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La FAO déclare la guerre aux Paysans et non à la Faim.


Lettre ouverte à M. Jacques Diouf, Directeur Général de la FAO


3 Juin 2004, GRAIN [1]


Cher Monsieur Diouf,


Nous soussignés, organisations, mouvements et personnes engagés dans l’agriculture et prenant en compte les problèmes du secteur, voudrions exprimer notre indignation et notre désaccord avec le rapport que la FAO [2] a publié le lundi 17 mai (« Les biotechnologies agricoles : une réponse aux besoins des plus démunis ? ») Ce rapport a été utilisé, dans un exercice de relations publiques politiquement motivé, pour soutenir l’industrie de biotechnologie. Il promeut la manipulation génétique des semences et contribue à détourner davantage de financement de la recherche vers cette technologie, au détriment des méthodes écologiquement adaptées développées par les paysans. La façon dont le rapport a été préparé et rendu public soulève malheureusement de sérieuses interrogations au sujet de l’indépendance et de l’intégrité intellectuelle d’une agence aussi importante des Nations Unies. Le rapport détourne la FAO de la souveraineté alimentaire et des besoins réels des paysans du monde entier ; c’est un coup de poignard dans le dos des paysans et des ruraux démunis que la FAO est sensée soutenir.

Nous sommes profondément déçus du fait que la FAO n’ait pas respecté son engagement (et votre propre promesse) de consulter les organisations des petits producteurs agricoles et la société civile et de maintenir avec eux un dialogue ouvert. En ne consultant pas ces organisations au cours de la préparation de ce rapport, la FAO a tourné le dos à ceux qui sont les plus affectés par les technologies qu’il promeut.

Au lieu de recommander le renforcement des capacités des petits producteurs agricoles pour la gestion de la diversité biologique dans leur agriculture et l’amélioration des cultures vitales pour leur survie - ce que certains travaux de terrain de la FAO promeuvent activement et avec succès - ce rapport propose un « trucage » technologique des produits agricoles cruciaux pour la sécurité alimentaire des populations marginalisées - poussant à la modification transgénique du manioc, de la pomme de terre, du pois chiche, du mil et du teff.

La faim augmente encore dans le monde malgré le fait que la production alimentaire mondiale par tête n’a jamais été aussi élevée qu’aujourd’hui. Les problèmes d’accessibilité et de distribution sont de loin plus importants que ceux de la technologie. Si nous avons appris quelque chose des échecs de la ’Révolution Verte’, c’est qu’en matière sélection des semences adaptées aux facteurs de production venant de l’extérieur, les « avancées » technologiques vont de pair avec la polarisation socio-économique croissante, l’appauvrissement rural et urbain, l’insécurité alimentaire aggravé. La tragédie de la ’Révolution Verte’ réside précisément dans le fait que l’accent a été mis sur la technologie, ignorant les facteurs sociaux et structurels beaucoup plus importants parmi les causes de la faim. La technologie a renforcé ces structures-là mêmes qui provoquent la faim. Une nouvelle « révolution génétique » va seulement exacerber les erreurs les plus graves de la ’Révolution Verte’. La FAO n’a-t-elle rien appris de tout cela ?

L’histoire démontre que des changements structurels en ce qui concerne l’accès à la terre, à la nourriture, et au pouvoir politique - combinés avec des technologies écologiquement robustes provenant de la recherche centrée sur les préoccupations du paysan - réduisent la faim et la pauvreté. La « révolution génétique » promet de nous emmener dans la direction opposée. Elle est fondée sur une recherche au coût astronomique, élitiste et dominée par l’industrie, utilisant des technologies sous brevet. Les mêmes ressources, si elles étaient dirigées vers des réseaux de recherche participative centrée sur les préoccupations du paysan, génèreraient des technologies écologiquement adaptées, équitables et productives.

