Le Courrier, samedi 19 Janvier 2008.
World Economic Forum - Alors que les PDG préparent leurs valises pour Davos, les altermondialistes se sont donné rendez vous en 2009. En attendant, ils tenteront de se faire entendre des quatre coins de la planète. En Suisse, la mobilisation anti-WEF est toujours aussi difficile et éclatée.
Le match global entre le Forum économique mondial (WEF) de Davos et le Forum social mondial (FSM) n’aura pas lieu. Pour la simple raison que les altermondialistes ne se réuniront pas cette année, mais l’an prochain en Amazonie. Depuis 2001, date de la première édition à Porto Alegre, le WEF avait toujours dû partager les projecteurs avec ses adversaires.
L’ouverture de Porto Alegre collait avec celle de Davos de façon à mieux torpiller la rencontre des décideurs mondiaux. En février 2001, le Monde diplomatique pouvait se féliciter : « Le FSM s’est médiatiquement installé au même niveau que le WEF. »
Depuis, la tendance s’est inversée et les altermondialistes avouent un « enlisement » de leurs forums. Les dernières éditions « n’ont que peu contribué » à élaborer des alternatives au modèle dominant, selon les propres mots d’Attac-Suisse. De surcroît, l’organisation des grand-messes du FSM absorbe trop d’énergie.
D’où l’idée, pour 2008, d’une journée d’action globale fixée au samedi 26 janvier. La coordination se résume à un site internet : « Nous vous invitons toutes et tous, dans la diversité qui est notre force, à construire de manière créative des actions, manifestations, événements et convergences sur des thèmes et selon des modalités pratiques que chacun choisira. » Difficile de faire moins contraignant. Quel rapport entre une manifestation pour ramener à la maison les troupes étasuniennes stationnées en Irak, un blocage de supermarché à Cahors, un concert gratuit sur la plage de Rio ou la conférence de l’Autre Davos prévue à Zurich ? Réponse : la lutte contre le néolibéralisme.
Le WEF recycle Porto Alegre
Du côté du WEF, l’éclipse du FSM provoque des haussements d’épaules. « Notre rôle est de plus en plus reconnu », se félicite Klaus Schwab, président du WEF. « La polarisation entre nos deux forums est artificielle car, au fond, nous poursuivons les mêmes buts. »
Lutte contre la pauvreté, pénurie d’eau... Le WEF ne ménage pas ses efforts pour recycler des thèmes chers aux altermondialistes. Mercredi, à l’occasion de la présentation de la rencontre annuelle de Davos, Klaus Schwab a émis de sérieux doutes à l’égard des biocarburants. On aurait presque cru entendre Jean Ziegler, lui qui réclame depuis des mois un moratoire sur ces cultures accusées d’affamer les populations pour nourrir les voitures.
L’Open Forum de Davos est une pièce centrale du dispositif de charme. Organisés depuis 2003 par le WEF et la Fédération des églises protestantes de Suisse, ses débats sont les seuls ouverts au public. Dernière trouvaille : le commun des mortels est invité à désigner la meilleure chose à faire pour « rendre le monde meilleur ». Les vidéos les plus intéressantes mises en ligne sur le site YouTube seront diffusées à Davos, et les PDG y répondront. La Radio suisse romande relaiera aussi les interpellations de ses auditeurs auprès des invités de Klaus Schwab.
La carotte et le bâton
La stratégie d’ouverture WEF n’est pas sans lien avec les difficultés des anti-Davos. « Nous nous retrouvons divisés entre bons et mauvais opposants, qui acceptent ou refusent le dialogue avec le WEF », reconnaît Florence Proton, secrétaire générale d’Attac-Suisse. L’organisation pour une taxation internationale des capitaux a toujours refusé de participer à l’Open Forum.
Si la mobilisation anti-WEF s’est essoufflée, c’est aussi à cause des restrictions au droit de manifester. Le cortège de ce samedi à Berne, organisé par la gauche radicale, a finalement été interdit. Quant à la station grisonne, cela fait plusieurs années que les altermondialistes ont renoncé à y mettre les pieds, afin de ne pas subir les incessants contrôles et alimenter ainsi les fichiers de la police.
