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La véritable histoire des Cinq Cubains (lettre à Obama)

Estimé Président Obama,

Ceci est ma première lettre à un président des Etats-Unis. Non seulement je ne suis pas citoyen des Etats-Unis, mais en plus je suis journaliste, et les journalistes n’ont pas pour habitude d’écrire aux chefs de gouvernement.

Mais, après avoir mené des recherches pendant trois ans sur le cas des cinq Cubains, je crois que mon devoir est de vous écrire.

Le fait est, que les journalistes étatsuniens n’ont pas fait du bon travail pour expliquer au public le cas des cinq agents de l’Intelligence cubaine emprisonnés aux Etats-Unis depuis 1998. Il s’en suit que votre administration a réussi à obtenir des médias, soit qu’ils n’abordent pas le sujet, soit, quand ils sont obligés de le faire, qu’ils le commentent avec le même discours que lors de la guerre froide.

Mais le cas des cinq Cubains est venu récemment à la lumière publique à propos d’Alan Gross, sous-traitant de l’USAID, qui purge une peine de 15 ans de prison à Cuba, pour avoir amené du matériel de communication satellitaire dans ce pays.

Les articles des médias sur ce dernier cas ont, eux aussi, été problématiques, car la majorité d’entre eux n’a fait que répéter ce qu’en disait le Gouvernement d’Etat, à savoir, que Gross est un « humanitaire » arrêté alors qu’il voulait aider la petite communauté juive de La Havane à entrer en communication avec le reste du monde, et qu’il est maintenant retenu comme « otage » à La Havane.

Vous savez que ce n’est pas vrai. Et bien sûr, les médias le savent aussi. Après tout, c’est Desmond Butler, reporter des affaires étrangères de l’Associated Press (AP), agence d’information à laquelle ont souscrit la plupart des médias des Etats-Unis et que l’on peut difficilement qualifier d’instrument du régime cubain, qui a fourni la documentation sur les faits concernant ce cas.

Alan Gross, « payé un demi million de dollars » par l’USAID, agence gouvernementale de « promotion de la démocratie », a introduit clandestinement à Cuba des équipements de communication sophistiqués. Une technologie qui inclus des téléphones internet satellitaires indétectables et dotés de cartes SIM, « le plus souvent » utilisées par le département de la défense et par la CIA.

Le but de tout ceci n’était pas d’assister la communauté juive (cette communauté a déjà accès à internet), mais bien d’oeuvrer pour renverser le gouvernement de Cuba. Les propres déclarations de Gross montrent clairement qu’il était engagé dans un « trafic à haut risque », et que s’il était découvert, ce serait « catastrophique ».

Ceci dit, il ne faut pas s’étonner de voir la famille et les amis d’Alan Gross souhaiter sa libération.

De la même façon, les Cubains veulent que les Cinq, héros nationaux dans leur pays, soient libérés. La réponse sans sourciller de votre gouvernement a été qu’il n’y avait tout simplement « pas d’équivalence ». Les cinq Cubains étaient qualifiés d’agents de l’Intelligence, coupables d’avoir tenté de dérober des secrets militaires et d’avoir comploté pour assassiner quatre civils innocents, tués quand, en 1996, deux avions de l’organisation « Hermanos al Rescate » avaient été descendus. A l’opposé, dans l’argumentaire du gouvernement américain, Alan Gross n’était qu’un philanthrope humanitaire.

Mais nous savons qu’Alan Gross était beaucoup plus que cela.

Mais nous savons également que les cinq Cubains sont beaucoup moins que des meurtriers dangereux pour la sécurité des Etats-Unis, comme ont essayé de les présenter les médias et votre Gouvernement.

J’ai lu les plus de 20 000 pages de la transcription de leur jugement, et les milliers de pages de documents additionnels que l’Accusation a déposés comme preuves pour essayer de les faire condamner.

Je ne vais pas tenter de les blanchir. Ils avaient la qualité d’agents de l’Intelligence cubaine, et certains d’entre eux ont usé d’une fausse identité pour entrer aux Etats-Unis. Une partie de la mission de plusieurs d’entre eux était d’obtenir des informations d’ordre militaire.

Cependant, leur principale mission d’ordre militaire n’était pas de rechercher des informations susceptibles d’être utilisées pour attaquer les Etats-Unis. (Laissons tomber pour le moment l’idée ridicule de la petite Cuba lançant une attaque militaire contre les puissants USA).

Les cinq Cubains ne représentaient ni une menace militaire ni une menace sécuritaire contre les Etats-Unis. Ne me croyez pas. Posez la question au Directeur de l’Intelligence Nationale en personne, l’ex Lieutenant Général des Etats-Unis James Clapper. Quand vous l’avez sollicité en 2010, vous avez mentionné qu’il possédait « une qualité que j’apprécie chez tous mes conseillers : le désir de dire aux leaders ce que nous devons savoir, même si ce n’est pas ce que nous aimerions entendre ».