Bien que le document de plus de 200 pages fasse tout pour apparaître neutre, il est hautement tendancieux et ignore l’évidence patente des impacts négatifs des produits génétiquement modifiés, au plan écologique, économique et sanitaire. Par exemple, le rapport affirme tout de go que les produits agricoles transgéniques ont rapporté de larges bénéfices aux paysans et aidé à réduire l’utilisation des pesticides. Cette affirmation est fondée sur des données provenant d’une série d’études hautement sélective sur le coton Bt. Les données contraires sont ignorées. Celles provenant de l’Inde, sont fondées exclusivement sur des essais en champ conduits par Monsanto en 2001. Le rapport ignore les données collectées dans les champs des planteurs par plusieurs services gouvernementaux et autres chercheurs indépendants au cours de la saison agricole 2002 (l’année où le coton Bt a été diffusé). Ces données montrent que le coton Bt a échoué. Les petites études non concluantes sur le coton Bt au Mexique, en Argentine et en Afrique du Sud sont utilisées de façon trompeuse pour soutenir les variétés de coton transgénique. Une référence à une autre étude suggère des bénéfices pour les producteurs de coton au Burkina Faso et au Mali et conclut sans beaucoup de fondement que l’Afrique de l’Ouest - déjà sous des pressions commerciales injustifiables - perdrait des millions de dollars si elle n’adoptait pas le coton Bt.

Bien que le rapport de la FAO mentionne que le génie génétique est dominée par les firmes transnationales, il perd de vue le fait que seule une firme - Monsanto - est propriétaire de la technologie des semences génétiquement modifiées qui ensemence plus de 90 % de la surface mondiale semée de produits transgéniques. Cinq firmes fabriquent pratiquement 100 % des semences transgéniques sur le marché. Cela représente une dépendance sans précédent des paysans vis-à -vis de l’agro-industrie mondiale, ce qui aurait dû alerter la FAO et l’amener à proposer des alternatives. Proposer seulement que davantage de ressources financières publiques soient consacrées au génie génétique n’est pas une solution. Plus d’investissement dans cette technologie - comme le recommande la FAO - accroîtra inévitablement le monopole des multinationales sur la fourniture mondiale des produits alimentaires. Les pays pauvres seront forcés de se soumettre aux régimes de brevetage, aux contrats et aux règles commerciales qui affaibliront leurs capacités internes de lutte contre la faim. Quatre jours après la publication de votre rapport, la cour suprême du Canada a honteusement pris parti pour Monsanto contre Percy et Louise Schmeiser, fermiers canadiens, simplement parce que la semence brevetée de la firme a contaminé leur champ. Dans plusieurs pays, les problèmes liés à la contamination ont déjà créé des situations dans lesquelles des paysans sont menacés ou poursuivis, parce que du pollen génétiquement modifié a été transporté par le vent dans leurs champs.

Plus les paysans dépendront de l’industrie biotechnologique, le moins d’options ils auront pour soutenir et développer davantage leurs propres systèmes de production et de subsistance. Il est inacceptable que la FAO soutienne la nécessité des droits de propriété intellectuelle pour les firmes transnationales. Ceci équivaut au soutien de la FAO à la bio-piraterie transnationale, puisque les ressources génétiques que les firmes transnationales cherchent à breveter sont les produits du travail d’amélioration collective accompli par les paysans pendant des millénaires.

La contamination génétique frappe le coeur-même des centres mondiaux de la diversité biologique. Et pourtant, la FAO commente à peine cette tragédie. En plus, pour les civilisations mêmes qui ont créé l’agriculture, cela constitue une agression contre leur vie, contre les plantes qu’ils ont découvertes et entretenues, et contre leur souveraineté alimentaire. Depuis plusieurs décennies, la FAO conduit un débat international sur l’érosion génétique. Avec l’avènement du génie génétique, la menace de l’érosion génétique s’est accrue. En tant qu’institution normative intergouvernementale pour les ressources génétiques, la FAO devrait développer des politiques de prévention de l’érosion génétique et agir contre ses conséquences négatives au plan mondial.

Nous sommes stupéfaits de voir que, pour prévenir la contamination génétique (en même temps qu’il veille au maintien du monopole des firmes transnationales), le rapport soutient l’option absurde d’utiliser la technologie ’Terminator’, une technologie qui empêcherait les paysans de conserver et de re-utiliser les semences récoltées. Les organisations paysannes, les organisations de la société civile, de nombreux gouvernements et institutions scientifiques ont condamné cette technologie. En tant que Directeur Général de la FAO, vous avez affirmé en 2000 que la FAO était contre la stérilisation génétique des semences. Incroyable, votre rapport soutient une technologie qui mettrait en danger l’alimentation de 1,4 milliard de personnes qui dépendent des semences traditionnelles dans le monde.