L’an dernier, seules cent cinquante personnes avaient défilé à Davos. La petite section des Verts locaux appelle une nouvelle fois à un rassemblement le 26 janvier, au dernier jour du WEF. Si la commune autorise la manifestation, le Vert davosien Rolf Marugg n’attend pas davantage de monde qu’en 2007. Est-il possible de manifester sous les fenêtres des décideurs mondiaux ? « Seulement un petit peu », répond M. Marugg.
« Nous n’avons pas les millions de Klaus Schwab »
Susan George [1]connaît bien la Suisse. Elle a participé à la conférence de l’Autre Davos à Zurich en 1999, lorsque l’idée du Forum social mondial (FSM) a germé. Elle est membre fondatrice d’Attac-France et a été vice-présidente de l’association de 1999 à 2006. Entretien.
Le Courrier : Cette année, il n’y a pas de Forum social mondial (FSM) pour contrer Davos.
Susan George : Lorsque nous avons eu l’idée du FSM, nous voulions effectivement faire de l’ombre à Davos. Par la suite, les forums ont connu un tel essor que plus personne ne se souciait de ce qui se passait à Davos. Aujourd’hui, l’organisation du FSM est devenue si lourde qu’avoir une édition tous les deux ans me paraît plus sage. En attendant 2009, il y a la journée d’action mondiale du samedi 26 janvier.
Justement, cette journée n’est-elle pas une action par défaut ?
Essayez donc de trouver chaque année des gens prêts à organiser le FSM, qui disposent d’assez d’argent et qui ont le soutien de leurs autorités nécessaire à l’accueil des milliers de participants ! Nous n’avons pas de staff professionnel ni des millions comme Klaus Schwab ! Moi, je préférerais des forums polycentriques, comme celui de 2006 qui avait été réparti entre Bamako, au Mali, Caracas, au Venezuela, et Karachi, au Pakistan. D’abord parce que davantage de monde peut s’offrir le voyage. Et la dernière fois que j’étais à Porto Alegre, j’ai eu l’impression d’être une rock star. Douze mille personnes étaient venues pour écouter la conférence dans le bien nommé stade Gigantino. Des agents de sécurité m’entouraient et empêchaient tout contact avec la foule.
Vos collègues d’Attac-Suisse font le constat d’un enlisement des forums. Est-ce aussi votre avis ?
Ah bon ? Je crois surtout que désormais tout le monde est au même niveau d’analyse. Au sein des forums sociaux, chacun fait le même diagnostic contre le néolibéralisme. Ce n’était pas évident au départ quand les gens découvraient les forums. Nous sommes maintenant entrés dans la phase de l’élaboration des propositions qu’il faudra ensuite pouvoir imposer. Les forums, avec la traditionnelle manifestation du premier jour (même si elle réunit deux cent mille personnes), c’est très bien mais il faut qu’il en ressorte quelque chose. Il faut se rendre compte que le mouvement altermondialiste n’a pas dix ans. Dans une perspective historique, c’est très peu. D’autant plus que tout est nouveau : il faut inventer une démocratie au niveau européen - où le parlement est très faible et où on nous ressert la même Constitution refusée par les Français et les Hollandais -, mais aussi sur le plan mondial.
Davos n’est-il pas un symbole plutôt qu’un lieu de décisions ?
C’est un lieu social où les « maîtres de l’univers » se retrouvent pour renforcer ensemble ce qu’ils croient déjà . Le réchauffement climatique, la crise des subprimes, la faiblesse du dollar, le prix du pétrole... Ils n’ont rien vu venir. Ils veulent surtout ne rien changer. Pourquoi le voudraient-ils, eux qui sont chaque année plus riches ?
Pensez-vous qu’il faille muscler les forums sociaux ou garantir qu’ils restent des espaces libres, où toutes les sensibilités puissent s’exprimer ?
Au FSM, je n’ai pas envie de discuter du racisme ou du sexisme. Si cela ne tenait qu’à moi, je définirais une dizaine de priorités d’action : l’urgence climatique, la dette du Sud, le commerce injuste, les paradis fiscaux, la nécessité d’une taxation internationale... Il faut développer des stratégies communes pour combattre tous ces phénomènes qui nous empêchent de construire un monde plus juste. PROPOS
Simon Petite
– Source : Le Courrier www.lecourrier.ch
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