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Le coup d’État était prémédité : tribune de l’ambassadeur de Bolivie à l’ONU (Washington Post)

Tribune de Sacha Llorenti Soliz, ambassadeur de Bolivie à l’ONU, publiée dans le Washington Post le 19 novembre 2019.

Ce qui s’est passé en Bolivie s’appelle un coup d’État. Avec du recul, nous pouvons nous rendre compte du fait que l’Organisation des États américains (OEA) a agi en tant que pièce maitresse de l’échiquier, portant des attaques incisives et ponctuelles dans le cadre de la chronologie de ce coup d’Etat, devenant un facteur qui a terriblement contribué à alimenter la convulsion. D’autre part, il est indiscutable que si la police et l’armée – deux institutions qui détiennent le monopole étatique de la violence – cessent d’obéir au président et “suggèrent” de démissionner, il s’agit alors d’une interruption de l’ordre constitutionnel : un coup d’Etat.

Les premiers symptômes de la crise en Bolivie sont apparus avant les élections présidentielles du 20 octobre, lorsque diverses structures civiles, politiques et universitaires, dirigées par les opposants Luis Fernando Camacho et Carlos Mesa, ont lancé une campagne visant à discréditer les élections. (1)

Après la tenue des élections et après des défaillances évidentes du Tribunal suprême électoral, les opposants ont dénoncé une fraude et exigé un second tour avant même que le dépouillement officiel soit terminé. Lorsque le Président Evo Morales a invité l’OEA à auditer les résultats, ils ont exigé l’annulation des élections. Suite à la publication du rapport hâtif de l’OEA, le président a proposé d’organiser de nouvelles élections. A ce moment-là, les putschistes avaient déjà tout préparé.

Il convient de noter que le rapport préliminaire de l’OEA ne peut nier le fait qu’Evo Morales a remporté les élections par plus de 600 000 voix. Par ailleurs, des rapports indiquant qu’il n’y a pas eu de fraude sont déjà disponibles.

Malgré cela, la sénatrice Janine Áñez s’est autoproclamée présidente de la Bolivie, raison pour laquelle on peut dire qu’il existe d’une part un gouvernement de facto à La Paz et d’autre part un président constitutionnel qui se trouve à Mexico.

Ce gouvernement de facto a nommé une ministre des communications qui a menacé d’accuser de sédition ceux qu’elle a qualifiés de “pseudo-journalistes”. Son ministre de l’intérieur a prévenu qu’il partirait “à la chasse” des personnes liées au gouvernement Morales et a publié un décret qui exempte de responsabilité pénale les militaires qui répriment les manifestations ; il a même créé un “appareil spécial du bureau du procureur général” pour arrêter des députés accusés de subversion.

Malheureusement, les menaces ne sont pas restées lettre morte. Les forces armées, protégées par l’impunité que leur accorde le décret, ont violemment réprimé les organisations qui protestent contre le coup d’Etat. La Commission interaméricaine des droits de l’homme s’est prononcée contre ce décret, notant au passage qu’au moins 23 personnes ont trouvé la mort et 715 autres ont été blessées depuis le début de la crise. La Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, Michelle Bachelet, a exhorté les forces de sécurité à respecter les normes et standards internationaux et à garantir le droit à la vie [des manifestants].

Nous avons maintenant un pays divisé en deux. D’un côté se trouve le bloc majoritaire qui arbore le projet d’un pays inclusif, dirigé par Evo Morales, lequel a mené un programme efficace atteignant des records en matière de croissance économique, de réduction de l’extrême pauvreté et de l’analphabétisme, tout en augmentant l’espérance de vie, parmi une longue liste de réalisations.

En face, nous avons un bloc hybride, composé d’une diversité d’oppositions situées dans une gamme allant de la droite modérée à l’extrême droite qui n’a pas renoncé à son projet raciste et séparatiste. Elle est dirigée par une élite dont les intérêts ont été directement touchés par le gouvernement de Morales. L’élimination des latifundios et la nationalisation des ressources naturelles ainsi que des entreprises stratégiques sont considérés comme des plaies pour cette élite, qui a réussi à mobiliser un nombre considérable de personnes, exacerbant les sentiments identitaires régionalistes, religieux et racistes. Dans ce contexte, la manipulation à travers les réseaux sociaux a joué un rôle important.

Le gouvernement de facto de la sénatrice Áñez représente ces intérêts ainsi qu’un tout autre modèle de pays. Parallèlement à la dure répression mise en place ils ont déjà annoncé que des entreprises publiques allaient être privatisées, ils ont levé les restrictions à l’exportation qui assuraient l’approvisionnement interne et, conformément à l’agenda des Etats-Unis, ils ont reconnu Juan Guaidó qui s’était autoproclamé dirigeant du Venezuela, tout en expulsant de Bolivie des diplomates vénézuéliens et des médecins cubains.

Il s’agit clairement d’un gouvernement désireux de retrouver la voie du néolibéralisme en matière économique, répressif et autoritaire en matière politique, régressif et prônant le retour des élites racistes en matière sociale, et subordonné à la Maison-Blanche en matière de politique étrangère.

Face à ce panorama complexe, la seule façon de sortir de la crise repose sur l’instauration d’un dialogue national qui permette la tenue de nouvelles élections, avec toutes les garanties démocratiques pour tous les partis politiques et avec un accord pour l’élection des nouveaux membres du Tribunal électoral. Parallèlement, la répression et les persécutions doivent cesser.

Le coup d’État a révélé l’existence de deux modèles de société qui s’opposent. Il faut placer notre confiance en ces élections pour qu’elles permettent de désamorcer le conflit

Traduit par Luis Alberto Reygada pour Les Crises.

Note du traducteur :

(1) Une semaine avant la tenue des élections du 20 octobre le président Evo Morales avait mis en garde contre un possible coup d’Etat préparé, selon lui, par des membres de l’opposition au cas où il remporterait le scrutin. Voir la dépêche de l’AFP publiée le 15 octobre 2019 : https://www.lepoint.fr/monde/bolivie-morales-redoute-un-coup-d-etat-s-il-gagne-les-elections-15-10-2019-2341250_24.php

»» https://www.washingtonpost.com/es/p...
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Viktor Dedaj

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