RSS SyndicationTwitterFacebookFeedBurnerNetVibes
Rechercher
13 

Le leurre et l’argent du leurre

La surprise est totale, l’information inédite, le scoop incroyable : la fraude et l’évasion fiscales séviraient aux quatre coins de la planète, via des paradis fiscaux.

Il n’a pas fallu moins d’un consortium de 96 médias internationaux et de 400 journalistes pour étayer une telle révélation, désormais connue sous le terme (forcément) anglais de « Paradise papers ».

Plus encore que dans les affaires précédentes (printemps 2016, automne 2016), un torrent éditorial a déferlé, listant les secrets des multinationales concernées, couvrant d’opprobre les milliardaires impliqués. A la suite des grands médias, les responsables politiques, toutes tendances confondues – en France et ailleurs – ont été prompts et (presque) unanimes à s’indigner.

Les ministres des Finances des Vingt-huit se sont immédiatement engagés à renforcer la lutte contre les « pratiques fiscales agressives », fussent-elles légales. La Commission a pointé à demi-mots les Etats membres qui traînent les pieds car soupçonnés de dumping fiscal inélégant (Malte, l’Irlande, le Luxembourg...). A Bruxelles, de bons esprits ont opportunément saisi l’occasion pour marteler que la règle de l’unanimité qui subsiste dans le seul domaine fiscal – pour préserver un doigt de souveraineté nationale – était décidément obsolète.

Face à un tel consensus, il convient de préserver l’esprit critique. Et d’abord de souligner que l’indignation face à des pratiques « choquantes » substitue le terrain de la morale à celui de la politique – ce qui est le moyen le plus sûr d’égarer les peuples.

Ensuite, l’insistance récurrente quant à la nécessité de combattre cet « envers de la mondialisation » interroge : est-ce bien de l’« envers » qu’il s’agit ? Au fond, le message subliminal adressé aux manants est le suivant : si seulement nous arrivions à endiguer et à civiliser la « cupidité » des grandes firmes et l’« avidité » des milliardaires, nous pourrions enfin profiter de la mondialisation heureuse.

Or il faut rappeler cette vérité qui ne fait l’objet d’aucun grand titre : l’évasion fiscale ne pourrait en aucune manière exister, du moins à cette échelle, si la libre circulation des capitaux n’avait pas été érigée en table de la loi, dans les traités européens en particulier. Qui se souvient qu’avant la décennie 1980, tout mouvement de capitaux était strictement réglementé et devait être déclaré ? L’Union européenne a dynamité cet « archaïsme ».

Dès lors, l’indignation officielle contre l’évasion fiscale pourrait être une manière de leurre, obscurcissant délibérément la véritable nature du phénomène : un choix politique de « liberté » que les oligarques mondialisés entendent maintenir quoi qu’il arrive.

En outre, nous laisse-t-on entendre, tout pourrait aller bien mieux si les multinationales et les hyper-riches contribuaient raisonnablement aux budgets publics via l’impôt. Mais une question n’est jamais posée : comment se constituent les milliards de profits et de fortunes ? Pour ne citer qu’un exemple, le richissime Xavier Niel, propriétaire de Free (et actionnaire de référence du Monde) est couvert de honte parce qu’il aurait mis à l’abri ses petites économies sous les tropiques. Mais lorsqu’un documentaire a récemment mis au jour la véritable origine de sa fortune – l’exploitation pure et dure de milliers de salariés, véritables esclaves modernes – le retentissement médiatique a été légèrement plus modeste... Et pour cause : ce n’est pas seulement légal, c’est le fondement même du système.

Car le problème n’est pas d’abord ce que reversent – ou pas – les détenteurs de capitaux, mais la capacité de ceux-ci à prospérer sur la seule base de l’exploitation du travail de ceux qui n’ont que leurs bras et leur tête pour vivre. Mettre le projecteur de l’indignation sur la conséquence peut constituer le plus sûr moyen d’escamoter la nature profonde du problème. Déjà, dans l’Opéra de quat’sous, Bertold Brecht faisait dire à son héros : « qu’est-ce que le cambriolage d’une banque comparé à la fondation d’une banque ? ».

