le cadeau empoisonné du tourisme culturel : « Chaque année, une cinquantaine de sites naturels ou culturels se portent candidats à l’inscriptionsur la liste du patrimoine mondial pour se voir accorder une protection au bénéfice de toute l’humanité. Cependant, en délivrant ce label, l’Unesco oriente aussi fortement les flux touristiques. Un appel d’air rémunérateur, mais qui peut s’avérer ravageur. »
Massimo Perinelli et Christopher Pollmann dénoncent le non-procès de la violence néonazie : « Une cellule néonazie, des meurtres en série, une police qui regarde ailleurs : tels sont les ingrédients d’un drame qui hante l’Allemagne depuis le début des années 2000. Instruit de 2013 à 2018 à Munich, le procès a révélé par ses carences mêmes les ambiguïtés des services de sécurité ainsi que de l’institution judiciaire vis-à-vis de la violence d’extrême droite. »
Alexander Mainbrosse un descriptif de la géopolitique de la crise vénézuélienne : « L’offensive de Washington contre le président vénézuélien Nicolás Maduro s’est appuyée sur l’assentiment des dirigeants conservateurs de la région, désormais majoritaires. Grâce à eux, l’interventionnisme américain a pu se grimer en préoccupation humanitaire… Mais le jusqu’au-boutisme de l’administration Trump semble être parvenu à exaspérer la droite latino-américaine, pourtant docile. »
Anne-Dominique Correaa repéré le retour despieuvres médiatiques en Amérique latine : « Argentine, Équateur, Brésil : partout, le même scénario. Des dirigeants conservateurs parviennent au pouvoir après une longue période de gouvernements de gauche. À peine sont-ils élus qu’une urgence les anime : détricoter les mesures de réglementation de la presse qu’avaient instaurées leurs prédécesseurs pour encadrer le pouvoir politique des médias privés. »
En Inde, selon Christophe Jaffrelot, on peut remporter les élections avec un bilan désastreux : « À la suite de sa victoire électorale de 2014, le premier ministre indien Narendra Modi avait convié son homologue pakistanais à sa prestation de serment, laissant espérer des négociations de paix. Cinq ans plus tard, il l’a exclu des cérémonies d’investiture. Lors de la campagne des législatives, M. Modi a misé surla peur de l’ennemi traditionnel, ainsi que sur le nationalisme hindou.
Quand s’intéressera-t-on réellement aux éternels disparus du Liban (Emmanuel Haddad ) : « Le sort des disparus durant la guerre civile libanaise (1975-1990) – pour la plupart victimes d’enlèvement – ne semble guère intéresser des autorités politiques soucieuses de tourner la page pour favoriser la reconstruction du pays. Mais la mobilisation des familles concernées empêche l’oubli de s’installer et contribue à documenter l’un des épisodes les plus tragiques du conflit. »
Au Sahel, les militaires ont évoncé le Quai d’Orsay (Rémi Carayol ) : « Malgré un important déploiement armé (opération française « Barkhane », mission des Nations unies, etc.), les massacres de civils se multiplient au Mali et dans la sous-région. Cause méconnue de cette impasse : le Sahel est devenu la chasse gardée des militaires, qui imposent aux diplomates du Quai d’Orsay une vision trop étroitement sécuritaire pour être efficace. »
Éloi Valat revient sur l’histoire des Louise, des pétroleuses : « Blanchisseuses, relieuses, cantinières, journalistes… celles que leurs adversaires appelleront les « pétroleuses » interviennent splendidement dans les combats de la Commune : ceux qui se mèneront lesarmes à la main, ceux qui entreprennent de construire un monde plus juste et plus heureux. Elles sont privées du droit de vote, mais elles se font entendre dans les clubs de quartier, demandent l’égalité des salaires et la création de crèches, engagent la reconnaissance de l’union libre. La Commune fut exterminée, les idées et les idéaux survécurent. »
Pour Philippe Leymarie, l’Europe de la défense est une armée de papier : « Le 18 avrildernier, le Parlement de Strasbourg a approuvé la création du Fonds européen de la défense. Doté de 13 milliards d’euros, il financera des projets industriels intéressant plusieurs États. Mais au service de quelle vision stratégique ? Depuis trente ans, l’Union bricole des outils militaires et techniques sans parvenir à donner corps à une véritable politique de sécurité. »
Laura Raim évoque quelques idées reçues sur la relance : « À quoi bon s’opposer au sens de l’histoire ? L’industrie suit tout simplement le chemin parcouru par l’agriculture avant elle. Le développement consistant à passer du secteur primaire au secteur secondaire, puis du secondaire au tertiaire, les pays du Nord s’achemineraient vers une économie immatérielle, fondée sur les services et animée par des « entreprises sans usines » (selon l’expression du président-directeur général d’Alcatel en 2001, M. Serge Tchuruk), tandis que la production industrielle — polluante et pénible — serait délocalisée dans les pays à bas salaires.
