Parmi les confusions politiques, couramment répandues, figure celle qui porte à croire que la guerre du Yémen n’est due qu’à la concrétisation d’un plan de domination saoudienne sur un pays voisin, doté d’énormes potentialités avec une démographie et une superficie susceptibles de le transformer en un État fort pouvant menacer le rôle et l’influence du royaume, si jamais il gagnait son indépendance nationale, puis rassemblait ses ressources et l’énergie de son peuple au service d’un processus de développement national indépendant.
Le récit le plus naïf et le plus superficiel est probablement celui qui relie ce crime désastreux aux tendances comportementales aventureuses du prince héritier saoudien, lequel serait le seul commandant des étapes successives de cette guerre, alors que l’examen attentif du contexte stratégique et économique de l’agression nous révèle que les opérations guerrières, incluant l’organisation du génocide et la destruction totale et brutale de tous les aspects de la vie au Yémen, sont tripartites ; les objectifs, les plans et les procédures étant ceux d’une guerre américano-sioniste et saoudienne.
Cette guerre hideuse incarne magistralement la volonté renouvelée des États-Unis de piller les richesses et de contrôler les marchés de tous les pays arabes, d’autant plus que le Yémen occupe une position de carrefour stratégique majeur, avec une côte de plus de 500 Kms ouverte sur les routes maritimes du commerce international, du transport pétrolier et des flottes guerrières. C’est aussi une position stratégique qui permet de contrôler la mer Rouge jusqu’aux côtes de la Palestine occupée et qui s’ouvre sur le carrefour des voies de transport, de pêche et de contrebande menant vers la côte africaine, l’Orient arabe, l’Égypte et le Soudan.
Depuis des décennies, les États-Unis ont fait de la côte yéménite un but pour le déploiement de leurs forces maritimes sous divers prétextes, dont les repaires d’Al-Qaïda vers la fin du XXème siècle. Cependant, nombre d’écrivains étrangers ont daté leur intérêt pour le Yémen vers le milieu du siècle dernier, sous l’administration du président Harry Truman, parallèlement à la consolidation de l’hégémonie étatsunienne en Arabie saoudite et à l’établissement de l’entité sioniste après le viol de la Palestine.
Aujourd’hui, l’intérêt des États-Unis pour la côte yéménite et la perspective de son occupation se sont intensifiés, vu la course maritime sino-américaine vers l’Afrique. En effet, en dépit de la taqiyya (dissimulation) chinoise excessive, une concurrence acharnée portant sur les ressources et les marchés du continent africain, est en cours, entre Pékin et Washington.
Or, la position terrestre et maritime du Yémen lui confère un rôle clé en rapport avec l’avenir stratégique de l’Afrique. Par conséquent, ce n’est pas pour rien que l’une des plus importantes bases américaines de la côte africaine, à Djibouti, se trouve en face de la côte yéménite. Et ce n’est pas un hasard si la Chine porte un intérêt discret aux côtes yéménites.
Quant à l’entité sioniste, depuis le début de l’agression sur le Yémen, de nombreuses études et rapports ont souligné l’importance stratégique des batailles entre l’alliance d’agression américano-saoudienne et les forces populaires yéménites luttant pour l’indépendance et la libération. Alors que dans sa description des évènements, la propagande américano-saoudienne préfère se servir de « l’épouvantail » iranien en sachant parfaitement que le soutien politique et les prétendus coups de pouce dont bénéficieraient les yéménites, de la part de l’Iran, n’expliquent pas leur résilience, leur efficacité, leurs innovations et leur capacité de résistance.
Une résistance des yéménites saluée par tous et qui s’inscrit dans le prolongement d’un parcours historique, d’où ils ont tiré leur expérience des guerres et des fortifications dans leurs montagnes, leurs plaines rocailleuses et leur littoral face aux invasions, depuis des siècles.
La focalisation sioniste sur l’Iran, reflète la crainte mortelle de le voir emprunter les voies yéménites pour acheminer une aide militaire, financière et économique à la bande de Gaza assiégée et à la Cisjordanie occupée. Une crainte qui trouve sa place à la lumière d’opérations précédentes d’approvisionnement iranien de la Résistance palestinienne, lesquelles sont largement exploitées dans les récits sionistes.
Une crainte accrue depuis que le blocus hermétique du Yémen, terrestre et maritime, a mis en évidence l’ingéniosité de cet ancien peuple dans la rébellion aussi bien que dans la création de voies de communication avec l’étranger, grâce à de simples bateaux de pêche et de caravanes terrestres traversant ses vastes territoires et ses chemins escarpés, malgré la haute technologie des satellites et radars des flottes étrangères contribuant à la surveillance des passages terrestres et maritimes ; lesquels, d’après la phobie sioniste, mènent tous vers les côtes de la Palestine occupée.
Dans les calculs militaires sionistes, le Yémen représente aujourd’hui le front sud de l’Axe de la résistance. C’est ainsi qu’il est désigné par leurs experts et leurs généraux, et c’est précisément ce qui incite à admettre les hypothèses et les récits concernant la participation sioniste directe à l’agression contre le Yémen ; laquelle participation est, en réalité, une action préventive contre une faction de la Résistance prête à rejoindre les autres fronts, par tous les moyens possibles et dans toute guerre future.
De son côté, le royaume saoudien craint la renaissance du Yémen libéré de sa tutelle, alors qu’il nourrit suffisamment d’ambitions, de désirs et de peurs l’incitant à le mettre à genoux. D’ailleurs, depuis des décennies, il n’a cessé de tenter de soumettre les yéménites ; le Sud socialiste et le Nord républicain étant, tous deux, des sources d’inquiétudes sécuritaires et politiques pour Riyad.
Les dirigeants saoudiens ont fait la sourde oreille à tous les appels des pays voisins en faveur du partenariat avec le Yémen, au profit de leur propre visée hégémoniste et de leur peur perpétuelle de l’émergence d’une puissance régionale capable et prête à devenir une force concurrente dans la région du Golfe.
Il n’empêche que la guerre du Yémen est essentiellement une guerre américano-sioniste ; certaines de ses étapes ayant été confiées au royaume saoudien dans le cadre d’un jeu de rôles au sein du Système de l’hégémonie coloniale sioniste.
Ghaleb Kandil
26/10/2018
Traduction de l’arabe par Mouna Alno-Nakhal
Source : New Orient News (Liban) http://www.neworientnews.com/index.php/news-analysis/64918-2018-10-26-08-36-59
Monsieur Ghaleb Kandil est le Directeur du Centre New Orient News et membre du Conseil national de l’audiovisuel au Liban (CNA) chargé des relations arabes et internationales.