Ces affirmations tendancieuses, omissions et conclusions sans fondement transforment ce rapport en un outil scandaleux de relations publiques au profit de l’industrie biotechnologique et au profit des pays qui cherchent à exporter cette technologie. C’est une insulte pour les gouvernements membres de la FAO qui, courageusement, résistent aux firmes transnationales et aux pressions politiques, et qui développent des alternatives viables pour la sécurité semencière à long terme et la souveraineté alimentaire. Cela constitue la non reconnaissance des efforts consentis par les scientifiques et les décideurs politiques - certains même au sein de la FAO - qui ont contribué au développement participatif de nouvelles technologies, de méthodologies agro-écologiques, de l’agriculture durable et d’autres approches qui mettent au premier plan le rôle et les droits des paysans.

Nous considérons que la FAO a rompu son engagement à consulter la société civile et les organisations paysannes, sur les sujets de préoccupation commune. Il n’y a eu aucune consultation des organisations des petits producteurs agricoles, pendant qu’il apparaît qu’il y a eu d’amples discussions avec l’industrie. Pour ceux parmi nous, membres des organisations de la société civile et des mouvements sociaux, qui considérions la FAO comme une institution avec laquelle nous pouvions avoir des liens, et comme un forum où ces problèmes pouvaient être débattus pour permettre, éventuellement, d’aller de l’avant, il s’agit là d’une régression considérable. Les organisations paysans et de la société civile se rencontreront et se concerteront dans les mois à venir, pour décider d’autres actions à entreprendre concernant la FAO et les répercussions négatives de ce rapport.

Sincèrement vôtre.


 Lire le rapport et le communiqué de presse de la FAO : www.fao.org

 Personnes et organisations signataires :


GRAIN : www.grain.org


REJET DES ACCORDS DE LA FAO.


17 Juin 2004, Và­a Campesina [3]

La IV Conférence Internationale de Và­a Campesina, réunie du 12 au 19 juin 2004 à Sao Paolo-Brésil,
condamne avec fermeté et indignation le rapport annuel de la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’Alimentationet l’Agriculture) qu’elle considère comme un soutien déclaré à l’industrie biotechnologique, dont les transgéniques sont l’un des principaux aspects et qui porte atteinte à la souveraineté alimentaire des peuples, notamment dans les pays pauvres.

Và­a Campesina, le plus important mouvement mondial d’organisations paysannes et de petits agriculteurs, a affirmé sa position à l’unanimité des participants de la IV Conférence. Cette position est la même que celle déjà exprimée dans une lettre ouverte adressée au Directeur Général de la FAO, Jacques Diouf, et qui a reçu le soutien de plus de 850 mouvements et organisations de la société civile.

Le rapport 2004 de la FAO, intitulé « Biotechnologie : réponse aux nécessités des pauvres ? » et élaboré sans aucune consultation des organisations paysannes et de petits agriculteurs est considéré comme un soutien politique à l’industrie biotechnologique et aux transgéniques encourageant un détournement encore plus grand des financements pour des recherches de ce type, au détriment des méthodes saines et écologiques pratiquées par les petits agriculteurs et les paysans.

«  Nous sommes profondément déçus parce que la FAO, et vous en particulier, a rompu son engagement de consulter et maintenir un dialogue avec les organisations de petits agriculteurs et avec la société civile. En ne consultant pas ces organisations sur ce rapport, la FAO a tourné le dos à ceux qui sont les plus directement touchés par les technologies que le rapport promeut », souligne la lettre ouverte.

Elle ajoute qu’au lieu de recommander le renforcement du rôle des agriculteurs dans la gestion de leur biodiversité agricole et l’amélioration des cultures vitales à leur survie, le rapport propose un aménagement technologique des cultures promouvant le développement transgénique du manioc, de la pomme de terre et du pois chiche, entre autres produits.

Elle souligne également que la faim dans le monde augmente malgré la croissance de la production globale d’aliments ; et que si « nous avons appris quelque chose de la révolution verte, c’est que les avancées technologiques en matiére de génétique des cultures, pour que les semences correspondent aux intrants externes, vont de pair avec l’augmentation de la polarisation socio-économique, l’appauvrissement rural et urbain ainsi qu’une plus grande insécurité alimentaire. »

La FAO semble ne rien avoir appris de l’échec de la révolution verte et ne comprend pas qu’une vision technologique étroite a renforcé les structures qui provoquent les famines. La lettre souligne que même l’histoire montre que les changements structurels relatifs à l’accès à la terre, à la production d’aliments et au pouvoir politique - associés à de solides technologies écologiques, soutenues par la recherche fondée sur le savoir paysan- réduisent la faim et la pauvreté.