Industrie et services ne s’opposent pas : il s’agit de secteurs d’activité imbriqués et complémentaires. Depuis vingt ans, l’externalisation de fonctions jusque-là assurées au sein des entreprises industrielles (restauration, nettoyage ou encore comptabilité) explique en partie la chute du nombre d’emplois directs dans l’industrie et son augmentation dans les services. A contrario, les entreprises industrielles offrent de plus en plus de services, telles que l’installation et la maintenance, mais aussi la location. Michelin propose par exemple de louer ses pneus au kilomètre. »
Il fut un temps où le Sud misait sur la « bourgeoisie nationale » (Vivek Chibber) : « Suffit-il à l’État de venir en aide aux entrepreneurs nationaux pour développer son secteur industriel ?Au cours des années 1960 et 1970, plusieurs pays ont opté pour cette stratégie, se heurtant à chaque fois aux mêmes difficultés. »
Lucile Leclairraconte la bagarre de l’hectare : « Le désengagement de l’État en milieu rural etle dévoiement de ses outils de régulation se manifestent par l’inflation des prix des terres cultivables. En abandonnant au marché cette ressource limitée et non reproductible, les pouvoirs publics entravent l’installation de jeunes exploitants et fragilisent la profession agricole, qui peine à assurer son renouvellement générationnel. »
Article très salutaire de Thierry Discepolo sur l’art de détourner George Orwell : « Lesréférences à l’auteur de « 1984 » se sont multipliées depuis une vingtaine d’années. Alors que ses engagements revendiqués l’ancraient à gauche, c’est désormais une pensée néoconservatrice qui se revendique de son œuvre. Récupération d’ambiguïtés possibles ou dévoiement ? Tout et son contraire a été dit sur George Orwell. Surtout son contraire. Condamner le colonialisme britannique et témoigner de la vie des travailleurs pauvres et des vagabonds ; se convertir à un socialisme radicalement égalitaire après une enquête sur les ouvriers anglais ; pourfendre la tiédeur sociale-démocrate et être internationaliste jusqu’à combattre pendant la guerre d’Espagne dans les rangs du Parti ouvrier d’unification marxiste (POUM) ; espérer que la résistance du peuple britannique contre l’Allemagne nazie débouche sur une révolution ; rejoindre l’aile gauche du Parti travailliste ; et, enfin, mourir trop tôt pour être gâté par le succès de 1984 : non seulement tout cela n’a pas suffi à une partie de la gauche pour qu’elle compte Orwell parmi les siens, mais cela n’a pas non plus empêché son annexion par les néoconservateurs. Comment en est-on arrivé là ?
Rigolez, vous êtes exploité, prévient Julien Brygo : « Vous êtes éreinté ? Votre activité professionnelle vous plonge dans la dépression ? Vous songez à mettre fin à vos jours ? Nous avons la solution : ri-go-lez ! » Voilà en substance le message de la direction des ressources humaines (DRH) du centre hospitalier universitaire (CHU) de Toulouse au personnel de l’établissement. La solution arrive à point nommé, car la situation menaçait de devenir dramatique…
Un peu comme France Télécom hier ou la Société nationale des chemins de fer français (SNCF) aujourd’hui, le CHU toulousain est confronté à une recrudescence de suicides de salariés. Le rapport d’un cabinet de conseil établi en 2016 est formel : les quatre personnes ayant mis fin à leurs jours en quelques semaines la même année (dont une dans les locaux du CHU) l’ont fait à cause de leurs conditions de travail. L’année suivante, dans un des 26 000 documents internes révélés par la presse. une infirmière en gynécologie décrit ainsi son quotidien : « Mise en danger de la vie des patientes, mauvaise prise en charge de la douleur, dégradation de l’image des patientes (patientes laissées plusieurs minutes souillées de vomis)(…) mauvaise prise en charge psychologique (annonce de cancer faite récemment, pas le temps de discuter).(…) Une équipe épuisée physiquement (même pas cinq minutes de pause entre 13 h 30 et 23 heures) et moralement (sentiment de travail mal fait et de mettre en danger la vie des patients). »