Le Courrier,
vendredi, 27 janvier 2006.
Aujourd’hui, Mahmoud Abbas doit digérer sa rancoeur à l’égard de Washington qui l’a pressé avec insistance d’organiser contre son voeu des élections au conseil législatif palestinien. Premier grand rendez-vous, insistait Condoleezza Rice, sur l’agenda devant aboutir à la création d’un Etat palestinien. Mais avec un Fatah largement décrédibilisé, pour ne pas dire disqualifié par la gangrène de la corruption, Abbas avait parfaitement conscience des risques qui lui étaient imposés. C’est finalement la mort dans l’âme qu’il a fini par se rendre aux desiderata des commanditaires de la Maison-Blanche. Le président palestinien savait pertinemment que ces élections constitueraient pour lui un pari quasi impossible et un tremplin inespéré pour le parti confessionnel.
Un Hamas que George Bush, dans les heures qui suivaient la clôture du scrutin, vouait encore aux gémonies et excluait a priori de toutes négociations de paix futures. A la même heure, l’administration américaine, malgré le succès annoncé des islamistes, réaffirmait, contre toute logique apparente, leur maintien sur la liste des organisations terroristes, enjoignant Mahmoud Abbas d’interdire ses représentants au sein du futur cabinet palestinien. Déclarations qui font fi de l’intention déclarée du Hamas d’être partie prenante aux négociations avec Israël, il est vrai sans pour autant désarmer ses troupes.
Négocier avec le Hamas ?
Cependant, dès avant le scrutin, des voix dissonantes se sont faites entendre dans les think tanks écoutés par la présidence américaine comme par Tel Aviv, demandant d’entrouvrir la porte du dialogue à condition que le Hamas renonce à son intention de « détruire » l’Etat d’Israël, autrement dit au recours à la lutte armée. Position dissonante qui a notamment été celle du ministre de la Défense Shaul Mofaz, du parti Kadima d’Ariel Sharon. Le ministre a en effet clairement évoqué la possibilité d’accepter de négocier avec les islamistes, allant en cela à contresens du refus catégorique du Gouvernement israélien de consentir la moindre esquisse de reconnaissance politique du Hamas.
Maintenant, à considérer de près ces prises de positions, tant à Washington qu’à Jérusalem, on obtient un cliché fidèle de ce qu’est (vraisemblablement) l’objectif recherché, à travers les élections au conseil législatif palestinien. Selon un schéma relativement simple, les choses se présentent de la façon suivante : en dépit d’un effet d’annonce essentiellement destiné à la scène médiatique, responsables israéliens et américains ne peuvent que se féliciter du succès islamiste. Après l’effacement d’Ariel Sharon, il faut aux Israéliens reconstituer une nouvelle configuration de pouvoir pour affronter en ordre serré les prochaines échéances électorales en Israël même. Et aussi, sur la base d’un nouveau un consensus politique à droite, engager de grandes manoeuvres « n’excluant aucune option », selon le premier ministre par intérim Shaul Mofaz, à l’encontre de la « menace » iranienne.
Avec un tel calendrier, l’arrivée massive du Hamas au parlement palestinien constitue une véritable aubaine. Comme annoncé de toute part, le refus de négocier avec l’« organisation terroriste » constituera un argument absolu et un prétexte idéal pour ajourner ou retarder les discussions sur la mise en oeuvre de la Feuille de route. La politique n’étant pas l’expression de l’angélisme, il est permis de rappeler qu’il est de notoriété publique que les Israéliens, il y a quelques années, lorsqu’il s’agissait d’affaiblir à tout prix Yasser Arafat, ont discrètement soutenu le Hamas pour ébranler le Fatah [1] .
In fine, si de guerre lasse le Hamas finissait par renoncer à la lutte armée, nul ne peut dire s’il deviendrait pour autant un interlocuteur valable. La carotte de son éventuelle admission à la table des négociations est déjà présentée dans les déclarations semi-officielle à Washington et à Jérusalem, lesquelles ne contredisent qu’apparemment les discours intransigeants (à l’encontre du Hamas) qui prédominent aujourd’hui.
Un Hamas aux dents limées et désarmé est au bout du compte ce que visent les alliés. Vu sous cet angle et dans tous les cas de figure, le séisme des élections palestiniennes est donc plus ou moins condamné, sur le court terme, à faire long feu. Le Hamas électoralement vainqueur n’est non seulement pas un échec pour Washington mais une véritable aubaine, en partie programmée, qui laisse maintenant les mains libres au couple israélo-américain pour avancer ses pions dans la normalisation de l’espace proche-oriental.
Jean-Michel Vernochet
– Source : Le Courrier de Genève www.lecourrier.ch
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