« Ce qui fut, cela sera ; ce qui s’est fait se refera ; et il n’y a rien de nouveau sous le soleil. »
Ecclésiaste, Livre 1 verset 9
Depuis quelques jours, la planète vit au rythme de révélations de la diplomatie américaine mise en ligne par le site WikiLeaks. En fait, il s’agit de révélations qui n’en sont pas, tellement la doxa occidentale par des médias aux ordres, nous a conditionné sur un certain nombre de certitudes que l’on croyait immuables. Que l’on s’intéresse aux frasques de Berlusconi ou El Gueddafi, que le président Sarkozy n’aime pas la Turquie, rien de nouveau sous le soleil pour les damnés de la Terre « Des potins sur les grands de ce monde écrit Hichem Hamza : c’est ce qui ressort de la couverture médiatique initiale au sujet des 250.000 mémos diplomatiques en cours de publication par le site WikiLeaks et son porte-parole, Julian Assange, déjà interrogé précédemment par Oumma. Aucun secret d’Etat n’est dévoilé. La géopolitique abordée sous l’angle people. Plus intéressantes sont les révélations, dignes d’un thriller d’espionnage, sur la propension des diplomates américains à recueillir tout élément d’information (y compris l’ADN) au sujet d’individus jugés intéressants par le département d’Etat. L’embarras touche aussi le Moyen-Orient : l’Arabie Saoudite, la Jordanie et le Bahreïn se révèlent être des partisans vindicatifs d’une attaque américaine contre l’Iran. »
« Ces [révélations] n’affectent pas du tout Israël, peut-être même est-ce le contraire », a reconnu Giora Eiland, général israélien à la retraite et ancien conseiller d’Ariel Sharon. Ces documents, précise-t-il, « montrent que des pays arabes tels que l’Arabie Saoudite s’intéressent bien plus à l’Iran qu’au conflit israélo-palestinien, par exemple ». Le Premier ministre est encore plus enthousiaste : « Pour la première fois dans l’histoire, il y a un consensus pour dire que l’Iran est la menace. » Lyrique, Benjamin Netanyahu veut s’afficher comme un pacifiste : « Si la divulgation amène les dirigeants de la région à parler ouvertement contre Téhéran, alors les révélations auront contribué à la paix dans le monde. » Gideon Lévy, chroniqueur au quotidien Haaretz, ne s’y est pas trompé : fin octobre, dans un éditorial satirique, il avait félicité, au nom d’Israël, WikiLeaks pour avoir démontré au reste du monde que les exactions de guerre commises par les Américains étaient bien plus graves que celles effectuées en 2009 par l’armée israélienne dans la bande de Ghaza. La satisfaction publique d’un Benjamin Netanyahu révèle l’identité du camp réjoui par les dernières révélations de WikiLeaks : non pas un quelconque « axe américano-sioniste » mais plus précisément la frange dure des néoconservateurs américains, israéliens et européens qui propagent, depuis une quinzaine d’années, le fantasme d’un « péril islamo-nucléaire » incarné par le Pakistan et l’Iran et la nécessité, en corollaire, d’assurer la sécurité d’Israël par tous les moyens nécessaires. Le mensonge et la ruse au besoin, comme l’illustre le mythe, toujours impuni, des armes de destruction massive en Irak. » (1)
« Sarkozy l’Américain »
S’agissant du président Sarkozy, les câbles au nombre de 14 couvrent la période allant du 5/08/2005 au 9/03/2009. Nous lisons sous la plume de Rémy Ouardan : « L’homme fascine les Américains autant qu’il leur raconte être fasciné par l’Amérique. Il est le « président le plus pro-américain depuis la Seconde Guerre mondiale. (..) On découvre dans ces mémos que Nicolas Sarkozy et ses conseillers fréquentent assidument l’ambassade américaine de Paris, ainsi que les dignitaires américains de passage en France. Le ministre de l’Intérieur n’hésite pas à critiquer la position diplomatique française devant des officiels étrangers. « Sarkozy s’est lamenté de l’état troublé des relations entre les Etats-Unis et la France au cours des dernières années, écrit le diplomate. Affirmant que