Vous devriez écouter ce qu’a dit le Général Clapper à propos des Cinq. En 2001, quand il était directeur de l’Agence Nationale de l’ Intelligence Géospatiale, Clapper a témoigné au procès des Cinq. Il lui a été demandé spécifiquement si lui, « avec son expérience des sujets concernant l’Intelligence, décrirait Cuba comme une menace militaire pour les Etats-Unis. » Sa réponse a été : « absolument pas. Cuba ne représente pas une menace ». Il a aussi témoigné qu’il n’avait trouvé aucune preuve qui donnerait à penser que certains des Cinq « essayaient d’obtenir des informations secrètes ».

Le véritable objectif militaire des Cinq était de protéger Cuba contre une possible attaque venant des Etats-Unis. Il ne fait aucun doute qu’une telle attaque est possible. Considérez, comme les Cubains le font sans doute, La Grenade (1983), Panama (1989), et Haïti (1994).

Les agents non armés de Cuba étaient avant tout comme des « canaris dans une mine de charbon étrangère », utilisant leurs yeux et leurs oreilles entrainés à déceler les signes d’une possible et imminente attaque. Quand on y pense, c’est exactement le rôle de vos satellites, drones, et agents humains dans des pays où vous percevez une menace pour la sécurité des Etats-Unis du fait de gouvernements hostiles ou d’éléments terroristes.

De fait, ce fut le véritable objet de Cuba, que d’envoyer ses agents en Floride pour infiltrer et pouvoir informer sur les activités des groupes terroristes anticastristes de l’exil. Ces groupes ont planifié activement, et mené à bien très souvent, des attaques meurtrières contre Cuba depuis le sanctuaire protégé qu’est la Floride.

Point n’est besoin de vous préciser que ces attaques sont illégales eu égard à la loi de Neutralité des Etats-Unis, mais il vaut peut-être la peine de vous rappeler que les autorités nord américaines ont rarement arrêté quelqu’un mêlé à de telles actions et que les jurés de Floride ont encore plus rarement condamné une personne accusée de délit à l’encontre de Cuba.

J’y reviendrai plus tard.

Peut-être le plus significatif, et apparemment logique, dans les raisons données par votre Gouvernement pour refuser un échange humanitaire entre les Cinq et Alan Gross, est que l’un des Cinq a été déclaré coupable de conspiration en vue de commettre un assassinat en relation avec les avions de l’organisation « Hermanos al Rescate » abattus en 1996. On pourrait objecter, et je le fais, que le Gouvernement cubain n’aurait pas dû donner l’ordre de descendre ces avions. Malgré les constantes et incontestables provocations de « Hermanos al Rescate », et les violations illégales de l’espace aérien cubain, que, soit dit en passant, la FAA et l’administration Clinton ont essayé de stopper les considérant illégales et provocatrices, je persiste à croire qu’il y avait d’autres et meilleurs moyens pour le gouvernement cubain que d’abattre ces avions.

Mais ceci est hors sujet.

L’unique point qui importe ici, est de savoir si l’un des Cinq agents avait une responsabilité ou joué un rôle quelconque dans la décision d’abattre les avions. Après avoir lu la transcription du jugement et examiné les preuves présentées, ma conclusion est que non seulement il n’y a aucun lien convaincant entre l’un des Cinq et les avions abattus, mais que de fait, les preuves amènent à une conclusion opposée.

La Sûreté de l’Etat cubain est incroyablement cloisonnée et l’information concernant une riposte d’une telle importance n’aurait été communiquée que sur la base d’une absolue nécessité. Il n’y avait aucune nécessité à ce que des agents subalternes de Floride aient été mis au courant des mesures planifiées par les militaires de la Havane, et rien ne prouve qu’ils l’aient été.

Mais, malgré cela, les Cinq ont été reconnus coupables par le jury de Miami qui a entendu tous les témoignages.

Permettez-moi de revenir sur ce point.

Je ne vous apprendrai rien sur le pouvoir omniprésent et sur l’influence à Miami des groupes d’extrême droite de l’exil cubain. Après deux campagnes électorales, vous le savez mieux que quiconque.

Mais examinons trois autres points pour imaginer les chances avec lesquelles un jury de Miami pouvait impartialement juger les actions de ceux qui étaient reconnus comme des agents cubains.

Dans la préparation du jugement des Cinq, qui faisait suite à l’affaire d’Elian González si porteuse d’émotion, les médias de Miami étaient plus remontés que jamais dans leur discours anticubain. Nous savons maintenant que certains d’entre eux avaient été secrètement payés par le Conseil des Gouverneurs de la radiodiffusion du Gouvernement américain. Quand ces paiements clandestins ont été révélés en 2006, le Miami Herald, et c’est à son actif, a viré les journalistes vénaux achetés, pour leur flagrante violation de l’éthique journalistique.