Le rapport de plus de 200 pages est extrêmement tendancieux en ignorant les impacts néfastes des cultures transgéniques, en affirmant qu’elles ont permis aux agriculteurs d’en tirer un énorme bénéfice économique et qu’elles ont servi à réduire l’utilisation des pesticides. Ces affirmations proviennent non pas de sources scientifiques indépendantes ni même d’une comparaison des différentes données disponibles mais des propres enquêtes réalisées par des entreprises de biotechnologie. Il est par exemple affirmé que le coton transgénique insecticide (Bt) a été un succès en Inde, en se basant sur des données partielles des expériences menées par l’entreprise multinationale Monsanto en 2001, sans prendre en compte les données réelles de la libération du coton transgénique en 2002 qui montre que ce fut un échec.

Les voix se sont unanimement élevées contre les transgéniques au cours de la IV Conférence. « Les multinationales veulent manipuler nos cultures pour pouvoir contrôler toute la chaîne alimentaire au plan mondial, nous obligeant à abandonner la production d’aliments et à devoir consommer leurs produits partout dans le monde. Avec ce rapport, la FAO leur offre une justification pour continuer à polluer nos cultures. C’est pourquoi nous rejetons ce rapport et que nous réviserons nos stratégies vis-à -vis de cet organisme et des autres institutions de l’ONU, qui font le travail de légitimation des multinationales promouvant l’agriculture industrielle et l’expulsion des paysans », affirme le dirigeant paysan basque et membre du Comité International de Và­a Campesina, Paul Nicholson.

Le rapport de la FAO a remis en cause l’estime que Và­a Campesina portait à cette organisation. Considérant qu’elle a rompu son engagement de réaliser des consultations avec les organisations paysannes, elle a perdu sa légitimité de forum pour débattre des thèmes comme l’agriculture et l’alimentation. Le chemin est clair pour Và­a Campesina : il ne s’agit pas seulement d’exiger que sa voix soit entendue au sein d’institutions comme la FAO mais également de continuer depuis la base, avec des réseaux horizontaux et diversifiés, en intégrant les paysans, les indigènes, les communautés noires, les femmes et les jeunes ; en promouvant la désobéissance civique ; en affirmant la diversité culturelle et en dénonçant les impositions des institutions multilatérales. En d’autres termes : en globalisant la lutte et en globalisant l’espoir

Via Campesina : www.viacampesina.org


L’USAID : comment faire pour que le monde ait faim de cultures génétiquement modifiées.



[1GRAIN est une organisation non gouvernementale (ONG) internationale dont le but est de promouvoir des actions contre l’une des principales menaces qui pèse sur l’alimentation mondiale et la sauvegarde des moyens de subsistance : l’érosion génétique.

[2FAO : Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture

[3Via Campesina est un mouvement international qui coordonne des organisations de petits et moyens paysans, de travailleurs agricoles, de femmes rurales, de communautés indigènes d’Asie, d’Amériques, d’Europe et d’Afrique.

Via campesina est un mouvement indépendant de toute organisation politique, économique ou religieuse. Elle est composée par des organisations nationales ou régionales dont l’autonomie est respectée.
Via Campesina est structurée en 7 régions : Europe, Asie du nord-est et du Sud-est, Asie du Sud, Amérique du Nord ; Caraïbes, Amérique centrale et Amérique du sud.


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Croire que la révolution sociale soit concevable... sans explosions révolutionnaires d’une partie de la petite bourgeoisie avec tous ses préjugés, sans mouvement des masses prolétariennes et semi-prolétariennes politiquement inconscientes contre le joug seigneurial, clérical, monarchique, national, etc., c’est répudier la révolution sociale. C’est s’imaginer qu’une armée prendra position en un lieu donné et dira "Nous sommes pour le socialisme", et qu’une autre, en un autre lieu, dira "Nous sommes pour l’impérialisme", et que ce sera alors la révolution sociale !

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Lénine
dans "Bilan d’une discussion sur le droit des nations", 1916,
Oeuvres tome 22

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