c’est quelque chose que lui « ne ferait jamais », il a évoqué l’utilisation, par Chirac et Villepin, du veto de la France au Conseil de sécurité [de l’ONU] contre les Etats-Unis en février 2002 [sur l’invasion de l’Irak] comme étant une réaction injustifiable et excessive. » A cette époque, les conseillers du ministre de l’Intérieur et chef de l’UMP fréquentent beaucoup l’ambassade des Etats-unis. Ces contacts multiples permettent à l’ambassade américaine d’écrire, peu avant la déclaration de candidature de Sarkozy, un long portrait dithyrambique intitulé « L’homme qui pourrait changer la France ». « Il est pro-américain et acquis aux principes du libre-marché. (...) Il est associé à des mesures dures de lutte contre le crime et le terrorisme. (...) Il est vigoureux sur le besoin pour la France de dépasser ses réflexes anti-américains. (...) Sarkozy est l’homme politique français qui soutient le plus le rôle des Etats-Unis dans le monde. (...) Son sobriquet est « Sarkozy l’Américain », et son affinité avec l’Amérique est authentique et vient du fond du coeur. » L’ambassade américaine note que « l’héritage juif de Sarkozy et son affinité pour Israël sont célèbres », et que de surcroît il vient de nommer à la tête du Quai d’Orsay Bernard Kouchner, « le Premier ministre des Affaires étrangères juif de la Ve République ». Sur le conflit israélo-palestinien, espère l’ambassade, « même un léger glissement dans le fondement intellectuel aura des conséquences sismiques ».
« L’ambassade américaine est très satisfaite du premier gouvernement Sarkozy. Celui qui bénéficie du portrait le plus flatteur est Bernard Kouchner : « L’humanitaire de renommée mondiale ». Les diplomates américains se félicitent aussi de la nomination de « l’ambassadeur aux Etats-Unis » Jean-David Lévitte comme conseiller diplomatique à l’Elysée. (...) Au-delà des relations franco-américaines et des dossiers prioritaires, Washington suit de près les premières aventures de Nicolas Sarkozy à l’étranger. Son discours de Dakar sur l’Afrique est perçu comme « un désir de provoquer ». Plus tard, les Américains se délecteront des « faux pas » de M.Sarkozy en visite chez leur allié saoudien. « Le président Sarkozy a été perçu comme inélégant par les Saoudiens en affichant son ennui lors de la cérémonie d’arrivée ou en refusant de goûter un repas traditionnel arabe. » A propos de la Turquie, les diplomates américains rapportent un épisode étonnant, dans un télégramme intitulé « Personne pour lui dire "non" », consacré à des conseillers de l’Elysée « qui évitent de contredire le président ou de provoquer son mécontentement » : « Ils ont détourné l’avion du président pour éviter qu’il voit la tour Eiffel éclairée aux couleurs de la Turquie à l’occasion de la visite du Premier ministre Erdogan (une décision prise par la mairie de Paris). (2)
Que Nicolas Sarkozy ait donné un virage atlantiste, écrit Pascal Riché, à la politique étrangère de la France, ce n’est pas une révélation. Les Américains, d’ailleurs, lui rendent volontiers son affection. (...) Malgré tous ces petits défauts, et même s’il parle « un anglais très limité », ce politicien français-là plaît aux diplomates américains. Parce qu’il s’est opposé au veto de la France contre la guerre en Irak (sans la soutenir pour autant, certes). Parce qu’il est pro-israélien (une conviction que les Américains mettent au compte de son « héritage juif »)(3)