Tenez bien compte aussi du deux poids deux mesures de la justice quand il s’agit d’un cas impliquant Cuba. Une autre affaire criminelle avait eu lieu au moment de l’arrestation de cinq Cubains. Le FBI avait arrêté à Puerto Rico un groupe anticastriste de l’exil de Miami à bord d’un navire. Ce groupe avait été accusé de conspiration en vue d’assassiner Fidel Castro. Les avocats de la défense avaient essayé d’amener le jugement à Miami. Les procureurs fédéraux s’y étaient opposés considérant qu’un jugement impartial de ces hommes ne pouvait être obtenu à Miami. Moins d’un an plus tard, cependant, les procureurs fédéraux ont à nouveau émis une objection quand les avocats des Cinq ont demandé que le procès soit déplacé cette fois hors de Miami. Ces procureurs pensaient-ils vraiment qu’un jury de Miami, hier trop favorable aux exilés anticubains, pouvait devenir brusquement assez impartial pour statuer sur une affaire mettant en cause des agents pro-Cuba ?

Mieux encore, les procureurs pour l’affaire des Cinq, juste avant le début des délibérations du jury, avaient demandé à la Cour d’appel d’abandonner l’accusation de conspiration en vue de commettre un assassinat, estimant que les preuves présentées ne pourraient conduire à une condamnation.

Bien que la Cour d’appel ait rejeté leur demande, les procureurs n’avaient pas à s’inquiéter. Après un procès long de sept mois, le jury de Miami n’a pris que quelques jours pour déclarer les Cinq coupables de toutes les charges, notamment de conspiration pour commettre un assassinat.

Je voudrais simplement que vous demandiez à vos propres avocats de revoir la transcription du jugement, et d’examiner les preuves qui relient les Cinq aux avions abattus, et qu’ils vous informent de leurs conclusions.

Cela donnerait à réfléchir.

Vous savez déjà qu’Amnesty International a émis des « doutes sur l’équité et l’impartialité du procès des Cinq..., la solidité des preuves étayant la conspiration pour assassinat..., et sur le fait que les conditions de la détention préventive de ces cinq hommes, qui avaient un accès limité à leurs avocats et aux documents, pouvaient avoir porté atteinte à leur droit à la défense. »

Vous savez très bien que le groupe de travail sur les détentions arbitraires de la Commission des droits de l’homme des Nations Unies, après avoir examiné les preuves, « a demandé au gouvernement des États-Unis d’adopter les mesures nécessaires pour remédier à la situation. »

Vous pourriez objecter, à juste titre, que le groupe de travail sur les détentions arbitraires des Nations Unies a dernièrement jugé que la détention d’Alan Gross était également « arbitraire », et que la Cour cubaine n’avait pas agi d’une manière « impartiale et indépendante » et qu’il avait appelé la Havane à « la remise en liberté immédiate d "Alan Gross. »

Même si nous acceptions les conclusions de l’un des rapport de l’ONU, où cela nous mènerait t-il ? Deux erreurs peuvent-elles donner une vérité ?

La réalité est que ni Alan Gross ni les cinq Cubains ne doivent croupir en prison. Ils sont tous, en définitive, victimes de plus de 50 ans d’échec historique de la politique américaine envers Cuba.

Il est temps de mettre fin à l’injustice et, franchement, à la stupidité d’une politique qui n’a pas servi, et ne sert pas l’intérêt des deux pays. Ni du monde.

Comme vous vous préparez pour votre investiture, face à l’opportunité unique que représente un second mandat pour un président, de pouvoir créer un lien historique, je vous demande instamment de réexaminer le cas des cinq Cubains.

Vous devriez saisir cette occasion pour accorder la clémence exécutive aux Cinq, les laisser rentrer chez eux à Cuba. Les Cubains ont déjà indiqué qu’ils étaient disposés à la réciprocité, libérant Alan Gross qui pourrait retourner dans sa famille aux États-Unis.

Un tel échange représenterait non seulement un important et attendu geste humanitaire de la part de vos deux gouvernements, mais il serait aussi un signal pour une opportunité de redémarrer enfin des relations entre les Etats-Unis et la Havane basées sur le respect mutuel et la compréhension.

Merci de votre compréhension.

Sincèrement,

Stephen Kimber

Traduit par Jacqueline Roussie

Stephen Kimber est journaliste et écrivain. Il est professeur de journalisme à l’université King à Halifax, au Canada. Son dernier livre, « What Lies Across the Water : The Real Story of the Cuban Five », consacré à l’histoire des cinq cubains Gerardo Hernández, Antonio Guerrero, Fernando González, Ramón Labañino et René González doit paraître courant 2013.

Le 7 janvier dernier, il a écrit la lettre suivante au Président Obama.

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Robert MacNamara
secrétaire à la défense étatsunien de 1961 à 1968
paru dans l’International Herald Tribune, 26 juin 2000.

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