Enfin, ici et là, d’aucuns pointent le bout de l’oreille et expliquent : si nous n’endiguons pas l’évitement fiscal des oligarques, le « populisme » risque de se développer encore. Mais tenter de surfer sur la colère populaire pour mieux la détourner de l’essentiel – n’est-ce pas là, précisément, une bonne définition du « populisme » ?

A force de jouer avec le feu (de l’indignation), les apprentis sorciers médiatiques pourraient, un jour, avoir quelques surprises.

(éditorial paru dans l’édition de Ruptures du 24/11/2017)

»» https://ruptures-presse.fr/actu/paradise-evasion-fortune-leurre-niel/
URL de cet article 32614
  
AGENDA

RIEN A SIGNALER

Le calme règne en ce moment
sur le front du Grand Soir.

Pour créer une agitation
CLIQUEZ-ICI

L’Archipel du génocide
Geoffrey B. Robinson
Les événements atroces survenus en Indonésie à l’automne 1965 restent encore aujourd’hui largement méconnus du grand public et jamais évoqués par les grands médias. En octobre 1965 débute pourtant l’un des pires massacres de masse du XXe siècle, de communistes ou assimilés, avec l’appui des États-Unis, de la Grande- Bretagne, et d’autres puissances comme l’Australie, les Pays-Bas et la Malaisie. Les estimations varient entre 500 000 et trois millions de personnes exterminées, sans compter les incarcérés, les (...)
Agrandir | voir bibliographie

 

"Les Etat-Unis eux-mêmes, par leur tendance croissante à agir de manière unilatérale et sans respect pour les préoccupations d’autrui, sont devenus un état voyou."

Robert MacNamara
secrétaire à la défense étatsunien de 1961 à 1968
paru dans l’International Herald Tribune, 26 juin 2000.

L’UNESCO et le «  symposium international sur la liberté d’expression » : entre instrumentalisation et nouvelle croisade (il fallait le voir pour le croire)
Le 26 janvier 2011, la presse Cubaine a annoncé l’homologation du premier vaccin thérapeutique au monde contre les stades avancés du cancer du poumon. Vous n’en avez pas entendu parler. Soit la presse cubaine ment, soit notre presse, jouissant de sa liberté d’expression légendaire, a décidé de ne pas vous en parler. (1) Le même jour, à l’initiative de la délégation suédoise à l’UNESCO, s’est tenu au siège de l’organisation à Paris un colloque international intitulé « Symposium international sur la liberté (...)
19 
Médias et Information : il est temps de tourner la page.
« La réalité est ce que nous prenons pour être vrai. Ce que nous prenons pour être vrai est ce que nous croyons. Ce que nous croyons est fondé sur nos perceptions. Ce que nous percevons dépend de ce que nous recherchons. Ce que nous recherchons dépend de ce que nous pensons. Ce que nous pensons dépend de ce que nous percevons. Ce que nous percevons détermine ce que nous croyons. Ce que nous croyons détermine ce que nous prenons pour être vrai. Ce que nous prenons pour être vrai est notre réalité. » (...)
55 
Hier, j’ai surpris France Télécom semant des graines de suicide.
Didier Lombard, ex-PDG de FT, a été mis en examen pour harcèlement moral dans l’enquête sur la vague de suicides dans son entreprise. C’est le moment de republier sur le sujet un article du Grand Soir datant de 2009 et toujours d’actualité. Les suicides à France Télécom ne sont pas une mode qui déferle, mais une éclosion de graines empoisonnées, semées depuis des décennies. Dans les années 80/90, j’étais ergonome dans une grande direction de France Télécom délocalisée de Paris à Blagnac, près de Toulouse. (...)
69 
Vos dons sont vitaux pour soutenir notre combat contre cette attaque ainsi que les autres formes de censures, pour les projets de Wikileaks, l'équipe, les serveurs, et les infrastructures de protection. Nous sommes entièrement soutenus par le grand public.
CLIQUEZ ICI
© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.