Pour Timothy Garton Ash, professeur d’histoire à l’université d’Oxford, l’historien doit patienter vingt ou trente ans avant de pouvoir accéder à de tels trésors. Ici, les câbles les plus récents datent d’à peine plus de sept mois. Comme le savent tous ceux qui travaillent sur des archives, on accède à une qualité spéciale de compréhension lorsqu’on dispose d’un large éventail de sources. Plus largement, ce qui ressort de tous ces échanges diplomatiques, c’est à quel point les questions liées à la sécurité et au contre-terrorisme ont imprégné le moindre aspect de la politique étrangère américaine depuis une décennie. On constate aussi à quel point ces menaces sont sérieuses, et à quel point l’Occident a peu de prise sur elles. On trouve ici des détails dévastateurs sur le programme nucléaire iranien et sur l’ampleur des craintes non seulement israéliennes mais, avant tout, arabes face à ce programme (selon un ambassadeur saoudien, son roi aurait exhorté les Américains à « couper la tête du serpent ») ; sur la vulnérabilité des stocks nucléaires pakistanais vis-à -vis des islamistes voyous ; sur l’anarchie et la corruption à grande échelle sévissant en Afghanistan. » (4)
Pierre Bellefeuille est encore plus critique, il y voit une manipulation. Nous l’écoutons : « Il semble se créer depuis quelque temps tout un « buzz » autour de WikiLeaks. Par nature, je me méfie de tout « buzz » amplifié par les médias de masse. Quelle est la véritable nature de WikiLeaks ? On y laisserait ressortir des documents compromettants pour les pouvoirs dominants de la planète, dont les États-Unis, et ce, par centaines de milliers de documents. Ce n’est pas peu dire ! Les médias sont placés dans une situation d’hypercompétitivité où on a de moins en moins le temps de classer et valider les informations, la nouvelle à sensation divertit et dissout assurément l’analyse critique. Enfin, ces infos sur le plan stratégique ne sont-elles pas tout aussi dangereuses que le prétendu danger que représentait Saddam Hussein ? On a pendu Saddam sans aucune pudeur ! Avec les moyens que les superpuissances ont à leur disposition, il me semble qu’il leur serait relativement facile de neutraliser WikiLeaks, je présume. Dans les faits, les médias nous ont inondés de banals potins, rien de plus ! Pourtant, l’administration américaine crie au crime. Ca ne surprendra personne. Quel est l’effet recherché ? Entretenir la peur des réseaux sociaux ? Mieux contrôler la libre information ? »
Poursuivant son analyse, il propose plusieurs hypothèses toutes aussi inquiétantes : « Et si WikiLeaks n’était qu’un outil mis en place pour insérer l’idée que la libre information peut être dangereuse ! Pour mieux le comprendre, on doit lire « L’Utopie de la communication » écrit par Philippe Breton, dans lequel on décrit très bien par quels mécanismes une population donnée peut se retourner contre son propre gouvernement lorsque celui-ci n’arrive plus à justifier ses propres guerres. (...) Dans un contexte d’après crise économique où on force plusieurs gouvernements à sabrer sauvagement dans leurs programmes sociaux, les justifications de la trop coûteuse guerre préventive s’essoufflent un peu partout, certains gouvernements ont tout intérêt à s’assurer de ne pas perdre l’appui de leur population respective. Monsieur Breton nous dit à la page 136 de son livre : « . ..Il est tout aussi certain que les réseaux de demain pourront servir à ficher les gens et à réduire les libertés. Il n’y a donc aucune contradiction à dénoncer à la fois le caractère illusoire, abstrait et transitoire des projets utopiques en matière de communication et à en dénoncer les applications qui ne manqueront pas de survenir, quand elles ne sont pas déjà parmi nous. »
« Tout aussi éclairant. Nous devrions tous avoir en mémoire « La manufacture du consensus » écrit par Noam Chomsky, lequel démontre sans équivoque les astuces utilisées pour amener les populations à croire les versions fabriquées dans les médias de masse, servant les intérêts des élites politiques, des multinationales, etc. Les stratèges des multinationales et des politiciens ne manquent pas de souffle et ont souvent plusieurs stratégies simultanément. C’est Karl Rove, ancien stratège sous l’administration Bush, qui disait en parlant des États-Unis : « Les États-Unis sont si puissants qu’ils ne se contentent pas de la réalité, ils la fabriquent. » Une autre hypothèse associée à WikiLeaks pourrait être une tentative de déstabiliser le monde dans son ensemble justement, pour justifier une plus grande économie de guerre, voire le déclenchement d’un conflit plus large à l’échelle de la planète. Encore une hypothèse : en saturant les médias à des moments choisis, avec des infos WikiLeaks, on pourrait utiliser WikiLeaks comme un écran de fumée pour détourner l’attention du public d’autres situations qui mériteraient entièrement notre attention. Enfin, quoi de mieux qu’un outil tel que WikiLeaks pour à la fois déstabiliser et contrôler le monde, à la source, au niveau de l’information, dans le but éventuel de restreindre davantage la liberté de la presse. L’industrie de la peur et de l’insécurité me semble être le vecteur principal par lequel tous les abus de pouvoir peuvent se justifier. » (5)
Rien de nouveau sous le soleil La même faculté de discernement qui ne tombe pas dans l’unanimisme est celle de Pierre Piccinin quand il dit que l’information est partiale : « Rien, par exemple, sur le rôle des Etats-Unis quant à la déstabilisation du gouvernement iranien et à son intervention dans la « révolution verte » qui avait suivi les élections de juin 2009 ; rien sur le virus informatique « Stuxnet » qui serait en train de paralyser l’armée iranienne et ses centres de recherche nucléaire ; rien sur la Syrie ; rien sur les négociations israélo-palestiniennes qui ont repris depuis peu et sont pourtant au coeur de la politique états-unienne au Proche-Orient ; et absolument rien sur Israël. Pour le reste, la principale « nouvelle », c’est que la plupart des chefs d’Etat arabes (le président égyptien Hosni Moubarak, le roi de Jordanie, les dictateurs du Golfe persique, etc., tous alliés traditionnels des Etats-Unis) se sont déclarés très farouchement opposés au gouvernement de Mahmoud Ahmadinejad et souhaitent une intervention états-unienne. Sans blagues ?! C’est le cas depuis 1980 et la guerre Iran-Irak, durant laquelle tous ces Etats avaient ouvertement soutenu et financé Saddam Hussein contre la République islamique des Ayatollahs...Bref, on n’apprend rien. A bien y réfléchir, cette affaire ressemble sensiblement à un beau coup de propagande qui pourrait viser à justifier une agression à l’encontre de l’Iran et à créer le consensus autour de cette perspective. (6)
Dans tout ce scénario, les PVD et leurs souffrances sont absents, à croire qu’ils ne vivent pas sur la même Terre. Beaucoup d’interrogations restent. Pourquoi, n’a-t-on pas vu des câbles sur la politique israélienne dans les Territoires occupés ? Pas un mot sur Ghaza, ni sur les multiples rebondissements de la politique israélienne ; à croire que les Palestiniens n’existent pas que les Israéliens sont parfaits. De même, pas un mot sur les dessous de la mort de Saddam Hussein, sur les armes de destruction massive.
Tout ceci nous amène à la conclusion qu’il n’y a pas de fumée sans feu. La divulgation de ces documents est intentionnelle, elle ne concerne que les domaines d’intérêt du camp occidental et cela n’augure rien de bon. Les gens du sud ont l’habitude d’aller de malheur en malheur d’une façon résignée. Cette écume changera peut être les relations entre les grands mais pour les sans grade, c’est assurèment un non évènement. Il n’ya rien de nouveau sous le soleil....
Professeur Chems Eddine Chitour
Ecole polytechnique enp-edu.dz
1. Hicham Hamza : A qui profitent les révélations de WikiLeaks ? Site Oumma.com 30 novembre 2010
2. Rémy Ourdan WikiLeaks : Nicolas Sarkozy, « l’Américain » Le Monde 30.11.10
3. Pascal Riché WikiLeaks : « Sarkozy, déjà très tendu quand tout va bien » Rue89 01/12/2010
4. Timothy Garton Ash : Les documents secrets révélés par WikiLeaks relèvent de l’intérêt général Le Monde 01.12.10
5. Pierre Belfeuille : Mondialisation.ca 1er décembre 2010
6.Pierre Piccinin : Le Grand soir URL de cet article 12123 1er décembre 2010